lundi 11 mars 2013

Retour à l'araire !


Quand mon prince s'éveillera,
je planterai là la charrue.



J'ai deux grands bœufs dans mon étable,
Deux grands bœufs blancs marqués de roux ;
La charrue est en bois d'érable,
L'aiguillon en branche de houx.
C'est par leur soin qu'on voit la plaine
Verte l'hiver, jaune l'été ;
Ils gagnent dans une semaine
Plus d'argent qu'ils n'en ont coûté.

S'il me fallait les vendre,
J'aimerais mieux me pendre ;
J'aime Jeanne ma femme, eh bien ! j'aimerais mieux
La voir mourir, que voir mourir mes bœufs.

Les voyez-vous, les belles bêtes,
Creuser profond et tracer droit,
Bravant la pluie et les tempêtes
Qu'il fasse chaud, qu'il fasse froid.
Lorsque je fais halte pour boire,
Un brouillard sort de leurs naseaux,
Et je vois sur leur corne noire
Se poser les petits oiseaux.

S'il me fallait les vendre,
J'aimerais mieux me pendre ;
J'aime Jeanne ma femme, eh bien ! j'aimerais mieux
La voir mourir, que voir mourir mes bœufs.

Ils sont forts comme un pressoir d'huile,
Ils sont doux comme des moutons ;
Tous les ans, on vient de la ville
Les marchander dans nos cantons,
Pour les mener aux Tuileries,
Au mardi gras devant le roi,
Et puis les vendre aux boucheries ;
Je ne veux pas, ils sont à moi.

S'il me fallait les vendre,
J'aimerais mieux me pendre ;
J'aime Jeanne ma femme, eh bien ! j'aimerais mieux
La voir mourir, que voir mourir mes bœufs.

Quand notre fille sera grande,
Si le fils de notre régent
En mariage la demande,
Je lui promets tout mon argent ;
Mais si pour dot il veut qu'on donne
Les grands bœufs blancs marqués de roux ;
Ma fille, laissons la couronne
Et ramenons les bœufs chez nous.

S'il me fallait les vendre,
J'aimerais mieux me pendre ;
J'aime Jeanne ma femme, eh bien ! j'aimerais mieux
La voir mourir, que voir mourir mes bœufs.

(Pierre Dupont 1821-1870)




Royal-Artillerie s'arrête si tout a une fin,
et le piéton retourne à son sillon.

In memoriam Bastien-Thiry

Lt-Col Bastien-Thiry
« Nous savons qu'il existe un cinquième commandement qui nous interdit l'emploi de la force, sauf dans des cas précis qui ont été étudiés et définis par l'Église ; de même qu'il existe un deuxième et un huitième commandement qui interdisent à tous, singulièrement aux Chefs d'État, les faux serments, les mensonges destinés à abuser de la bonne foi de leurs concitoyens. Mais nous savons aussi qu'il existe un premier commandement, qui est le plus grand de tous, et qui nous commande la charité et la compassion envers nos frères dans le malheur. C'est pourquoi il a été de tout temps admis dans la chrétienté que, dans certaines conditions, un acte de force pouvait être un acte d'amour ; et c'est pourquoi selon l'enseignement traditionnel, peuvent être licites des actions de force dirigées contre ceux qui ont perdu le sens moral et le sens humain, et qui précipitent dans la désolation ceux qu'ils ont la charge de protéger et de défendre. Si l'action que nous avons menée, en accord avec les représentants de toutes les élites de la nation, avait réussi, l'une des premières conséquences escomptées eût été l'arrêt du génocide en Algérie. L'actuel Chef de l'État aurait pu arrêter ce génocide en donnant un seul ordre, qu'il n'a pas donné, et, à notre avis, il en portera à tout jamais la responsabilité. »
(Extrait de la "Déclaration" du 2 février 1963 - opuscule de 54 pages publié aux Editions du Fuseau)





Bastien-Thiry eut droit à un procès. D'autres non, qui disparurent malencontreusement et furent rayés d'une croix rouge dans les carnets de police. Vengeance en catimini d'un régime activant la pègre pour se défendre tant il était peu sûr de son droit et de l'Etat qu'il voulait capter. Le journaliste Pierre Châtelain-Tailhade (dit Jérôme Gauthier), anti-OAS notoire, décrit cette "honte rasante" dans le Canard Enchaîné de cette semaine-là :
« Bastien-Thiry a été fusillé le 11 mars, à l'aube, dans un tel luxe de clandestinité, que cela a ressemblé à de l'obstination : le brouillard de flics sur le parcours de Fresnes au Fort d'Ivry; les routes interdites, dans la nuit, à tout ce qui n'était pas le convoi funèbre ; les cordons de police autour du fort ; et le rappel fait ensuite à la presse, par le ministère des armées, de l'article 15 du code pénal, qui interdit toute autre publication que celle du procès-verbal officiel relativement aux exécutions capitales. Pourquoi tant de précautions ? La vraie pudeur est fière. C'est la honte qui rase les murs. Une certaine justice aussi, semble-t-il... De plus audacieux que moi croiront peut-être pouvoir en conclure qu'une justice qui tend un rideau de gendarmes entre le regard des consciences et ce qu'elle est en train de faire au pied du mur, y fait quelque chose de pas propre... Le lieutenant-colonel Bastien Thiry est mort, je ne dis pas pleuré, mais plaint par un très grand nombre de Français, même parmi ceux les plus farouchement hostiles à sa cause ».




