Dans les sociétés modernes qui doivent tenir compte du brassage mondial des ethnies il est sage que l’Etat, universel par essence, se déclare laïc. Il peut dès lors, soit se désintéresser complètement de l’orientation religieuse de ses citoyens comme il devrait en être pareillement de leurs moeurs, soit prêter une oreille distraite à leurs réclamations et négocier des consensus, soit encore administrer les cultes dans un souci d’équité et de protection des églises défavorisées.
L’Etat français veut réussir le tour de force de faire les trois à la fois. Et chaque fois il se prend les doigts dans la porte laïque. Il n’est pas besoin de textes nouveaux pour régler ces choses, seulement du bon sens, et écouter la nation, tant qu’elle existe encore.
Or la nation n’est pas laïque !
Au-delà du je-m’en-foutisme épidermique français, la nation est chrétienne dans ses racines, ses usages, son décorum et jusqu’à in fine ses angoisses métaphysiques. Les libres penseurs et autres rationalistes, tout à fait respectables – sont très minoritaires malgré deux cents ans de vaccination à la Lumière, et dans ce nouveau siècle de chocs des civilisations qui tourne à la Croisade contre le Djihad, on ne les entend pas. Pas plus que les anti-cléricaux, race typiquement endogène chez nous. On se souvient du tollé provoqué par Plateforme de Houllebeck (1998) qui s’était permis de dire « Et la religion la plus con, c’est quand même l’islam ; quand on lit le Coran, on est effondré… effondré ! La Bible, au moins, c’est très beau, parce que les Juifs ont un sacré talent littéraire… ce qui peut excuser bien des choses » ! Depuis lors, il y a eu la déclaration de guerre terroriste d’Al Qaïda, la croisade de Bush II, sa réélection enlevée à la hussarde par les églises réformées américaines, et pourtant, silence radio de l’anticléricalisme qui avait pourtant un boulevard médiatique devant lui. Le concept n’est sans doute plus rémunérateur.
Le pouvoir vient de se rendre compte que la nation française à laquelle on ne parle que de naturaliser l’islam exogène, réagit en chrétienne dès qu’elle est touchée par la pierre philosophale d’un souverain pontife au destin tragique comme Jean Paul II. L’archevêque de Paris ouvre Notre Dame en pleine nuit pour y recevoir les fidèles « ameutés » par la mort du pape ; l’aumônier de la batellerie de Conflans doit sortir de son lit quand on frappe à la porte de sa péniche-église pour qu’il célèbre une messe des défunts. Le temps de se vêtir et d’allumer les lustres, la péniche est pleine à onze heures du soir.
Les autres dignitaires religieux du pays ne s’y sont pas trompés qui dès le matin ont couru aux dévotions dans les lieux catholiques. L’Etat omnipotent pouvait-il être absent ? Dans sa décrépitude présente et dévoré depuis peu par la décentralisation, il ne pouvait prendre ce risque, même si certains le soupçonnent de surveiller les sondages électoraux en toutes circonstances.
Il est intéressant d’imaginer l’attitude d’un état royal confronté au même événement, aujourd’hui.
- Attendu que la monarchie capétienne est absolue (indépendante);
- Attendu que la monarchie capétienne est de droit divin et que le vicaire de Dieu sur terre est le saint père ;
- Attendu que Rome a baptisé la France, fille aînée de l’Eglise ;
Il devrait exister des liens plus étroits que maintenant entre l’état central et l’Eglise catholique, à supposer que le clergé catholique se rallie, ou que la conférence des évêques de France ne se cabre pas contre ce qu’ils considèreront comme une résurgence d’un ancien régime qu’ils n’ont peut-être pas tout à fait compris et qu’ils décident de suivre plutôt leur bas clergé droit-de-l’hommiste qui ne souhaite que de tomber dans le happening charismatique afin de concurrencer les églises évangélistes en pleine chasse au cotisant.
Supposons la quadrature résolue.
L’état royal doit être juste avant tout, c’est la première exigence. Le sceptre sans la main de justice est une marque de force ; c’est beaucoup, mais beaucoup moins que dans le passé, et précaire. Sur l’exercice de la justice, il sera jugé !
