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Vladimir force B

Ce billet, prévu sur La Faute à Rousseau dans la rubrique La Patte à Catoneo, a mis le feu à l'équipe de rédaction du blogue de la Restauration nationale ; il est rejeté¹. Il fait suite à la dernière réunion du G7 consacrée à la crise ukrainienne et cherche à décoder l'état d'esprit occidental à la table de négociations qui est souvent caricaturé par la presse d'opinion, surtout à droite. Il entre en archives Royal-Artillerie.

L'empire de la Force remplace-t-il au Kremlin l'empire de l'intelligence ? L'équation ukrainienne n'est pas soluble dans la géométrie primitive du pouvoir actuel qui n'a pas compris l'énoncé du théorème. Il ne s'agit plus entre les nations du monde de comparer les tonnages des flottes, le blindage des chars, la portée des canons, même s'il est prudent d'en garder l'essentiel ; la force brute d'antan est remisée aux magasins d'accessoires à défilé pour nourrir le rêve des chasseurs de décorations. Ce qui compte et classe les nations les unes par rapport aux autres c'est la richesse économique, l'innovation et les capacités financières. L'acier de Stalingrad est oxydé. C'est ce que leur dit l'ancien cadre du parti communiste allemand Merkel au téléphone chaque jour.

Le Csar est-il vraiment à l'heure ?

Monsieur Poutine appelle à la confrontation de force qui valorisera son mandat et provoque sans relâche son cousin du sud qu'il sent mal affermi, mal allié. Il guette le faux-pas qui lui donnera le prétexte - la bombe du chemin de fer de Moukden - il sent la victoire facile, rapide, criméenne. Le chef des "coalisés" - car le nouveau Csar se croit cerné - est un nègre, élégant certes, prolixe au pupitre, mais de peu d'histoire en bagage et d'un tempérament non violent, finalement un démocrate américain à l'emblème de l'âne, un Carter. Lui Poutine, est dans la trace des empereurs de la Sainte Russie, qui voit l'opportunité d'une revanche à la liquéfaction de l'Union soviétique. Il prendra la pose pour la postérité sous les aigles décroisés. Les "occidentés" ne se battent pas ! Il en est averti par la retraite de Syrie. Les pleutres, les lâches brandissent des menaces virtuelles mais la VI° Flotte n'a pas passé les Détroits. Elle a peur, c'est sûr. Ils n'osent pas toiser la puissance nucléaire russe. La Tchétchénie, la Géorgie leur ont montré ce qu'est une Russie en guerre ! Hélas, Monsieur Poutine n'a rien compris au film, et ses thuriféraires français pas plus !

La force brute est périmée, Barack Obama le sait, Angela Merkel le sait, Xi Jinping le sait, Shinzō Abe va le comprendre, Poutine le saura trop tard (l'opinion des autres est sans importance). Dans notre globalisation, dans notre monde interconnecté en permanence à la vitesse de la lumière, la vie et la bonne santé des nations dépendent de tous les autres. Comme le dit de la Chine Qiu Xiaolong² in Cyber China, "le monde se transforme en un gigantesque réseau de relations où chaque maillon, étroit ou distendu, visible ou invisible, unique ou multiple, ne tient que grâce au tissage serré de l'ensemble". Les exemples sont nombreux. Les hypothèques pourries détenues par Freddie Mac et Fannie Mae aux USA ont mis le feu à la planète. Le tsunami japonais a arrêté les chaînes automobiles européennes. Un krach immobilier d'une mégapole chinoise entraînera immédiatement un bridage du crédit de la BPC qui se répercutera en quelques semaines partout. Alors, quand ça ne marche plus, quand l'espérance s'éteint, quand le futur est plus gris que le présent, les peuples d'aujourd'hui se lèvent, s'organisent et remplacent leur dirigeants, dans le sang s'il le faut. Les régimes les mieux affermis tombent ; et, à l'exception du pouvoir alaouite de Damas, la liste des "tyrans" balayés s'allonge. Le chantage russe est de déchirer le gigantesque réseau qui ne pense pas comme son président et fait mine de le menacer, la Russie dut-elle en périr ! Folie.