[billet surgelé le 26 février 2013]

jeudi 7 mars 2013

Vaut le voyage

Il se tiendra à l'Université Laval de Québec les 7 et 8 mai prochain (semaine de l'armistice de 1945 et de l'Ascension = 2 jours fériées et 1 pont), un colloque dédié aux pamphlets de Céline. Le truc est organisé par les universités de Moncton et de Queen's au sein du 81ème congrès de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS) qui se tiendra la semaine du 6 au 10. C'est du lourd ; nous vous en passons les motifs (de ce qui suit tout provient des organisateurs du colloque 311), le programme administratif est en bas d'article :



Avis du Petit Célinien n°38
Préambule
Louis-Ferdinand Céline, l'un des plus grands romanciers du vingtième siècle, a également été, dans les trois pamphlets d’une rare violence verbale qu'il a publiés et réédités entre 1937 et 1943, mais aussi dans un nombre important de lettres envoyées aux journaux de l'époque, un apôtre zélé de l'antisémitisme. Il serait certes tentant de résoudre ce paradoxe en décrétant que l’odieux pamphlétaire antisémite a été, au mieux, une curiosité littéraire, au pire, un romancier médiocre. Ou encore que les pamphlets du romancier génial ne furent qu'une marotte littéraire, qu'une «bagatelle» sans conséquence. Les textes sont cependant là, et tous ceux qui ont voulu «relativiser» l'importance des romans ou l'horreur des pamphlets ont échoué. Bien que, depuis les années 70, la critique célinienne (avec les travaux de P. Muray et J. Kristeva) a repensé l'étanchéité de la frontière entre les corpus romanesques et pamphlétaires et que, grâce à la publication de l'étude importante de R. Tettamanzi dans les années 90 (Esthétique de l'outrance), les pamphlets ont pu finalement être considérés comme des «objets d'étude scientifiques », c'est la levée de l'interdit éditorial qui seule pourra permettre une véritable relance de la recherche universitaire sur l'œuvre bipolaire de cet écrivain. Mettant fin à la longue éclipse de l'espace public des pamphlets, leur récente publication aux Éditions 8, dans une édition critique de R. Tettamanzi, constitue ainsi un jalon important dans la réception de l'œuvre de Céline. Notre colloque cherche à réunir des chercheuses et des chercheurs afin de s'interroger sur cette publication. Quels en sont les bénéfices et les risques? De façon plus large, le colloque se voudrait l'occasion de faire un bilan des connaissances acquises par la critique sur les pamphlets et de proposer des réflexions nouvelles sur ceux-ci et sur la place qu'ils occupent dans l'œuvre de Céline.



La culture dans les pamphlets de Céline

Céline est de ces écrivains, qui, on le sait, ont effacé de leur œuvre romanesque la plupart des traces de leur culture. Cela n’a pas été sans malentendus, en particulier lors de la réception des premiers romans : cet auteur qui « écrit comme on parle » est-il cultivé comme on doit l’être ? N’est-il pas au fond aussi inculte et grossier que ses personnages ? Il existe cependant deux « lieux » de l’œuvre de Céline au sein desquels cette culture est au contraire exhibée, souvent de façon très voyante, parfois même avec agressivité : la correspondance, bien sûr, et les pamphlets. La mise au point de l’édition critique de ces textes fait apparaître sans l’ombre d’un doute à quel point ce geste a été pensé, voulu par Céline. Il importe, par conséquent, de se poser plusieurs questions complémentaires : quels sont tout d’abord les contours de cette culture, qui comme on peut le voir, est très diversifiée ? Quelles en sont les fonctions dans le texte ? Quels sont les rapports – forcément troubles − qu’elle entretient avec l’idéologie et le racisme céliniens ?
Régis TETTAMANZI - Université de Nantes


Cette cosmique permanente apocalypse : Popol et les Juifs

Beaucoup de choses ont été écrites sur les pamphlets de Céline. J’ai moi-même montré dans un chapitre de mon livre Poétiques du Messie. L’origine juive en souffrance, consacré à Céline et intitulé « Bagatelles pour une autre fois. L’antisémite et le chroniqueur », que la poétique antijuive de Céline se poursuit et se transpose dans les romans d’après-guerre. Je repasserai rapidement par cette démonstration pour montrer qu’en matière d’antisémitisme célinien la rivalité avec le Juif en est une de style (jouissance) et bien sûr de reconnaissance littéraire. « Après la Bible, Racine ou pas, Sophocle ou non, tout est guimauve » (Rigodon). Je montrerai de là, dans un rapprochement entre Féerie pour une autre fois, Bagatelles et L’École des cadavres, comment, d’une part, Céline se représente après coup explicitement en faux prophète condamnant par dépit le jouisseur « cabbalique » Popol, maître du ciel et de la terre; et, d’autre part, comment cette posture prophétique n’est légitimée que par un passage par « l’outre-là », effet revendiqué par Céline de la persécution tenace que lui font subir les jaloux et plagiaires dont il se fait le Juif. Cette traversée du miroir est à mon sens ce qui caractérise l’antisémitisme célinien et en fait la version la plus pédagogique et la plus révélatrice du délire raciste, version de laquelle les antisémites de bon aloi ne sauraient trop s’approcher au risque de voir leurs rationalisations voler en éclats.
Anne-Élaine CLICHE - Université du Québec à Montréal


Figures obsessionnelles : préfiguration de la figure du Juif dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit

