mardi 14 février 2006

Confrontation : régimes ou civilisations

En route pour trente ans de réaction
par Jacques Bainville

obusier autrichien« Le propre d'évènements aussi grandioses que ceux dont l'Orient est en ce moment le théâtre (ndlr : première guerre balkanique qui va ébranler l'Empire ottoman et faire éclore les nationalités qui vont à leur tour s'entre-dévorer dès 1913, cause imminente du déclenchement de la Grande Guerre), n'est pas seulement de bouleverser l'ordre et l'agencement des positions diplomatiques. C'est aussi, c'est même peut-être surtout, d'alimenter des courants d'opinion, de créer de nouveaux états d'esprit politique. La guerre est une formidable accoucheuse d'idées. La victoire fixe les jugements des hommes. Après l'expérience décisive de Kirk-Kilissé (prise de la ville forte du même nom par les Bulgares) et de Lule-Bourgas (bataille où les Bulgares enfoncent les lignes ottomanes jusqu'à 30 km de Constantinople), la cause des révolutions est perdue, celle de la monarchie autoritaire est gagnée dans une vaste partie de l'Europe.
On conçoit que les Républicains s'en alarment ! Et puis quand ils ne sont pas tout à fait ignorants de l'histoire, ils comprennent que nous voilà revenus à la période et à la politique des partages, que la parole appartient à des nations jeunes ou rajeunies, à des dynasties qui, anciennes ou nouvelles, se serviront, pour leur grandeur, des méthodes dont Catherine et Frédéric usaient déjà. Ils comprennent qu'en aucun cas, les idées du libéralisme et de la démocratie ne peuvent intervenir dans cette compétition impitoyable, sinon pour se faire exploiter et pour se laisser battre. Par contagion ou par développement de la vitesse acquise, l'avenir qui s'ouvre à l'Europe est réactionnaire. Pendant au moins un âge d'hommes, les peuples vont "réagir". Ils réagiront contre les principes de l'insuccès qui sont ceux de l'anarchie, c'est à dire de la démocratie libérale et parlementaire. Et gare aux peuples qui s'attarderont ! L'Europe est en route pour trente années de réaction et les traînards sont condamnés d'avance. » (J.B., 2 novembre 1912)

Journée Jacques BAINVILLE
A l’occasion du 70ème anniversaire de sa mort

Samedi 25 Février 2006
Centre Charlier
70, Boulevard Saint Germain – 75005 Paris


1912 + 30 = 1942 = Stalingrad + tant de millions de morts en Europe et ailleurs ! Les monarchies autoritaires périront toutes, à l'exception notable du pseudo-empire soviétique qui demandera quarante-cinq ans de plus pour s'éteindre dans le ridicule de son implosion. Alors les idéologies vont dès la fin de la seconde guerre se livrer une nouvelle guerre, celle des idées, parfois brandies très dangereusement, mais toujours soutenues par un impérialisme hégémonique inassouvi. Les systèmes monarchiques expulsés des territoires de la pensée politique moderne seront ringardisés et le triomphe de "la liberté éclairant le monde" annoncé pour durer mille ans, autant que prétendait durer le dernier Reich.
Malgré tout, les revers que subit aujourd'hui dans sa marche vers l'Est, l'empire américain, indiquent que certaines limites sont atteintes. Démocratie outrée, marchandisation forcée des cultures, droits de l'homme, droit des nationalités à disposer de soi, toutes idées "bien de chez nous", affrontent une contestation de plus en plus ouverte du monde dit-tiers qui ne se paie pas simplement d'idées, car il n'en a pas les moyens.

Jusques à quand les peuples d'Europe accepteront-ils de se laisser gouverner par des idées abstraites. Par des idéologies. Elles ne marchent plus chez eux, elles ne marchent pas non plus à l'exportation. Quelle mouche a piqué l'intelligence humaine pour forcer une décision collective en faisant converger sur elle le nombre le plus grand de soutiens, et quelles que soient les oppositions quand bien même additionnées, surpasseraient-elles le nombre homogène le plus grand, elles seraient considérées comme battues et disqualifiées de toute légitimité dans leurs entreprises. Notre beau pays est gouverné par un socle d’opinion plus ou moins homogène représentant tout au plus un cinquième des choix exprimés. Combien de temps cela peut-il durer ? On est en train d’en voir le bout. Mais le plus grave est de faire métastaser ce principe pervers chez des peuples qui le prennent au premier degré, comptant bien si leur faction ressort victorieuse du processus "démocratique", imposer légalement (ils connaissaient déjà) et maintenant légitimement, leur dictature. Les radicaux iraniens minoritaires tirent le rideau noir de la dernière séance libérale très légitimement, le Hamas palestinien surgi tel la "divine surprise", va taxer les dhimmis sur tous les Territoires comme il le fait déjà dans ses municipalités, en toute légitimité, le parti islamo-démocrate turc minoritaire hors des campagnes, verrouille tous les compartiments de la société qu'il peut extirper de l'influence de l'armée laïque (jusqu'à quand ?), parce qu'il revendique la disposition d’un soutien populaire, analphabétique.

