lundi 29 janvier 2018

Maurras interdit !

Ainsi Charles Maurras vient d'être radié du livre des commémorations 2018 du Ministère de la Culture. On se demande bien évidemment ce qu'il pouvait apporter à la culture française avec Le Chemin de Paradis, Anthinea, Les Amants de Venise, Athènes antique, L'Etang de Berre, Le Conseil de Dante, Les Vergers sur la mer, Tombeaux, Les Nuits d'épreuve, L'Allée des philosophes, La Musique intérieure, Barbarie et poésie, La Bonne Mort, Corps glorieux, La Balance intérieure, Corse et Provence, Au-devant de la nuit, L'Amitié de Platon, Quatre Nuits de Provence..., ah merde, j'en ai pas fait le sixième ! L'œuvre apolitique est une mer, l'œuvre complète, un océan !

C'est bien ce flot impétueux qui l'a porté à l'Académie française en 1938 au fauteuil 16 ! Bien qu'il ait été déclaré vacant à la Libération après sa condamnation, il ne fut pas réattribué jusqu'à sa mort en 1952. Le duc de Lévis-Mirepoix ne lui succéda qu'en 1954.

Charles Maurras fut apprécié par toute l'intelligentzia de son temps, parfois combattu, jamais méprisé. Chaque soir, Marcel Proust recommençait sa journée par la lecture de l'Action française du matin. Une douche d'intelligence !


Respiration

J'ai dit ce qui se passe à la hauteur de ma colline, sur les petits monts d'alentour. Dans le creux est la ville, et ses canaux, et ses étangs couverts de barques noires ou de voiles peintes de rose, ses ports mélancoliques où les tartanes attendent pour se réveiller et partir, ses pêcheurs taciturnes inclinés sur les ponts et interrogeant les eaux glauques. Tout cela dessiné d'une netteté prodigieuse, donne une vive image de la paix, du repos, avec cette impression que c'est une image trompeuse et que ville, étang, ports, pêcheurs, voiles roses ou blanches vivent agités comme nous d'un feu d'inquiétude infinie.


Mais il n'aime pas la République, Charles Maurras, régime de l'envie à la merci des voleurs, des malins et des coquins - moi non plus - et si vous ne le saviez pas, Chère Médème, il n'aime pas les Juifs non plus ! Comment dit-on déjà ? Il est anti-sémite ! Oui oui, il méprise les Hébreux et les vapeurs bitumineuses du Jourdain d'où rien n'est sorti de grand sauf la barbarie de l'argent. Mais la détestation des Juifs n'est qu'un quart de ses détestations (mais si !) :

Les quatre états confédérés qu'il affronte quotidiennement dans le journal de l'Action française sont ce que nous appellerions aujourd'hui des communautés privilégiant leurs intérêts propres aux dépens et charges de la Nation : protestants, francs-maçons, métèques (aliens) et juifs. L'antisémitisme n'est pas son axe principal même s'il est antisémite au fond de lui-même...... comme toute la société de son époque vis à vis de la judaïté visible voire affichée aux frontons des boutiques. Ni pour les gens de ce temps ni pour lui-même et ses amis, cet antisémitisme viscéral qui mériterait plutôt une analyse psychologique, n'induit la promotion de leur incinération dans les fours industriels allemands.

C'est l'amalgame grossier que brandissent aujourd'hui ces nains à carrure d'insecte qui se refont la cerise en le débinant pour empêcher sa lecture par les nouvelles générations qu'il risquerait d'éblouir. Mais mon bon Roemerspacher, quand on voit dans la ruée tous ces patronymes imprononçables venus de si loin qu'on ne sait les écrire sans faute, on ne peut que sourire en se rappelant les préventions du Martégal pour les pièces rapportées de la société française.

Nous achèverons ce poulet par le discours de réception de Lévis-Mirepoix (clic) au fauteuil 16, prononcé le 18 mars 1954, cela va sensiblement rehausser le niveau de ce blogue et charger la bande passante. C'est tellement mieux dit que tout ce que je pourrais faire :


Messieurs,

Quand je songe à toutes les gloires dont l’Académie française reste dépositaire, à la mission qu’elle a reçue et qu’elle n’a cessé de remplir, en maintenant, à travers les orages de trois siècles, et dans l’infinie variété des pensées, des œuvres et des actions, l’harmonieuse unité du langage et de l’âme, je sens bien que, pour élever la voix sous cette coupole, il me faut demander aux vivants et aux morts une sorte de grâce d’état.

Cependant, nier tout motif de vous appartenir, ne serait-ce pas manquer de respect à votre sagesse et mal vous remercier du grand honneur que vous m’accordez ? Oubliant que je fus téméraire, je me réfugie, si je puis dire, dans cette fierté que seul peut me donner votre choix.

Mais, comment en demeurer là ?

Ce jour est d’action pour votre élu. Il a un devoir à remplir, une mémoire à faire revivre : celle d’un écrivain aussi célèbre par la maîtrise de son verbe que par les tempêtes de sa vie publique.

Comment capter quelques reflets d’un si grand art ?

Comment évoquer sans trouble cette carrière pathétique ?

Qu’attendez-vous de moi ? Sinon qu’ayant vécu, par tradition et par goût, loin des partis, et tant soit peu pratiqué cette sorte d’histoire qui, sans s’arrêter à ce qui divise, poursuit sa marche vers ce qui rassemble, j’aborde ma haute et redoutable tâche sans forfanterie et dans la sérénité.

La sérénité, Messieurs, c’en doit être ici le temple !

Ses murs abritent, comme un feu sacré, la continuité de la civilisation française. Le seuil en est ouvert à toutes les idées, mais elles ne doivent le franchir que sous une tunique de lin.

Si Charles Maurras n’avait tenu dans sa main une plume d’or, ce n’est point le seul polémiste que vous eussiez choisi, mais il était un haut écrivain et c’est celui-là que vous avez appelé à siéger parmi vous.

Vous savez quel était, de son côté, son éloignement des honneurs. Le seul auquel il se soit attaché fut celui d’être des vôtres. Il a aimé l’Académie française, non seulement dans son origine, mais dans le prestige continu de sa mission.

Cependant, en dehors des ouvrages de jeunesse qui se relient aux autres par une logique intérieure, presque tous ses livres ont un objet politique. On ne soulignera jamais assez que la matière en est principalement fournie par les articles donnés aux revues et à la presse quotidienne. La plus grande part de son œuvre et de son temps relève du journalisme.

