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...auxquels s'ajoutent Asselineau, Dupont-Aignan, Fillon, Gave, Mariani, Myard, Philippot, Sapir, Stone etc.
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D'où vient la kremlinophilie d'une partie des élites françaises qui depuis l'invasion russe de l'Ukraine ont mis leur enthousiasme sous le boisseau mais ne l'ont pas éteint ? Françoise Thom disait que
la France se sent une proximité structurelle avec la Russie. Économiquement et politiquement, c’est un pays étatisé, avec des penchants centralisateurs jacobins et un fort tropisme antilibéral, dans lequel se rejoignent la droite et la gauche (source). Mais de là à célébrer Poutine ! Il n'est pas un jour qu'on ne se moque des sanctions occidentales du côté des amis français de Vladimir Poutine, au motif de leur inefficacité. Ils demandent leur levée afin de protéger les peuples européens des effets secondaires, subis déjà ou attendus. Je ne voulais pas croire, qu'à l'exception des révolutionistes tarés de la France insoumise, tous les idiots complètement inutiles du Kremlin soient du bord de la droite classique ou dure en France. Qu'ils admirent un agent raté du KGB qui a réussi à garantir par la force la fortune familiale d'un président finissant au seuil du
delirium tremens, parce qu'il va à la messe le dimanche et défend la race slave, me sidère. Le reste (et ce billet sans doute) ne serait que propagande contre lui. Et pourtant ! Il y a deux choses à remettre droit :
Si on excepte les rétentions d'offre par spéculation de la part des importateurs, la population française ne souffre pas des sanctions occidentales imposées à la Russie - il n'y a jamais eu aucun produit russe au supermarché - et le rationnement énergétique probable pour l'hiver prochain sera supportable tant nous gaspillons aujourd'hui d'énergie comme des enfants gâtés. Mettez un poêle (
c'est l'Etat qui paye) et rentrez du bois.
Deuxièmement, les sanctions occidentales sont en train de ruiner l'économie russe, dans le visible et l'invisible, ce qui sera certes rattrapable en temps de paix plus tard, mais sous un régime différent parce qu'à celui-ci, tout le monde a déjà donné. Mais les sanctions détruisent surtout la confiance commerciale entre les opérateurs russes et le monde extérieur, confiance sans laquelle aucun contrat ne sera signé demain. Même les opérateurs chinois hésitent déjà à s'engager (voir ci-dessous)! Et proclamer que les deux tiers des représentants de la planète à l'ONU n'appliquent pas les sanctions occidentales à la Russie ne veut pas dire que leurs opérateurs nationaux se risqueront à la rupture d'embargo. Seul fonctionnera le marché noir international mais à son bénéfice propre et pas à celui de la Russie.
Vous voulez du cobalt russe ? No problemo ! On va vous l'obtenir 20% sous le cours mondial. En bitcoins ? En bitcoins !
Nous n'entrerons pas aujourd'hui dans le ressenti des peuples russes que nous ignorons, mais que les amis de Poutine jugent excellent pour le pouvoir adoré, parce que les sondages
indépendants le disent. Tous biaisés par appel téléphonique d'abonnés repérés (relire 1984). Mais il y a des faits qui contredisent les agents d'influence du Kremlin et c'est de cela qu'il faut parler maintenant, en se demandant d'où Marine Le Pen tient ses informations rassurantes sur la vie des Russes. De l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours ?
Plusieurs études émergent au cinquième mois de la guerre et nous avons choisi celle de Foreign Policy, un institut dont nous connaissons l'intégrité. Cet article de Royal-Artillerie n'est pas une traduction
(original ici) mais une recension, peut-être même infidèle à la marge parce qu'elle s'alimente à d'autres sources aussi.
C'est parti !
