jeudi 3 mai 2012

Les burnes en fonte


Les "dissidents" d'Europe orientale furent de tout temps admiratifs de leurs homologues russes. Váçlav Havel en est resté impressionné jusqu'à la fin de sa vie. Oser défier l'ours dans sa propre caverne dépassait l'entendement quand on savait moeurs et manières de la police soviétique. Tracter à Varsovie, Leipzig, Prague ou Budapest était déjà osé, résister à Moscou, indépassable. Et pourtant...

Depuis la répression à la chenille de char des manifestations de Tian An Men, le 4 juin 1989, les dissidents chinois de l'intérieur montrent un courage digne de leurs grands frères d'au-delà de l'Oural. Nous allons parler de deux d'entre eux qui justifient le titre de ce billet. Nous avons choisi deux dissidents moins médiatisés, à l'inverse de Ai Wei Wei, Chen Guang Cheng et Liu Xiao Bo.

Teng Biao est l'un des avocats aux pieds nus, les weiqan qui combattent toutes les injustices sociétales en utilisant les codes juridiques de la République populaire. Sa spécialité, c'est la persécution religieuse. Il a vraiment plongé le jour où il décida de défendre l'avocat aveugle Chen Guang Cheng - celui qui est sorti avant-hier de l'ambassade américaine de Pékin - puisqu'il est subversif de défendre un ennemi du peuple en Chine. Il en prend pour quatre ans. Depuis sa cellule il signe la Charte 08¹. Décidément, c'est un rebelle et un emmerdeur de première. Le soir de l'attribution du prix Nobel de la paix à Liu Xiao Bo, il avertit la presse étrangère de l'arrestation de quatorze militants des droits de l'homme dans le restaurant où ils fêtaient l'évènement, le vendredi 8 octobre 2010.
Quatre mois plus tard, il est arrêté avec deux confrères pendant une réunion de travail sur la défense de Chen Guang Cheng maintenu abusivement en résidence surveillée après avoir purgé sa peine. Il ressort du tunnel deux mois plus tard sans motif ni jugement et reste placé sous surveillance.
Le 15 janvier 2012 il twitte contre les intellectuels chinois qui se taisent sur la répression féroce des Tibétains :
@tengbiao : « A de très rares exceptions, les intellectuels chinois font collectivement la sourde oreille face aux immolations des Tibétains. Cela saute aux yeux, leur silence est une forme de conspiration. Ils sont aussi impudents que des meurtriers. »
Peut-être ceux-là, n'ont pas son courage et savent-ils que ce sujet peut-être létal. Si pour avoir attaqué le Planning familial chinois, Chen Guang Cheng a risqué la vie de sa femme que des barbouzes du Parti menaçaient de jeter sous un bus, on imagine à peine le sort réservé à des "traîtres" sur la question hyper-sensible du Tibet, n'en déplaise à M. Mélenchon qui les hait.


L'autre figure que nous présentons ne répond pas au titre, mais c'est tout comme.
Ding Zilin a ou aurait 75 ans. Elle a disparu de la circulation autour du 14 octobre 2010 après l'attribution du Nobel précitée. Son mari aussi, dès fois qu'il téléphone ! Responsable de l'association des "Mères de Tian An Men" qui réclament une enquête sur les étudiants disparus du 4 juin 1989 - son propre fils a été tué - elle a signé comme 303 autres la Charte 08 après avoir déposé une plainte contre le premier ministre Li Peng. Elle a comparé ouvertement le gouvernement de Deng Xiao Ping à celui des Khmers Rouges, et son chagrin n'a jamais pu être surmonté que par un cri ininterrompu de détresse. La main peu sûre, elle attenta six fois à sa vie.
Son intervention "internationale" la plus provocatrice pour le pouvoir était un appel aux Français, conjoint avec deux autres dissidents, pour que soit maintenu l'embargo occidental sur l'armement. On trouvera ce texte dans Le Figaro du 21 mars 2005.
Quand on sait que l'acquisition des technologies d'ultra-pointe est une obession du PCC, on devine le danger encouru par ceux qui s'y opposent frontalement.
Dans ses derniers échanges avec le monde libre, Ding Zilin était pessimiste sur l'avenir des libertés en Chine, à cause de l'ADN chinois dompté par Confucius qui leur fait révérer les élites : « La mentalité des Chinois n'a pas évolué depuis des milliers d'années. Ils veulent croire que des mandarins intègres vont résoudre tous leurs problèmes. C'est illusoire. Il faut changer de régime.»

L'appareil répressif de l'Etat n'a de limites que circonstancielles et aucunement légales. Eviter les émeutes populaires, parer l'ostracisme occidental alimenté par la presse étrangère, sont les seuls freins. Dissimulés, les moyens d'éradication de la contestation ne connaissent aucun tabou. Il faut vraiment avoir un courage exceptionnel pour s'engager dans la voie de la dissidence, du moins tant qu'on n'a pas accédé à une certaine notoriété qui peut vous protéger. Physiquement c'est plus dangereux que de s'indigner !






(1) La Charte 08 est un manifeste politique qui exige la réforme du régime chinois dans le cadre des valeurs des Lumières (en gros). Même si certains passages nous semblent naïfs, vus d'ici, on doit quand même la lire, en hommage à tous ceux qui se battent jusqu'au sacrifice en Chine pour la voir triompher : Charte 2008 FRN

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