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Civilisations guéantiques


Pauvre M. Guéant, battu sur le bilan de la sûreté publique, il s'affaire à populariser les thèses de son maître que plus personne ne croit. Même si la république est devenue l'abri de toutes les civilisations de la planète, les hiérarchiser est un pas de clerc comme en font les canards sans tête de l'agitation médiatique en campagne. Bien sûr que les civilisations sont diverses et ne se valent pas, mais en quelle devise les valorise-t-on et qu'en est-il au fond de leur classement ? C'est quoi d'abord une "civilisation" ?
Différente d'une culture, d'une mémoire, d'un codex de moeurs, une civilisation se mesure à son empreinte dans la dimension espace-temps. Qu'en dit mon vieux communiste favori, Maurice La Châtre dans son dictionnaire universel de 1856 ?
CIVILISATION.  s.f. Opposition à la sauvagerie. | Dans un sens plus étendu, développement intellectuel et moral d'une fraction de l'humanité, d'un peuple; la part que ce peuple apporte à l'oeuvre commune; son rôle à la fois spécial et général. | Dans un sens encore plus étendu , une des époques, phases ou périodes évolutives de la marche progressive de l'humanité. | Absolument, mouvement permanent et progressif de l'humanité vers la liberté, l'égalité et la fraternité : sublime formule mise en lumière par la glorieuse Révolution française. La date précise où ce mot apparaît dans la langue est importante, parce qu'elle est aussi le moment où éclosent en France et en Allemagne des théories entièrement nouvelles sur le développement historique de l'humanité et la perfectibilité de l'homme social...(viennent ensuite dans l'article, Pascal, Bossuet, le napolitain Vico, Lessing, Herder, Condorcet et son Tableau de l'esprit humain, mais pas Guéant)
Après sa minute érudite, La Châtre en vient au vecteur premier de civilisation, la Loi de Progrès, l'histoire comme "une longue théorie de théorèmes sociaux logiquement enchaînés les uns aux autres". Les peuples de la Terre sont voués à l'échelle de perroquet du progrès, qu'ils gravissent chacun à leur rythme. Il n'y a qu'une échelle, celle de la "sublime formule". Il est facile d'évaluer l'avancement respectif des civilisations différenciées jusqu'au jour où la boule de neige du progrès tournant sous la main du temps ramassera toute l'humanité. C'est l'idéologie socialiste actuelle.

Mais non, ça ne marche pas comme ça. La plupart des civilisations que l'homme créa naquirent et moururent, à l'exception de la civilisation chinoise fleurissant sur ses terres depuis cinq mille ans. Les grandes villes mésopotamiennes de terre cuite ont laissé le souvenir de puissantes civilisations "impérissables". La civilisation égyptienne écrase encore d'une lourde empreinte tout le bassin du Nil, sans héritiers. Les vestiges des empires pré-colombiens attestent d'un monde très développé et passablement cruel, disparu. Ces civilisations sont-elles mortes de n'avoir pas connu la Révolution française et sa Loi de Progrès ? Elles le furent surtout de n'avoir pas été copiées. Et que dire de la mère du monde, la péninsule indienne en métempsychose permanente sur place ? Elle frémit aujourd'hui à l'annonce de son décollage après avoir essaimé des mythes autour d'elle pendant des millénaires.

 Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts ici pour ses lois
A l'inverse, les deux grandes civilisations cousines de Méditerranée, le monde hellène et le monde latin, perdurent en Europe et dans ses projections américaines parce qu'elles ont établi des bases sociales et étatiques indépendantes des régimes politiques qu'elles ont connus, avec une puissante rémanence du droit naturel codifié que tout le monde a conservé. Pour la première fois dans cet hémisphère, elles privilégièrent l'intelligence à la force. Les racines de la civilisation française sont, malgré les Croisades, gréco-latines et ses moeurs judéo-chrétiennes ; ces dernières sont en pleine liquéfaction quand les premières demeurent. Sur les territoires où ces bases ont été effacées est revenue la barbarie, décorée des frêles arabesques de la nouvelle théocratie orientale, portée par le vent de la Conquête arabe pour l'assujettissement de tous aux rêves éveillés d'un analphabète. De si belles choses y furent bâties, mais vides de sens.

Si l'on doit classer les civilisations le pistolet sur la tempe, on classe forcément les valeurs qui les cimentent. Jusqu'à une époque récente, celles-ci visaient d'abord à la pérennité du modèle. La cité passait avant le citoyen, même s'il fallut beaucoup de persévérance à Confucius en Chine pour organiser chacun au bénéfice de tous. C'est la théorie du rouage et des hiérarchies, les empires d'Asie poussèrent le concept à fond, par les castes en Inde et les ordres en Chine et au Japon. Puis s'est éveillée en Europe à la Renaissance l'exaltation de l'individu et l'organisation de son environnement au profit de son accomplissement, du moins dans la philosophie du projet. Contrairement à une idée répandue dans la famille Guéant, ce modèle individualiste s'est assez peu exporté, même dans les colonies européennes de couleur. Après le reflux occidental, les civilisations qui ré-émergèrent revinrent au concept de la défense collective. C'est bien pourquoi les "droits de l'homme" y restent un slogan d'accès aux guichets internationaux et pas du tout une pratique quotidienne. Le souvenir de leur abaissement et de leur humiliation est assez vif encore dans leurs esprits pour qu'ils remettent à plus tard la mise en conformité aux critères internationaux de leurs moeurs, critères qui s'avèrent n'en être pas.

Nous n'avons pas parlé de l'Afrique, que nous réservons à une prochaine fois. Pour terminer, M. Guéant aurait pu soutenir que dans l'accomplissement des libertés individuelles, certaines civilisations précèdent les autres sur l'échelle du temps, et nous lui aurions répondu que l'incertitude de leur pérennité pouvait entamer gravement le pronostic de l'atteindre. La meilleure des civilisations est celle qui s'occupe du bonheur au moment et dans le temps. Un laboratoire s'y emploie aux confins du monde, le Bouthan. Allons-y voir et taisons-nous.





Commentaires

  1. En Chine, la civilisation consiste à lire, et mieux encore, à tracer avec élégance les caractères (non simplifiés, ça va sans dire). En Occident, où l'on admet à table ce qui est pointu, elle consiste à manger avec une fourchette.

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  2. Les difficultés de l'apprentissage d'une langue idéogrammique forment indéniablement les jeunes esprits à une intuition plus fine.

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