mardi 30 septembre 2008

Refonte du blogue

maquette du cuirassé Richelieu
Cette rentrée est l'occasion de reprendre le squelette de Royal Artillerie qui dérivait vers une sorte de portail royco avec une colonne pleine de liens qui distrayaient par trop de l'objectif éditorial : participer à la réacclimatation du royalisme en France, au sein tout au moins d'une certaine Opinion ... cybernétique.

Les temps sont proches où le capitalisme occidental va être mis en cause par toute la Planète, du moins jusqu'à la fin de la cicatrisation du système à plaie ouverte que nous voyons se déchirer aujourd'hui. Cette période sera celle d'un grand brassage d'idées autour des modèles sociaux les plus à même de protéger l'espèce humaine. Les royalistes ont quelque chose à dire, s'ils osent se libérer de leur propre gangue doctrinale pour revaloriser un concept éternel qui a fait ses preuves, mais qui exige de nombreux réglages pour être utile au monde actuel, monde tellement différent de tous ceux que l'histoire a accumulés dans la mémoire des hommes.

Notre modèle présente les avantages recherchés désormais, stabilité des axes politiques par la pérennisation de grands référents, sobriété des états qui doivent être remusclés dans leurs domaines régaliens, libertés populaires vraies, justice minutieuse et partage plus fraternel.

La charte est donc simplifiée, le discours sera plus incisif, et nous nous attacherons à ces réglages indispensables, quoiqu'en pensent certains oulémas de la Cause (humour) qui nous saoulent de sourates pour notre bien.

VIVE LE ROI !

lundi 29 septembre 2008

2010 ou 2009 ?

maquereau
Me faisant trop d'honneur, mes convives du vendredi - le jour sacré du poisson au domaine - me posèrent la question qui tue : "c'est quoi cette crise mondiale en fait ?" puis se bousculant, d'ajouter la question cachée : "et et et ... que risque la France, et et ... que peut faire Sarkozy ?". Le plus facile était in cauda, chère Médème. Réponse : "Rien !"

Les rois-mages s'appellent Ben Bernanke(1), Tim Geithner(2), et Hank Paulson(3), pas Sarkozy, ni Gordon Brown, moins encore Merkel. Dans trois mois M. Sarkozy redevient le premier producteur de pinard de la planète ; point-barre !
L'Etat n'a pas mis ses oeufs dans le bon panier ; au lieu d'acheter des châteaux de crus et des fermes à foie-gras, il a investi dans la fabrication d'automobiles (15% de Renault), celle d'avions (EADS), de navires (Chantiers de l'Atlantique), de centrales atomiques (AREVA), tous secteurs ébranlables par la crise puisqu'ils ne vivent que de la croissance, si tant est bien sûr que la crise surgisse aux rivages de l'Europe, comme chacun le pense dans les médias catastrophiques qui cherchent du tirage.

Le président des Français ne maîtrise que le train de vie de l'Elysée. Il n'a la main ni sur la monnaie, ni sur l'économie et gère la pénurie d'argent public en transférant les effets d'annonces d'une catégorie à l'autre. Aurait-il ces moyens qu'on se demanderait encore à quoi pourraient-ils lui servir, dès lors que c'est l'Etat qui a disparu en capacité, ne laissant que nuisance et prédation. "Tax-attak" est le sobriquet en vogue de notre chef. Ses opposants demandant de surtaxer les riches, ceux-ci plient les gaules. La parenthèse libérale se referme, la République retourne par force à la soviétisation puisqu'elle ne "comprend" pas autre chose. Sécurité d'abord ! Dans deux mois, nous aurons un Plan, un Emprunt national, puis la nationalisation au "franc symbolique" des secteurs manufacturiers les plus populeux, peut-être un contrôle des changes. Non ?

argent virtuel facile
La crise n'est pas purement financière, elle est aussi morale. Cupidité et avidité ont gouverné le monde depuis la rénovation du capitalisme à partir de l'ère Reagan. Les sociétés financières anglo-saxonne grossirent et mutèrent jusqu'à créer à partir de rien des instruments de marchés financiers que même les honnêtes gens n'arrivaient pas à comprendre. Les législateurs chargés de la surveillance détournèrent le regard pour ne pas passer pour des cloches.
Quand plus tard, cet avant-hier, les coûts hypothécaires de l'immobilier s'enflammèrent, les plus gros acteurs de la finance sautèrent à pieds-joints dans le feu avec des fonds qu'ils empruntèrent massivement (jusqu'à 10 fois leurs fonds propres) aux épargnants, en leur plaçant toutes sortes de produits sûrs comme les assurances-vie, afin de prêter ensuite cet argent frais aux acheteurs de maisons qui ne pouvaient faire face à leurs mensualités de crédit. Peut-être pensaient-ils acquérir un parc immobilier gigantesque à vil prix à mesure des saisies judiciaires sauf qu'ils étaient deux à manger sur la bête, l'hypothèque de premier rang et sa titrisation*, .
Les prêts souscrits par des particuliers aux abois furent aussitôt divisés en tranches, titrisés et revendus sur les marchés financiers par les grosses banques comme dérivés mathématiques juteux à des spéculateurs avides de placer leur argent à des taux supérieurs à ceux des bons du Trésor américain.
Quand la défection des emprunteurs immobiliers de base fut générale, tout le secteur se retrouva à poil, et le marché financier s'effondra juste après que celui de l'immobilier en ait fait autant. Les détenteurs de ces titres fabuleux n'avaient en main que les larmes des petits accédants à la propriété, et plus aucun lien actif vers le secteur immobilier, ... en perdition.
(explication dérivée de celle donnée par Massimo Calabresi dans Time magazine)

Que risque la France ? Tout !

boule de cristalNon pas que notre secteur bancaire implose** même s'il encaisse des pertes sévères, mais parce que la récession américaine pèsera sur l'activité du monde entier. Les pays émergents travaillent d'abord pour l'Amérique. Les Etats-Unis concourent pour un quart au PIB mondial (la France pour moins de 5%), et les deux empires asiatiques ferment déjà des usines - pour cent raisons certes mais la tendance est à la fermeture - parce que leurs marchés de consommation intérieure n'ont pas encore atteint une taille suffisante pour contrebalancer une contraction forte des exportations. Par la globalisation, le ralentissement asiatique va métastaser sur notre secteur extérieur et comprimer le peu de croissance que nous avions encore, d'après l'INSEE (mais où la voit-on ?).
Le seul point positif est un relâchement de la pression sur les matières premières, les métaux rares et l'énergie, qui devrait détendre les prix internationaux.

Si les Etats-Unis franchissent le seuil de la récession, si la Chine et l'Inde diminuent leurs investissements industriels et repoussent nos services à plus tard, si le Japon, grand consommateur de luxe français, part en stagflation ; compte tenu que notre secteur immobilier va pratiquement stopper et que les fonds publics ne pourrons s'y investir en masse puisqu'ils ne sont plus disponibles, nous aurons de la chance de ne pas entrer en récession nous-mêmes.
Destruction de postes de travail en masse, faillites laissant des ardoises à tout le monde, crédit stoppé sauf pour les happy few qui n'en n'ont pas besoin, rentrées fiscales en chute libre. Déficit alors vite insupportable si l'on conserve à l'Etat le même périmètre de dépenses, ce déficit creusant une dette dont le paiement d'intérêts (service de la Dette) finira par manger la moitié du budget public. A partir de là, gouvernance africanisée, tutelle du FMI, etc...
Sauf à licencier massivement dans la fonction publique, séquestrer l'épargne des ménages au-delà d'un certain plafond et diminuer fortement les pensions de retraites, il n'y a pas d'issue. Dans un pays addicté comme le nôtre à l'état-providence et dont tout les ressorts sont débandés, c'est la ruine assurée, et ...... la fuite des criquets, qui par millions s'envoleront vers des terres encore en production. Nous aurons au moins gagné ça : Mourir entre nous !

champ de pavot afghan
Simplicité fondamentale

Et le 8 là-bas en Afghanistan, me direz-vous ? No problemo ! Les soldes seront payées par le gouvernement de Kaboul en balles de coquelicots ! On reviendra au troc et ici à la simplicité fondamentale :
- la Poste ne distribuera que du courrier et ne jouera plus à la banque ;
- les pondéreux seront acheminés par voie d'eau ;
- les Bretons feront du porc pour nourrir les Bretons, comme les Gascons en feront en Gascogne...
- les voitures auront des moteurs mixtes qui atteindront le 120 ;
- l'Assemblée nationale ne représentera que les conseils régionaux, le nombre de sièges de députés sera divisé par deux, le Sénat et le Conseil économique et social seront supprimés ;
- le lait sera fait avec des vaches à lait ;
- les banques ne prêteront pas plus d'argent qu'elles n'en possèdent ;
- la santé sera dispensée par dispensaires sans débours ;
- la loi Marthe-Richard sera abolie par l'ordre des notaires et des comptables au chômage ;
- on rétablira la peine de mort pour les plombiers indélicats et polonais ;
- Rachida Dati aura le temps de faire des croix sur son semainier ;
- les royalistes iront tous les matins à la messe pour interroger la Providence ;
et la France deviendra enfin le plus bel éco-musée du Monde.

