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Untermenschen


Ce livre vient de sortir et ne peut être "évité". Il personnifie l'incarnation du Mal ultime pour lequel les langues humaines n'ont pas de mot. C'est de l'effroyable Douch qu'il s'agit dans L'Elimination de Rithy Panh. Chef du Centre S21 de l'Angkar à Phnom Penh sous le régime des Khmers Rouges, on lui décompte douze mille trois cent quatre-vingt victimes, torturées et exécutées dans des conditions proprement indicibles, dans ce seul centre de Tuol Sleng, sur un score personnel de plus de 40.000 morts dans ses activités d'inquisiteur. Il n'y a aucune comparaison dans l'Histoire qui tienne le choc. Nous renvoyons le lecteur courageux à cet article de La Croix du 17 janvier 2012 en avertissant les âmes sensibles.

Qui étaient ces types ?
Morphologiquement pas des monstres, et intellectuellement plutôt favorisés. Des profs de culture française, la plupart militants du Parti communiste français, reversés dans le parti communiste local et fondateurs des Khmers rouges, obédience montée par la République populaire de Chine pour combattre l'Occident. Auto-transformés en brutes épaisses, voici les chefs sans ordre précis...

*IENG Sary, lycée Condorcet, Sciences Po Paris, prof d'histoire-géo au lycée Sisowath
*POL POT, Ecole française de radioélectricité de Paris, prof de français aux collèges Chamroeun Vichea et Kampuchaboth
*SON Sen, boursier à Paris, directeur d’études à l’Institut National pédagogique de Phnom-Penh
*KHIEU Samphâng, docteur en économie de la faculté de Montpellier
*HU Yuon, docteur en économie de la Sorbone, prof de français au Lycée Kambuboth
*HU Nim, Ecole des Douanes de Paris, docteur en droit de l'université de Phnom Penh
*DOUCH, professeur de mathématiques
*NUON Chea, étudiant en droit à l'université de Bangkok, fonctionnaire des Affaires étrangères thaïlandaises, membre du parti communiste thaïlandais, fondateur du parti communiste cambodgien, second du régime KR
*TA Mok, le patriarche rural, le seul prolétaire, arrivé au sommet du pouvoir sur 50.000 crânes de paysans cambodgiens
[...]

Dans le récit que fait l'anthropologue (EFEO) François Bizot de son passage au camp M-13 entre les mains de Douch, on mesure la dérive libertaire de jeunes gens appelés au Grand Soir à Paris, qui terminent en machines infernales chez eux. Du M-13 il ressortit sept rescapés sur des dizaines de milliers de parasites traités. Nous ne procéderons pas à l'analyse comportementale des bourreaux qui nous dépasse, mais tout le monde a noté que ces psychopathes eurent les facultés intellectuelles nécessaires au "perfectionnement" de la destruction des indésirables, à commencer par tout porteur de lunettes. Les "freins" à la collectivisation du pays et à l'ascension des nouveaux maîtres éclairés seront tous exterminés dans la plus grande des sauvageries sur condamnation motivée, comme s'il fallait sauver l'administration du projet. Dégrossis en économie, ces professeurs feront privilégier le marteau de fer au fusil dispendieux dans l'exécution des condamnés étouffés au ciment ou par leurs propres excréments.

Douch nie sa culpabilité et se vautre au même moment dans une logorrhée à faire dresser les cheveux sur la tête. C'est le vieux syndrome du bourreau, responsable mais pas coupable. Plus je vous en dis, moins vous m'en comptez. Il s'est converti au Christ pour améliorer son avenir, aussi la seule question qui vaille à la fin met en doute l'existence de Dieu qui pour le coup ne s'est pas montré, et son corollaire, la justice dans l'au-delà. Car sur Terre, nous ne sommes pas outillés pour trouver et appliquer des peines à la hauteur de ces monstruosités. Tente-cinq ans de prison (soit la perpétuité à son âge) n'apaisera personne. Et le tuer non plus ! Ne doutant de rien, Douch, réclamant le pardon chrétien, a fait appel, ultime insulte au peuple cambodgien.

L'ONU a mis quatorze ans avant de réagir. Le régime y avait été protégé par la Patrie des Droits de l'Homme, impatiente de savonner la planche américaine après le discours de Phnom Penh du Général. Nous agîmes objectivement en soutien de l'Union soviétique et de la Chine populaire qui se disputaient comme chiens et chats un cimetière de dix-huit cent mille morts. "La France ne s'inquiète d'aucun régime, qui ne reconnaît que des Etats", disait-on au Quai d'Orsay. Belle lâcheté qui suivit et en précéda d'autres.

Certains pays, pires que nous, ne s'encombrent certes pas d'alibis, mais nous invoquons des "droits universels" que nous foulons allègrement, la flûte de champagne au bout des doigts. Notre politique étrangère de contorsion en remorque de la superpuissance du moment fait glousser dans les chancelleries, qui nous fit perdre il y a longtemps le triple A diplomatique.




Mise à jour du 3.02.2012
Ce vendredi la cour d'appel de Phnom-Penh a condamné l'effroyable Douch à la réclusion criminelle à perpétuité. Justice est faite sur terre. A suivre plus haut !

Mise à jour du 23.11.2016
La cour d'appel de Phnom-Penh a condamné à perpétuité Nuon Chea (90 ans) et Khieu Samphan (85 ans) suite à un jugement d'assises d'août 2014. Ils assuraient n'avoir pas été au courant des atrocités commises entre 1975 et 1979.


Post-scriptum du 18/04/2021
unes de presse

Commentaires

  1. Je vais me hâter de lire ce texte. Je me demande si les Khmers rouges ont perpétré un génocide, un populicide ou les deux réunis. Je penche pour le populicide. De toutes façons, le résultat est le même.

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  2. Le pire de la bestialité est de réduire son propre peuple à son animalité primitive. Ceci est inexpiable.
    Qu'en pense Me Vergès, camarade de Saloth Sâr (Pol Pot) à Paris, qui partit défendre Kieu Samphâng à Phnom Penh ?
    Il ne répond pas à cette question, ni au trou dans son CV entre 1970 et 78.

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  3. Le temps des enthousiasmes révolutionnaires nés de 89, relayés par le bolchevisme et le maoïsme, est fini. Reste un bilan de meurtres et d'atrocités de plus en plus dénoncé, à la fureur des ultimes thuriféraires.
    (Anne Bernet, AF2000 du 19 jan 2012)

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  4. Pourquoi ce génocide né dans l'arrière-cour du communisme parisien et exécuté dans un ancien protectorat français n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance légale de la part de la République française, comme ce fut le cas du génocide juif et du génocide arménien ?
    Les cambodgiens sont moins bien ?

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    1. Pardon de répondre si tard. Tout massacre impliquant un pouvoir communiste bénéficie chez nous d'un blocage psychologique d'Etat. Voir la réception glaciale du film Katyń d'Andrzej Wajda sorti en 2009 dans quelques salles seulement. Il mettait en scène l'assassinat de quelques vingt mille officiers et résistants polonais par les armées de Staline et sur son ordre. Un quasi-outrage à l'intelligentzia française qui a toujours eu de l'indulgence pour les "dérives inévitables" d'un régime menacé... de l'extérieur, bien sûr.

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