lundi 11 septembre 2006

Une grande diplomatie

Dans la dernière livraison des Epées (N°20), le député européen Paul Marie Coûteaux, nous propose une politique internationale de rechange, fondée sur la diplomatie gaullienne qu'il a connue de près, au sein du sérail gaulliste avec Michel Jobert entre autres.
"Le but de la France n'est pas la puissance mais la liberté".
Les non-inscrits peuvent comprendre bien autre chose que la liberté par rapport à l'empire germain mâtiné de romanité. La terre d'ici est le Frankreich, pas le Frankland ! Rive gauche du Rhin, nous sommes un empire libre à nous tout seuls ! C’était quelque part le Serment de Strasbourg.

Il y eut un peu de puissance quand même dans notre histoire. Pour conquérir surtout cette rive gauche indéfinissable dès lors que le Rhin s'éparpille en Hollande. A défaut, nous avons prolongé le Rhin vers le sud, si loin qu’un jour il prit sa source à Fachoda ! Le délire colonial a participé de l'éternité de la mondialisation que relève Monsieur Coûteaux, et bien dans une démarche hégémonique comme le démontre l'auteur du billet. Mais aujourd'hui, si la globalisation et l'hégémonie partagent le même champ de manoeuvre, je suis moins convaincu du ressort hégémonique qui déclencherait cette entropie mondiale à tous coups. Que serait d'ailleurs la globalisation anglo-saxonne dont on se plaint aujourd’hui, si un petit homme avisé n'avait pas renversé les tables idéologiques de son immense pays, la Chine, et ne l'avait jeté ce faisant dans le chaudron du capitalisme sauvage ? Rien de plus qu'une OCDE élargie à quelques tigres asiatiques de quatrième zone.

Le succès de la globalisation est dû à la convergence des convictions économiques d'acteurs majeurs. L'impérialisme aussi sournois soit-il, n'y arrive pas seul. L'ensablement américain au Moyen Orient nous le confirme, l'hyperpuissance ne dicte pas sa loi dès lors qu'il n'y a plus convergence des autres, mais nous le savions déjà au souvenir de tous les empires effondrés. Il n'empêche que la globalisation est largement souhaitée dans le tiers-monde car elle a cassé le syndrome du sous-développement chronique. Et souhaitée d'abord par le seul empire survivant, l'Empire céleste, qui se métamorphose depuis cent ans en toutes sortes d'avatars pour redevenir bientôt ce qu'il fut de plus grand dans le passé, à condition que son peuple accepte le projet et taise ses impatiences. Profitons-en pour dire que l'altermondialisme est une idéologie de gavés, même si des incidences négatives de l'ouverture des marchés et du protectionnisme symétrique sont relevées dans le monde de l'agriculture. On les surmontera un jour.

Diplomatie gaullienne
Monsieur Coûteaux ne nous démontre pas la supériorité de la diplomatie gaullienne, il nous vante ses axes d'effort et sa plasticité. Au résultat comme on dit au pas de tir, je ne discerne pas sur ses cibles l'avantage acquis !
Les grands desseins qui sous-tendirent les voyages exotiques du général - comme celui de Mitterrand à Cancun d'ailleurs - se sont tous enfuis devant la réalité de nos moyens effectifs sans commune mesure avec l'annonce fracassante de leur mise en oeuvre. Que reste-il du discours de Phnom Penh, rien ; du discours de Montréal, Starmania, du discours de Mexico, le mano en la mano, c'est-à-dire rien.

En revanche chacun a compris depuis longtemps, et les intéressés les premiers, que l'instrumentalisation du rapprochement franco-allemand visait à hausser la France dans la Communauté européenne à un niveau d'influence ou de nuisance sans rapport avec son propre poids économique voire politique. On aperçoit le bout de ce dessein aussi, et les Allemands sont usés par cette usurpation !
Mais la seconde partie du billet me semble plus décalée par rapport au monde imminent.