Le décès du vicaire du Christ toucherait directement le roi, dépositaire de la charge que le sacre de Reims aurait mis sur ses épaules. Les dispositions que prendrait le roi à la manifestation de ses condoléances ne sauraient peser sur l’état royal qui est établi pour tous, agnostiques, fidèles du Livre, sectateurs de Mahomet, bouddhistes, animistes et superstitieux folkloriques.
Le choix du détail de cette manifestation lui reviendrait personnellement, et dans le calendrier, et dans l’organisation minutieuse, et dans les frais qu’il engagerait. Le roi de France rendrait hommage au souverain pontife défunt sur sa cassette. Et personne n’y trouverait rien à redire, au contraire même, emporterait-il l’affection des Français par la sagesse de son gouvernement.
D’accord, nous sommes loin de la théocratie qu’attendent, menton levé, les catholiques traditionalistes et quelques autres mouvements nationaux religieux, qui s’ébrouent dans des microstructures sur des concepts terriblement datés, du moins tant que le changement de régime n’est pas en perspective. A l’avènement de la monarchie, la priorité de ses promoteurs sera de contenir les exaltations de cette minorité, faute de quoi l’ouvrage sera ruiné à peine fondé car du désastre géniteur sortiront puissantes les cohortes de la résistance à l’oppression des moeurs et des esprits que ces « fous de Dieu » annonceraient.
Il conviendra donc de bien marquer dans les esprits l’architecture d’un nouveau royaume de France, reconstruit à partir de trois forces permanentes :
- la nation multiple, active, diverse et peut-être communautarisée suivant ses inclinations;
- l’état garant des références de justice et de protection de la nation ;
- le roi, principe moteur de cet état, garant de sa pérennité, tenant son pouvoir personnel de Dieu pour le relier à la source originelle du principe capétien ; car il faut bien un « fil » avec les Quarante.
Dans la situation présente, les gens du pouvoir, pour commencer par le plus éminent d’entre eux, n’envisagent pas une minute de régler les débours encourus par leur sincère affliction autrement que sur les deniers publics. La République française serait très convenablement représentée à Rome par deux des trois légimités politiques de l’état permanent, le président, le président du sénat ou le président de l’assemblée nationale, dans un compartiment de TGV. Qu’est-il besoin d’amener au frais de la marquise la moitié des corps constitués et les épouses, et l'aide de camp, l'attaché de ci et l'attaché de ça, puisqu’il ne s’agit que d’un chagrin de l’âme par définition. Mais la prébende est intrinsèque à l’appel à gouverner que la république lance aux citoyens ordinaires que sont ces messieurs. On la motive facilement, la prébende, en exhaussant en permanence des responsabilités qui n’existent pas, sauf en filigrane.
Le Vatican est un état en droit international pour le distinguer du pays hôte et faciliter sa gérance et sa communication terrestre. Mais c'est une monarchie virtuelle car céleste, posée sur un "pays" immatériel.
Il serait formidable d’avoir un jour ici un chef honnête avec lui-même et qui oserait dire "j'aimais ce pape, c'était un colosse de la foi que je partage avec lui; je vais de grand coeur à ses funérailles !". Plutôt que de se cacher derrière la "disparition d'un chef d'état étranger avec lequel nous entretenons des relations de proximité". Miserere ... il est de plus en plus petit notre grand homme à nous !
mercredi 6 avril 2005
Etat royal et Religion, esquisse
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RépondreSupprimerJacques et Bernadette Chirac ont assisté, vendredi 8 avril, à Rome, aux funérailles du pape Jean Paul II, en compagnie de l'ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, Pierre Morel, et de deux collaborateurs. La France disposait de quatre places autour du chef de l'Etat. Une délégation d'une quarantaine de personnes était par ailleurs présente, invitée par l'archevêché et l'ambassade. Le couple présidentiel s'était envolé de Paris, la veille, en compagnie de M. Morel, du vice-président du Sénat, Jean-Claude Gaudin, des présidents des groupes d'amitié France-Vatican du Sénat, Francis Giraud, et de l'Assemblée nationale, Bruno Bourg-Broc, ainsi que de deux autres personnalités : l'ancienne présidente de la région Poitou-Charentes, Elisabeth Morin, proche du premier ministre Jean-Pierre Raffarin, et le président honoraire de la CFTC, Alain Deleu.