Comme l'opinion est reprise en main par le pouvoir pour cacher les dissidences sourdes et les oppositions publiques, l'économie russe est absorbée par le trou noir statistique des chiffres gouvernementaux. Instituts et fondations, pas nécessairement hostiles, sont privées de données. Jusqu'ici un flot mensuel de chiffres inondait les rédactions économiques. Sans tarir le flot complètement le Kremlin, dont les publications étaient jusqu'à l'an dernier appréciées, sélectionne maintenant tous les chiffres sans signification pour permettre la compilation de pages statistiques par des tiers. La publication est aussi épaisse mais contient une masse de chiffres sans intérêt. Les données défavorables en ont été expurgées. Ont disparu ainsi les chiffres du commerce extérieur, surtout ceux des échanges européens, les données sur le gaz et le pétrole, les exportations de denrées, les entrées et sorties de capitaux; les investissement étrangers directs, les prêts et emprunts par origine des fonds. Même l'Agence fédérale du transport aérien, Rosaviatsiya, a cessé d'informer sur les volumes de passagers transportés. Tout va dès lors pour le mieux dans le meilleur des mondes
(c'est le cas de le dire).
Les instituts qui mâchent ces statistiques sont obligés de projeter dans l'avenir les tendances annoncées par l'économie russe d'avant-guerre. Ces travaux ne valent plus rien même s'ils alimentent les idiots inutiles à l'étranger. Pas découragés, les experts* de Foreign Policy ont contourné l'ouragan des mensonges, et en croisant des données complexes impactées par l'économie courante - c'est un peu l'histoire de la consommation électrique qui confirme ou infirme le taux de croissance chinois - ils sont parvenus à donner une image assez fidèle de l'économie russe après cinq mois de guerre en Ukraine. Le résumé est sans appel : Le départ du bizness étranger et les sanctions sont en train d'écraser l'économie russe à court et long terme. Voici les controverses les plus courantes ; il y en a neuf :
*Ces spéléologues s'appellent Franek Sokolowski, Michal Wyrebkowski, Mateusz Kasprowicz, Michal Boron, Yash Bhansali, Ryan Vakil
(1) La Russie peut rediriger ses exportations de gaz vers l'Asie au lieu de l'Europe
Non ! Le gaz est une énergie captive. Seulement dix pour cent du gaz russe peut-être liquéfié et donc dérouté. Tous les gazoducs russes au départ de Russie occidentale vont en direction de l'Ouest et ne sont pas connectables au réseau sibérien naissant qui approvisionnera un jour l'Extrême Orient. En réalité les 16,5 milliards de mètres-cubes exportés en Chine populaire l'an dernier ne font que dix pourcent des cent soixante-dix milliards de mètres-cubes exportés en Europe (83% de la production totale russe). Le gazoduc asiatique en construction prendra des années et engloutira beaucoup d'argent. La Russie perd la carte "gaz". Exportatrice de minerais et denrées non transformés, la Russie est bien plus tributaire des pays étrangers que l'inverse. Le gaz russe va rester dans le sol et Gazprom a publié ses chiffres de production de juillet en baisse de 35% sur une année. Le prix de la crise est significatif pour les finances du géant russe.
(2) Puisque le pétrole est plus fongible que le gaz captif, Poutine peut simplement en vendre plus en Asie
La Chine populaire et l'Inde ont déja compris qu'elles étaient les seuls débouchés pour l'huile russe de l'Oural, ayant par ailleurs bien d'autres fournisseurs potentiels, en résultat de quoi elles ont "accepté" un rabais de 35 dollars au baril quand auparavant le pétrole russe valait le prix du Brent ou du WTI avec parfois un petit rabais commercial de cinq dollars selon l'humeur. Ceci sans masquer la contrainte logistique, les tankers russes mettent en moyenne trente-cinq jours pour livrer les parcs asiatiques quand il suffisait de sept jours vers l'Europe. C'est pour cette raison qu'habituellement le pétrole russe partait plus en Europe qu'en Asie (53% contre 49%). Cette contre-performance est sensible pour les compagnies russes parce que leur pétrole est plus cher à extraire que celui de leurs grands concurrents. Reste pour l'avenir la crédibilité entamée de fournisseur d'énergie non fiable, comme de tout autre matière première ! Le statut de superpouvoir énergétique est durablement compromis, à tel point que le ministre de l'énergie a révisé ses projections de production, en forte baisse.
