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Bataille de l'intelligence

BPO indienS'il est un "truc" français aussi reconnu dans le monde que le Chanel 5 c'est bien l'intelligence, l'esprit, la culture insondable et la suffisance qui va avec. Normal ! Jusques aux derniers jours du siècle fini, ces capacités étaient un outil entre les mains de nos chercheurs et de certains de nos dirigeants, trop peu nombreux. Ils concouraient à la prise d'avantages nationaux ou particuliers avec leurs homologues du monde entier, et ne se trouvaient en pleine possession de leurs moyens que seuls. D'ailleurs la coopération bilatérale fut toujours réputée comme un encrassement de notre génie propre. C'était hier. Et nous ne parlons pas de coopération internationale maintenant, mais de l'Inde, où M. Guy Nègre est parti faire fabriquer sa voiture à air comprimé que personne ne veut ici. Aucun rapport avec la suite.

Le second empire émergent est bien moins présent dans nos soucis que son aîné chinois parce qu'il n'inonde pas les gondoles de nos hypermarchés de biens manufacturés Made in India. Moins présent mais bien plus dangereux car il vise la tête ! C'est son irruption sur le marché informatique de la gestion à distance créé par les anglo-saxons qui a révélé au monde l'importance de la ressource cérébrale indienne. BPO, Business Process Outsourcing, est une délocalisation, celle de l'intelligence, au même titre et pour les mêmes raisons que celle du labeur. L'Inde a capté un quart du marché mondial du BPO dès l'ouverture des autoroutes mondiales de l'information et elle continue d'accroître sa part. Détrompez-vous, ce ne sont plus les listings comptables ou les call-centers qui sont traités en Inde mais les études de marché, l'analyse économique et boursière, les procédures de dépôt de brevets, plus généralement la recherche et développement. L'Inde est en passe de capter les deux tiers de la croissance de ce dernier secteur.

Trois motifs à ce succès, l'esprit délié d'une vieille civilisation, la langue maternelle anglaise, le décalage horaire par rapport au Nouveau Monde dans le travail à flux tendu. Quand Wall Street dort, l'Indien analyse sa cible et produit sa conclusion prête à appliquer à l'ouverture. Ce décalage permet aussi de travailler globalement 24h sur 24 dans n'importe quel domaine.

Kolkata (Inde)
La ressource en talents est immense. Le système d'enseignement supérieur, fondé sur 220 universités et un nombre incalculable d'écoles professionnelles, produit trois millions de "Bac+3" par an. Un dixième sont des ingénieurs et des informaticiens courtisés par toutes les multinationales. Il y a plus d'indiens sur les campus universitaires occidentaux que de chinois. L'Inde espère devenir le premier centre mondial de services sous quinze ans, et prévoit de créer dans ce secteur seul quarante millions d'emplois. Le français Cap Gemini étoffe son réseau indien pour le porter à 40.000 postes d'ici deux ans. IBM va investir 5 milliards $ sur trois ans. Les grands de l'électronique n'ont pas attendu. Le pays se câble à la fibre optique à grande vitesse pour mettre en réseau toutes ses intelligences.
Le plus grand défi de l'Orient à l'Occident est sans doute neuronal.

Si nous avons perdu la bataille de l'industrie pour cent raisons sur lesquelles nous ne reviendrons pas, nous ne pouvons nous permettre de perdre la bataille de l'intelligence. Parce qu'après elle, il ne nous restera plus que la "réserve d'indiens, le luxe et la gastronomie" comme activités nationales. Très insuffisant pour un pays de 60 millions d'habitants, même si certains ne jurent que par le "traditionnel". La Fabrique de l'intelligence française est la première en cause, et puisque la République a pris ce domaine sous sa coupe, l'Education Nationale est sous le feu de la critique, très naturellement. Les constats d'échec se succèdent depuis trente ans à peu d'effets. Le premier plan de rénovation fut celui de Lionel Jospin de 1990. Il passa un deal avec les syndicats de professeurs. Une seule des parties au contrat le respecta, l'Etat. L'autre consolida le bétonnage de ses positions. Depuis, les plans se succèdent, et curieusement se résument toujours à un affrontement syndical, parfois dur. La profession n'est jamais d'accord mais n'évolue pas non plus, du moins ses structures corporatistes semblent elles l'en empêcher. Que dit Jacques Attali - je choisis celui-ci puisqu'il est le dernier à avoir parlé sur le sujet :
Jacques AttaliDans son rapport sur la République des Imbéciles - que peu de gens de droite ont lu par principe mais qu'on peut télécharger en cliquant ici - la Commission pour la libération de la croissance française ouvre son chapitre 1 par le titre "Au commencement, le savoir". Allez page 31 (la table des matières est à la fin) et voici ce qu'elle dit de notre université :
« La première mission des universités et des grandes écoles n'est plus le recrutement des fonctionnaires mais celle de donner à chacun directement, quel que soit son milieu d'origine, de trouver son domaine d'excellence, de se préparer aux métiers d'après-demain et de faire progresser le savoir ».

Pour mémoire, nos universités ont quasiment disparu des classements internationaux et il faut faire beaucoup d'acrobaties aux responsables français pour les y faire apparaître. Les critères qu'on nous applique ne sont pas les bons, défavorables, malintentionnés, nous sommes visés par l'Amérique, l'Allemagne et la Papouasie, tous réunis au complot. Tant pis, la Commission Attali prend le taureau par les cornes et y croit. Dirigée par un ancien major de Polytechnique, elle s'intéresse beaucoup aux universités dans l'optique libertarienne du savoir conquis par une démarche d'assimilation volontaire préférée au gavage. C'est aussi la règle dans le reste du Monde.

Six objectifs déclinés en 22 décisions très précises (n°11 à 32) :
I.- Accompagner les étudiants dès leurs premières années universitaires
II.- Aider les étudiants à concilier leurs études avec leur emploi
III.- Investir davantage dans l'enseignement supérieur
IV.- Faire émerger sur le territoire 10 grands pôles universitaires et de recherche de niveau mondial
   On complètera la lecture de celle du rapport ad hoc de l'Institut Montaigne qui donne entre autres choses les tailles critiques de ces pôles en cliquant ici.
V.- Ouvrir l'enseignement supérieur à l'international
VI.- Rendre notre recherche plus compétitive (dans le cadre de la stratégie de Lisbonne 2000)


Il n'est pas très grave que le Charles-De-Gaulle reste en cale sèche faute d'argent ou qu'il nous manque quinze Mirages nucléaires sous abri ; mais si nous ne reconstruisons pas nos universités, les générations montantes seront les nègres de demain, qui recevront leur emploi du temps et les schémas dictés au jour le jour, depuis Bombay, Bangalore ou Hyderâbâd.

Le présent gouvernement devrait être jugé sur ce dossier capital, malheureusement laissé entre des mains inexpertes à la merci de corporations intéressées à son insuccès. La bataille de l'intelligence est une affaire très sérieuse.
M. Sarkozy dépassera-t-il son horizon électoral ?


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