La parole pamphlétaire, l'étude de M. Angenot sur le pamphlet, dissèque un genre qui ravale les argumentations les plus diverses à des formes simplistes. Son essai se présente d'ailleurs comme une anthologie des différentes façons de s'abuser soi-même et de tromper les autres. Dans ce genre maudit, les pamphlets de Céline se distinguent par leur violence et par leur caractère obsessionnel. L’imaginaire de l’auteur se cristallise en effet autour d’une figure unique, fantasmatique, obsédante qu’il construit durant trois longs pamphlets : la figure du Juif. Considérer «le Juif» des pamphlets comme une figure n'enlève rien à la responsabilité de Céline. La propagande nazie, Hannah Arendt l'a montré, n'avait d'autre rôle que de transformer une « fiction centrale », simpliste et régressive, en «réalité agissante ». Avoir hypostasié une figure, avoir abstrait des êtres humains, voilà précisément le crime de Céline. De nombreux auteurs ont montré les profondes racines de l’antisémitisme dans les premiers romans, notamment au niveau idéologique. J’aimerais quant à moi esquisser une sorte d’archéologie de la forme antisémite ayant cours dans les pamphlets en analysant deux figures qui mettent en scène l’obsession dans ses premiers romans : le Stand des Nations dont la vue provoque la folie de Bardamu et la cloche à plongée qui entraîne la destruction du Génitron. Ces figures, j’essaierai de le montrer, « préfigurent » par bien des aspects, notamment formels, la figure du Juif des pamphlets.
David DÉCARIE - Université de Moncton


À l’agité du bocal : fiel pamphlétaire ou manifeste littéraire ?

Publié en 1948, «À l’agité du bocal» est le plus court pamphlet de Céline, mais sans aucun doute le plus virulent. La hargne de l’écrivain y est dirigée contre l’une des figures majeures de l’intelligentsia de l’époque, Jean-Paul Sartre. La cible est personnalisée, donc, et non pas générique ou collective, comme elle l’est la plupart du temps dans les autres pamphlets. On peut y lire l’expression d’une haine viscérale (la métaphore coprologique y est d’ailleurs abondamment exploitée) à l’endroit de Sartre, auteur de quelques lignes qui pourraient conduire Céline à la potence. Notre communication cherchera à démontrer que derrière l’éructation ouvertement pamphlétaire se dessinent les motifs d’un agôn strictement littéraire. Dans ce texte, le prétexte initial passe rapidement au second plan pour laisser place à une autre préoccupation, celle d’asseoir la supériorité littéraire de Céline sur son rival et persécuteur. Il renoue ainsi avec un geste pratiqué par des écrivains pamphlétaires qui l’ont précédé, notamment Ronsard et Zola.
Dominique GARAND - Université du Québec à Montréal


Du "Portrait de l’antisémite" à "L’agité du bocal" : à propos de l’appropriation stylistique de Louis-Ferdinand Céline

Dans La Parole pamphlétaire (1982) de Marc Angenot, un chapitre intitulé « Remarques sur l’essai littéraire » propose de théoriser l’essai selon deux catégories distinctes, soit l’essai cognitif et l’essai méditatif. N’appartenant à aucune des deux catégories, « À l’agité du bocal » de Louis-Ferdinand Céline en conserve néanmoins quelques aspects, détournés sous une forme hyperbolique au profit d’une esthétique de l’outrance (Tettamanzi). En observant l’essai « Portrait de l’antisémite » se transformer en véritable caricature sous la plume de Céline, nous pourrions donc simplement conclure que le pamphlet serait une forme exagérée de l’essai qui cherche à rejeter l’autre en le ridiculisant.
Bien qu’une comparaison entre l’essai – en occurrence celui de Jean-Paul Sartre intitulé « Portrait de l’antisémite » (1945) – et le pamphlet nous aidera à mieux définir la forme pamphlétaire en général, nous proposons cependant d’illustrer comment la nature littéraire du pamphlet « À l’agité du bocal » se distingue par la mise en œuvre d’un subtil jeu stylistique de rejet-appropriation. Le rejet (l’excrétion) de l’autre qui apparaît au début de « L’agité du bocal » se transforme progressivement en ingestion « stylistique ». Ayant le privilège de subir le baptême de la prose célinienne, le « satané » Jean-Paul Sartre devient en quelque sorte un monstre « sacré ». Évitant un débat d’idées perdu d’avance, Céline cherche plutôt à triompher devant Sartre par le style.
Diego-Alejandro AGUILAR BEAUREGARD - Université de Toronto


D’une féerie l’autre furie : le « poème rentré » de Bagatelles pour un massacre

Le titre de Bagatelles pour un massacre forme un syntagme oxymorique. Chose frivole, une « bagatelle » désigne dans le domaine des arts une pièce courte et légère, laquelle se prête difficilement à l’évocation du massacre que le titre prophétise. Ces bagatelles, ce sont les trois arguments de ballet intégrés au pamphlet et dont l’importance est cruciale puisque leur refus par les théâtres, aux mains des Juifs, est présenté comme l’unique raison du basculement dans l’antisémitisme. Dans la fiction inaugurale du pamphlet, celui-ci se donne ainsi à lire comme la vengeance d’un artiste au talent dénié qui retourne son art de la danse et de la poésie contre les Juifs, coupables d’empêcher l’avènement de la féerie en ce monde.
La coprésence, à l’intérieur du même livre, d’une diatribe pamphlétaire violemment antisémite et d’arguments de ballet mêlant des genres désuets comme la féerie et la pastorale est problématique. Elle suppose d’interroger les rapports idéologiques et esthétiques qu’entretiennent ces écrits pamphlétaires avec toute une série d’éléments qui relèvent d'un paradigme du passé que l'écriture de Céline déconstruit et reconfigure. L’analyse de la réécriture de la féerie dans Bagatelles reviendra plus précisément sur les trois arguments de ballet du texte mais aussi sur des épisodes comme le voyage à Pétrograd qui mettent en scène les difficultés de l’auteur à faire jouer ces ballets.
Bernabé WESLEY - Université de Montréal