Notes :
(1) président de la FED
(2) président de la réserve fédérale de New York
(3) secrétaire au Trésor
* la titrisation a été expliquée dans un billet précédent
** la mutualisation des pertes bancaires est un leurre en cas de crash. Elle ne fonctionne que pour secourir les déposants d'une ou deux banques en perdition à la fois.



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jeudi 25 septembre 2008

Anarchie devant

charles maurrasEn revenant d'Athènes, le "crétin profond" de Gauchet Marcel disait : « la brève destinée de ce que l'on appelle la démocratie dans l'Antiquité m'a fait sentir que le propre de ce régime n'est que de consommer ce que les périodes d'aristocratie ont produit. [...] Des biens que les générations ont lentement produits et capitalisés, toute démocratie fait un grand feu de joie [...] Etre nationaliste et vouloir la démocratie, c'est vouloir à la fois gaspiller la force française et l'économiser, ce qui est l'impossible »

Il est des démocraties capables de saine gouvernance, elles sont en général réduites au périmètre de conscience politique de leurs administrés. Par contre les démocraties étendues sont toutes en perte parce que le gigantisme des masses mues tant dans le domaine de la production que dans celui des finances, foisonne sur des moyennes qui ne correspondent que rarement aux cas individuels et parce que les détournements opérés par les "gérants" du pot commun ne sont pas immédiatement ressentis par le citoyen. Ainsi la nationalisation des pertes bancaires succède sans vergogne à la privatisation des bénéfices au motif immoral que la vie de tout un chacun est en jeu, mais l'annonce faite à midi ne crée aucun tsunami à minuit.

C'est tout l'art de la démocratie que de procurer des avantages immédiats aux souffrances sociales réelles ou supposées que l'on compensera par des sacrifices ultérieurs. L'important dans une démocratie d'opinions est bien ce que l'on "voit". Quand les sacrifices plus tard apparaissent - par exemple en servant une dette abyssale sur un budget public limité - il n'est pas si difficile de détourner l'Opinion des causes vraies déjà anciennes et souvent multiples nées de la politique de gouvernements parfois lointains dans l'histoire, et si ça chauffe vraiment, on saisira l'échappatoire efficace du bouc émissaire.
Si les sacrifices provoqués sont trop lourds à supporter pour des raisons aussi diverses que la situation économique des ménages ou l'entrée en campagne électorale des partis au pouvoir, on n'aura aucune hésitation à décréter des avantages pour les catégories "rentables" en termes de suffrages, avantages compensés un jour lointain par d'autres sacrifices. L'important est le "visible" au moment T, l'invisible n'intéresse personne ; à preuve le peu d'intérêt des Français pour diminuer à tout prix la Dette qui ronge comme un cancer l'avenir des enfants de ce merveilleux pays.

braderie de Wall Stret par Chappatte
Dans le Québécois Libre, le philosophe libertarien Jérémie Rostan nous dit que ...
« La démocratie n'a rien à voir avec la liberté de la presse, ou bien la séparation de l'Église et de l'État. Il peut y avoir des démocraties n'ayant pas ces caractéristiques, et des régimes non-démocratiques qui les ont. Ce qui caractérise la démocratie, c'est le fait que l'organisation qui monopolise l'utilisation légale de la violence — constitutive de tout État — soit contrôlée par qui obtient le plus grand nombre de suffrages. Or on réunit des suffrages en promettant et faisant pleuvoir des avantages présents visibles dont les désavantages futurs sont invisibles. On est élu, par exemple, sur un programme d'expansion de pseudo droits sociaux, de vastes chantiers publics, de "relance de la consommation", etc., toutes choses qui ne peuvent être financées que par la taxation. C'est là, d'une manière générale, le seul moyen d'action publique.
Mais la taxation présente ne peut pas être indéfiniment accrue : toute taxation diminuant l'activité économique, dont elle spolie le produit, il est un point au-delà duquel l'activité serait si diminuée par l'augmentation de la taxation que les recettes fiscales, c'est-à-dire le "pouvoir d'achat" du gouvernement, s'en trouveraient elles-mêmes amoindries. Il est alors nécessaire de différer la spoliation, c'est-à-dire de mener des politiques monétaires expansionnistes; bref, d'engendrer une inflation monétaire.
Pire, le système démocratique ne pousse pas seulement, structurellement, à la social-démocratie, à la taxation et à l'inflation; il incite aussi ceux qui sont "aux commandes" à combattre les réajustements nécessaires à la solution des problèmes qu'eux-mêmes, ou leurs prédécesseurs, ont posés à la société. Le mot d'ordre des gouvernants et des banquiers centraux, "pas de crise sous mon règne", revient en effet à dire: "pas de retour à la réalité concomitant à mon exercice du pouvoir". »


Si je cite Marcel Gauchet en ouvrant ce billet, c'est pour signaler un entretien qui fait écho à cette supercherie signalée par Rostan, entretien publié sur le site de Causeur. Son titre "Dialogue de sourds à la française" traduit mal l'essence du propos qui est la fracture irréductible entre pays réel et pays légal, même si on ne la présente pas en ces termes. Cliquez donc ici, ça le mérite et oubliez le blasphème anti-maurrassien.

Si les libertariens sont contre la démocratie, nous arrivons à un confluent d'idées. La lutte anti-état des libertariens est l'avatar moderne et instruit de la vieille anarchie. Nous avons un slogan de notre bord qui devrait leur plaire pour autant que nous en développions la doctrine :
« le royalisme c'est l'Anarchie plus Un »

logo anarchie en feu
On y reviendra quand nous aurons creusé le concept de l'ordre anarchique. Si, si, ça existe même si ça n'est pas passé à la télé ! Maurras n'a-t-il pas démontré que le Bien ne se situait pas intrinsèquement dans les choses, mais dans l'ordre des choses, non plus dans le nombre ou la quantité, mais dans la composition et la qualité. L'anarchie serait-elle le champ magnétique qui va orienter toute la limaille citoyenne ?
Reste que la droite mathématique d'une politique visant au Bien commun est asymptote à cet aboutissement qu'elle ne rencontrera jamais. Il nous suffit de les voir tangenter !


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mardi 23 septembre 2008

Steagall firewall

JMKNous vivons dans une collectivité qui est organisée de telle sorte qu'un voile d'argent recouvre un large espace entre les biens eux-mêmes et le propriétaire des richesses. Le propriétaire apparent des biens eux-mêmes s'en est assuré la propriété en empruntant de l'argent au véritable possesseur de la richesse. C'est surtout par l'intermédiaire des banques que tout cela s'est fait. C'est-à-dire que les banques ont en échange d'un dédommagement fait intervenir leur garantie. Elles tiennent la place entre emprunteur et prêteur véritable. C'est pourquoi une diminution des valeurs monétaires aussi sérieuse que celle qui se produit actuellement, menace de faire s'écrouler toute notre structure financière. Les banques et les banquiers sont aveugles de nature. Ils n'ont pas vu ce qui allait arriver [...] Un banquier sensé n'est hélas point un banquier qui voit venir le danger et l'écarte, mais un banquier qui, lorsqu'il se ruine, le fait d'une manière orthodoxe et conventionnelle, en même temps que ses collègues, de façon à ce qu'on ne puisse rien lui reprocher.

La spéculation est par essence irresponsable dans ses choix et responsable dans ses effets. Dans les temps anciens l'agiotage était réputé sale comme l'usure et laissé à des castes aussi enviées que réprouvées. Si aujourd'hui les marchés de matières servent à établir leur prix en fonction de l'époque de leur mise à disposition, les marchés de valeurs sont justifiés par la profession comme des réservoirs de capitaux abondés par les actionnaires et les "joueurs", mis à la disposition des entrepreneurs et innovateurs ; et secondement comme des places d'établissement quotidien des prix des valeurs inscrites à la cote. Si les choses en restaient là, il y aurait certes des secousses en fonction des frictions économiques régionales et/ou globale, mais le système se réparerait de lui-même, en laissant quelques suicidés sur le bord de la route.

le taureau et l'ours
Le problème vient de la créativité financière provoqué par la stabilité économique. On peut considérer que la croissance mondiale régulière obtenue depuis les années 80 grâce à la globalisation des échanges de biens et services participe d'une certaine stabilité par sa vitesse acquise, même si les tensions sur les marchés de l'énergie signalent que l'avion mondial amorce un virage à grand rayon. La logique bancaire est de prendre plus de risques hétérodoxes en proportion de la perception que les grandes banques ont de cette stabilité ; la finance devient spéculative et ouvre la porte à l'instabilité jusqu'à recourir à la cavalerie et au jeu pyramidal que l'on appelle "jeu de Ponzi" : le système s'écroule et doit être relevé ex-nihilo.