De tout son cœur, il a soutenu cette branche de nos lettres dont l’importance n’a cessé de s’accroître au XIXe et au XXe siècle. Et il compte parmi ceux qui ont prouvé et continuent d’affirmer ici qu’un tel genre littéraire, grandi dans les tourmentes politiques, a de quoi s’égaler aux talents les plus affirmés.

De telle sorte que cet implacable adversaire de la Révolution française lui doit, au moins, une chose issue d’elle : sa profession !

Il n’a donc pas construit son système dans la retraite, à la manière de Descartes ou de Spinoza, mais il l’a martelé sur l’enclume de la discussion.

Ainsi jetées dans la mêlée, tantôt en ordre dispersé, tantôt resserrées en des formules rapides, qui n’ont leur plein sens que par les développements qu’elles rappellent, ses idées n’en forment pas moins un corps de doctrine tel qu’on ne peut ni l’adopter, ni le combattre sans s’imposer — comme l’a dit, au milieu de vous, M. Jules Romains — l’ascétisme de pensée qui a veillé à sa construction.

Et pourtant, au point de départ, se sont affrontés beaucoup de possibles et beaucoup de contraires.

« Pourquoi fais-tu cela ou ne le fais-tu pas ? »

Question que s’est posée, à vingt ans, le jeune Maurras qui ajoute : « Cela n’aurait pas fait difficulté pour nos parents. Leur vie se tenait ordonnée et claire. »

La lutte dans laquelle il va s’acharner contre les autres, il la livre d’abord à lui-même, étouffant ces effluves de romantisme qui baignent sa génération inquiète — et cela, grâce à l’autorité de son horizon natal, étendu à l’Hellade, et à la clarté de ses premières années.

Notre histoire littéraire offre peu de contrastes aussi saisissants que l’enfance de Charles Maurras et celle de Chateaubriand. C’est la clé de leur opposition d’esprit.

Votre pensée m’a déjà précédé, Messieurs, dans cette sombre galerie de Combourg, où M. de Chateaubriand, le père, devant la muette contemplation de sa femme et de ses enfants, faisait retentir ses pas. La crainte révérencielle, une interprétation tragique de la vie, favorisée par le poids des murailles, les hallucinations de la forêt, la houle impitoyable de l’Océan. Voilà les inspirations de René !

Puis, écoutons Charles Maurras :

« S’il m’était offert, écrit-il, de revivre l’une de mes heures passées, je n’hésiterais pas à choisir ma petite enfance. Un mot dira tout, mes yeux s’ouvrent et le monde visible verse, en se révélant, je ne sais quelle fête de surprise enchantée... Mon père me prenait par la main : — Allons, viens, disait-il, nous sommes des hommes ! ... — ... Il me faisait sauter et rire. Tels ont été mes premiers pas dans les jardins et dans les vergers de Martigues, grâce, à l’humeur ingénieuse et gaie que me montrait mon père.

« De condition modeste et de profession sédentaire, il formait un type accompli de petit fonctionnaire, très appliqué à des devoirs que l’amour du bien public ennoblit, mais non moins passionné pour les livres, les arts et tous les autres délassements de l’esprit. »

Charles devait le perdre dès sa sixième année.

Il demeurait sous l’égide de sa mère, elle aussi, délicate et tendre, mais dont la volonté se faisait sentir davantage ne fût-ce que par l’obligation d’accoutumer ses fils à la modeste économie du foyer où elle maintenait, grâce à de sages efforts, une atmosphère d’indépendance.

Avec un accent aussi direct, aussi personnel que celui de père et mère, la Provence agissait sur sa très vive sensibilité.

C’est Martigues, au bord de l’étang de Berre, avec ses collines nues, ses champs de pierres plantés d’oliviers, auxquels s’adresse cette invocation :

« Petit arbre nerveux et pâle, vous n’interrompez d’aucun dissentiment la courbe déliée des collines de nos pays. Non, vous faites corps avec elles. Sans vous presser l’un l’autre, sensibles rameaux, vous aimez vous toucher en rendant un son qui ressemble aux discours de la mer.

« Le paysage, dit-il ailleurs, a des formes calmes, précises, pourtant passionnées. Nos bâtiments couleur d’or roux, aiment à montrer leur dédain du soleil et du vent. Beaucoup s’opposent, seuls et nus sur une éminence, au ciel dur ; les autres se contentent de l’ombre aérienne, spirituelle, abstraite de l’unique cyprès, planté sur le flanc de la maison et qui, bien orienté, dessine l’aiguille du cadran solaire. »

On peut déjà reconnaître chez Maurras, dans la contemplation de ce décor, son penchant pour les idées claires, les situations nettes et même tranchées. Il y trouve aussi son goût de la règle et de la cadence :

« Jamais les défilés de la nuit et du jour ne me sont apparus dans un ordre si beau. »

Après avoir montré que, devant la petite maison parfaitement orientée, le soleil, dans son majestueux arc de cercle, donne une idée des règles du monde, Maurras salue la nuit méditerranéenne :

« Ainsi, sous la tenture de cet air sombre, la campagne se soulevait avec moi : je la sentais monter comme si elle n’eût rien été que la suite de mon regard... Cette large nuit de printemps dut remuer quelques-unes des semences de poésie dont rien ne m’a plus délivré, probablement versa-t-elle un peu de raison... Le soleil est là-haut que nous ne créons pas, ni ses sœurs les étoiles. C’est à nous de régler au céleste cadran, comme au pas de nos idées-mères, la démarche de notre cœur et de notre corps ! Nous ne possédons qu’à la condition d’acquérir la notion de nos dépendances pour conserver un sens de la disproportion des distances de l’univers.

« Si, en présence de ce vaste éloignement, il nous était permis de nous contenter de nous-mêmes, ne serions-nous pas nos premières dupes ? Rien ne contente et ne rassasie que le ciel ! »

C’est dans ces dispositions, éminemment favorables, que ce fils de la petite cité gréco-romaine est allé recevoir au collège d’Aix, selon les bonnes règles, le bienfait des humanités. Il a parlé en connaisseur de ses excellents maîtres, au premier rang desquels il n’a cessé de vénérer le grand humaniste chrétien que fut Mgr Penon.