Le leitmotif antialcoolique dans Bagatelles pour un massacre

Le discours hygiéniste tient une place très importante dans les pamphlets céliniens. Un discours bien plus radical que celui qui imprègne les textes écrits pour la SDN entre 1924 et 1932. Le rapport à l’alcool et à l’alcoolisme, très important dans la société française, traverse l’œuvre tant littéraire que médicale de Céline. Dans l’entre-deux-guerres, nombreux sont les médecins et hommes politiques qui constatent ce phénomène accablant. Et au centre de cette décadence, la France des apéritifs : « le roi bistrot (…) qui souille, endort, assassine, putréfie »[1].Le discours célinien dans Bagatelles en rejoint un autre qui a longtemps imprégné le milieu médical français: celui de la dégénérescence sociale. Apparu au cours du XIXe siècle, il est encore très répandu chez les médecins du début du XXe siècle. L'alcoolisme fait partie des nombreux fléaux à abattre pour qui cherche à régénérer un pays peinant à se relever des déconvenues de 1870 et qui se remet à peine de la guerre 1914-1918. Dans les pamphlets céliniens, et dans Bagatelles en particulier, l’alcoolisme est une des principales causes de la dégénérescence sociale, raciale et morale qui gangrène la France. C'est en hygiéniste que Céline, dans Bagatelles, veut répondre à cet état de décadence. L'homme est « foutu ». Constat terrible dont l'alcoolisme n'est qu'une manifestation certes mais peut-être plus répugnante, plus basse que les autres…
[1]L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël 1937, p.93.
David LABREURE - Université de Nantes


L’héritage de l’infâme : Sollers, Muray et la transgression célinienne

Au contraire du rebelle contemporain qui transgresserait, selon Philippe Muray, pour le pur plaisir de transgresser, l’univers pamphlétaire célinien investit un moment de l’histoire où l’on ne piétine pas les tabous avec autant d’impunité. Des forces oppressives imposent alors aux transgresseurs une forme d’insurrection radicale, d’où la rareté de la transgression et son intensité fulgurante. Les cadres socio-culturels qui légitiment un ordre et un certain nombre de croyances s’étendent ainsi à plusieurs domaines : paternalisme omnipuissant, catholicisme obtus, répression des mœurs, éducation archaïsante, gérontocratie monopolisant le crachoir public, hiérarchisation stricte de groupes homogènes, pouvoir de l’académisme, etc., etc., toutes ces formes de domination contre lesquelles Céline souhaite se libérer dans ses romans, mais encore de façon beaucoup plus brutale dans ses pamphlets. Cette communication partira de ce constat pour analyser la manière dont l’esthétique célinienne de la transgression a été analysée à la fois par Philippe Sollers et Philippe Muray. Ce faisant, je chercherai à montrer les similitudes dans leurs analyses et à expliquer en quoi consistent leurs différends. Je terminerai en insistant sur l’idée que les analyses que font Sollers et Muray participent à une sorte de réhabilitation du pamphlétaire infréquentable tout en étant aussi une tentative de se distancer à jamais d’une époque qui n’est alors absolument plus la leur.
François-Emmanuël BOUCHER - Collège militaire royal du Canada


Style indirect libre et lopophagie : les figures énonciatives de la persécution des romans aux pamphlets céliniens

Cette communication sera pour moi l’occasion de reprendre une question laissée en suspens dans mon livre L’inter-dit célinien (Balzac, 2000), soit les avatars du style indirect libre dans les pamphlets. Par cette figure ou cette posture énonciative qui parcourt tous les romans, les accusations ou les invectives adressées au persécuteur (en troisième personne) risque de se retourner contre le locuteur (la première personne). Ainsi, en s’insinuant au cœur du discours adverse, en usant des mêmes mots ou en reprenant ses accents, la première personne prend à son compte la parole du persécuteur, en mime la violence, jusqu’à en perdre sa propre parole et à s’auto-accuser. Or, dans les pamphlets, la situation de communication privilégiée étant plutôt celle qui tient à distance l’invectivé (le retranchant dans cette zone de la troisième personne qui lui refuse la parole ou le droit de réplique), on peut se demander ce qu’il advient du style indirect libre, que j’ai quant à moi désigné comme « style de la persécution ». Alors que j’avais suggéré que le procédé de la « logophagie » (que l’on peut voir selon R. Tettamanzi quand la parole du pamphlétaire est dévorée par celle de l’adversaire) n’était pas à distinguer du style indirect libre, j’aimerais maintenant profiter de la réédition des pamphlets pour faire une étude plus systématique de ces figures énonciatives, en rouvrant ainsi la question des structures de la violence verbale, dans ses rapports avec l’imaginaire de la persécution.
Johanne BÉNARD - Université Queen's


De l’héroïsme mangouste à la révolte des indigènes

La question des liens et des différences entre les pamphlets et les romans de Céline n’a cessé d’agiter la critique. L’analyse du rapport au temps et de l’intentionnalité qui sous-tend ces textes est de nature à éclairer leurs spécificités. L’émergence d’une parole centrée sur le présent, saturée par l’actualité et animée par le désir d’agir sur le réel impose en effet une transformation radicale de la posture d’énonciation et de la relation au lecteur dans les pamphlets.
Le discours pamphlétaire requiert une image du discours et de son énonciateur de nature à en assurer la performativité et à en justifier la violence. Chaque pamphlet dispose ainsi d’un dispositif qui met en scène l’origine de l’engagement paroxystique de Céline et qui en rejette la responsabilité sur l’agression de l’autre. En outre, le pamphlet semble exiger la réintroduction d’une posture d’héroïsation, celle de la petite mangouste qui se bat contre le serpent judéo-bolchévique.
La réponse de Céline, face à ce qu’il présente comme un danger de mort imminent, est articulée sur une double volonté : couper et réunir. De cette intentionnalité découle un dédoublement de l’allocutaire. D’une part, le pamphlétaire s’adresse au « vous » des ennemis : son but n’est pas de les convaincre, mais, par l’outrance de ses attaques, de les obliger à se démasquer. D’autre part, le « je » du pamphlétaire est en quête d’un « nous » qu’il désire réunir par sa plume.
François-Xavier LAVENNE - Université catholique de Louvain