Vladimir Poutine est un homme des années cinquante, un brejnévien qui compte ses fusées, un fana du balcon stalinien. Il a d'ailleurs stoppé les négociations de réduction du nombre d'ogives, c'est le signe d'un décalage mental. Il ne veut pas assimiler l'hypothèse que les Occidentaux puissent plier l'économie mondialisée russe à relativement peu de frais, et que, si la "folie" dénoncée par Frank-Walter Steinmeier ne cesse pas, ils vont le faire. A quoi serviront les quarante mille pions de la Sainte Russie disposés en troupes d'occupation du Donbass quand les capitaux russes et étrangers se seront faits la malle ? Avec quel argent se développera une industrie de fabrication incapable de croître seule ? D'où viendront les ingénieurs étrangers indispensables à la modernisation de l'immense fédération perdue dans les classements internationaux si les garanties locales sont annulées parce que le droit international est violé ouvertement et plusieurs fois ? Avec quoi nourrira-t-on in fine les « masses laborieuses et démocratiques » si l'édition des factures de pétrole et de gaz est sévèrement empêchée ? Le stratège s'en moque, l'intendance suivra, comme aurait dit l'Autre ! Mais ce temps est fini. Les peuples ne savent plus souffrir comme avant.

La situation de crise prolongée aura certes un impact sur le commerce mondial des énergies fossiles mais le désastre annoncé en zone russe rémunérera la posture démodée d'un ancien agent du KGB, poussé au faite du pouvoir par un pacte de non-agression et de protection de la coterie sortante, ne l'oublions pas. Enfermé dans le mental d'un dresseur d'ours, le président autiste n'écoute plus que les conseils qui le rassurent dans la victoire annoncée, victoire à portée de rêve.
Entre-temps, l'économie s'effiloche, les coffres se vident, le chômage s'étend et le troisième acte pourrait bien être à terme, après la chute du Csar au pied petit, la transformation de cette économie de rente à l'africaine en une proie du capitalisme mondial ! Quel tombé de rideau pour une pièce créée par... l'acteur Ronald Reagan !

Force B, force Brute, force Bêtise ! Le vrai sport de combat c'est la philosophie (Bourdieu) ; sans doute ne l'enseignait-on pas à l'École de la Forêt³ !


Notes
(1) c'est la bande annonce du dimanche sur la semaine à venir qui a déclenché le tumulte. La voici :
= Jeudi, la patte à Catoneo proposera une critique de Poutine.
Catoneo prendra tous les poutinophiles à rebrousse-poil; et parmi eux, n'en doutons pas, plusieurs lecteurs de ce quotidien, qui ne manqueront probablement pas de lui répondre, et c'est très bien ainsi : le ronronnement douillet d'un politiquement correct à notre façon, une vérité unique et définitive, des certitudes qui nous maintiendraient dans un "entre nous" satisfait, peut-être confortable, mais intellectuellement ravageur, serait la pire des choses dans ces colonnes, où l'on veut réflechir, et affiner les positions par le débat, pourvu qu'il soit positif et courtois. Catoneo dira donc, sans mâcher ses mots, ce qu'il pense de Poutine... et ceux qui auront des objectionss à lui opposer feront crépiter les claviers !...


(2) Qiu Xiaolong est un auteur chinois de polars. Son Hercule Poirot s'appelle Chen Cao. Cyber China est édité par les Ed. Liana Levi, Paris

(3) L'Ecole de la Forêt est le nom donné à l'Académie des Renseignements extérieurs (AVR) comme on disait la Piscine pour jadis le SDEC. Elle est toujours dans un secteur boisé de la banlieue nord de Moscou.

Commentaires

  1. Si je comprends bien le portrait que vous brossez de Vladimir Poutine, ne risque-t-il pas d'être reçu comme un éloge par ses admirateurs français ? Ceux-ci se complaisent précisément, il me semble, dans le déni de la mondialisation que vous décrivez ci-dessus...

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    1. Je crois malheureusement qu'il est le champion de ce que nous avons de plus ringard ici. Il n'est pas le stratège que d'aucuns célèbrent. Le serait-il que depuis son avènement au pouvoir il y a quinze ans, il aurait lancé pour de bon la transformation de l'économie de rente en une économie industrielle moderne, capable de rivaliser un jour avec l'allemande. Il a toutes les matières premières et l'énergie à prix cassés.
      C'est un opportuniste, adroit, tacticien, mais finalement adepte du petit jeu.
      Le voir engloutir des milliards dans une flotte de combat alors que, sorti des métropoles, c'est une Afrique froide (le chancelier Schmidt disait une Haute Volta), mesure la puérilité de ses obsessions.
      Il refuse la mondialisation pour la même raison que les souverainistes français : le défi n'est pas à sa portée, intellectuellement et en capacités économiques.
      Mais son opportunisme va le conduire à lâcher du lest sur l'Ukraine orientale, l'hémorragie de capitaux russes est trop grande.

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  2. ThatOriginalWay3 juin 2015 à 15:14

    Utile pour comprendre l'énigme russe, l'énigme Poutine. Les russophiles, qui ont sans doute raison dans leur attitude, confondent peut-être leurs propres motivations de l'admirer avec le danger qu'il peut représenter.

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