Nous avons eu sous les yeux, remis par ce prélat à l’un de ses derniers élèves, l’archiprêtre Léon Côte, un cahier d’une juvénile écriture, qui ne laisse point prévoir les mystérieux hiéroglyphes des manuscrits fameux, et qui, pourtant, est signé Charles Maurras, à l’âge de seize ans.

Rencontré au hasard, voici le commentaire d’une fable de La Fontaine : Le chat, la belette et le petit lapin. Et le jeune élève d’écrire : « La question sociale, l’origine de la propriété, tels sont les graves problèmes soulevés dans cette fable. Et l’on traite le genre de frivolités ! »

Voilà quelles étaient déjà ses préoccupations.

La surdité complète dont il fut atteint, avant même cette époque, lui fit traverser une double détresse. Il se sentit comme séparé de son corps, et la vocation de la mer, dont il avait rêvé, lui fut à jamais interdite.

Ce sera vraiment la poésie, la musique intérieure, qui lui apportera son plein réconfort. Il a dit :

« J’ai gardé la poésie comme une prière qui empêche mon âme de se dessécher. »

Mais, bientôt, un autre choc se produisit, et celui-là dans son âme. Il perdait la foi de son premier âge. La privation du secours spirituel, assez fièrement cachée, ne cessera, dès lors, de le hanter silencieusement.

Nous le retrouvons à Paris où il aborde, par le journal, l’activité, qu’il ne quittera plus jamais. Lui-même a évoqué le tourbillon d’anarchie intellectuelle où sa génération s’agitait et dans lequel il se précipita.

Alors, il sent que va lui échapper cette concentration d’esprit — le seul bien qui lui reste — et qu’il tient de ses humanités et de ses contemplations méditerranéennes. Il n’admet pas sa défaite. Il a besoin d’attaquer quelque chose ou quelqu’un. Découvrant que le romantisme a failli l’entraîner, c’est à lui qu’il s’en prend. Il le charge de tous ses maux. Et cette bataille littéraire sera le prologue de sa politique.

Le voilà aux prises avec le fantôme de Chateaubriand !

Il l’accuse d’avoir renversé toutes les positions intellectuelles des lettres françaises. Et, pour mieux l’atteindre, il drape ses invectives dans une magnificence digne des périodes de l’autre :

« Race de naufrageurs et de faiseurs d’épaves, oiseau rapace et solitaire, amateur de charniers, Chateaubriand n’a jamais cherché, dans la mort et dans le passé, le transmissible, le fécond, le traditionnel, l’éternel ; mais le passé comme passé et la mort comme mort furent ses uniques plaisirs. À la cour, dans les camps, dans les charges publiques comme dans ses livres, il est lui, et il n’est que lui, ermite de Combourg, solitaire de la Floride. Il se soumettait l’univers. »

Il y a dans cette éloquence furieuse, le tracé, en lettres de feu, d’une attitude que Chateaubriand ne se fût peut-être pas déplu à reconnaître. Mais il aurait pu justement se plaindre qu’on eût oublié quelques services éclatants, rendus au gouvernement de la Restauration et aussi l’hommage porté dans l’exil au vieux Charles X et au petit duc de Bordeaux.

Laissons un instant, face à face, ces deux illustres tenants de la monarchie. Et demandons-nous, par rapport à elle, ce qui les rapproche et ce qui les oppose.

Et d’abord, on ne saurait voir en eux des serviteurs faciles, mais ils n’ont jamais accepté d’un autre régime aucune compromission, toujours prompts à offrir leur vie à leur cause et à lui sacrifier les honneurs et les biens. Chacun d’eux est mort pauvre et solitaire, fier, ombrageux et fidèle.

Seulement le gentilhomme breton a monté, près de la monarchie, une sorte de garde funèbre, tandis que le petit bourgeois de Provence en a ranimé la flamme dans l’histoire.

Venons au grand débat qui opposait le vivant au mort : le Romantisme !

Maurras n’attaque pas la sensibilité, le mal du siècle, à la manière de ces gens qui, n’ayant jamais péché, ignorent la faiblesse humaine, ou de ces bien portants qui, jetant un regard froid sur les malades, se bornent à leur dire : « Portez-vous mieux ! »

Il a participé à leur inquiétude. Sur son front a passé le vent de leur détresse. Il ne propose pas à la littérature de s’enfermer, du jour au lendemain, ni jamais, dans le genre didactique.

Ce qui l’irrite, c’est le renversement des normes, c’est le caprice individuel érigé en principe, la sensation faite règle. C’est cette hypocrisie qui transforme l’humeur en loi.

Il ne s’est jamais refusé ni à comprendre la volupté, ni à regarder vers les pentes où glisse l’humaine nature. Il demande seulement que l’intelligence mesure les passions et que le dernier mot lui reste.

Avec quelle sollicitude le voit-on se pencher sur Les amants de Venise. Sans doute va-t-il condamner l’amour romantique, l’amour prétendu de droit divin. Mais quelle tendre condamnation ! Quel beau roman compréhensif, avec tant de sympathie pour Alfred de Musset, dont le bien dire — plus classique que romantique — et la naïveté généreuse ont ému, sous toutes les réserves que l’on voudra, le cœur de Maurras.

Même, à ses yeux, « n’avoir pas déliré avec le poète des Nuits n’est pas très bon signe ».

Ce qui est grave, pour l’auteur des Amants de Venise et de l’Avenir de l’Intelligence, ce n’est pas un délire momentané. Les classiques n’ont point supprimé la sensation, mais ils l’ont maintenue sous le gouvernement de l’intelligence.

Avec les romantiques, cette royauté est renversée, comme l’autre. Il suffit de sentir et il n’est plus nécessaire d’expliquer ni de comprendre.

Maurras considère que les tendances du romantisme se sont singulièrement aggravées sous l’influence des philosophes et des poètes allemands — Goethe excepté, auquel il attribue une mystérieuse origine provençale — et il ne cessera de cribler le germanisme de ses flèches et de le repousser comme incompatible avec la tradition du génie français.

Le perpétuel devenir de la philosophie allemande se heurte à la notion de fini, de limite qui lui est chère, non pas en opposition avec l’infini divin, mais avec le désarroi humain.