La représentation de la foule dans Voyage au bout de la nuit, Mort à crédit et Bagatelles pour un massacre de Louis-Ferdinand Céline

Louis-Ferdinand Céline place la thématique de la foule au centre de tous ses projets d’écriture offrant ainsi des mises en scène de masse véritablement remarquables qui scandent le récit sous la forme d’épisodes majeurs. La figure de la foule n’est effectivement pas présente que dans ses romans ; elle occupe aussi une position centrale dans ses pamphlets antisémites, la part sombre de l’écriture célinienne, particulièrement dans les trois ballets de Bagatelles pour un massacre : « La naissance d’une fée », « Voyou Paul. Brave Virginie » et « Van Bagaden ». Il est très intéressant de constater que Céline fait de ses ballets un genre littéraire totalement voué à la représentation de la foule, instants clés des pamphlets. Dès lors, j’aimerais esquisser un parallèle entre le traitement des foules dans ces deux genres littéraires. Les deux premiers romans de Céline, Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, ainsi que les trois ballets offrent des ressemblances dans leur traitement hyperbolique de la foule devenant des symboles d’une violence spectaculaire. Néanmoins, on constate des différences indéniables. Alors que le roman offre une représentation de la foule très ouverte, polysémique, les ballets utilisent la masse au service même de l’idéologie des pamphlets. Je tenterais donc d’esquisser une réflexion sur l’évolution de la représentation de la foule, thématique chère à Louis-Ferdinand Céline.
Marie-Lise AUVRAY DOITTEAU - Université de Moncton


Misogynie ou matrice: la création littéraire et la synthèse du féminin célinien dans les pamphlets

Le sujet de Céline et les femmes a toujours fait couler beaucoup d’encre, souvent pour élaborer la misogynie de l’écrivain, soit par ses petites phrases assassines tirées de la correspondance, soit par sa très franche admiration de la danseuse, dans la vie et dans l’œuvre. Or, une analyse de la mise en texte du féminin élargit le champ pour tenir compte des personnages féminins, ainsi que de la féminisation des personnages masculins. Une lecture avisée permet d’identifier une présence féminine corporelle comme le fil conducteur qui fait avancer le texte et le style céliniens. Ceci attribue au féminin, et aux expériences uniquement féminines, un rôle beaucoup plus valorisé dans la création littéraire célinienne, ainsi qu’une attitude plus équivoque à leur égard de la part du héros-narrateur.
Cette étude fournira des pistes de lecture importantes qui permettront une vraie définition et une appréciation du féminin célinien exprimé dans les pamphlets, montrant ainsi la place que ces derniers tiennent dans l’œuvre de Céline, qui, elle, ne pourrait exister sans personnage féminin, puisque le but en est de créer une synthèse de la femme, la féerie, le chant, et l’écriture. Prenant en témoin le lecteur, les pamphlets de Céline continuent de mettre en scène le processus créateur synthétique qui lie ces quatre éléments.
Tonia TINSLEY - Missouri State University


Les pamphlets en Italie : traductions, polémiques et bilan des réflexions critiques (1980-2013)

La traduction intégrale en italien de Bagatelles pour un massacre en 1981 et sa saisie presque immédiate sur le territoire national voulu par Lucette Almansor déclenche une période faite de bruits, intérêt et scandales parmi les critiques italiens, gauche et droite confondues.
Aujourd’hui, il est impossible de comprendre la transformation de L.-F.Céline des premières œuvres aux romans de la maturité si nous excluons la grande nouveauté stylistique introduite par les invectives « excitées » auxquelles Céline se livra dans ces pages infâmes ainsi que dans la rédaction de ses réponses/lettres à la presse collaborationniste française.
Que représentaient les pamphlets pour Céline? Juger l’écrivain sans appel revient paradoxalement à le mythifier et tenir sous clés ses livres maudits empêche le débat sur des questions qui s’avèrent décisives. A travers les études des intellectuels et chercheurs italiens contemporains et la récente traduction inédite des missives aux journaux français entre 1940 et 1944 - parmi lesquelles, la lettre où Céline proposait de couper la France en deux (dont la partie septentrionale serait bosseuse et raciste et la partie méridionale « suralgérique ») et qui fut censurée par le comité de rédaction du Je suis partout - nous tenterons de tracer une piste de réflexion qui interrompt le court-circuit intellectuel sur la production littéraire d’un des « Grands Reprouvés » du XXe siècle.
Valeria FERRETTI - Université de Florence


Les écarts politiques de Céline et de Cioran

2011 fut une année de référence tant pour Emil Cioran que pour Louis Ferdinand Céline. Nous avons célébré le centenaire du philosophe roumain exilé à Paris, mais aussi le cinquantenaire de Céline. En fait, nous avons assisté à la controverse en France liées à la question : fallait-il inscrire le cinquantenaire de la mort de Céline parmi les commémorations officielles de l’année 2011 ? Si Cioran a été pardonné d’avoir soutenu l’extrême droite roumaine, certains français ne pardonnent pas à Céline sa collaboration allemande pendant la deuxième guerre mondiale.
Cioran, comme Céline ont renoncé à défendre leurs idées politiques après la défaite de l’Allemagne. Une fois arrivé en France, Cioran commença à s’excuser devant l’Occident pour ses « fautes » de jeunesse. Nous soupçonnons les deux écrivains d’une sorte de terribilisme littéraire plutôt que de vraie croyance.
Cette communication insistera sur les similarités entre les deux écrivains, présentant tout d’abord le contexte historique et idéologique qui les a hébergé dans les années 1930 tant en Roumanie qu’en France, leur formation intellectuelle, leur parcours similaire et ensuite les motivations de leurs engagements politiques extrémistes.
La communication s’appuiera après sur la nature et le message des écrits politiques de Cioran et de Céline, sur leur penchant pour Hitler et l’antisémitisme des deux.
Mara Magda MAFTEI - Académie des sciences économiques de Bucarest


PROGRAMME ADMINISTRATIF
Université Laval
2325, rue de l'Université
Québec (Québec) G1V 0A6
Canada
(plan du site en pied d'article)
Tél. renseignements généraux : 418 656-3333

Mardi 7 mai 2013

9 h 00
Ouverture du colloque

9 h 30
Régis Tettamanzi (Université de Nantes)
La culture dans les pamphlets de Céline.