La crise des subprimes est assez simple à expliquer :
Pour capter les petits ruisseaux qui font les grandes rivières, les banques américaines ont prêté des fonds à des ménages pauvres pour acquérir leur logement, au motif que la hausse régulière des prix constatés de l'immobilier épongeait facilement les quelques défauts de remboursements qui pouvaient intervenir en marge de cette masse financière de plus en plus grande. La banque prêteuse escomptait le dossier à la banque hypothécaire de stature nationale pour récupérer des liquidités et faire un autre prêt à un autre client.
En cas de sinistre on vendait la maison, la banque hypothécaire récupérait capital et intérêts dûs, et le solde de la plus-value servait au ménage à changer de voiture (à crédit).
Mais le marché immobilier s'est retourné quand la Réserve Fédérale a augmenté progressivement ses taux directeurs que Greenspan avait laissés trop bas, renchérissant d'autant les remboursements des ménages (les prêts anglo-saxons sont à taux variable). Il est devenu de plus en plus fréquent que les défauts de remboursement de prêts ne puissent plus être financés par la vente du bien dont la valeur qui ne couvrait plus le capital dû. Jusque là la situation restait difficile pour tout le monde, banque et particuliers, mais techniquement gérable avec des pertes et des pleurs (en France c'est pareil avec les prêts bonifiés Robien sur des logements sans locataires, ou avec les prêts à taux zéro pour les pauvres appauvris).
Le problème surgit alors sur le "marché des titres".

schéma titrisation
En 1980 les banques américaines ont inventé la titrisation qui vise à constituer des packages de créances dans une société de groupage qui émet à son tour des titres représentant des fractions des packages d'origine. Ces titres s'échangent comme n'importe quelle valeur en bourse. Pour creuser la technique de la titrisation, cliquez ici et gardez le doliprane à portée de verre. Pause !

Pourquoi Royal-Artillerie s'implique dans ce genre d'explications un peu touffues ? Pourquoi ne pas faire des billets sur "nos" problèmes, "nos" solutions, "nos" projets, "nos" mémoires ? Parce que l'heure est réellement grave, pour que le gouvernement ultra-libéral américain engage mille milliards de dollars dans la défaisance de créances pourries afin d'éviter le coma financier international. Nos affaires sont bien secondaires en ce moment, à mon avis du moins. Reprenons.

dominos de la crise
Les prêts concédés aux pauvres en dessous des critères raisonnables standard d'attribution, s'ils étaient considérés comme globalement syndicalisés en garantie, étaient affectés quand même d'un coefficient risque et se négociaient parfois au dessous de leur valeur nominale. Pour un taux donné, baisser le nominal augmente le rendement. Quand ce rendement a franchement dépassé celui des bons du trésor américain - parce que les défections d'emprunteurs apparaissaient - les banques et les institutions financières de la planète ont commencé à prendre des titres subprimes pour améliorer leur bas de bilan. Certaines banques se sont beaucoup chargées. Or la spirale baissière du marché immobilier fut accélérée par les restrictions de crédit bancaire décidées par les banques en fenêtre qui avaient pris trop d'ardoises, et le marché "hypothécaire" des subprimes s'est effondré comme un château de cartes, les valeurs titrisées ont suivi et tous les porteurs de titres subprimes ont vu leurs capitaux fondre comme neige au soleil. Or ils avaient des engagements par ailleurs, des garanties données dans d'autres compartiments auxquels ils ne pouvaient répondre. Même le titan de l'assurance AIG s'est lancé à garantir sur ce marché avec le résultat que l'Etat américain l'a racheté (en spoliant les actionnaires). La banque centrale de Singapour vient de sommer leur filiale locale de donner des preuves tangibles de sa solvabilité. On ne rigole plus !

A partir d'ici, je me retire sur la pointe des pieds car le foisonnement du désastre n'est plus à la portée de mon pauvre cerveau. Les banques sont interconnectées comme les neurones et quand elles sont trop nombreuses à choper la chtouille, c'est toute la tête qui est malade.

gnome pensif
D'aucuns, partisans de l'omnipuissance des banques centrales, imputent à Bernanke le déclenchement de la crise par la remontée des taux directeurs de la FED. C'est court ! Je ne me hasarderais pas à avancer des solutions techniques, ce qui à mon niveau serait ridicule, mais pas mortel dit-on ; je fais néanmoins quelques remarques de bon sens en conclusion :

(a)- le marché des subprimes n'est pas régulé, alors que les deux grandes banques hypothécaires Fannie Mae et Freddie Mac furent créées à l'origine par l'Etat comme gendarme de la syndicalisation des prêts et leur refinancement. Or les banques en fenêtre ont très souvent bypassé les deux géants pas assez accommodants sur les conditions d'octrois des prêts aux pauvres. Il faut obliger les banques de détail à placer leurs dossiers désormais chez eux deux.
(b)- la titrisation est en cause. Il faut l'encadrer et l'interdire sur certaines valeurs volatiles. Je pense que certains pays moins aventureux comme la Chine risquent bien de l'interdire chez eux.
(c)- la dérégulation des marchés à terme de matières et denrées est une source de désordre insupportable car elle exaspère la spéculation qui prend la planète en otage pour la transformer en casino géant. Il faudrait revoir la "liberté fondamentale" de l'effet de levier.
(d)- Il faut rétablir le Glass-Steagall Act de 1933 qui avait séparé banque de détail et banque d'investissement (celle-ci appelée chez nous banque d'affaires). C'est un coupe-feu qui manque aujourd'hui, et s'il est contraignant pour la finance apatride qu'il prive d'un adossement confortable sur les masses collectées au détail, il sauve les meubles du petit déposant.

Le concept du capitalisme sauvage à l'évidence instable a vécu faute de carburant financier pour nourrir la bulle des dérivés. C'est une implosion, une auto-destruction, et ce n'est pas une si mauvaise chose. Reste à construire une gouvernance mondiale des échanges qui retire aux banques le travail qui est normalement du ressort des gouvernements. Le slogan "politique d'abord" (un peu détourné de sa signification historique) est plus que jamais d'actualité.
La qualité des leaders en charge ou près d'accéder peut aussi inquiéter, mais nous verrons en fin d'année ce qu'ils en pensent, à l'invitation de M. Sarkozy.

Au fait, le texte en italique qui ouvrait de billet fut prononcé en pleine crise par John Meynard Keynes en 1931.


taureau gagnant
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lundi 22 septembre 2008

Austérité annoncée

Ainsi l'expert international en gestion macroéconomique que le monde nous envie, celle qu'on entend venir comme Sarah Bernhardt, avoue s'être vautrée dans ses prévisions de croissance pour 2008. La faute aux "services".
le ministre LagardeMalgré les quolibets des économistes patentés, Bercy maintenait à la fin de l'hiver contre vents et pets sa croissance française de 2,25%, puis 2% pour 2008, jusqu'à ce que les autorités supérieures (OCDE, FMI) lui signalent que le reste de la planète Finances n'était pas sensible à sa propagande. Au mois de mars les "services" déclaraient par la voix du ministre : « L’économie française est plutôt plus solide et plus résistante que celle de nos voisins européens », ce qui donc justifiait complètement notre optimisme et le différentiel annoncé avec l'Allemagne qui ne savait pas faire, et descendait sa propre prévision à 1,70% déjà ; elle va terminer l'année à 1,80%.

Le pourcentage politique de Mme Christine Lagarde dut ensuite dégringoler au niveau de la réalité bête comme chou : 1,75 et maintenant 1% sans même passer par le palier des 1,50. Désormais c'est sûr, la France ne pourra mieux faire que 1% ! Ferait-elle moins ? Poser la question est déjà une insulte aux "services". Mais le 1% réel est tout de même assorti de la condition que les prix des matières premières continuent de baisser. Ce qui est un voeu, un simple voeu, la promesse d'un ex-voto à la chapelle de Sainte Rita, boulevard de Clichy.
En fait le 1% n'est pas moins politique que ne l'était le 2,25% de la Noël 2007 pour cette année-ci, puisqu'il peut très bien descendre à 0,50 dans deux mois, et pour ce qui concerne 2009, atterrir sur un pathétique 0. Simplifions nous la mémoire : il n'y aura pas de croissance en France l'an prochain.

Toutes choses égales par ailleurs, c'est à dire, le pays étant géré de la même manière qu'aujourd'hui avec les fonds de tiroirs et l'adjudication hebdomadaire des bons du Trésor (Dette à creuser), les prévisions économiques pour notre pays dépendent entièrement de facteurs extérieurs non maîtrisables par M. Sarkozy. Citons-en quelques-uns pour nous rafraichir les idées :

1.- état de survie du secteur bancaire américain et des porteurs de bons (nous sommes mouillés) ;
2.- croissance différentielle du BRIC (groupe Brésil, Russie, Inde, Chine) par rapport à l'OCDE ;
3.- profondeur de la récession américaine (il faudrait que le BRIC accroisse sa croissance de 25% pour compenser la récession américaine, ce qui est impossible puisque la Chine a 40% de sa croissance tirée par l'Amérique ;
4.- attrait des marchés de matières pour les spéculateurs après leur fuite des marchés de produits financiers dérivés ;
5.- embrasement ou pas du Pachtounistan nucléaire ;
6.- plus ce que vous trouverez par vous-même ...