S’il a dit « nature est un participe futur », il s’agit d’un futur bien déterminant, bien réglé, non d’une vague déclivité vers les gouffres obscurs.

Grave conséquence de la révolution romantique dans le langage ! Le mot prendra le pas sur la phrase. La couleur et le relief l’emporteront sur la composition.

La critique littéraire, à laquelle Maurras a consacré les commencements de sa carrière, s’inspire toujours de cette opposition tranchée entre le procédé romantique, qu’il poursuivra impitoyablement, et la norme classique, qu’il soutient partout où il la rencontre et qu’il appelle ardemment à revivre.

Avec quel empressement célèbrera-t-il le distique harmonieux deMme Henri de Régnier :

« Le rameur qui m’a pris l’obole du passage
Et qui jamais ne parle aux ombres qu’il conduit. »

« Pas une épithète, s’écrie Maurras, nul mot voyant, mais, quelle noblesse d’agencement ! »

Toujours il conservera, envers Anatole France, un culte intellectuel sans ombre. Et il pardonnera tout à celui qui a gardé la beauté de l’éternelle composition.

On sait à quel point leurs opinions pouvaient différer et allèrent en s’écartant, Et Maurras note, à une certaine époque de sa vie :

« Je me suis abstenu de l’honneur et du grand plaisir de le revoir précisément pour échapper à une brouille. »

Échapper ! Ce mot, sous la plume du chef de l’ « Action Française » qui ne craignait rien ni personne, n’est-ce pas le comble de l’hommage ?

Il se plait à citer les termes de son ami Barrès :

« Tout ce que l’on voudra, mais d’abord Anatole France a maintenu la langue française ! »

Hé bien ! Je crois, Messieurs, qu’il n’est pas un lettré, quelque grief qu’il nourrisse à l’égard de Maurras, sur le plan politique et même sur le plan humain, qui, en écoutant cette phrase, ne l’applique à Maurras lui-même et ne rassemble ces trois noms : France, Barrès, Maurras, pour l’excellence du langage.

La phrase de Maurras s’apparente peut-être plus au grec que le style, plus latin de ses deux illustres émules.

Il est sobre et il est exact, mais avec les gradations de nuances et de ton que prend la Méditerranée qui a formé son goût.

La souplesse de la syntaxe, qui joue avec la disposition et la précision des termes rappelle la phrase grecque, et tout particulièrement cette habitude qu’il a de faire retentir trois termes progressifs, comme les vibrations accentuées d’un même instrument.

Par exemple : songé, mûri, conduit,
absorbaient, aspiraient, captivaient.

Ainsi vu, le mot ricoche comme un galet sur la surface des eaux.

Et voici ce jeu délicatement introduit dans le mouvement de la phrase : « Le rythme naissant du poème porte un impératif qui ressemble au besoin, au devoir, à l’amour ! »

C’est ainsi d’ailleurs, selon cette pensée, groupée en peu de notes comme un air de flûte, que la poésie s’est emparée de la plume de Maurras.

Sur son Chemin de Paradis il a vu deux ornières, images, dit-il, du bonheur. Voyons-les aussi comme les deux voies, suivies parallèlement par sa prose et sa poésie.

Dans les confidences répandues à travers des œuvres comme L’étang de Berre, La Musique intérieure, Les Nuits de Provence et qui témoignent avec tant de charme combien Maurras fut autre chose qu’un froid doctrinaire, il a fort bien montré cette nécessité de son être de susciter le balancement régulier du poème, comme une méditation rituelle. Sa prose s’ouvre à plus d’intimité. Ses vers noblement mesurés semblent plus souvent exprimer une liturgie des rythmes qu’un abandon personnel et ils s’opposent à « L’impression démesurée, le sens indéfini, le rêve trop flottant, la parole trop vague. »

Mais, comme dans tout poète, quelque tendance qu’il invoque, il y a un romantique, déchaîné ou enchaîné, Maurras ne refusera pas toujours ses chants à d’insidieuses mélancolies.

À cet égard, comme à bien d’autres, on lira volontiers le Mystère d’Ulysse.

Sous le vent de l’île dangereuse, le roi d’Ithaque a bouché à la cire les oreilles de ses matelots. Lui, s’étant fait attacher à son mât, veut entendre le chant de la sirène.

« Le charme est assez fort pour que son cœur faiblisse »

et il lui faut presque avouer que « le désir indompté
Fait le chant le plus doux que la terre ait porté ».

La lutte est dure ! Enfin, quand le héros aperçoit les fumées d’Ithaque, il redevient maître de lui comme de son petit royaume. N’est-il pas permis de soupçonner, en ce poème, le secret des combats intérieurs que le poète a dû livrer en lui-même, mais aussi, de sa propre victoire, dès que son regard touche à la Patrie ?

Les hasards de sa profession, concourant avec son plus vif désir, ont amené Maurras au pied du Parthénon.

Sa règle d’or était là. Les lois de la beauté, des justes proportions, de la hiérarchie du monde, que lui avait suggérées son horizon natal — la Provence n’a jamais oublié l’esprit d’Hellas, sa métropole — il les trouvait sur cette colline, au centre des harmonies pensantes, dans leur parfaite essence.

Il écrit Antinéa et cette Invocation à Minerve que ne fait point pâlir La prière sur l’Acropole.

Ainsi, c’est sur les pentes, montées et descendues par la République d’Athènes, que ce rénovateur de l’idée monarchique a exalté, fortifié, nourri ses méditations.

Il le sait bien et n’en est point embarrassé. L’échec historique de la démocratie athénienne le convaincra simplement du dommage « qu’un peuple trop intelligent peut se causer à lui-même en se jouant, dit-il, des lois de son destin. »

« Mais où la Grèce n’échoua point et laissa des lois générales, c’est dans les lettres et dans les arts. C’est là qu’elle donne une immortelle leçon de communauté sociale, d’unité intellectuelle, d’ordre vivant, d’eurythmie. »

Tout était confondu, écrit le vieil Anaxagore, l’Intelligence vint et mit en ordre. Et, invoquant Minerve, il l’appelle :

« La victorieuse du nombre, la claire et douce qualité, mesure de l’âme à la cadence de l’univers, fille de la nature et supérieure à sa mère. »

« Et d’ailleurs, ce que je loue, dira-t-il, n’est point les Grecs, mais l’ouvrage des Grecs, et je le loue non d’être grec, mais d’être beau. »

En revenant par l’Italie, en méditant sur Florence, il marquera que la culture latine est son lien nécessaire avec l’hellénisme.

