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Du gouvernement des princes, de celui des bureaux


Il est des ministres bons et mauvais, et dans le régime de l'éphémère il est difficile de prédire leur comportement s'ils n'ont jamais exercé. Le pouvoir qui les choisit en démocratie recherche parfois la compétence, mais plus souvent une harmonie des "courants" et la non-concurrence lors des prochaines courses de haies. Ce qui ne garantit rien, ni l'accomplissement de la mission, ni la fidélité. Mais il arrive aussi qu'un maroquin échoie à une personne de qualité, au-dessus des contingences politiciennes. A quoi distingue-t-on un bon d'un mauvais ministre ? Le science-fictionniste Herbert exprimait son jus de crâne en ces termes :

«La différence entre un bon administrateur et un mauvais tient à quelques cheveux. Les bons administrateurs sont ceux qui font des choix immédiats [...] Un mauvais administrateur, par contre, hésite, discutaille, réclame des réunions, des rapports, des commissions d'enquête. En fin de compte, par son comportement, il risque de créer de sérieux problèmes [...] Le mauvais administrateur s'occupe davantage des rapports que des décisions. Il cherche à se constituer le dossier impeccable qu'il pourra exhiber comme excuse à ses erreurs. Le bon administrateur se contente de donner des instructions verbales. Il ne cache pas ce qu'il a fait si, à la suite de ses ordres, des problèmes surgissent. Il s'entoure de gens capables d'agir avec discernement sur la base de simples instructions verbales. Souvent, l'information la plus importante, c'est qu'il y a une difficulté quelque part. Le mauvais administrateur dissimule sa faute jusqu'au moment où il n'est plus possible de redresser la barre.»

La prestigieuse Ecole nationale d'administration française et sa succursale de division 2, Sciences-Po, produisent des employés de "bureaux", livrés parfaitement rodés au jet continu de la production de rapports, normes, projets de loi et décrets, adroits également pour déplacer les responsabilités qui leur incombent sur les têtes subalternes (le protocole du lampiste). Sans texte, éléments de langage, lexique de langue de bois, prompteurs pour les plus haut placés, ils sont vite perdus. Leur pensée doit être couchée. Mais l'enseignement de la carrière que prodigue l'ENA se déroule aussi sous les auspices du célèbre aphorisme : la fin justifie les moyens.

A voir tourner le manège, on sait qu'il est monté par des gens sans aveu, prêts à tout pour s'ancrer soi-même et les siens au rocher de l'Establishment, par tous moyens pourvu qu'ils soient rapides et sûrs. La course aux honneurs en période d'impermanence comme aujourd'hui montre qu'il n'est ni honneur, ni morale à ce niveau ; d'ailleurs cette caste ne démissionne jamais quels que soient les motifs qui le demanderaient ; on les chasse comme valet indélicat. Et de voir partir la queue basse les Alain Carignon (Lyonnaise des Eaux), Gérard Longuet (financement PR), Michel Roussin (HLM de Paris), Strauss-Kahn (MNEF), Donnedieu de Vabres (blanchiment), Pierre Bédier (corruption marchés publics Yvelines), Christian Blanc (cigares), Alain Joyandet (abus de jets), Alliot-Marie (Ben Ali), Tron (fétichisme des orteils), Cahuzac (fraude fiscale), Yamina Benguigui (fraude), Aquilino Morelle (cireur de pompes), Thévenoud (phobie administrative), Kader Arif (népotisme)... Et il y en eut beaucoup d'autres avant eux, sans compter les suicidés à deux balles.


Pour ce qui les concerne, les monarchies exécutives sont génétiquement pyramidales et réduisent la taille de la bureaucratie administrative à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie. Le responsable suprême ne peut gouverner à des centaines de pions, mais se cantonne à l'excellence des ministres peu nombreux du Conseil qui partagent avec lui l'efficacité du commandement des hommes à la voix. Peu de papiers, des idées claires, une autorité naturelle sans arrogance et une tonne de bon sens.
Les monarchies ont aussi une prédisposition naturelle (quasiment féodale) à classer les hommes et les postes qu'ils occupent dans une hiérarchie visible et sue de tous où chacun connaît sa propre position et toutes celles de son environnement professionnel, l'espérant temporaire bien sûr. C'est le meilleur système d'ascenseur politique et social puisque les degrés d'élévation sont publics et ouverts. Les ministres de nos vieux rois vinrent si souvent de la roture qu'il est inutile de le prouver, la plupart furent par après anoblis. Mais il y eut aussi des ministres convoqués dans la noblesse qui ne déméritèrent pas non plus. Sauf rare exception - dans des périodes troublées - c'est la compétence qui dictait le choix du souverain, au vif déplaisir parfois de la Cour. Ces gens débattaient en Conseil au même étage d'intelligence, on décidait, on écrivait peu, sauf des ordres !


A contrario, la pléthore de ministres et sous-ministres des gouvernements de nos Républiques est encore aggravée par l'inflation des cabinets ministériels qui doublent le staff permanent, quand ce n'est pas un gouvernement parallèle qui est recrée au niveau du président comme s'il s'agissait de se méfier continûment du gouvernement régulier. Il n'y a plus de hiérarchie, mais un panier de crabes qui se battent à coups de tweets et de projets démagogiques.
En dessous d'eux, les "bureaux" prospèrent sur leur production réglementaire dont le but le plus évident est leur propre perpétuation. D'où ce cancer de la complication recherchée pour réduire la visibilité des effets induits par l'action politique et dérouter les administrés.


La France, pays de droit écrit, est devenue championne du monde de la diarrhée législative, son code du travail, par exemple, est une arme mortelle pour aucun crâne sur lequel on l'assène puisqu'il pèse trois kilos ! Mais s'il est le plus emblématique, il n'est peut-être pas le plus lourd : les codes électoral, pénal, des impôts, et de la consommation ont vu leur poids augmenter encore plus vite que celui du code du travail. La bureaucratie spécialisée se nourrit de cette inflation qui rend impossible toute réforme puisque la production plumitive ne cesse jamais. Réformer c'est surtout écrire la réforme dans tous ses détails d'application, on n'en sort jamais. Sauf à ruiner l'ouvrage jusqu'aux fondations et rebâtir tout en neuf, on ne réformera pas. C'est ce qui nous attend. On fera autrement, et nous sauverons ce qui reste de chantiers navals français !




(Cycle d'Arrakeen 2015)

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