lundi 3 août 2015

Contre Myard

Monsieur Myard qui se targuait jadis d'être diplomate avant d'être élu de la Nation, se répand dans la presse pour justifier de la pertinence de la démarche de Crimée en compagnie de monsieur Mariani. On peut le lire sur Boulevard Voltaire. Il aurait besoin d'une mise à jour. Je la lui propose gratis. C'est un abrégé de la situation en Crimée :

(A) Fin de l'histoire communiste de la Crimée

MM. Myard et Mariani
Erigée en république autonome au sein de la Fédération de Russie en 1921, la péninsule de Crimée vit son statut modifié après guerre pour faits de collaboration des Tatars. La république autonome devint un simple oblast, oblast qui fut cédé par la RSFSR à la RSSU (Ukraine) en 1954 au simple motif que c'était l'Ukraine qui lui fournissait toutes ses utilités (eau, électricité, communications etc). Le Soviet Suprême de l'URSS légiféra le 28 avril 1954 et fit inscrire le transfert dans les constitutions russe et ukrainienne. Ce ne fut pas une simple décision "administrative".

Après la désintégration soviétique, les deux républiques cousines au sein de l'URSS signèrent un traité de reconnaissance réciproque en l'état le 19 novembre 1990. Mais c'est la déclaration d'indépendance de l'Ukraine du 24 août 1991 qui amena Boris Eltsine à reconsidérer le bornage général de la Fédération de Russie. Le parlement ukrainien de son côté déclara ses frontières internationales et fit l'erreur du statut de république autonome de Crimée au sein de l'Ukraine nouvelle, au lieu de le limiter au port de Sébastopol. Des déclarations croisées font de l'Ukraine un successeur de l'URSS et de la Russie son continuateur : d'où le porte-à-faux, et tout le monde aura tort dans la dispute incessante qui va de 1992 (remise en cause par la Douma des frontières coupant les ethnies russophones) jusqu'au renversement de Ianoukovitch le 22 février 2014 à Kiev.

(B) La révolution

C'est à ce moment-là que le parlement autonome de Crimée refuse de reconnaître le président de substitution de Kiev et décide de mettre son avenir à référendum pour le 16 mars. Confortées par l'attitude "politique" des autorités de Simféropol - il n'est pas permis de dire qu'elles sont guidées - les sections anonymes russes se déploient dans toute la péninsule pour expulser les reliefs du pouvoir de Kiev au prétexte de protéger les russophones (de quoi, on ne le dit pas). Le parlement de Simféropol proclame l'indépendance de la Crimée le 11 mars 2014 que reconnaît presque immédiatement la Douma de Moscou. Le référendum du 16 mars donne 96,77% pour le rattachement à la Fédération de Russie. Seul M. Myard fut impressionné. La loi constitutionnelle russe du 21 mars 2014 absorbe formellement la péninsule et déplace ses frontières internationales en conséquence. Au 1er janvier 2015, la Crimée est russifiée dans tous les domaines économique, administratif, fiscal et judiciaire. C'est désormais Moscou qui commande partout. A la réserve près...

(C) Un grand port adossé au désert

Chenal de Kertch
Personne n'a vraiment vu le découplage des intérêts fondamentaux russes à ce moment. L'Anschluss n'étant reconnu par personne sauf par Kaboul, Damas, Caracas, Minsk (mais Loukachenko refuse l'anschluss du Donbass) et par M. Myard, le Kremlin a découpé la péninsule en deux entités au cas où les choses tourneraient mal dans l'avenir. La partie utile est représentée par la municipalité maritime de Sébastopol, aussi devient-elle Ville-Etat détachée de la République de Crimée, une sacralisation. Il n'y en a que deux autres en Russie : Moscou et Saint-Pétersbourg. Sébastopol, fondée par Catherine II, est la base russe par excellence et pas Bizerte ! Elle ne retournera jamais à l'Ukraine, et on commence à l'accepter dans les chancelleries occidentales. On pourrait faire dix pages sur le caractère russe inviolable de Sébastopol. Par contre, le reste ?

Un désert tatare où peuvent s'engloutir des milliards de roubles de développement à peu d'effet, la République de Crimée ne produit rien. Et cerise blette sur le gâteau, il y a le défi du fameux pont mixte (fer et route) de Kertch que lance Moscou pour 3 milliards d'euros, les conditions techniques étant très défavorables et donc dispendieuses à surmonter : les tempêtes y sont redoutables et toutes les tentatives antérieures de franchissement en site propre furent emportées, ce qui explique pourquoi ce pont "évident" n'est toujours pas là. On parle déjà de passer la patate chaude au BTP turc qui a des références en matière de ponts difficiles quand personne n'en a plus en Russie. En fait, hormis Sébastopol qui est une valeur stratégique à condition de rétablir un cordon ombilical avec la Russie, la péninsule de Crimée ressortit plutôt à la catégorie du bâton merdeux plus facile à prendre qu'à lâcher.

(D) Un peu de droit international

Il y a deux cas qui pourraient éclairer ce problème diplomatique, la sécession turque de Chypre et la sécession albanaise du Kosovo. La première fut condamnée en droit (ONU - résolution 550 du 11 mai 1984), la seconde (CIJ - avis consultatif mais décisif du 22.07.2010) englobée dans l'élargissement des peuples subjugués commencé au XIXè siècle. Considérons Sébastopol revenue à la mère-patrie et ne parlons que de la république de Simféropol. Aucun des deux cas ne correspondant exactement à la situation, la diplomatie russe se serait fondée sur la résolution 1514 des Nations Unies (14.12.1960) encadrant l'octroi d'indépendance aux pays et peuples coloniaux. Lavrov n'a peur de rien, on le sait. Cette résolution déclare que "tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel".

Sergueï Lavrov, attentif


Monsieur Myard garde ses valises prêtes pour Barcelone demain, Edimbourg après-demain et Vitoria ensuite. A quoi sert-il de moquer la diplomatie de son propre pays dans un domaine inessentiel comme l'affaire de Crimée, et d'être pris pour un bouffon par ses hôtes - car il est une chose que détestent les Russes depuis toujours : ce sont les traîtres à leur propre nation qui s'obligent vis à vis de l'étranger. Pour eux, Etat, parlement, chemins de fer et postes tout va ensemble, ils ne comprennent pas la revendication d'indépendance d'un élu à l'extérieur du territoire. On ne parlera pas de l'aventure tragi-comique de Damas.




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