À cette moisson d’humanisme et d’harmonie, dans l’esprit et le cœur de Maurras, il faut ajouter l’lle-de-France et Versailles, la plus douce cadence de l’air et du paysage et le même miracle d’apogée classique, obtenu par la France que par la Grèce !

Comment oublierai-je cet après-midi, où, par une incroyable chance, soutenue du plus pur dévouement, un ami commun, qui aujourd’hui n’est plus, l’abbé Joseph Carol, parvint à détourner Maurras de ses occupations incessantes et à l’amener flâner dans les allées de Le Nôtre, autour du palais du Grand Roi.

Le timbre extraordinaire de sa voix, d’une profondeur voilée, révélait en de véritables stances, rythmées comme, les jets d’eau des bassins, cette même ferveur sacrée qui avait exalté le poète au pied des Propylées.

Maurras avait placé son Invocation à Minerve sous les auspices de cette pensée d’Aristote :

« L’homme et non l’homme qui s’appelle Callias. »

Et nous voilà au centre du grand débat, ouvert par Maurras avec la Révolution. Qui doit prendre le pas : la société ou l’individu ?

Et pourtant, s’il a invoqué la raison sur les marches d’un temple, les hommes de la Révolution ne lui ont-ils point, de leur côté, rendu des honneurs divins ?

Maurras leur en impute un usage déréglé. S’il y a une démesure du cœur, il y a, selon lui, une démesure de la raison.

« Elle est un principe d’ordre qui se trouve dans la nature, non point subordonnée à l’homme, mais ordonnateur de son intelligence. »

Il dira dans sa prosopopée à Minerve :

« Les pauvres gens te voulaient faire à leur image.
Puisses-tu nous former, au contraire, sur ta beauté. »

Et voilà que la Société qui se rattache, ou se devrait rattacher à cette cadence, se trouve, par les héritiers du Contrat social, renversée au profit de la personne. Tout homme va prétendre porter en soi l’univers, et l’on ne tiendra plus pour règle que l’opinion de chacun, dont le nombre décide.

La société sera entièrement subordonnée à l’individu. Les contrats qui la fondent pourront toujours être rompus, toujours renouvelés.

Ces nouvelles dispositions des rationalistes du XVIIIe siècle rebondissent avec les romantiques pour qui le « moi » est tout. Ainsi les anciennes hiérarchies, les vieux ordres d’existence, famille, métier, province, considérés jusque-là comme des soutiens, sont renversés comme des obstacles.

Maurras, penché avec amour sur sa patrie qu’il considère comme l’héritière de cette intelligence aiguë, fine, déliée de la Grèce antique, se demande si, elle aussi, ne se précipite pas, comme la république athénienne, vers un destin fatal !

Il observe que, sans avoir rien perdu de leurs qualités, ni dans les arts, ni dans les lettres, ni dans les sciences spéculatives ou appliquées, ni sous les armes où ils continuent à faucher des moissons de lauriers, les Français ont eu à subir, après 1792, six invasions et ont vu leur capitale quatre fois foulée par l’ennemi, alors que la monarchie expirante leur avait légué un sol inviolé depuis plus d’un siècle, et une capitale qui n’avait pas connu d’occupation depuis qu’Henri IV avait dit aux généraux espagnols :

« Mes compliments à votre maître, mais n’y revenez plus. »

Puisque le génie national reste intact, le mal ne saurait être que politique.

Ne s’exprime-t-il point, d’ailleurs, dans l’instabilité des régimes à travers lesquels, la France, depuis qu’elle a rejeté ses institutions séculaires, paraît s’épuiser à la recherche d’un équilibre nouveau ?

Quand Maurras établissait ce bilan, c’est-à-dire au commencement du XXe siècle, on en comptait déjà douze, en moins d’un siècle et demi : Constituante, Convention, Directoire, Consulat, Premier Empire, Première Restauration, Cent Jours, Seconde Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République, Second Empire, Troisième République.

Nos républiques se plaisent à porter des chiffres à la manière des rois !

L’investigation de Maurras passe de la forme des gouvernements au malaise dont ils souffrent, et qui affectent les deux branches humaines du travail national : la main-d’œuvre et la pensée.

Il les voit, l’une et l’autre, désemparées, sans garantie pour leur lendemain, menacées dans leur dignité et leur indépendance par la puissance anonyme de l’argent :

« seul déterminant depuis la disparition des vieilles hiérarchies ».

Tel est, en ce qui touche aux intellectuels, le thème de son livre célèbre : L’avenir de l’Intelligence.

Quant aux problèmes ouvriers, il y revient fréquemment dans ses articles. Le droit d’association, rappelle-t-il, a été supprimé comme un privilège par la législation de 1789, de sorte que les ouvriers se sont ainsi trouvés démunis de toute organisation devant les progrès de la grande industrie. Les crises sociales des XIXe et XXe siècles ne sont pas autre chose que la recherche douloureuse d’un statut nouveau.

Remarquons que les anciennes corporations, trop limitatives, ne sauraient correspondre, sous leur forme ancienne, aux besoins d’aujourd’hui. Mais ce qui a gardé beaucoup plus de valeur d’exemple, c’est la confrérie de métier, véritable assurance sociale, indépendante de l’État, organisée par la profession.

Au temps où Maurras commençait à rassembler ses observations, le plus grand nombre des Français, s’il s’inquiétait de l’avenir, ne songeait guère au passé.

Un cénacle d’érudits, de penseurs, un Fustel de Coulanges, un Taine, un Renan, un Le Play, trouvaient une audience attentive, sans doute, mais peu étendue.

Le reste du pays acceptait, à peu près, cette étrange abréviation que d’honnêtes esprits, cédant à un impératif doctrinal, imposaient à notre histoire, en la faisant dater de 1789. Cependant quelque parti que l’on prenne dans le présent, il y a, pour une nation telle que la France, une noble curiosité à se connaître tout entière. Comme l’a dit Fustel de Coulanges, l’Histoire de France était devenue un peu honteuse d’elle-même, au delà d’une certaine époque.