Vous remarquerez qu'il n'y a aucun facteur politique dans la liste sauf le n°5. C'est peut-être que ma liste n'est pas la bonne. Vous remarquerez aussi que la gestion économique assumée par le gouvernement français est de nul effet sur sa propre prévision. Nous flottons comme un bouchon de canne à pêche sur l'océan économique mondial.

chute de Lehman Bros
On pourrait donc économiser déjà le ministère des finances en laissant la prévision aux experts internationaux de l'OCDE par exemple, et ne conserver à Bercy que le ministère du Budget, celui qui exécute (dans les deux sens du terme), le même qui a chassé la taxe pique-nique dans les WC de la démagogie et va dynamiter le bonus-malus automobile ruineux pour le Trésor.

En quoi la prévision de croissance économique est-elle importante ?
Par des modèles mathématiques éprouvés sur résultats, elle permet d'anticiper les rentrées fiscales et donc de conduire la dépense budgétaire. Mais elle est d'abord utilisée pour mesurer l'ouverture de crédits aux divers acteurs de la sphère publique ; c'est un outil de promesses et en ce sens un outil politique. Plus forte, elle affiche une certaine indulgence dans le jugement de Bercy ; faible ou nulle elle annonce l'austérité. Les mauvais résultats de l'économie française - triple déficit, budgétaire, commercial et paiements - sont actés par cette annonce du 1% que tout le monde économique ramène à "zéro" pour 2009 : l'austérité est donc au programme de 2009.

Nous ne sommes en position d'acteurs inter pares que sur le point 5 de la liste. Il paraîtrait que nos parlementaires seraient en train de débattre de l'opportunité de nous retirer de ce domaine d'intervention trop éloigné de la ligne bleue des Vosges, et de nous cantonner à la position de levrette qui a la préférence de nombreux édiles. Les élections sénatoriales d'hier soir ont diablement renforcé le parti de la pétoche.

drapeau pachtoune
Sans croissance et sans attributs distinctifs du genre, pourrons-nous exister demain dans les enceintes internationales quand M. Sarkozy aura remis sa jaquette de président français à la St Sylvestre ? Mais bien sûr, nous ne laisserons pas Belfort sous le feu des canons allemands !

Vive la République, vive la F...
"la garde meurt mais ne se rend pas !", elle est morte !



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vendredi 19 septembre 2008

Une armée d'élite

airforce one françaisDans son blogue militaire, Jean-Dominique Merchet de Libération, donne la confirmation d'un avion "air force one" pour la présidence française. Le plus simple est de cliquer ici pour lire son billet. On peut légitimement se poser la question de la pertinence d'une parade aérienne de M. Sarkozy à l'échéance de sa présidence européenne, quand le premier janvier 2009 il redeviendra le simple chef d'état d'un pays endetté jusqu'au cou, sans finances ni pouvoirs autres que rhétoriques. N'aurait-il pas été plus judicieux de doter la présidence européenne de ce type d'outil de commandement s'il s'avère utile, et de reporter la dépense française sur deux hélicoptères armés neufs ?

Certains dictateurs africains ont caressé ce type de projet avant d'en être dissuadés par les bailleurs de fonds et les ajusteurs structurels qui préféraient voir l'argent national suivre leurs traces plutôt que de se perdre dans le kérozène surtaxé et les comptes suisses.
Nous ne sommes pas encore sous la coupe du FMI, mais que pèse la France sur la scène internationale pour débarquer sur les tarmacs diplomatiques du haut d'un Elysée volant ? On pète plus haut que son cul, au moment où l'on réduit la voilure militaire, seul agent d'influence diplomatique durable. Et nous n'avons pas encore parlé du Pentagone à la porte de Sèvres !

Si je ne conteste pas notre présence active en Afghanistan pour éradiquer les Talibans et leurs affidés alqaïdistes enkystés aux portes d'un état nucléaire islamique, lequel Etat en décomposition est présidé depuis peu par un pantin notoire ; je mets en doute - et j'en ai le droit tant que je paie des impôts dans ce pays - la stratégie générale de déploiement de nos forces, très limitées en moyens et effectifs par les budgets de la Défense, et surtout la démobilisation morale du soldat qu'entraînent ces opérations amollissantes de "ni paix - ni guerre".

patrouille VigipirateL'habitude des corvées nationales a été prise à l'époque de la conscription où les fils de la nation sous les drapeaux servaient de renforts à la protection civile quand se déchaînaient les éléments naturels. Tous les pays de conscription font de même. Par contre la professionnalisation des forces et son corollaire de durcissement des capacités interdisent de leur faire passer le balai des laveuses, surtout si l'on dispose à côté d'elles d'un effectif important pour ne pas dire pléthorique de forces de l'ordre (polices et gendarmerie) entraînées à la contemplation des administrés, qui pourraient bosser un jour sur deux par exemple.
Vraiment, on gaspille le temps d'activité et la motivation des soldats professionnels en les affectant aux promenades Vigipirate en gare, ces gares qui disposent d'une police ferroviaire capable en théorie d'assurer cette surveillance.

Nos émois humanitaires sont une autre distraction de forces entraînées à la guerre que nous éparpillons en Afrique, alors que des unités de volontaires civils convenablement formés feraient l'affaire. Il est sage de conserver des points d'appui dotés en moyens et effectifs aguerris pour intervenir sur nos zones d'intérêt ou d'inquiétude, comme nous l'ont montré les opérations corsaires de Somalie ; de même que nos Dom-Tom doivent être réellement protégés. Mais on peut se demander quelle est la pertinence de notre maintien en Côte d'Ivoire, en Centrafrique ou au Tchad, sans aller jusqu'à dire que le Darfour soudanais est depuis Fachoda dans la zone d'influence anglaise ; mais disons-le quand même à Mr Kouchner.
Cette supériorité acquise des unités françaises postées dans nos anciennes colonies peut créer un complexe qui tourne au handicap et que je qualifie d'un néologisme TDM qu'on me pardonnera ou pas : la "colonialisation".

la charge des Spahis
L'aguerrissement des troupes se fait mal dans leurs missions de maintien de la paix où l'on finit par faire la sieste à l'heure de l'anisette quand passe le Sukhoï sur Bouaké. Lorsqu'on engage ensuite ces troupes "colonialisées" dans un conflit de moyenne intensité - l'Afghanistan ce n'est pas encore Stalingrad - elles risquent gros pendant le délai d'acclimatation, l'embuscade en Kapisa l'a prouvé :

Si le terrain ressemble aux Aurès, si les insurgés ressemblent aux fellahgas, si leurs façons de combattre sont barbares et incluent les sacrifices humains comme chez le FLN, la donne est sensiblement plus complexe, et le niveau d'opérations plus dangereux. Les détails de la mission de reconnaissance du col de Saroubli dans la vallée d'Uzbin montrent que le détachement composite et international - donc difficile à commander par défaut de cohésion naturelle - est parti en ballade vers le haut de la piste non-carrossable après avoir débarqué des VAB* de transport. La réalité leur a explosé au visage.
Des extraits (dans les 2 sens du terme) du rapport préliminaire de la Frenic de Kaboul avaient posé les vraies questions. Les voici pour mémoire :
« # Est-il normal que des professionnels s'engageant dans une opération de reconnaissance en profondeur de plusieurs jours (qui plus est en convoi) soient à court de munition dès le premier accrochage ?
# Est-il pensable qu'une opération de reco aussi importante (une centaine d'hommes en 2 sections de l'armée française et 2 sections de l'armée nationale afghane) ne soit pas dotée de moyens d'appui collectifs ?
# Comment peut-on laisser se monter de telles opérations sur ce terrain sans un minimum d'observation et de surveillance en avant des unités en progression ? »


VAB
Au vu des résultats, la moindre des choses serait de relever toute la chaîne hiérarchique tactique en commençant par le chef de détachement, mais l'armée est devenue aussi une caste par la professionnalisation, caste qui cultive avec talent les "explications".

Les autres rapports exudés des états-majors montrent trois choses :
- nos unités élémentaires ne sont pas suffisamment aguerries dans leur articulation tactique, même si les soldats sont courageux jusqu'au sacrifice ;
- l'économie de gestion des ressources incite à former des détachements disparates au lieu d'engager des compagnies homogènes complètes habituées au drill ensemble ;
- les moyens matériels (éclairage et appui) sont chiches faute de crédits.

pucelle du 129Peut-on dire qu'une compagnie d'infanterie de ligne classique engagée sur son TED complet n'aurait pas autant dérouillé ? Je le pense ; car elle aurait mis sa section de mortiers de 81 en batterie au départ de la progression à pied, et le capitaine aurait demandé lors du briefing qu'on lui pose une de ses sections de voltige sur la ligne de crête. Si la compagnie avait été engagée au complet elle aurait pu incorporer avec bénéfice dans son schéma tactique une section de l'ANA (mais pas deux) avec la ferme intention de l'engager au cas où. Faisant naturellement partie d'un bataillon, la compagnie, prise dans la tenaille de l'embuscade, pouvait bénéficier, au pire dans l'heure, de l'appui décisif des mortiers de 120.
Il n'y a là ni laser, ni gonio-guidage, ni drones, et pas non plus de numérisation du champ de bataille ; uniquement le règlement de combat d'infanterie. C'est très con !
On fera une autre fois un "cours du soir" sur l'emploi de la section de crête dans la capture d'un col, en insistant sur la fonction de relais-radio.

