mardi 17 janvier 2006

Prologue de la Révolution

Les grandes épopées essoufflent parfois le lecteur. A changer la lorgnette par la loupe on profite souvent d’une approche « individualisée » des évènements qui s’éclairent dès lors de touches familières permettant des lustres plus tard, d’investir la période dans un meilleur confort de repères.

Isidore Boiffils de Massanne a fait oeuvre d’historien en la baronnie d’Hierle, aujourd’hui englobée dans l’arrondissement cévenol du Vigan. Il fut maire de Sumène de 1871 à 1877 et tint cette fonction à l’époque de la restauration ratée de 1873 quand le comte de Chambord refusa l’obstacle, derrière le prétexte du drapeau blanc. Sans doute fut-il tenté de revenir au pourquoi du désastre.
sumène
Il nous offre un cliché instantané de la société française à l’ouverture des Etats généraux de 1789, qui vaut meilleur résumé que bien des développements laborieux de nos amis professeurs d’histoire des collèges. Laissons-lui la parole.

L'Ancien Régime fourmillant d'abus et de contradictions, touchait à sa dernière heure. Bizarre assemblage d'institutions féodales et de lois césariennes, rien n'y coïncidait, tout y était disparate. La dynastie capétienne avait accompli l'oeuvre de destruction du Moyen Age lentement, patiemment, quelquefois à regret. Sortie des entrailles de la Féodalité, un pressentiment secret lui disait que cette oeuvre était un suicide. 1789 se chargea de le lui prouver.

  • Une royauté omnipotente mais sans appui dans la nation.

  • Une cour dissolue où seul le roi était vertueux.

  • Les finances penchant vers la banqueroute.

  • Un clergé riche et peu exemplaire, ballotté entre le pape et le roi, les Jésuites et les gallicans.

  • Une noblesse frivole, avilie dans les antichambres.

  • Des parlements factieux.

  • Une bourgeoisie aisée et spirituelle, jalouse de ses privilèges nobiliaires, se croyant appelée à réformer l’Etat, n’ayant ni plan ni vues d’ensemble.

  • Un peuple royaliste au fond, mais tendant l’oreille aux Réformateurs qui lui promettaient l’amélioration de son sort.


A travers toutes les couches de la société avaient filtré des idées appelées "philosophiques", proclamant le dogme de l’Intérêt Public, cette arme terrible qui depuis 1789 sert à renverser les vainqueurs du lendemain sur les vaincus de la veille. Et sur tout cela une ardeur, un enthousiasme incomparables.
Ces jours de 1789 furent illuminés d’un clair rayon d’espérance. Si jamais on a pu se croire à la veille d’une Rénovation Universelle, si jamais le règne de la Justice et de la Vérité parut près d’advenir, c’est à ce moment.

Par une aberration inexplicable, le clergé catholique, seul instituteur de la France féodale et monarchique, ayant toujours les yeux fixés sur l'Antiquité, présentait pour modèle les héros républicains d'Athènes et de Rome à des adolescents destinés à devenir avocats du roi ou mousquetaires.
De même, il montrait la mythologie à ceux qui se destinaient au sacerdoce chrétien. Les saintes cathédrales étaient dédaignées, ridiculisées par le nom de "gothiques", et les institutions nationales traitées de barbares. Du haut des chaires, on prêchait l'égalité de tous les hommes devant un Clergé seul légitime dominateur.
La bourgeoisie de 1789 était imbue de ces doctrines sauf en un point particulier: elle refusait formellement la domination aux clercs pour l'accorder à l'Etre abstrait nommé Société ou Etat.

Ainsi l’Eglise vit ses doctrines se tourner contre elle-même. Cette classe bourgeoise suffisante et vaine se vit porter au pinacle. C’est elle qui posséda l’initiative et l’influence et qui doit aussi porter la responsabilité. L’histoire de nos quatre-vingt ans (ndlr l’auteur écrit à la veille de la guerre de 1870) de Révolution est l’histoire de l’incapacité de la bourgeoisie. Elle viola le précepte « le bien d’autrui tu ne prendras ! » sciemment, déloyalement, en faisant des distinctions et des commentaires, en invoquant l’intérêt public et le bien général. On dirait que les générations françaises depuis 1789 ont été mordues au coeur par une dent de vipère.

Le mal qui les ronge c’est l’envie. Non pas cette envie personnelle que tous les siècles ont connue mais une envie héréditaire, sociale, érigée en dogme, canonisée par l’esprit moderne. La démocratie c’est l’envie, a dit Proudhon et il a bien dit. A ces multiples causes de désordre qui menaçait la société française venaient s’ajouter dans notre pays la présence du protestantisme et du ressentiment de la Saint-Barthélemy contre tous les catholiques, de la révocation de l’édit de Nantes contre les Bourbon de la branche aînée et tous leurs partisans.

Isidore Boiffils de Massanne (1824-1907)


Bibliographie :

Un coin des Cévennes pendant le Moyen Age, la combe de Recodier dans la paroisse de Saint-Roman de Codières
édité par Fragile en 1883

Histoire de Sumène : Des origines à la fin du 18è siècle
ré-éditée par le Vieux Pont en 2001

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