10 h 00
Café

11 h 00
Anne Élaine Cliche (Université du Québec à Montréal)
Cette cosmique permanente apocalypse : Popol et les Juifs

11 h 30
David Décarie (Université de Moncton)
Figures obsessionnelles : préfiguration de la figure du Juif dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit.

12 h 00
Dîner (le déjeuner français)

13 h 30
Dominique Garand (Université du Québec à Montréal)
À l’agité du bocal : fiel pamphlétaire ou manifeste littéraire ?

14 h 00
Diego-Alejandro Aguilar Beauregard (Université de Toronto)
Du "Portrait de l’antisémite" à "L’agité du bocal" : à propos de l’appropriation stylistique de Louis-Ferdinand Céline.

14 h 30
Thé

15 h 00
Bernabé Wesley (Université de Montréal)
D’une féerie l’autre furie : le « poème rentré » de Bagatelles pour un massacre.

15 h 30
David Labreure (Université de Nantes)
Le leitmotif antialcoolique dans Bagatelles pour un massacre.

16 h 00
François-Emmanuël Boucher (Collège militaire royal du Canada)
L’héritage de l’infâme : Sollers, Muray et la transgression célinienne.

Mercredi 8 Mai 2013

9 h 30
Johanne Bénard (Université Queen's)
Style indirect libre et lopophagie : les figures énonciatives de la persécution des romans aux pamphlets céliniens.

10 h 00
François-Xavier Lavenne (Université catholique de Louvain)
De l’héroïsme mangouste à la révolte des indigènes.

10 h 30
Café

11 h 00
Marie-Lise Auvray Doitteau (Université de Moncton)
La représentation de la foule dans Voyage au bout de la nuit, Mort à crédit et Bagatelles pour un massacre de Louis-Ferdinand Céline.

11 h 30
Tonia Tinsley (Missouri State University)
Misogynie ou matrice: la création littéraire et la synthèse du féminin célinien dans les pamphlets.

12 h 00
Dîner

13 h 30
Valeria Ferretti (Université de Florence, Italie)
Les pamphlets en Italie : traductions, polémiques et bilan des réflexions critiques (1980-2013).

14 h 00
Mara Magda Maftei (Academia de Studii Economice din Bucuresti)
Les écarts politiques de Céline et de Cioran.

15 h 00
Café

15 h 00 - 16 h 30
Les enjeux d'une réédition
Table ronde/atelier sous la présidence de Johanne Bénard.
Participants : Paul Bleton - TÉLUQ, François-Emmanuël Boucher - Collège militaire royal du Canada, Anne élaine Cliche UQAM - Université du Québec à Montréal, Rémi Ferland Université Laval, Dominique Garand - UQAM - Université du Québec à Montréal, Michel Lacroix UQAM - Université du Québec à Montréal, Régis Tettamanzi - Université de Nantes.

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[billet surgelé le 24 février 2013]

mardi 5 mars 2013

« Le Royaume Uni se sépare, l'Europe est isolée »

C'est avec un raccourci de la même veine que le Daily Mirror avait titré en 1930 l'arrêt des ferries anglais vers Calais pour cause de brouillard impénétrable : "Fog in Channel, Continent Cut Off". Le Premier Cameron a ouvert la boîte de pandore en promettant un référendum de sécession à ses électeurs s'ils lui renouvelaient leur confiance. Dorénavant, les eurosceptiques britanniques (anglais la plupart), majoritaires en voix, sont à bout touchant de leur rêve : couper l'amarre et voguer.
Rule Britannia, Britannia rules the waves !.
Ils sont convaincus de n'en retirer aucun inconvénient puisqu'ils resteront dans le marché commun, sinon associés tels la Suisse ou la Norvège. L'Union européenne ne pourra pas se couper d'un marché de 63 millions de consommateurs à sa porte et dans le même temps agréger les moldaves, poldèves et autres ukrainiens insolvables, les agents économiques ne la suivraient pas. Donc, ça y est, on joue à y croire : à partir de ce matin ils sont "libres" !
Alors quoi ? Rien !

La monnaie ? Ils ont la leur !
L'armée ? Ils ont la leur !
La sécurité énergétique ? Ils s'en assurent par un mix pétrole-gaz-charbon-nucléaire.
La sécurité atlantique ? En plein dedans !
L'argent ? Ils détiennent la City de Londres, capitale de la galaxie Nylonkong.
L'influence diplomatique ? Le Commonwealth c'est fait pour quoi ?
Le prestige ? La Couronne britannique leur rapporte beaucoup de touristes.
Les loisirs ? Leurs traditions les occupent à plein temps !
Le foot ? La Formule Un ? le cricket ? le rugby ?... no problem !
S'ils n'avaient pas les fondamentalistes musulmans, ce serait le Paradis des brumes enchantées.