Et pendant qu'on se goberge de "démocratie" à Paris, Strasbourg, Rome ou Bruxelles, des empires puissants d’un genre inédit se sont constitués sur les décombres de nos valeurs mercantiles en les sublimant au niveau d'un gouvernement mondial, du moins c'est le but. Leur champ de manoeuvre c'est le globe, leur centre de pouvoir n'est pas géographiquement circonscrit mais il réunit tous ceux qui décident réellement; ils ne sont pas si nombreux qu'on puisse les voir tous ensemble à Davos. Le parlementarisme qu'ils souhaitent universel, précipitant une certaine médiocrité et affaissant les capacités de réactions des nations dans d'interminables joutes oratoires ordonnées autour d'une arithmétique politicienne de l'instant, est le meilleur terreau d'ensemencement de leur légitimité supérieure dès lors qu'ils se positionnent en recours arbitral des incapacités subalternes. Que ne demande-t'on pas à Davos, qui au même moment sera ôté de la sphère décisionnelle des nations !

Un seul pays de référence ne joue pas le jeu ! C'est une monarchie autoritaire d'un genre adapté : La Chine. Elle refuse clairement le gouvernement mondial et officieusement la démocratie. Ceci ne la prive de rien de ce que les autres puissances peuvent lui donner de confiance, de termes d'échanges, voire d'estime. Elle prouve à sa façon que la démocratie parlementaire n'est pas inéluctable pour progresser, s'enrichir, créer des classes moyennes, et parvenir sans doute au premier rang des nations qui parlent sans être interrompues. Elle n'affronte pas plus de risques que les tenants du système approuvé, bien qu'on lui en fasse une liste longue comme un jour sans pain. C'est un vieil empire, jamais aboli.

A l'escroquerie intellectuelle démocratique, s'ajoute l'escroquerie morale des Droits de l'homme, valeur également d'obligatoire exportation. Non pas qu'il faille récuser l'énoncé des droits fondamentaux de chaque être humain, mis à part le fait que les deux pays en pointe sur le chapitre de leur propagande, ne soient pas les moins critiqués pour les enfreindre gaillardement. Les droits individuels de l'homme sont inaliénables et le premier article de la Déclaration devrait s'apprendre par coeur dès le cours préparatoire : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune (modèle du 26 août 1789)". Connaît-on vraiment les seize autres articles ? On y trouve bizarrement aussi des "droits et devoirs réciproques" qui ne sont jamais mis en avant. Mais cette analyse sera poursuivie une autre fois.

Dans le package occidental du "prêt-à-croître", droits et démocratie sont donc larrons en foire. Mais comme les deux compères de Pinocchio, le goupil et le chat, ils ne termineront pas l'histoire parce que l'Histoire n'a plus besoin d’eux. Certains pays pourraient nous étonner d'avancer la prétention de leurs propres "devoirs", en codicille à nos 17 articles de "droits". Ceux-là vont-ils se fracasser sur les dogmes intangibles de l'existentiel, de l'agnosticisme, de l'introspection freudienne et de la "réalisation de soi"; pas du tout ! Nos dogmes vont être fracassés par ces "devoirs" exotiques, le plus souvent collectifs qui pis est.
Le plus dérangeant d'entre eux est le devoir d'assistance aux vieux en communauté familiale. Il contrevient au schéma de libération des générations, à la liberté de l'égoïsme total, aux systèmes des fonds de pensions et au développement de la climatisation.
Il en est d'autres, comme le respect intégral dû aux rites religieux. Notre franc-maçonnerie, qui a créé les siens propres pour accueillir la Lumière en ses loges à l'orient de Vesoul, ne peut que s'offusquer de ces antiquités provenant pourtant de la même source. La laïcité est en train de prendre des coups dont elle pourrait bien ne pas se relever.
Et l'on ne peut s'en aller du sujet sans parler des rites sociaux qui restent en Orient de véritables tabous de cohésion nécessaire à une société entassée.
Quelle résistance inexpugnable au progrès des Esprits !

Le choc des régimes, autoritaire contre parlementaire, comme le prévoyait Bainville, devient aux jours du village global, un choc de civilisations. Pas vraiment entre les peuples d'Occident et ceux du Croissant Vert qui ont bien des traits communs, mais entre leurs élites de pensée. Plutôt même entre d'une part, l'esprit des Lumières, corrompu à l'envi par un parlementarisme effréné, un cosmopolitisme arrogant et par toutes ces tricheries politiques qui se sont cachées derrière eux ; et face à lui, le jugement pondéré de civilisations anciennes et de masse, qui éprouvent chaque jour le bien-fondé et la modernité de leur socle traditionnel. Les empires émergents dont on parle avec crainte, y parviennent "sans nous". Nous n'avons plus de socle traditionnel, et au moindre choc nous courrons aux principes idéologiques qui nous apparaissent au moment … évanouis. L'épiphénomène des caricatures du prophète a bien montré l'inconfort philosophique de nos sociétés qui ne peuvent pas trancher une situation relativement simple.

Les "monarchies" et pseudo-monarchies autoritaires ont-elles à nouveau le vent en poupe ? C'est moins un choix de l’organisation de l'Etat et la définition d'un processus de gestion des alternatives politiques qui vont compter dans le rallye des peuples du XXI siècle, que le retour à des valeurs "basiques" de notre vieux genre humain. La "réaction" annoncée n'est pas exactement bainvillienne, mais elle est y ressemble. Les peuples vont-il "réagir"? Nous reste-t'il de quoi rebâtir ? On peut en douter. Mais souvenons-nous que notre socle traditionnel est monarchique. On nous le répète tous les jours en république pour s'en plaindre ! En vrai, une monarchie éclairée qui obéissait à des lois de paix et de sagesse pour la préservation du bien commun de la nation et de la nation elle-même.

"Réagissons !"

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