Ndlr : pour comprendre le marché des commodités, il faut garder à l'esprit deux choses : la première est que le marché d'une matière est à somme nulle, tout déséquilibre entre l'offre et la demande est ajusté instantanément par le prix du jour. Donc ce que ne vend pas la Russie en Europe peut tout à fait partir en Inde mais les quantités que l'Inde approvisionnait jusque là sont à nouveau libres sur le marché et sous pression, que l'Europe par exemple peut racheter immédiatement un peu moins cher. Donc la démarche ne crée pas de pénurie. La deuxième chose est qu'il n'y a que deux énergies mondiales libres (fongibles) qui se vendent et s'achètent n'importe où, ce sont le pétrole et le charbon. Donc ces commodités ne peuvent subir aucun embargo et entrer dans le même paragraphe d'analyse que le gaz.
(3) La Russie compense la perte du bizness et des importations occidentales en y substituant des importations asiatiques
Les importations jouent un rôle important dans l'économie russe puisqu'elles représentent vingt pourcent de son produit intérieur brut. L'autarcie recherchée par Poutine se heurte aux besoins cruciaux d'intrants divers, de pièces détachées et de technologie, détenues aujourd'hui par des partenaires commerciaux plus qu'hésitants. Les imports russes se sont réduits de moitié ces derniers mois. Le relais asiatique ? On notera que l'administration des douanes chinoises publie une diminution de cinquante pourcent des exportations vers la Russie depuis le début de l'année, passant de 8,1 milliards mensuels à 3,8 milliards de dollars US. Normalement la Chine populaire exporte sept fois plus de biens aux Etats-Unis qu'en Russie et donc la crainte de dommages collatéraux retient les opérateurs chinois de contourner les sanctions occidentales pour sauver des positions marginales en Russie. Ce pays n'a pas la main sur son commerce extérieur
(ndlr: nous l'avons souvent dit ici, le comparant à un pays africain de rentes minières).
(4) La consommation intérieure russe et la confiance des clients restent fortes
Tous les indices parallèles signalent le contraire. Les anticipations "officielles" des chefs d'entreprises ont plongé de vingt pourcent. De combien en vrai, nul ne le sait. Les ventes de véhicules importés sont stoppées. Le commerce électronique (Yandex) et les ventes en ligne des grandes villes ont plongé profond.
(5) Le bizness globalisé n'a pas réellement fui la Russie et la fuite des capitaux et des talents est surestimée
Les sociétés globales représentaient cinq millions de travailleurs (12% de la force de travail). Plus d'un millier de sociétés qui formaient quarante pourcent du PIB russe ont mis la clé sous la porte, annulant trois décennies d'investissements étrangers. S'y ajoute l'exode de cinq cent mille citoyens
(ndlr: à notre avis le chiffre est exagéré), parmi les plus éduqués et les plus compétents du pays, un exode que le pays ne peut pas encaisser facilement. Même le maire de Moscou est d'accord que la perte d'emplois sera massive.
(6) Poutine dispose d'un excédent budgétaire dégagé par les prix augmentés de l'énergie
Le ministère des finances annonce un déficit de deux pourcent du PIB malgré la hausse des prix de l'énergie. Ceci est dû aux dépenses d'équipement militaire et aux interventions de tous ordres du Kremlin dans les domaines monétaire et fiscal y compris des projets qui tiennent au cœur du tsar, le tout financé par la planche à billets. La banque centrale a doublé la mise à disposition de roubles.