Europe politique
La question de la réforme de la construction européenne n'est pas une probabilité : la question est déjà posée. Le choix n'est pas entre la destruction de l'Union et l'intégration des gouvernements nationaux, mais entre la fédération et la confédération, car personne ne quittera l’Union. Et c'est sans doute par la convocation des peuples (ou parlements) à ce choix que l'on sortira définitivement du dilemme stupide provoqué par la fédéralisation technocratique furtive. Eut-on appelé les nations à s'exprimer sur la queue de trajectoire dès avant Maastricht que nous aurions économisé beaucoup d'énergie à tous les niveaux.
En passant, ce ne sont pas les crises monétaires qui dégénèrent en crises financières mais l'inverse. La monnaie unique est mise en péril par la gabegie administrative d'Etats mal gérés, et n'a pas d'influence notable sur leurs économies, sauf à fluidifier les échanges dans la zone euro.

Multilatéralisme :
Monsieur Coûteaux veut contenir l'hyperpuissance par l'atomisation des responsabilités qui lui sont extérieures, car j'ose croire qu'il n'envisage pas de lui retirer celles qu'elle exerce déjà, bien ou mal. Le contrepoids serait donc "Une multitude de centres politiques disposant d'une marge d'initiative plus ou moins large, constitué par des puissances fort diverses". C'est une construction intellectuelle. Allons aux arguments.

La politique des blocs qui serait archaïque, a abouti cependant à l'écrasement d'un bloc par l'autre, et le perdant disparut non par implosion spontanée provoquée par le réveil des nationalismes, mais sous les attaques soutenues du vainqueur.
Même si le discours est tabou en France où on se réchauffe au petit bois de nos trahisons, le Pacte de Varsovie a toujours eu peur de l'OTAN même si le "french denial" de 1966 lui a donné un temps de respiration. La Guerre des Etoiles de Ronald Reagan après le déploiement massif de missiles tactiques en Europe occidentale, qui prédisait qu’il n’y aurait pas de « cadeaux », obligea l'URSS à dépasser son niveau de développement technologique à un point tel que la course aux armements lui pompa dès lors tout son sang. L'affaire finit en infarctus, malgré le diagnostic lucide de Mikhaïl Gorbatchev, les coronaires étant déjà bouchées. On ne pouvait à la fois percer le bouclier anti-missiles américain et donner de l'ananas en boîte aux Biélorusses. Les Polonais, les Tchèques, les Hongrois, les Allemands qui fuyaient ou s'ameutaient, n'avaient pas de revendications nationales plus que le désir de se mouvoir librement en Europe et de consommer tout ce qu'ils avaient fini par entre-apercevoir à l'Ouest. Ils avaient été vaccinés contre le nationalisme par leurs régimes. Prenez les évènements jour par jour et vous observerez que d'un côté, les peuples de l'Est voulait s'enivrer de libertés de tous ordres, et de l'autre côté, la nomenklatura avait l'obsession de limiter la casse pour ses positions personnelles. Elle y est partout parvenue sans actionner la nation, sauf en Slovaquie. Ce n'est qu'aujourd'hui que l'on remarque une posture nationaliste en Pologne, encore qu'elle ne soit pas aussi populaire qu'on le prétend dans le milieu souverainiste français, et moins affirmée que le consumérisme triomphant. Les seuls pays qui ont actionné leur nationalisme au départ sont les pays baltes, à cause de l'importance de leurs communautés russes.
Le bloc n'est donc pas l'axe du mal. Il a vaincu !

La conjugaison "déclin de l'Empire mondial/émergence de puissances relatives" n'est pas une évolution réelle qui obligerait à une diplomatie mobile et fluide, où l'on renverserait les alliances de demain sur celle d'hier au gré de nos intérêts du moment. Cela s'appellerait-il encore de la diplomatie ? L'empire mondial (du grand capital) ne semble nulle part en déclin même si la participation française s'estompe. Les déboires de la croisade américaine n'obèrent pas l'avenir des Etats-Unis plus que le nôtre. Le bloc anglo-saxon est à la peine mais ne recule pas notablement.
Par contre il n'y a pas émergence de puissances relatives comme l'annonce Monsieur Coûteaux. Il y a émergence de deux formidables empires qui, au pantographe de la globalisation, vont bloquer sinon réduire les ambitions des puissances de second rang (nous n'en sommes pas) et ridiculiser celles des puissances de troisième rang (le nôtre). Or pour tenir tête aux empires déclarés en Inde et en Chine, il ne suffira pas aux Européens d'être ensemble, mais unifiés sous un seul et unique numéro de téléphone - comme le disait Henry Kissinger. Et l'on retourne au bloc.