Or, débordant son système, et aussi bien à l’égard de ceux qui l’acceptent que de ceux qu’il n’a pu convaincre, Maurras a tiré de la léthargie un millénaire de grandeurs, dont il est légitime d’être fier comme français, sans pour cela qu’il soit nécessaire d’être monarchiste.

Là où les deux premières dynasties avaient échoué, les Capétiens ont rassemblé patiemment, avec le concours, certes, de toutes les catégories de leurs sujets, en la variété infinie et harmonieuse de nos données terrestres, toutes les données humaines qui, dans notre hexagone sacré, ont abouti à exprimer la nation française.

Maurras ne fabrique pas de constitution. Il se borne aux conditions d’existence de ce millénaire qui ne fut certes pas d’un égal cheminement, par ces défilés, ces tourbillons, ces ravins, ces crêtes, ces floraisons, ces broussailles mais où jamais ne fut perdu le fil conducteur dynastique.

« Qui t’a fait roi ? » jetait le comte de Périgord à Hugues Capet.

L’avenir, le génie de la France, telle est la réponse de l’Histoire. Ses descendants, de valeur inégale, demeurèrent liés dans le temps, par les revers et par les triomphes et l’intérêt qui les portait à réparer les uns et à prolonger les autres.

Leur art fut de maintenir l’unité dans la variété de l’espace et du temps.

Il y a plusieurs conceptions de la monarchie, comme il y a plusieurs conceptions de la république.

Maurras donnait sa préférence à la monarchie, quelque peu romaine, des légistes, drapée dans le manteau de Louis XIV. Mais il ne s’offusquait pas de lui voir préférer la « monarchie coutumière » ressuscitée par Henri IV. C’était une occasion pour lui de rendre hommage à la variété d’adaptation, de la dynastie aux circonstances, à sa méthode expérimentale qu’il définissait en une formule célèbre : l’ « empirisme organisateur ».

Et il se demandait, ou plutôt ne se demandait plus, mais il posait à ses lecteurs cette question :

« Les hasards de l’hérédité ne comportent-ils pas moins d’inconvénients et plus d’avantages que le choix précaire et vacillant des volontés humaines ? »

Mais, ces volontés elles-mêmes, ces individus qui composent le nombre, l’homme qui s’appelle Callias, quel sera son sort dans une société, dans un état qui prétend recouvrer sa suprématie sur la personne ?

La sécurité, la stabilité qu’on lui offre en échange, suffiront-elles à compenser la perte de cette possession de soi-même, de cette fière initiative qui valent bien des sacrifices et qui forment comme le panache de la Révolution française ?

Maurras ne néglige pas ce souci et réserve à la personne humaine toute la dilection dont il entoure la part d’autonomie des provinces. C’est ici, dans le cadre de ses intérêts visibles, de son patrimoine historique et moral, dans le plein exercice de sa compétence, que l’homme qui s’appelle Callias, que l’homme qui s’appelle Maurras, que l’homme qui s’appelle un pêcheur de Martigues trouve jour à se définir, à se maintenir et à s’affirmer.

Maurras, en traçant son épitaphe, ne s’est-il pas flatté d’avoir agi « Pour que revivent en France les libertés de nos républiques ! »

Qu’est-ce à dire ?

Qu’il est une partie de la vie nationale, réservée aux groupements naturels locaux, sous le contrôle direct des individus. On a trop enseigné, selon Maurras, la partie abstraite :

« Il y eut, remarque-t-il, une France fédérative florissante jusqu’à la Révolution. »

Montaigne appréciait particulièrement cette organisation où le pouvoir central ne laissait parler de lui à un homme tranquille que deux ou trois fois dans sa vie.

Aux communes, les affaires proprement communales, aux provinces les provinciales, à l’État, les siennes. Une telle conception n’est pas seulement politique. Elle est, chez l’auteur de L’étang de Berre, profondément affective.

C’est peu de vous crier que mon cœur vous possède
O Martigues plus beau que tout
De la Conque de Fos au récif de la Mède
Laissez-moi chanter, je suis vous !

Oh ! Il n’est plus ici question de l’homme en général et de ces statues grecques, en qui s’équilibrent tant de lois de la beauté qu’elles n’ont plus l’air de ressembler à personne !

Quand le poète s’écrie « je suis vous », n’est-ce pas chacun de ses amis, les pêcheurs, qu’il rencontre en allant de sa maison au rivage ?

Il ne s’est pas borné à rimer la force et la beauté de telles existences. Il les a défendues. Et, en son extrême vieillesse, il brandissait encore la plume, dans Aspects de la France pour soutenir — à grands renforts d’arguments techniques — les pêcheurs de Martigues qui avaient refusé aux bateaux pétroliers les passages de l’étang de Berre, jusqu’à ce qu’ils cessassent d’y répandre le mazout empoisonneur.

Les fruits légitimes des travaux de ses compatriotes n’ont jamais paru négligeables à ce philosophe désincarné ! Qu’était-ce, quand il s’agissait de leurs traditions spirituelles ! Le Félibrige, qui se réunissait à Paris, dans les cafés du quartier latin, et où il s’était inscrit dès sa jeunesse, ne lui parut point assez actif et il rompit avec lui pour s’entendre avec ceux qui, plus près du sol natal, menaient la lutte au nom d’un fédéralisme réalisateur.

Son dévouement actif, fervent et passionné à Mistral et à son œuvre n’avait d’égal que sa fidélité respectueuse pour Anatole France.

Sa position n’est pas vacillante entre ces deux pôles. Elle est nette : Fédéraliste, oui, séparatiste, jamais !

Évoquant le drame lointain, où par de durs sacrifices s’est consacrée, entre le Midi et le Nord, l’unité nationale, il reprenait la parole fameuse de l’auteur de Mireille et de Calendal :

« Le Midi n’a pas été réuni au Nord comme un accessoire à un principal, mais comme un principal à un autre principal. »

Cependant, a-t-il pris soin d’ajouter, en accord avec le sage de Maillane, l’histoire a consacré des faits. Saint Louis, en apaisant ce drame, dont il tirait une conclusion nationale, ne pensait pas autrement.

L’unité s’est formée autour du roi de Paris. Et Paris ne peut être que la capitale de toute la France.