(7) Poutine dispose de centaines de milliards de dollars d'épargne de précaution, permettant de tenir sans que les finances du Kremlin soient impactées.
Le défi le plus sûr pour Poutine est que des réserves en devises étrangères s'élevant à six cent milliards de dollars, trois cents milliards sont gelés dans les banques américaines, européennes et japonaises. Il se discute d'employer ce séquestre à reconstruire l'Ukraine plus tard. Les réserves disponibles sont consommées rapidement, soixante-quinze millards depuis le début de la guerre, ce qui est techniquement normal après les sanctions imposées à la banque centrale de Russie. Par contre, la banque de Gazprom qui n'est pas sous sanctions peut faire office de coffre à devises mais son compte d'exploitation ne lui permet pas d'en stocker beaucoup, tant elle a de dépenses à couvrir et un avenir moins que clair en perdant à terme tous ses clients solvables occidentaux.
Plus inquiétant. Le ministre des finances a ressorti une vieille règle budgétaire disant que les surplus de la vente de gaz et de pétrole doivent être dirigés sur le fonds national souverain. Poutine a coupé court à la proposition y compris en rapportant les règles de dépenses du fonds national souverain, afin de pouvoir combler le déficit budgétaire de cette année, ce qui amputerait le fonds d'un bon tiers de ses avoirs. Tout indique que le Kremlin se dirige vers un assèchement de ses réserves.
(8) Le rouble est la devise la plus performante au monde cette année
C'est faire bon marché d'un contrôle des changes parmi les plus sévères au monde. Il est impossible à quiconque d'acheter des dollars ni même d'accéder à ses comptes bancaires en devises. En revanche l'exigence posée aux exportateurs de se faire payer en roubles accroît la demande en roubles sur un marché de changes très étroit, faisant donc monter le taux. Les volumes d'échanges contrôlés n'ont plus rien à voir avec ceux précédant la guerre, et un marché noir des devises se déploie. Même la banque centrale de Russie admet que le taux du rouble tient plus à la politique du gouvernement qu'aux changes libres.
(9/9) La mise en place des sanctions et le retrait du bizness sont largement accomplis, aucune autre pression économique n'est désormais nécessaire
Si l'économie russe a été gravement endommagée par les sanctions occidentales, il reste des secteurs sensibles qui continuent à nourrir l'hubris du dictateur, et particulièrement dans les domaines pétrolier et gazier. Des instituts travaillent à étendre les sanctions économiques jusqu'à étouffer la pompe à guerre, du moins tant que les nations alliées resteront unies contre Poutine.
(ndlr: l'embargo sur le charbon et le pétrole décidé par l'Union européenne participe de ce resserrement du garrot).
Les défaitistes chez nous qui arguent du rebond de l'économie russe postérieurement aux sanctions occidentales, veulent ignorer les faits quelle que soit la mesure appliquée, quel que soit le niveau considéré. L'économie russe chancèle et ce n'est pas le moment de freiner sur les sanctions
(ndlr: comme le demande Victor Orban).
Voilà !
Reste la question qui tue : Poutine admettra-t-il sa défaite telle qu'elle se profile à l'horizon ? Rien n'est moins sûr. Son entourage (les siloviki) non plus, qui a tout à perdre personnellement, comme le dit Mikhaïl Khodorkovski. La paix ne peut venir que d'un cercle plus éloigné du pouvoir paranoïaque, un cercle de militaires débarqués pour
insolence plus sûrement qu'un cerle d'hommes d'affaires que le Kremlin menace physiquement, en lui donnant le spectacle en continu de disparitions inexpliquées ou d'empoisonnements suspects. Aux dernières extrémités et compte tenu des bonnes dispositions de l'Elysée à son endroit, Vladimir Poutine pourrait obtenir l'asile politique en France avec un certificat d'hébergement du Menhir au château de Montretout à Saint-Cloud. On referait le coup de Lambert mais en plus grandiose.