L'impotence à échéance des empires ne les menace pas immédiatement. On pourrait même parler d'un arc septentrional entre les Etats-Unis et la Chine, rapprochés par le passeur russe. Ils sont obligés de se parler entre eux. De ce fait ils annihilent les efforts diplomatiques de nos pays de ligue 2. Exemples :

Nous avons fait un vacarme du diable depuis que les Etats-Unis se sont effacés à notre profit au Liban. D'avoir coupé les ponts avec le président oculiste syrien y a beaucoup aidé. Les hasards de l'orgueil des nations nous ont présenté ensuite une guerre sur un plateau. Si l'on veut bien ranger les violons dans le vestiaire ad hoc, on s'aperçoit que nous n'avons été d'aucun secours à nos amis libanais retrouvés. Nous n'avons pas pu contrer les bombardements au nord du Litani, pas même sur Beyrouth. Nous n'avons pas brisé le blocus maritime israélien. Toutes choses à notre portée. Nous avons dû attendre le bon vouloir américain pour obtenir le cessez-le-feu de Tsahal, qui craignait plutôt de s'enliser sans meilleur résultat que celui acquis. A la fin nos positions onusiennes ont été déclassées par la pusillanimité du président français qui craignit subitement l’aventure d’un corps expéditionnaire sans les garanties les plus fortes de la communauté internationale. Quelle preuve de courage et d'autonomie ! Nous avons disparu - sauf des médias français - sans combattre.
Nous avons débarqué quelques jours après ... deux cents militaires du génie, derrière le masque déconsidéré de la FINUL. Il est "antinational" de dire que faute de fermeté de notre part, le dossier libanais a été pris en charge par l'Italie, qui a mis les moyens convenables sans barguigner. Même si Prodi et D'Amato ont expliqué le contraire pour la Mare Nostrum, l'Italie a réservé sa politique indépendante pour plus tard, et a joué le bloc. Efficace !

L'autre exemple est l'affaire iranienne.
La France participe à un groupe de contact qu'on appelle "5+1" après avoir participé à la troïka ouest-européenne sur le dossier nucléaire, troïka qui tenta de mener en vain des marchandages de bazar. Se hasarder au bazar avec Téhéran était très présomptueux. Le résultat de cette paisible confrontation est pour le moment nul et non avenu, à un point tel que l'Iran - imitant en cela le petit Satan - s'assoit délibérément sur la résolution 1696 des Nations Unies lui enjoignant de cesser son hostilité à l'AIEA. La suite du scénario est déjà écrite. Les pays européens, hormis la Russie qui est dans l'arc septentrional, ne vont pas jouer dans cette pièce.

Le nerf diplomatique
Une grande diplomatie, fluide, indépendante, si tant est qu'elle soit souhaitée - il est des pays qui s’en passent - mobilise de gros moyens. Et c'est là que tout s'effondre. Nous cherchons déjà à partager nos représentations diplomatiques avec l'Allemagne ; et nous prenons des ris partout dans la voilure de la francophonie. La France n'a plus et pour longtemps les moyens financiers de projeter ses ambitions aussi loin qu'elle possède encore des territoires. Une diplomatie ultramarine est un leurre de plus, un échappatoire dialectique. Que faire alors ?

Nous en parlerons dans un prochain billet en partant du postulat de départ de Monsieur Coûteaux :
"Le but de la France n'est pas la puissance mais la liberté".

Le Bloc Notes de Paul Marie Coûteaux est accessible en cliquant ici et le site des Epées en cliquant .

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