Personne n’a jamais contesté, dans un débat récent — qui pénétra jusqu’en vos délibérations — que « la langue provençale, selon les termes de l’un des vôtres, fît partie du domaine français ». La controverse ne portait que sur des modalités et des degrés d’enseignement. Excellent écrivain et poète d’oc, majoral du Félibrige, Maurras a soutenu la langue des troubadours pour être honorée et entretenue là où elle est née. Mais il n’a jamais songé à diviser, sur le plan national, un langage que l’histoire a donné en commun héritage à tous les Français. Sa langue patrimoniale avait son intime tendresse. Sa langue nationale avait son ardent respect.

Puis-je me permettre en cette occurrence de me souvenir, Messieurs, qu’il y a quelque vingt ans m’était échu le grand honneur de représenter, comme mainteneur, au troisième centenaire de l’Académie française, l’Académie des Jeux Floraux, fondée au XIVe siècle par les Sept troubadours, et à laquelle plusieurs d’entre vous sont liés par des lettres de maîtrise.

Les pensées qui m’animaient alors ne sauraient m’échapper aujourd’hui. Dans le mouvement intellectuel répandu sur tout le territoire, l’Académie française exerce une vertu symphonique. Loin de méconnaître la vitalité des provinces, elle a multiplié vers elles les gestes d’amitié. Elle exprime l’unité sacrée du pays, soutenue par le libre génie des provinces qui l’ont formé et qu’il garantit à son tour.

Elle rassemble dans l’espace, elle rassemble aussi dans le temps et, parlant, pour la première fois, comme l’un des vôtres, si je ne me défends pas, en exposant les idées de Maurras, d’avoir évoqué la vieille France avec un amour respiré dans mon foyer, je me garderai de méconnaître des gloires plus récentes. Elles doivent se rejoindre.

N’en est-il pas ainsi dans le cœur de chaque être, où l’on découvre, vivant ensemble, tant de disparates ?

Ainsi, de la nation elle-même, surtout quand elle est aussi ancienne et, reconnaissons-le, aussi agitée que la nôtre. Maurras n’a-t-il pas dit :

« La Révolution, sublime parfois, est une expérience infiniment honorable pour un peuple...

« ... L’association du Tiers-État aux privilèges du Clergé et de la Noblesse, les transferts de propriété, les nouveautés agraires, voilà des événements naturels, en quelque sorte physiques, qui, doux ou violents, accomplis par l’orage ou par le beau temps, se sont accomplis. Je les nomme des faits. »

Il est vrai qu’il a dit aussi : « C’est une expérience manquée. Les principes révolutionnaires ont toujours entravé l’œuvre naturelle de la Révolution. »

Discrimination d’un haut intérêt intellectuel, mais bien difficile à obtenir dans les états d’âme !

Les apports physiques et moraux de toute notre histoire fermentent dans les veines de chaque Français. On ne peut écarter ni le millénaire qui précède 1789, ni les deux siècles qui suivent. Si les esprits gardent leurs préférences, l’histoire tout entière est en chacun de nous.

D’ailleurs, quelqu’interprétation différente qu’elle ait donnée de notre caractère national, quelques controverses passionnées dont elle reste l’animatrice et la proie, si nous la considérons dans le panorama de l’Europe, jointe à l’épopée impériale qui l’enchaîne et la prolonge à la fois, la Révolution représente avec le XIIIe et le XVIIe siècle — malgré la dureté des contrastes et les réserves qu’impose le sacrifice des victimes innocentes — l’une des trois plus puissantes époques du retentissement de la France.

Du point où nous sommes, nous n’avons rien à séparer de notre patrimoine, ni notre élan vers la foi, ni notre élan vers la grandeur, ni notre élan vers la liberté !

Il n’est pas concevable, il n’est pas conforme à l’unité du Destin national, qu’un fossé reste indéfiniment creusé entre deux conceptions de la France.

Les efforts conjugués de l’histoire et de l’activité sociale contemporaine retrouvent, dans le passé, des formes de vie telles que le groupement familial et professionnel propres à répondre aux plus généreuses aspirations de l’avenir vers le bonheur de l’être humain.

L’avenir ne s’oppose pas nécessairement au passé. S’ils se comprennent, ils s’entr’aident. Il peut y avoir des crises de conscience dans une même âme. Et c’est toujours la France qui cherche, qui palpite, qui se souvient, qui pardonne et qui vit !

Un siècle et demi s’est écoulé, apportant ses épreuves et ses apaisements depuis le jour où Louis XVI, après avoir traversé en carrosse, à côté de son confesseur, un Paris morne et silencieux, aux boutiques fermées, s’arrêta sur la place nommée aujourd’hui « Place de la Concorde » et gravit d’un pas ferme les marches de l’échafaud.

Et là, par une grandeur d’âme que chacun peut comprendre, voulant noyer toutes les rancunes dans son sacrifice, il a émis ce vœu suprême :

« Je souhaite que mon sang cimente le bonheur des Français. »

Puisse ce généreux appel ne cesser de retentir, par-dessus le roulement du tambour, et le long chemin du temps !

Laissant, de nos souvenirs, s’éloigner ce qui nous divise, préservons ce qui nous unit, c’est-à-dire une pratique séculaire de toutes les formes de la dignité humaine, dans un ordre qui, pour la satisfaire, exprime, à la fois, la beauté et l’équilibre délicat de nos disciplines.

Parmi ces disciplines prend place le système d’idées que Charles Maurras a légué à la méditation de ses compatriotes.

Il n’aimait point qu’on l’appelât Maurrassisme. C’est d’abord qu’il estimait devoir beaucoup à ses compagnons, trop serrés autour de sa personne pour être séparés de sa mémoire.

L’un d’eux a siégé parmi vous, Jacques Bainville, qui faisait, à la fois, de l’Histoire un théorème par la logique de la pensée et une œuvre d’art par la pureté de son style.

C’est aussi qu’il préférait à un qualificatif individuel le nom de Nationalisme intégral.

« La nation, écrivait-il, est le cycle terminal de la société temporelle. Elle n’est pas contractuelle, elle est naturelle et historique. Depuis la disparition de l’empire romain et la rupture de la République chrétienne du Moyen Âge, la nation est la condition terrestre de la vie humaine ! »

Et il appelait en témoignage de ce fait la virulence des affirmations nationales dans le monde actuel.

L’impératif de la patrie lui semblait le plus fort des impératifs humains.