Pour obtenir avec des professionnels les mêmes résultats que l'on pouvait attendre des appelés, il ne faut pas les distraire dans des opérations non-militaires : on ne prend pas son pitbull à la chasse, ce n'est pas un chien d'arrêt ! Surgit à la fin la question perverse des ressources disponibles.

GV felinLe meilleur projet pour une armée de terre calibrée à nos capacités budgétaires est d'accroitre sa qualité intrinsèque et sa dûreté en visant l'excellence en tout, matériel compris : une armée d'élite ou rien ! L'armée d'un pays moyen comme le nôtre, caressant quand même des ambitions planétaires à cause de ses possessions éparses et d'une grande tradition diplomatique, doit couper comme un diamant les rares fois où elle est engagée. C'est la base de notre sécurité et un élément de respect par autrui. Il faut savoir quand même faire peur !
En ce sens le Livre Blanc de Morin est sur le bon axe, du moins à la lecture. Se méfier quand même de la sophistication à outrance adorée par nos ingénieurs de l'armement. Le fusil FELIN avec ordinateur porté me laisse perplexe. Pour la mise en oeuvre du Livre c'est affaire de circonstances budgétaires, et l'on peut s'interroger quand cet Etat pachydermique est incapable de financer une mesure de justice sociale comme le RSA par des économies de fonctionnement, tout en prélevant mille milliards d'euros par an sur la Bête.

Les royalistes pourraient reprendre certaines idées du Livre Blanc visant la dureté et la compacité de notre dispositif militaire, avec cette recherche de l'élitisme dans une exigence de cohérence entre les moyens nécessaires et le programme de missions confiées. Je n'ai lu à ce jour que des critiques un peu démagogiques de notre bord ; c'est dommage.



deux pitbulls
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jeudi 18 septembre 2008

Le sou du fossoyeur

la pelleIl est d'usage de donner la pièce au fossoyeur avant qu'il ne prenne la pelle, un lointaine évocation du sou de Charon peut-être, sinon pour dissuader le vilain d'ouvrir la bière et d'arracher le demi-louis à la bouche du mort ?
Ce triste usage s'est répandu depuis quelques années dans la sphère financière où l'on apaise le courroux de l'incapable par un salaire extraordinaire, remis en une seule fois, pour solde de tous comptes sauf moraux.
Serge Tchuruk est un fossoyeur de première, et donc très riche ! Après avoir plié la chimie des Charbonnages de France, on lui donne les rênes de Total où il ne restera que 5 ans avant de prendre la succession sulfureuse du sultan Suard chez Alcatel-Alsthom en 1995. Il divisera le groupe, reprendra Alcatel seul à son compte, le mariera à l'américain Lucent, et pour abandonner la direction générale d'Alcatel à Patricia Russo contre la présidence du nouveau groupe, il exigera une indemnité de plus de cinq millions d'euros. Il faut de l'estomac.

Malgré d'importantes saignées dans les effectifs, le groupe mal géré est quasiment en perdition et les deux responsables sont priés de quitter les lieux avec de confortables indemnités de rupture, estimées pour Russo à six millions d'euros. Ce matin, l'Union des Banques Suisses conseillait de se défaire au plus vite des actions Alcatel-Lucent pour racheter éventuellement plus tard à prix cassé (CLIC).

Tchurul et Russo
Les salariés sont hérissés de ces libéralités octroyées par un groupe en pertes sévères qui ajuste son bas de bilan par les licenciements, et demandent, par pétition internationale au sein des usines, qu'ils rendent gorge (CLAC).

Je suis toujours étonné que les actionnaires, surtout les petits porteurs, acceptent ces distributions immorales ; à croire que la détention d'actions dans un but strictement financier pervertit les moeurs de chacun, voire les rend niais, quelque effet secondaire de la cupidité ?

En attendant le Grand Soir de Tintin-Besancenot, et contrairement à ce que l'on craignait, ce n'est pas le compartiment industriel du navire capitaliste qui est devenu poreux, - Tchuruk, polytechnicien génial, avait décidé un empire télécom sans usines ! - mais c'est le compartiment financier qui est entrain de se noyer sans qu'on ait pu fermer les portes étanches.
Canary Wharf, LondresSi la spéculation boursière n'est pas d'aujourd'hui, elle a quand même gommé désormais tout le volet industriel du dossier, et seuls comptent les résultats trimestriels. D'autant que la présence de plus en plus prépondérante des fonds de pensions au capital des entreprises oblige à des dividendes élevés en continu que parfois le secteur d'activité ne parvient pas à soutenir. Le terme de licenciement boursier est juste quelque part :
On casse de l'emploi ici pour servir la retraite des vieux là.
Les petits porteurs de tous âges sautent des étages, et ça fait de grands splash en bas, chère médème. Les trottoirs de Wall Street se parcourent le nez en l'air pour éviter l'actionnaire en chute.

Intellectuellement j'aurais aimé que la puissance capitaliste américaine s'en tienne aux principes et laisse le système se purger de lui-même et cicatriser ensuite sur des fondamentaux plus sains. Nous aurions pu constater l'étendue des dommages dans une configuration inconnue jusqu'à ce jour : le capitalisme globalisé universel. Et surtout nous aurions su pour une fois, une seule, la vraie "fin de l'histoire".

devises et compasEn effet, nous connaissons la fin du rêve socialiste et combien il a coûté à l'espèce humaine. Mais l'absence jusqu'ici de destructions massives de valeurs laissait croire que l'alternative capitaliste/socialiste était comme le jour et la nuit, sans avoir à le prouver. On se fondait sur une démonstration par défaut : le reste était tombé en ruine donc il n'y avait pas d'alternative, le soleil ne se coucherait jamais plus sur l'imperium capitaliste. C'était sans compter la dématérialisation des échanges et la valorisation des courants d'air.

Plus prosaïquement, les dirigeants américains n'ont pas eu le sang-froid d'assister en experts au divorce du capitalisme et de la démagogie, pendant la période de renouvellement des équipes en charge de la seconde. Or la démagogie est indispensable à l'exploitation capitalistique des ressources humaines, autant d'ailleurs que la solidarité forcée qui fait fonction de baume apaisant sur les brûlures collatérales. Le krach de 1929 avait affamé l'Amérique profonde, celle qui aujourd'hui fournit les gros bataillons de l'aventure mésopotamienne, celle qui érige des statues en plâtre à Sarah Palin, la nouille alaskaienne, celle qui va maintenir aux affaires le parti républicain. On ne pouvait "les" perdre en chemin à cinquante jours de la Grande Supercherie.

Wall Street, NYC
Mais il se pourrait - enfin ! - que l'effondrement des cours de bourse - Morgan Stanley perdait hier 40% de sa valeur à New York malgré de bons résultats - réveille les petits actionnaires ruinés(1) et leur fasse dorénavant refuser les parachutes dorés de l'échec. La belle époque est certainement finie pour les fossoyeurs ! La morale y gagne.

La question d'un système équitable pour la Terre et les gens demeure. J'avoue n'avoir pas de solutions plus élaborées que l'exigence de justice à tous les niveaux d'activité et décision. On en est si loin !

Note (1) : les actionnaires du géant de l'assurance AIG que la FED a sauvé du naufrage ne font pas partie de l'Arche de Noé car leurs titres ne valent plus rien, tout comme ceux qui avaient du Lehman Brothers, la grosse banque mise en faillite dimanche !


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mercredi 17 septembre 2008

Jambles 2008

st MichelDans l'Ancien Testament, l'archange Michel apparaît quand Dieu s'adresse aux hommes. C'est lui qui pèsera les âmes lors du Jugement dernier et qui les emmènera au Paradis ou ... bien plus bas. On dit qu'il est psychostase et psychopompe. En mythologie, un dieu psychopompe, du Grec ψυχοπομπóς, littéralement « guide des âmes », est le conducteur des morts dans la Nuit finale. L'épithète s'appliquait entre autres à Apollon, Hermès ou encore Orphée. Beaucoup de croyances et de religions possèdent des esprits, des déités, des démons ou des anges qui ont la tâche d'escorter les âmes récemment décédées vers l'Autre monde ; ils sont souvent associés à des animaux tels que les chevaux, les corbeaux, les chiens, les chouettes, les moineaux ou encore les dauphins. Chez les chrétiens, c'est l'archange Saint Michel qui fait tout le travail, en sus de commander la Milice des Anges. (selon Wikipedia²).
En attendant votre dernière heure, le CLIP nous dit ...

... à la Saint Michel, chevaliers, paras, escrimeurs et dragons royalistes se retrouvent pour giberner en Bourgogne : Cette année c'est à Jambles (Saône et Loire) le dimanche 28 septembre.

Selon la carte Michelin, 360 km depuis Paris par l'autoroute A6 et 3h20 plus tard vous atteignez le point de concentration qui sera dévoilé à l'inscription effective. Groupez-vous au lion de Denfert pour un départ à 07:00 pétantes (GMT 05:00).

