mardi 20 mars 2007

Du bon usage du roi

Alger la nuit

Le gouvernement espagnol dispose d'un atout-maître dans son jeu diplomatique, et l'utilise volontiers dès qu'il est bloqué sur un dossier important. C'est le cas de l'Afrique du Nord, à portée d'influence du royaume d'Espagne, qui représente un marché compensatoire au Marché commun envahi de productions à bas prix des pays de l'Est. Les trois pays maghrébins ont des relations anciennes et tumultueuses avec la maison d'Espagne depuis le reflux des Maures andalous qui le plus souvent s'installèrent sur la côte, à rêver à leur patrie perdue, dans la même position que nos Pieds-Noirs, réinstallés sur la rive nord de la Méditerranée en 1962.
A Bizerte, on trouve le fort espagnol et le quartier du même nom qui en réalité évoquent les rapatriés musulmans. En Algérie, c'est en enlevant le fort du Peñon en 1529 que Barberousse conquit Alger pour la Sublime Porte. Quant au Maroc, il est lié à l'Espagne par les cinq places de souveraineté hispaniques enclavées sur sa côte méditerranéenne, et in fine, par la dispute interminable sur le Rio de Oro (ou désert sahraoui). C'est justement là que ça coince, parce que l'Algérie a tout fait dans le passé pour mettre des bâtons dans les roues du char de Hassan II après la Marche Verte de 1975 qui captura le protectorat espagnol sans égards pour les indigènes qui ne reconnaissaient aucune allégeance envers la dynastie alaouite. Sachant aujourd'hui les conditions d'exercice du pouvoir de Hassan II, on peut les comprendre. On eut alors la guerre du Sahara occidental qui obligea le Maroc à dresser un mur immense du Nord au Sud partageant par moitié est et ouest le Rio de Oro.
Depuis 1991 l'ONU tente un referendum établissant la souveraineté définitive sur ce territoire riche en phosphate et fer.

Des contrats juteux sont pris régulièrement par l'Espagne au Maroc et en Algérie, jusqu'à nous y avoir remplacé dans bien des domaines où les Français n'ont su se maintenir. Il y a aussi une connexion judéo-maghrébine bien exploitée par les Juifs du Maroc. Mais le gouvernement Zapatero a décidé récemment d'appuyer le projet marocain d'autonomie de la province rebelle lui déniant ce disant l'indépendance réclamée par Alger, et adossant son soutien à des contrats de fournitures d'armes ! Bouteflika gronde ... qu'à cela ne tienne, on lui envoie le roi !

Juan-Carlos et la reine Sofia"Nul ne peut avancer que l’escale du roi d’Espagne à Alger est en mesure de constituer le contrepoids des initiatives ibériques au profit du Maroc" titre la presse algérienne. Et pourtant ! El Watan du 17 mars ne s'y trompe pas, qui ne doute pas une minute de l'impact du roi en Espagne même.
L'occasion est trop belle pour l'Algérie de ne pas franchir des obstacles difficiles et d'en assurer la pérennité des résultats par la "rémanence" du pouvoir espagnol quel que soit le destin précaire du ministre Zapatero. Bouteflika a mis aussitôt à l'agenda la lutte anti-terroriste (contre le groupe salafiste qui lui pourrit sa loi de réconciliation nationale), la coopération policière au prétexte de l'immigration clandestine, la coopération judiciaire sur les extraditions, le gazoduc Medgaz et la construction de l'usine d'ammoniaque d'Arzew. On voit tout de suite que ce sont des dossiers précis de gouvernement qui ont été débattus avec le roi, et sans doute conclus, en sus de la conversion de la dette algérienne !

Des va-et-vient ont précédé ce voyage pour que l'on n'en reste pas au protocole des cortèges et au traité d'amitié de 2002. Il fallait être efficace, on ne sort pas le roi tous les jours.

La visite s'est achevée sur six accords précis de coopération. L'Algérie appelle en outre les entreprises espagnoles dans les quatre secteurs suivants : le transport urbain et ferroviaire, la construction, l'épuration d'eau, l'industrie pharmaceutique, les ports et les aéroports. Un forum d'hommes d'affaires et un déplacement dans le Sud ont servi de volet décoratif au voyage. Le roi fit à son hôte la grâce d'une déclaration diplomatique passe-partout qui adoucit l'accord marocain en privilégiant "une solution prévoyant la libre détermination de ce peuple et passant par un dialogue des parties dans le cadre des Nations Unies".

Abdelaziz PrimeroIl est rare de voir une négociation bilatérale embrasser autant de domaines à la fois. Le niveau exceptionnel des interlocuteurs a été souligné par le président algérien, non tant par la royauté du visiteur, quoique Bouteflika soit né au royaume chérifien et y ait grandi jusqu'à 25 ans, que par le sceau de permanence qu'appose sur des accords un roi au-dessus des aléas politiques de son pays. A se demander même si Zapatero a bien saisi le "blocage" de sa politique dans son choix d'envoyer négocier Juan Carlos Ier à Alger.

A ceux qui doute d'une monarchie constitutionnelle il est montré qu'un certain indéfinissable dans la pratique du pouvoir prime la règle écrite si le monarque est motivé, ce d'autant plus que l'étranger vous assigne une place prééminente dans l'organisation de ses propres intérêts. De la même façon, la reine d'Angleterre pèse sur la politique anglaise par ses conseils, objections ou réprimandes lors de l'accueil hebdomadaire de son premier ministre à Buckingham Palace. Et ce depuis tant d'années sur le même axe qu'elle finit bien par apporter une continuité dans la réflexion politique.

Mais pour nous Français, un chef d'Etat qui ne braille pas sous les préaux tous les cinq ans, n'a pas de pouvoirs.

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