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Le prince et l'impermanence

 

Sauf celles du cortex cérébral, nos cellules sont bien plus jeunes que l'entité qu'elles animent. Le vieillard au seuil du dernier voyage n'a plus rien en commun avec le bel adulte de vingt ans. Ainsi en va-t-il de notre monde qui change de manière irréversible et parfois à vue d'oeil lors des soubresauts de la Nature, la loi du monde est bouddhique, impermanence et vacuité, ce que l'Ecclésiaste avait transformé en "vanité".
Dans un billet resté fameux parmi le cercle étroit des lecteurs éveillés (5), "Impermanence & Tradition", se posait la question suivante : « Si le principe prime le prince et assure une moyenne positive du gouvernement sur la durée, pourquoi fut-il contredit par trois fois : Louis XVI, Charles X, Louis-Philippe ?». Même pour le troisième, la cause en est le déphasage entre la couronne et la nation, la conservation de principes réputés supérieurs et immuables, donc permanents. Les accommodements avec le siècle ne furent que cosméthiques, un replâtrage des façades gâché à l'eau de mer, l'enduit ne pouvait tenir, le siècle courait devant le prince et le distançait. La Loi devenait la règle.
Faut-il dire que le salut de la monarchie est de se tenir en selle du cheval emballé de la modernité ? Pas vraiment. Mais plutôt comprendre l'impermanence du pays réel, ce qui ne veut pas dire y adapter sa conduite, mais savoir, ce qui est déjà beaucoup, et deviner le stratagème intellectuel qui peut dévier ou freiner la course des temps dans le but de sauvegarder l'essence même d'une nation en sûreté. C'est l'affaire du prince et plus souvent sans doute celui de Machiavel. Des princes que nous écoutons, nul ne parle de ça.

Le candidat royaliste Patrick de Villenoisy à la présidentielle a publié son programme. Nous en ferons une synthèse critique dans quelques jours. Occupons-nous aujourd'hui du paragraphe oublié dans ce programme qui recherche un consensus des chapelles : le prince. Il en est de trois sortes : princes de gouvernement, princes de témoignage et princes de salon.

Si l'on parle bien des princes qui ne règnent pas, nous en connaissons trois qui sont clairement au seuil des affaires et n'ont pas attendu de convocation pour s'inviter au débat politique de leur pays. Siméon de Saxe-Cobourg Gotha - n'ayant jamais abdiqué il est toujours Csar des Bougres - a mis ses compétences et son entregent international au service de l'intégration européenne de son pays, arriéré à bien des égards. Il reste partie prenante de la politique bulgare à la tête d'un parti de gouvernement disposant de députés, le "Mouvement national Siméon II".
Le second est l'ex-roi Michel de Roumanie qui a pu surmonter l'avidité totalitaire des nouveaux maîtres de la République nouvelle par son charisme et l'affect d'une grande partie de l'opinion. Il s'est laissé utiliser dans des démarches diplomatiques, négociant à la fois à l'OTAN et à la Commission de Bruxelles, voulant démontrer l'utilité de sa fonction d'ancien chef d'Etat et y parvenant, ce qui mérite d'être salué dans un pays fraîchement déstalinisé.
Ces deux peuples balkaniques sont certes plus royalistes que monarchistes - un peu comme l'Espagne -, mais lorsqu'ils auront terminé leur mise à niveau, ils disposeront de tous les éléments pour couronner élégamment leur renouveau. C'est un peu vrai aussi de la Serbie.
Le prince-héritier Aleksandar Karađorđević réside au Stari Dvor (le Vieux château de Belgrade) et a beaucoup d'activités officielles de représentations, mais n'est pas impliqué dans les affaires courantes. Il existe ainsi au centre de la toile politique, mentalement et géographiquement.