Affiche pour Jambles 2008
L'entrée coûte 25€ ce qui est donné vu le niveau de prestations et camaraderie. On attend du monde, ne lambinez pas pour appeler le
06 62 48 12 31
.
Vous ne cesserez plus tard de raser vos petits enfants sur cette journée mémorable : « C'était sous le premier quinquennat de Nagy-Bocsa avant, heu heu..., qu'il ne soit couronné roi des Blancs-Français par le heu heu... Congrès de Versailles, ... »



C.L.I.P.
20 rue Auguste Comte
69002 Lyon

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lundi 15 septembre 2008

Quaerere Deum

Benoit 16 aux BernardinsDu premier voyage en France du pape Benoît XVI, c'est le passage par le collège rénové des Bernardins qui restera dans les mémoires. L'auditorium cistercien a hébergé la chaire pontificale, le temps d'un cours magistral sur le monachisme dispensé à sept cents "cerveaux" par le pape allemand, ancien panzekardinal redouté de toute la Bienpensance depuis l'éclat de Ratisbonne.
Si certains en sont ressortis hébétés tant la prose était (trop) dense à leur avis, nombreux sont ceux qui en furent éblouis, et pas des moindres à entendre Robert Badinter louer au sortir de la classe le souverain pontife pour sa hauteur de vue théologique et sa pénétration philosophique.
Nous donnons le "polycop" du cours à la fin de ce billet pour son archivage éventuel, mais vous pouvez aussi l'écouter en live grâce à la chaîne parlementaire :



Qaerere Deum pourrait être le titre de la démonstration. Le pape n'a parlé que de Dieu. Du jamais vu au Beaufland où les commentateurs autorisés ne parvenaient plus à élever leur exégèse au dessus de la ceinture sociétale. Ce pape leur a mis vingt buts pleine cage sans en encaisser un !

Il était temps que l'Eglise et son berger nous parle enfin de Dieu, vu le faible écho des positions catholiques dans le siècle. Encore que le sujet puisse être jugé ennuyeux ou peu rémunérateur en terme de contributions caritatives voire de conversions.
Il y a 8 jours, le primat des Gaules invité d'une chaîne de télévision se faisait harponner gentiment sur la question du travail du dimanche par un sous-ministre. Au fait de ces questions depuis le mouvement social de Plan de Campagne (Bouches du Rhône), le cardinal Barbarin insista pour que le dimanche soit « le jour de l'ouverture aux autres », mais du jour dédié à Dieu il ne fit pas mention. On peut croire que nos évêques vivent sur Mars. La vie en société nous accapare tous les jours ouvrables de la semaine, sauf à vivre en ermite ou en reclus. Qu'est-il besoin d'un jour spécial pour être attentif à autrui ? L'employé de bureau, le chef de service, le magasinier, le commerçant, le chauffeur, le retraité en ballade, le gardien de la paix, le livreur de pizza, tous sont impliqués dans des rapports d'individu à individu, et souvent mettent de l'huile dans les rouages sociaux pour que la vie soit moins dure. Quelle est cette foutaise du dimanche ouvrable aux autres ? Quand le Créateur s'assit le septième jour, c'était peut-être pour se reposer mais aussi pour recueillir les applaudissements. A shabbat - qui est à l'origine de notre rupture hebdomadaire - on s'occupe moins d'autrui que du Très-Haut.
Interrogé une autre fois sur le motu proprio, le cardinal Barbarin nous déclarait : « La grande question, c’est de savoir où le saint Père veut aller. Il a plusieurs fois laissé entendre qu’il était temps de reprendre en profondeur la réforme liturgique, comme on revoit maintenant de près la traduction de la Bible. »
Se croit-il dans un conseil d'administration où son avis est prépondérant. Il ne s'agit pas de "savoir" mais d'obéir. Par définition, lui, le souverain pontife, sait. Il est placé sur le trône de Pierre pour cette raison : savoir ! Malgré toute la mesquinerie déployée dans les diocèses français pour entraver ou retarder la messe en latin, il faudra bien finir par obéir, car il est des raisons évidentes de retour aux fondamentaux de l'Eglise catholique, sans tomber dans le travers du fondamentalisme dénoncé par Benoît XVI.

BernardinsLe discours cathédral des Bernardins a remonté certaines pendules au sein même de l'Eglise de France, trop souvent perdue dans la critique rationnelle des comportements sociaux, dans la promotion d'une liturgie "entraînante" et surtout dans la préservation de l'alibi caritatif. L'Eglise catholique n'est pas une ONG humanitaire. Selon de vieux souvenirs, elle est le temple de Dieu sur terre, quand le monde alentour est en recherche de sens depuis qu'il se sait, grâce à Eve, condamné à mort : Quaerere Deum. C'est à cette quête que nos évêques doivent répondre d'abord ! Le combat des âmes prime tout, les corps ne sont que leurs guenilles.


Texte du discours de Benoît XI aux Bernardins édité par le Vatican
Monsieur le Cardinal,
Madame le Ministre de la Culture,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Chancelier de l’Institut,
Chers amis,

Merci, Monsieur le Cardinal, pour vos aimables paroles. Nous nous trouvons dans un lieu historique, lieu édifié par les fils de saint Bernard de Clairvaux et que votre prédécesseur, le regretté Cardinal Jean-Marie Lustiger, a voulu comme un centre de dialogue de la Sagesse chrétienne avec les courants culturels intellectuels et artistiques de votre société. Je salue particulièrement Madame le Ministre de la Culture qui représente le gouvernement, ainsi que Messieurs Giscard d’Estaing et Chirac. J’adresse également mes salutations aux ministres présents, aux représentants de l’Unesco, à Monsieur le Maire de Paris et à toutes les autorités. Je ne veux pas oublier mes collègues de l’Institut de France qui savent ma considération et je désire remercier le Prince de Broglie de ses paroles cordiales. Nous nous reverrons demain matin. Je remercie les délégués de la communauté musulmane française d’avoir accepté de participer à cette rencontre ; je leur adresse mes vœux les meilleurs en ce temps du ramadan. Mes salutations chaleureuses vont maintenant tout naturellement vers l’ensemble du monde multiforme de la culture que vous représentez si dignement, chers invités.