les falaises d'Albion
Partis, ils se rendront vite compte qu'ils n'ont rien perdu, et que le pire qui puisse leur arriver serait d'être élus chef de file des sécessionnistes, car d'autres pays suivront après une période d'observation. Chef de file, c'est perdre du temps à s'occuper d'autrui, ce que les Anglais détestent faire quand ça ne rapporte rien. Arrêtons-nous cinq minutes et voyons autre chose.
Dans l'Oracle pour 2013 donné au Global Brief de Toronto par Hubert Védrine, on peut lire cette conclusion du Sphinx : Dans ce contexte général [ndlr: comprendre : l'état du monde sur l'échelle de Jacob qu'HV vit en songe], l’idéal pour les occidentaux, pour défendre légitimement dans la durée leurs intérêts tout en accueillant avec réalisme la redistribution des forces en cours, et en surveillant la montée des tensions en Asie – ce n’est pas incompatible- serait de coordonner leurs politiques autour de quelques grands objectifs et de se mettre systématiquement d’accord sur chacun des sujets «globaux» (réforme des institutions multilatérales, régulation financière, croissance, écologisation) avec deux ou trois émergents. S’ils y parviennent leur influence ne déclinera pas.

Or, le Royaume Uni Libre, chef de file, naturel cette fois, de tous les pays du Commonwealth, redevient un acteur global par son expertise et ses "dossiers". Il ne s'agit plus de forcer l'escadre dans le détroit, d'ouvrir le commerce au canon mais de s'asseoir autour du tapis vert avec ses atouts historiques, la finance internationale et la bancassurance, plus une organisation internationale dont personne ne peut se passer comme l'OMI (Organisation maritime internationale), et quelques think-tanks parmi les meilleurs du monde. Le nouveau Royaume uni concourra à l'accord OCDE-Emergents du fait même de son indépendance retrouvée l'autorisant aux bons offices, tradition séculaire du Foreign Office. N'oublions pas que ce service stipendié arriva à faire plier la Chine obtuse dans les conditions de restitution de sa colonie de Hong Kong. Les Honkongais ont mis du temps à intégrer mentalement cet effort parfaitement gratuit de la Couronne anglaise à leur égard, et déploient l'Union Jack aujourd'hui en défilant pour marquer leur désapprobation du pouvoir colonial en place. Personne d'autre ne fit plier la Chine communiste, ni avant, ni après.

Cela doit-il nous donner des idées ?
On ne peut comparer hélas les situations. Il ne nous reste d'autonome qu'une armée, à condition que nos alliés nous transportent. Au delà de la pertinence d'une sécession et de la colossale difficulté de dénouer les milliers de fils de la nasse, c'est l'esprit d'indépendance qui manque au peuple français. Si l'Anglais se bat pour conserver ses traditions, le Français se bat pour conserver ses inconvénients ; parce qu'il y est habitué. Les gens n'ont aucune culture économique puisque le régime d'assistanat est la règle. Entendre un gréviste de Good Year se féliciter sincèrement d'avoir refusé naguère de tourner en quatre-huit comme Dunlop, au motif qu'il a au moins préservé pendant cinq ans une meilleure vie familiale, signale que sa prise en charge maintenant par la collectivité est acquise dans sa tête. Et c'est partout comme ça. Le régime en faillite débonde de la solidarité au tonneau, s'appuyant sur un pays qui lui ne l'est pas (en faillite) grâce au matelas d'épargne des ménages. C'est la prochaine cible d'un pouvoir glouton qui n'imagine pas se mettre à la diète une seule seconde (après les allocations familiales on parle de taxer maintenant le Livret A). Finalement, il n'est pas sûr que la majorité des gens votent pour une séparation de l'Europe, les résultats trompeurs du référendum anti-Chirac de 2005 ne sont pas probants. Mais, me direz-vous, rien n'interdirait d'essayer ?
Essayons donc !


[billet surgelé le 25 janvier 2013]

dimanche 3 mars 2013

La France ferrée au Sahel

"Jusque dans les chiottes" avait dit Poutine des Tchétchènes qui avaient attaqué en 1999, leur signifiant une guerre éclair d'extermination totale. Les attaques kamikazes de psychopathes profonds se réclamant du Coran ne peuvent s'étendre au Sahel sauf à ruiner l'effort. Ainsi sommes-nous rendus aux caves des Iforas, nos chiottes à nous, d'où partent des rezzous narco-djihadistes, à ce qu'il paraît. Non tant que nous l'ayons souhaité - nous pensions faire la malle - mais l'impréparation pathétique des armées africaines de la CEDEAO qui devaient nous relever et la réunionite subaiguë des gouvernements qui font semblant d'y commander, nous obligent à faire un travail de tirailleurs sénégalais. Il faut sortir les freux du trou à la fourche. Après tout, juste retour des choses ; et pas si mauvais pour la suite en termes d'influence dans la région si nous y parvenons ; mais du travail harassant et des pertes probables hélas, ce que M. Hollande ne voulait surtout pas en héritage.
Saluons au passage le sacrifice de treize soldats tchadiens accrochés le 23 février par une katiba du MUJAO à In-Khalil, à la frontière algérienne, opération qui a permis de détruire l'unité terroriste (65 morts relevés sur le terrain).

A l'effet de n'y passer quand même pas vingt ans, nous renforçons nos moyens d'acquisition de cibles en étroite coopération avec le commandement américain sur zone (source Le Mamouth); et il est symptomatique que les Bréguet Atlantic2 de la Marine aient procédé à des bombardements guidés-drone en suite de leur propre travail de détection. On voit, on mouche ! Pour le moment, il apparaît que les Algériens tiennent leur frontière bien fermée sans faire de déclarations intempestives qui seraient mal reçues d'une fraction de leur population très remontée contre l'éradication par le colonisateur historique de leurs frères pieux pillards. Avec leur concours on peut passer l'ennemi sous la meule à huile, mais dépêchons-nous avant que le pouvoir d'Alger ne change d'avis - c'est fréquent.