A la suite de ceux-là viennent les princes de témoignage, et ils sont nombreux. La plupart n'ont jamais été "activés" par les pouvoirs politiques, à la notable exception de Jacques de Bourbon-Busset qui fut président de la Croix-Rouge française en 1944 et fit un cursus diplomatique remarqué jusqu'à la vice-présidence du CERN de Genève (Centre européen de recherches nucléaires). Les autres, pour ce qui concerne la France, tâchent d'exister à partir d'un socle de fidèles - d'aucuns disent courtisans - qui les propulse dans des manifestations publiques, le plus souvent mémorielles. Le prince Jean a fait une promotion personnelle intelligente de son livre de propositions aux Français qui marquera. Le prince Louis a laissé écrire sur lui plusieurs ouvrages, mais son retrait de la promotion est moins rémunérateur en termes d'investissement politique. Il est arrivé déjà que de ces princes de témoignage l'on cherche à tirer parti. En 1958, c'est un prince Napoléon qui avait été pressenti pour achever la IV° République agonisante, avant que les gaullistes ne placent leur commandeur.

Viennent ensuite les princes de salon que nous croisons dans les revues mondaines. Tous sympathiques, ils ne sont pas le sujet de ce jour.


La question qui sera posée au candidat royaliste lors de sa campagne sera celle du prince, après sans doute celle des parrainages. Et cette question est très naturelle puisqu'on parle de monarchie. N'ayant présentement aucun prince de gouvernement, elle attendra la réponse des deux autres catégories. Yves-Marie Adeline, candidat officiel de l'Alliance royale en 2007, zappait la question posée et, ce faisant, affaiblissait sa propre crédibilité dans l'oeil d'autrui. Y répondre nominativement peut rallumer la querelle réouverte par la faute du comte de Chambord en 1873, si tant est que nos interlocuteurs au micro-trottoir acceptent déjà la concurrence d'un prince hispano-français non-résident et d'un héritier de la Monarchie de juillet échouée, qui pis est en délicatesse avec son propre père, chef de maison, comme dans Amour, gloire et beauté. Mais s'il faut répondre, laissons le candidat officiel le faire. Cette réserve ne doit pas nous priver de réfléchir à demain.

Si une dispute dynastique hors de saison diminuait dramatiquement les chances d'une accession, il serait légitime au sens plein d'écarter les plaideurs et de trouver la troisième voie qui mettrait tout le monde d'accord, content ou pas content ! Peut-être devrons-nous casser les codes pour échapper à ce blocage. Toute la loi de l'évolution, toute l'histoire des découvertes est une fracture des codes légués pour laisser naître de nouveaux systèmes. La désignation du prince en charge parmi le vivier dynastique pourrait, comme l'a souvent dit Royal-Artillerie, découler de la victoire circonstancielle de quelqu'un, celui (ou celle) que nous appelons "le dernier debout au milieu des ruines à Paris". L'évolution de notre société a remisé définitivement la berline de Gand. Les Français sont vaccinés au chef. Un chef va au charbon. Ce fut vrai des premiers rois, et ça le redevient.


Commentaires

  1. Dès lors que la coutume est mise en concurrence avec une ou plusieurs prétentions, on est en république, fût-ce "La meilleure des républiques". Il n'en reste pas moins qu'il n'est de permanent que l'impermanence, mais la coutume est évolutive, contrairement à la loi, édictée un jour, réformée le lendemain et abrogée le surlendemain.

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  2. Nos prétendants sont tout à fait "en République" donc !
    Dur, dur !

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  3. Le pays va assez mal pour qu'une rupture intervienne en 2012. Le "coup d'Etat" est un fusil à un seul coup. S'il faut appeler un prétendant ce doit être le bon. C'est à dire un qui tienne sous l'orage et résiste ensuite aux malheurs populaires et à l'averse des revendications en tous genres.
    Peut-être que vous chercherez en vain un candidat parmi les princes, sauf un fou.
    Y avez-vous pensé ?

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  4. Vous avez raison. C'est pourquoi j'appelle un chef de la trempe des premiers rois, et il se dissimule bien pour le moment!!

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  5. Votre dernière phrase s'applique exactement à Siméon II de Bulgarie. Quel tempérament royal !

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