J’aimerais vous parler ce soir des origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne. J’ai mentionné en ouverture que le lieu où nous nous trouvons était emblématique. Il est lié à la culture monastique. De jeunes moines ont ici vécu pour s’initier profondément à leur vocation et pour bien vivre leur mission. Ce lieu évoque-t-il pour nous encore quelque chose ou n’y rencontrons-nous qu’un monde désormais révolu ? Pour pouvoir répondre, nous devons réfléchir un instant sur la nature même du monachisme occidental. De quoi s’agissait-il alors ? En considérant les fruits historiques du monachisme, nous pouvons dire qu’au cours de la grande fracture culturelle, provoquée par la migration des peuples et par la formation des nouveaux ordres étatiques, les monastères furent des espaces où survécurent les trésors de l’antique culture et où, en puisant à ces derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle. Comment cela s’est-il passé ? Quelle était la motivation des personnes qui se réunissaient en ces lieux ? Quelles étaient leurs désirs ? Comment ont-elles vécu ?
Avant toute chose, il faut reconnaître avec beaucoup de réalisme que leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé. Leur motivation était beaucoup plus simple. Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr. On dit que leur être était tendu vers l’« eschatologie ». Mais cela ne doit pas être compris au sens chronologique du terme – comme s’ils vivaient les yeux tournés vers la fin du monde ou vers leur propre mort – mais au sens existentiel : derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif. Quaerere Deum : comme ils étaient chrétiens, il ne s’agissait pas d’une aventure dans un désert sans chemin, d’une recherche dans l’obscurité absolue. Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, mieux, il a aplani la voie, et leur tâche consistait à la trouver et à la suivre. Cette voie était sa Parole qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes. La recherche de Dieu requiert donc, intrinsèquement, une culture de la parole, ou, comme le disait Dom Jean Leclercq (1) : eschatologie et grammaire sont dans le monachisme occidental indissociables l’une de l’autre. Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son exploration dans toutes ses dimensions. Puisque dans la parole biblique Dieu est en chemin vers nous et nous vers Lui, ils devaient apprendre à pénétrer le secret de la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient importantes. La bibliothèque faisait, à ce titre, partie intégrante du monastère tout comme l’école. Ces deux lieux ouvraient concrètement un chemin vers la parole. Saint Benoît appelle le monastère une dominici servitii schola, une école du service du Seigneur. L’école et la bibliothèque assuraient la formation de la raison et l’eruditio, sur la base de laquelle l’homme apprend à percevoir, au milieu des paroles, la Parole.
Pour avoir une vision d’ensemble de cette culture de la parole liée à la recherche de Dieu, nous devons faire un pas supplémentaire. La Parole qui ouvre le chemin de la recherche de Dieu et qui est elle-même ce chemin est une Parole qui donne naissance à une communauté. Elle remue certes jusqu’au fond d’elle-même chaque personne en particulier (2). Grégoire le Grand décrit cela comme une douleur forte et inattendue qui secoue notre âme somnolente et nous réveille pour nous rendre attentifs à Dieu (3). Mais elle nous rend aussi attentifs les uns aux autres. La Parole ne conduit pas uniquement sur la voie d’une mystique individuelle, mais elle nous introduit dans la communauté de tous ceux qui cheminent dans la foi. C’est pourquoi il faut non seulement réfléchir sur la Parole, mais également la lire de façon juste. Tout comme à l’école rabbinique, chez les moines, la lecture accomplie par l’un d’eux est également un acte corporel. « Le plus souvent, quand legere et lectio sont employés sans spécification, ils désignent une activité qui, comme le chant et l’écriture, occupe tout le corps et tout l’esprit », dit à ce propos Dom Leclercq (4).
Il y a encore un autre pas à faire. La Parole de Dieu elle-même nous introduit dans un dialogue avec Lui. Le Dieu qui parle dans la Bible nous enseigne comment nous pouvons Lui parler. En particulier, dans le Livre des Psaumes, il nous donne les mots avec lesquels nous pouvons nous adresser à Lui. Dans ce dialogue, nous Lui présentons notre vie, avec ses hauts et ses bas, et nous la transformons en un mouvement vers Lui. Les Psaumes contiennent en plusieurs endroits des instructions sur la façon dont ils doivent être chantés et accompagnés par des instruments musicaux. Pour prier sur la base de la Parole de Dieu, la seule labialisation ne suffit pas, la musique est nécessaire. Deux chants de la liturgie chrétienne dérivent de textes bibliques qui les placent sur les lèvres des Anges : le Gloria qui est chanté une première fois par les Anges à la naissance de Jésus, et le Sanctus qui, selon Isaïe 6, est l’acclamation des Séraphins qui se tiennent dans la proximité immédiate de Dieu. Sous ce jour, la Liturgie chrétienne est une invitation à chanter avec les anges et à donner à la parole sa plus haute fonction. À ce sujet, écoutons encore une fois Jean Leclercq : « Les moines devaient trouver des accents qui traduisent le consentement de l’homme racheté aux mystères qu’il célèbre : les quelques chapiteaux de Cluny qui nous aient été conservés montrent les symboles christologiques des divers tons du chant » (5).
Pour saint Benoît, la règle déterminante de la prière et du chant des moines est la parole du Psaume : Coram angelis psallam Tibi, Domine – en présence des anges, je veux te chanter, Seigneur (6). Se trouve ici exprimée la conscience de chanter, dans la prière communautaire, en présence de toute la cour céleste, et donc d’être soumis à la mesure suprême : prier et chanter pour s’unir à la musique des esprits sublimes qui étaient considérés comme les auteurs de l’harmonie du cosmos, de la musique des sphères. Les moines, par leurs prières et leurs chants, doivent correspondre à la grandeur de la Parole qui leur est confiée, à son impératif de réelle beauté. De cette exigence capitale de parler avec Dieu et de Le chanter avec les mots qu’Il a Lui-même donnés est née la grande musique occidentale. Ce n’était pas là l’œuvre d’une « créativité » personnelle où l’individu, prenant comme critère essentiel la représentation de son propre moi, s’érige un monument à lui-même. Il s’agissait plutôt de reconnaître attentivement avec les « oreilles du cœur » les lois constitutives de l’harmonie musicale de la création, les formes essentielles de la musique émise par le Créateur dans le monde et en l’homme, et d’inventer une musique digne de Dieu qui soit, en même temps, authentiquement digne de l’homme et qui proclame hautement cette dignité.
Enfin, pour s’efforcer de saisir cette culture monastique occidentale de la parole, qui s’est développée à partir de la quête intérieure de Dieu, il faut au moins faire une brève allusion à la particularité du Livre ou des Livres par lesquels cette Parole est parvenue jusqu’aux moines. Vue sous un aspect purement historique ou littéraire, la Bible n’est pas un simple livre, mais un recueil de textes littéraires dont la rédaction s’étend sur plus d’un millénaire et dont les différents livres ne sont pas facilement repérables comme constituant un corpus unifié. Au contraire, des tensions visibles existent entre eux. C’est déjà le cas dans la Bible d’Israël, que nous, chrétiens, appelons l’Ancien Testament. Ça l’est plus encore quand nous, chrétiens, lions le Nouveau Testament et ses écrits à la Bible d’Israël en l’interprétant comme chemin vers le Christ. Avec raison, dans le Nouveau Testament, la Bible n’est pas de façon habituelle appelée « l’Écriture » mais « les Écritures » qui, cependant, seront ensuite considérées dans leur ensemble comme l’unique Parole de Dieu qui nous est adressée. Ce pluriel souligne déjà clairement que la Parole de Dieu nous parvient seulement à travers la parole humaine, à travers des paroles humaines, c’est-à-dire que Dieu nous parle seulement dans l’humanité des hommes, et à travers leurs paroles et leur histoire. Cela signifie, ensuite, que l’aspect divin de la Parole et des paroles n’est pas immédiatement perceptible. Pour le dire de façon moderne : l’unité des livres bibliques et le caractère divin de leurs paroles ne sont pas saisissables d’un point de vue purement historique. L’élément historique se présente dans le multiple et l’humain. Ce qui explique la formulation d’un distique médiéval qui, à première vue, apparaît déconcertant : Littera gesta docet – quid credas allegoria(7). La lettre enseigne les faits ; l’allégorie ce qu’il faut croire, c’est-à-dire l’interprétation christologique et pneumatique.
Nous pouvons exprimer tout cela d’une manière plus simple : l’Écriture a besoin de l’interprétation, et elle a besoin de la communauté où elle s’est formée et où elle est vécue. En elle seulement, elle a son unité et, en elle, se révèle le sens qui unifie le tout. Dit sous une autre forme : il existe des dimensions du sens de la Parole et des paroles qui se découvrent uniquement dans la communion vécue de cette Parole qui crée l’histoire. À travers la perception croissante de la pluralité de ses sens, la Parole n’est pas dévalorisée, mais elle apparaît, au contraire, dans toute sa grandeur et sa dignité. C’est pourquoi le Catéchisme de l’Église catholique peut affirmer avec raison que le christianisme n’est pas au sens classique seulement une religion du livre (8). Le christianisme perçoit dans les paroles la Parole, le Logos lui-même, qui déploie son mystère à travers cette multiplicité. Cette structure particulière de la Bible est un défi toujours nouveau posé à chaque génération. Selon sa nature, elle exclut tout ce qu’on appelle aujourd’hui « fondamentalisme ». La Parole de Dieu, en effet, n’est jamais simplement présente dans la seule littéralité du texte. Pour l’atteindre, il faut un dépassement et un processus de compréhension qui se laisse guider par le mouvement intérieur de l’ensemble des textes et, à partir de là, doit devenir également un processus vital. Ce n’est que dans l’unité dynamique de leur ensemble que les nombreux livres ne forment qu’un Livre. La Parole de Dieu et Son action dans le monde se révèlent dans la parole et dans l’histoire humaines.