S/C Harold Vormezeele RIP
Si les opérations au sol ne montrent rien d'inquiétant pour le moment, nonobstant la perte du sergent-chef légionnaire Wormezeele sous Tessalit, il n'en va pas de même dans la capitale malienne où les esprits s'échauffent au soupçon d'une connivence entre l'état-major français et les "assassins" du MNLA. A dire vrai, au-delà des phrases passe-partout de réconciliation nationale, démocratie... on ne sait pas comment le Mali pourrait à nouveau fonctionner si la question des Touaregs, pendante depuis la décolonisation, n'était pas réglée, les morts des uns valant les morts des autres. Et la régler oblige chacun des protagonistes à mettre le mouchoir sur des revendications souvent légitimes. Y a-t-il un sentiment national malien au Sahel ? Oui ! Au Sahara ? Non ! Comment dès lors administrer la région saharienne dans un cadre malien, le seul que les voisins accepteront ? Un Etat touareg au sud du Sahara capterait une grosse rente minière au détriment des gouvernements actuels, ce qui exclut toute indépendance. Alors quoi ?

Circule à Bamako une pétition des « Touareg maliens, vieux et jeunes, nomades et sédentaires, réfugiés et déplacés » qui demande l'intégration pacifique et définitive du peuple touareg dans la communauté nationale malienne et qui récuse leur représentation par les groupes violents que les Français surveillent au Sahara voire qu'ils s'affrontent.

La pétition est à lire en cliquant sur le bref extrait ci-dessous: Nous, Touareg maliens, vieux et jeunes, nomades et sédentaires, réfugiés et déplacés, demandons aux partis politiques de mettre l'intérêt supérieur de la nation au dessus des querelles politiciennes et d'œuvrer à l'édification d'un Mali pluriel, uni et solidaire..

Si le tapis est plus beau quand il tient plusieurs couleurs, comme disait le sage peul Amadou Hampâté Bâ, il lui faut chaîne et trame pour les serrer ensemble. Le contentieux ethnique des peaux noires et claires est séculaire. Le surmonter s'appelle un Etat, qu'il ne faut pas confondre avec un régime politique ; le pire d'entre eux étant la dictature du Nombre assise sur un jeu démocratique mal assimilé. Or d'Etat au Mali il n'y avait jusqu'ici que prébendes, planques et fromages à compte des bailleurs de fonds étrangers. La France va-t-elle se jeter dans l'aventure de recréer l'Etat malien qu'elle a laissé pourrir à la décolonisation (histoire de la fédération avortée Sénégal-Soudan-Haute Volta-Dahomey) ? Voire en se cachant derrière les "instructeurs" européens ? C'est quasiment infaisable avec la meilleure volonté du monde car les orgueils nationaux que nous avons artificiellement créés en guise d'erzatz de patries lèveront la révolte par tous le pays pour en dévorer les meilleurs morceaux. Et quand on voit le mal de chien qu'ont les hauts fonctionnaires mandatés par l'Union européenne et le FMI pour créer aujourd'hui un Etat héllène sur les ruines fumantes l'héliocratie grecque - une autre façon de nommer le Club med - on imagine sans mal le défi malien du château de sable. Non pas que les gens du commun soient rétifs au vivre ensemble - la générosité est bien partagée en Afrique - mais plutôt que le déchaînement des appétits de ceux qui se croient nés pour guider les autres met à coup sûr le désordre, la haine, les exactions, massacres et autres terribles ouvertures du JT de 20-heures ; à commencer par les types qui portent des galons.

Nous devons nous hâter à l'éradication des narco-terroristes et tout porteur d'arme hostile même accroupi, comme dit Poutine, et placer en sûreté dans les villes pacifiées des gendarmeries lourdes, bien instruites et contrôlées, savamment constituées comme le tapis multicolore peul. Ces unités devraient être encadrées jusqu'au niveau section par des Français et des Tchèques, ainsi qu'il a été prévu de le faire au niveau du Conseil européen. Pendant ce temps, seront formées à Bamako les unités de relève entre les mains de vrais professionnels. On parle d'un premier groupe de 3000 militaires maliens à recycler. Les instructeurs sont en train d'arriver sur place :
Communiqué de presse du 21.02.13
Ce sont au total quatre groupements tactiques interarmes de l’armée malienne qui bénéficieront de la formation de l’Union Européenne à compter du 2 avril 2013 à Koulikoro. Ils seront formés dans l’infanterie, l’artillerie et dans la maitrise des blindés. L’annonce a été faite au cours de la cérémonie de signature hier mercredi d’un protocole d’accord entre l’armée malienne et la mission de formation de l’UE. C’était en présence du chef d’état-major, du général de brigade Ibrahim Dahirou Dembélé et le général français François Lecointre, commandant en chef des instructeurs européens (source l'Indépendant de Bamako).

Peut-on faire plus ? A priori non, et la tentation de reformer des compagnies sahariennes avec les Touaregs ralliés comme le suggère le Pr Lugan sur Radio-courtoisie est à notre avis une mauvaise idée pour la suite. Il faudrait des unités mélangées dès le premier niveau comme on le vit dans l'armée française de conscription. Auront-ils assez de cadres "laïcs" pour imposer une discipline sévère à chaque patchwork est la vraie question. Apparemment non, les unités veulent encore manœuvrer "pur ethnique". A vous l'hötel de Brienne !



le soir tombe sur le fleuve à Gao

Postscriptum: On lira avec profit l'article très documenté de François Clemenceau (le JDD du 17.2.13), repris par la presse tchadienne, sur la retraite des chefs d'AQMI.

[billet surgelé le 24 février 2013]


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