Le caractère crucial de ce thème est éclairé par les écrits de saint Paul. Il a exprimé de manière radicale ce que signifient le dépassement de la lettre et sa compréhension holistique, dans la phrase : « La lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (9). Et encore : « Là où est l’Esprit…, là est la liberté » (10). Toutefois, la grandeur et l’ampleur de cette perception de la Parole biblique ne peut se comprendre que si l’on écoute saint Paul jusqu’au bout, en apprenant que cet Esprit libérateur a un nom et que, de ce fait, la liberté a une mesure intérieure : « Le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté » (11). L’Esprit qui rend libre ne se laisse pas réduire à l’idée ou à la vision personnelle de celui qui interprète. L’Esprit est Christ, et le Christ est le Seigneur qui nous montre le chemin. Avec cette parole sur l’Esprit et sur la liberté, un vaste horizon s’ouvre, mais en même temps, une limite claire est mise à l’arbitraire et à la subjectivité, limite qui oblige fortement l’individu tout comme la communauté et noue un lien supérieur à celui de la lettre du texte : le lien de l’intelligence et de l’amour. Cette tension entre le lien et la liberté, qui va bien au-delà du problème littéraire de l’interprétation de l’Écriture, a déterminé aussi la pensée et l’œuvre du monachisme et a profondément modelé la culture occidentale. Cette tension se présente à nouveau à notre génération comme un défi face aux deux pôles que sont, d’un côté, l’arbitraire subjectif, de l’autre, le fanatisme fondamentaliste. Si la culture européenne d’aujourd’hui comprenait désormais la liberté comme l’absence totale de liens, cela serait fatal et favoriserait inévitablement le fanatisme et l’arbitraire. L’absence de liens et l’arbitraire ne sont pas la liberté, mais sa destruction.
En considérant « l’école du service du Seigneur » – comme Benoît appelait le monachisme –, nous avons jusque-là porté notre attention prioritairement sur son orientation vers la parole, vers l’« ora ». Et, de fait, c’est à partir de là que se détermine l’ensemble de la vie monastique. Mais notre réflexion resterait incomplète si nous ne fixions pas aussi notre regard, au moins brièvement, sur la deuxième composante du monachisme, désignée par le terme « labora ». Dans le monde grec, le travail physique était considéré comme l’œuvre des esclaves. Le sage, l’homme vraiment libre, se consacrait uniquement aux choses de l’esprit ; il abandonnait le travail physique, considéré comme une réalité inférieure, à ces hommes qui n’étaient pas supposés atteindre cette existence supérieure, celle de l’esprit. La tradition juive était très différente : tous les grands rabbins exerçaient parallèlement un métier artisanal. Paul, comme rabbi puis comme héraut de l’Évangile aux Gentils, était un fabricant de tentes et il gagnait sa vie par le travail de ses mains. Il n’était pas une exception, mais il se situait dans la tradition commune du rabbinisme. Le monachisme chrétien a accueilli cette tradition : le travail manuel en est un élément constitutif. Dans sa Regula, Benoît ne parle pas au sens strict de l’école, même si l’enseignement et l’apprentissage – comme nous l’avons vu – étaient acquis dans les faits ; en revanche, il parle explicitement du travail (12). Augustin avait fait de même en consacrant au travail des moines un livre particulier. Les chrétiens, s’inscrivant dans la tradition pratiquée depuis longtemps par le judaïsme, devaient, en outre, se sentir interpellés par la parole de Jésus dans l’Évangile de Jean, où il défendait son action le jour du shabbat : « Mon Père (…) est toujours à l’œuvre, et moi aussi je suis à l’œuvre » (13). Le monde gréco-romain ne connaissait aucun Dieu Créateur. La divinité suprême selon leur vision ne pouvait pas, pour ainsi dire, se salir les mains par la création de la matière. L’« ordonnancement » du monde était le fait du démiurge, une divinité subordonnée. Le Dieu de la Bible est bien différent : Lui, l’Un, le Dieu vivant et vrai, est également le Créateur. Dieu travaille, Il continue d’œuvrer dans et sur l’histoire des hommes. Et dans le Christ, Il entre comme Personne dans l’enfantement laborieux de l’histoire. « Mon Père est toujours à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre. » Dieu Lui-même est le Créateur du monde, et la création n’est pas encore achevée. Dieu travaille ! C’est ainsi que le travail des hommes devait apparaître comme une expression particulière de leur ressemblance avec Dieu qui rend l’homme participant à l’œuvre créatrice de Dieu dans le monde. Sans cette culture du travail qui, avec la culture de la parole, constitue le monachisme, le développement de l’Europe, son ethos et sa conception du monde sont impensables. L’originalité de cet ethos devrait cependant faire comprendre que le travail et la détermination de l’histoire par l’homme sont une collaboration avec le Créateur, qui ont en Lui leur mesure. Là où cette mesure vient à manquer et là où l’homme s’élève lui-même au rang de créateur déiforme, la transformation du monde peut facilement aboutir à sa destruction.
Nous sommes partis de l’observation que, dans l’effondrement de l’ordre ancien et des antiques certitudes, l’attitude de fond des moines était le quaerere Deum – se mettre à la recherche de Dieu. C’est là, pourrions-nous dire, l’attitude vraiment philosophique : regarder au-delà des réalités pénultièmes et se mettre à la recherche des réalités ultimes qui sont vraies. Celui qui devenait moine s’engageait sur un chemin élevé et long, il était néanmoins déjà en possession de la direction : la Parole de la Bible dans laquelle il écoutait Dieu parler. Dès lors, il devait s’efforcer de Le comprendre pour pouvoir aller à Lui. Ainsi, le cheminement des moines, tout en restant impossible à évaluer dans sa progression, s’effectuait au cœur de la Parole reçue. La quête des moines comprend déjà en soi, dans une certaine mesure, sa résolution. Pour que cette recherche soit possible, il est nécessaire qu’il existe dans un premier temps un mouvement intérieur qui suscite non seulement la volonté de chercher, mais qui rende aussi crédible le fait que dans cette Parole se trouve un chemin de vie, un chemin de vie sur lequel Dieu va à la rencontre de l’homme pour lui permettre de venir à Sa rencontre. En d’autres termes, l’annonce de la Parole est nécessaire. Elle s’adresse à l’homme et forge en lui une conviction qui peut devenir vie. Afin que s’ouvre un chemin au cœur de la parole biblique en tant que Parole de Dieu, cette même Parole doit d’abord être annoncée ouvertement. L’expression classique de la nécessité pour la foi chrétienne de se rendre communicable aux autres se résume dans une phrase de la Première Lettre de Pierre, que la théologie médiévale regardait comme le fondement biblique du travail des théologiens : « Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte (logos) de l’espérance qui est en vous » (14). (Logos doit devenir apo-logie, la Parole doit devenir réponse). De fait, les chrétiens de l’Église naissante ne considéraient pas leur annonce missionnaire comme une propagande qui devait servir à augmenter l’importance de leur groupe, mais comme une nécessité intrinsèque qui dérivait de la nature de leur foi. Le Dieu en qui ils croyaient était le Dieu de tous, le Dieu Un et Vrai qui s’était fait connaître au cours de l’histoire d’Israël et, finalement, à travers son Fils, apportant ainsi la réponse qui concernait tous les hommes et que, au plus profond d’eux-mêmes, tous attendent. L’universalité de Dieu et l’universalité de la raison ouverte à Lui constituaient pour eux la motivation et, à la fois, le devoir de l’annonce. Pour eux, la foi ne dépendait pas des habitudes culturelles, qui sont diverses selon les peuples, mais relevait du domaine de la vérité qui concerne, de manière égale, tous les hommes.
Le schéma fondamental de l’annonce chrétienne ad extra – aux hommes qui, par leurs questionnements, sont en recherche – se dessine dans le discours de saint Paul à l’Aréopage. N’oublions pas qu’à cette époque, l’Aréopage n’était pas une sorte d’académie où les esprits les plus savants se rencontraient pour discuter sur les sujets les plus élevés, mais un tribunal qui était compétent en matière de religion et qui devait s’opposer à l’intrusion de religions étrangères. C’est précisément ce dont on accuse Paul : « On dirait un prêcheur de divinités étrangères » (15). Ce à quoi Paul réplique : « J’ai trouvé chez vous un autel portant cette inscription : “Au dieu inconnu”. Or, ce que vous vénérez sans le connaître, je viens vous l’annoncer » (16). Paul n’annonce pas des dieux inconnus. Il annonce Celui que les hommes ignorent et pourtant connaissent : l’Inconnu-Connu. C’est Celui qu’ils cherchent, et dont, au fond, ils ont connaissance et qui est cependant l’Inconnu et l’Inconnaissable. Au plus profond, la pensée et le sentiment humains savent de quelque manière que Dieu doit exister et qu’à l’origine de toutes choses, il doit y avoir non pas l’irrationalité, mais la Raison créatrice, non pas le hasard aveugle, mais la liberté. Toutefois, bien que tous les hommes le sachent d’une certaine façon – comme Paul le souligne dans la Lettre aux Romains (17) – cette connaissance demeure ambiguë : un Dieu seulement pensé et élaboré par l’esprit humain n’est pas le vrai Dieu. Si Lui ne se montre pas, quoi que nous fassions, nous ne parvenons pas pleinement jusqu’à Lui. La nouveauté de l’annonce chrétienne c’est la possibilité de dire maintenant à tous les peuples : Il s’est montré, Lui personnellement. Et à présent, le chemin qui mène à Lui est ouvert. La nouveauté de l’annonce chrétienne réside en un fait : Dieu s’est révélé. Ce n’est pas un fait nu mais un fait qui, lui-même, est Logos – présence de la Raison éternelle dans notre chair. Verbum caro factum est (18) : il en est vraiment ainsi en réalité, à présent, le Logos est là, le Logos est présent au milieu de nous. C’est un fait rationnel. Cependant, l’humilité de la raison sera toujours nécessaire pour pouvoir l’accueillir. Il faut l’humilité de l’homme pour répondre à l’humilité de Dieu.
Sous de nombreux aspects, la situation actuelle est différente de celle que Paul a rencontrée à Athènes, mais, tout en étant différente, elle est aussi, en de nombreux points, très analogue. Nos villes ne sont plus remplies d’autels et d’images représentant de multiples divinités. Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. Malgré tout, comme jadis où derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne. Quaerere Deum – chercher Dieu et se laisser trouver par Lui : cela n’est pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé. Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable.
Merci beaucoup.

Notes d'érudition : (1) L’Amour des lettres et le désir de Dieu, p.14. (2) Ac 2, 37. (3) Dom Leclercq, ibid., p. 35. (4) ibid., p. 21. (5) ibid., p. 229. (6) Ps 138, 1. (7) cf. Augustin de Dacie, Rotulus pugillaris, (8) cf. n. 108. (9) 2 Co 3, 6. (10) 2 Co 3, 17. (11) 2 Co 3, 17. (12) Saint Benoît, Regula, chap. 48. (13) Jn 5, 17. (14) Ac 3, 15. (15) Ac 17, 18. (16) Ac 17, 23. (17) Ro 1, 21. (18) Jn 1, 14.


SS Benoît XVI
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