Cependant, que ce soit pour la soutenir, que ce soit pour la combattre, qui pourrait concevoir la doctrine sans la marque du fondateur, de son tempérament, de son caractère ?

Cet homme, qui, dans le privé, se montrait l’affabilité même, se prêtait aux controverses de ses amis avec cette forte douceur de la Méditerranée, agréable aux jeux du soleil et des voiles, manifestait, dans la vie publique, un penchant immodéré pour la violence.

Sa doctrine, Maurras la défendait en attaquant. C’était une marche à la tempête. Il la dépouillait de toute relativité, de toute concession. Il voulait lui faire place nette.

Mais, ne l’a-t-il pas mieux servie par la triple force incontestable de son courage, de son désintéressement, de son verbe, que par l’excès de ses polémiques ?

Lorsque M. Henry Bordeaux le recevait au milieu de vous, il disait, s’autorisant d’une longue et indépendante amitié qui fut aussi la mienne : « Logicien impitoyable, la raison vous entraîne au delà de cette mesure qu’elle enseigne. Si j’affirmais ici que vous fûtes toujours équitable, je crois bien que vous souririez le premier de ma candeur. »

Maurras lui-même, un jour qu’il avait été mordu par un chien, répondait à ceux qui s’empressaient de le soigner : « Il est bon qu’un polémiste soit un peu enragé ! »

À franchement parler, on peut dire que la rodomontade l’amusait, et cela d’autant plus que son intrépidité lui permettait de soutenir l’audace de ses propos. Ainsi en témoigne, dans Le mont de Saturne, l’épisode héroï-comique de son cartel à Mariéton, où il se met en scène avec la plus charmante ironie du pays d’oc.

S’il tenait pour vaines les discussions parlementaires, il en était autrement des polémiques de presse. C’était l’Agora pour ce fils d’Athènes. Il a dit quelquefois qu’après avoir atteint ses buts politiques, il retournerait à la littérature pure. Mesurait-il ce que lui aurait coûté ce sacrifice ? La liberté de la presse lui était sacrée, comme à tous ceux qui se réclamaient de lui, et il n’eût pas hésité à monter sur une barricade pour la défendre.

On ne saurait méconnaître que la polémique, la satire ont existé de tout temps comme genre littéraire et satisfaction donnée aux bouillonnements de la nature humaine.

Mais il arrive qu’au delà d’une certaine limite, facilement franchie, quand la fougue l’emporte sur la prudence, et parfois sur le respect d’autrui, elle stimule l’ardeur de l’adversaire au lieu de la briser. En même temps, d’ailleurs, elle nourrit la vigueur des compagnons de lutte. Et telle était la position de Maurras, le premier exposé aux coups — et ceci sans métaphore — entre les cohortes frémissantes de ses disciples et celles de ses ennemis.

C’était un rassembleur de volontés, un promoteur d’enthousiasme et les uns déplorent, tandis que les autres admirent et que nul ne conteste sa magique influence sur une partie de la jeunesse française.

Il avait dans sa démarche quelque chose d’inflexible et, sur son visage de philosophe grec, se marquait une résolution contre laquelle, aucune menace, aucun danger, aucun choc du monde extérieur ne pouvaient rien.

Il connut sans fléchir les pires vicissitudes et la plus cruelle de toutes. Un nom vient naturellement à mes lèvres. Il eût à subir, comme Socrate, la colère de la cité.

Sans sortir, Messieurs, de la sérénité qui s’impose en ce lieu, sans se mêler aux luttes intestines, au-devant desquelles il s’est, lui-même, toujours jeté, on ne saurait loyalement évoquer la mémoire de cet homme sans apercevoir, au-dessus de tous les tumultes, son brûlant civisme, son indéfectible amour de la Patrie.

Les contresens flagrants, répandus sur ces formules avec lesquelles il aimait, avons-nous dit, à jalonner son discours, ne résistent pas à l’examen des contextes.

On a pu lui adresser bien des reproches, regretter sa violence trop érigée en préceptes, son intolérance, ses partis pris, ses injustices envers les particuliers et les gouvernants, ses outrances de langages à toutes les époques de sa vie notamment sensibles pendant la dernière guerre, mais en écoutant battre son cœur à travers son œuvre, on sentira, même si l’on diffère d’opinion sur les destinées nationales, que pas une de ses fibres n’a cessé de vibrer pour la France !

Disons davantage. C’est sa doctrine du nationalisme intégral, poussée au paroxysme de la ferveur, qui lui a valu ces années douloureuses de séparation d’avec l’Église Romaine, dont il n’a cessé d’exalter la grandeur.

Le Saint-Siège jugea, quel que fût le culte dû à la nation, groupement nécessaire et admirable des sociétés humaines, qu’il fallait craindre le danger, sinon de la déifier, du moins de l’élever à un ordre métaphysique qui n’est point le sien. Au-dessus de la nation, pour les croyants, il y a la chrétienté, pour les autres, il y a l’humanité ; pour tous, la paix entre les hommes.

Ce n’est point que Charles Maurras eût confondu ces degrés. Il a explicitement reconnu que la nation devait : « entrer naturellement en rapport et composition avec les principes de vie internationale qui peuvent la limiter et l’équilibrer ».

Toutefois, son agnosticisme et la prédominance de la politique dans son activité quotidienne avaient fait appréhender que cette distinction ne demeurât trop en marge des exposés courants et hors de portée d’une information coutumière.

Il y avait aussi, dans les contes du Chemin de Paradis, certains passages heurtant l’orthodoxie. Il les a retirés.

Ma tâche n’est point de prendre part aux controverses qui restent ouvertes sur tous les plans de l’âme et de l’esprit, autour d’une œuvre aussi combative et aussi chargée d’idées que celle de Charles Maurras et jusqu’en ses derniers ouvrages.

Mais elle m’impose de retenir deux faits capitaux.

À la suite d’une lettre d’obédience publique et solennelle des dirigeants d’Action Française, le Pontife régnant a levé l’Interdit.

Quant à Maurras lui-même, quels qu’aient été auparavant les retours de griffes du vieux lion, endurci par trois quarts de siècle de combats, le dernier mot de sa vie s’exprime par son retour lucide à la foi catholique.

Il ne s’agit pas d’un aveu demi-conscient, tombé d’une bouche expirante. Il a trouvé, dans la clinique de Tours, auprès du Chanoine Cormier, son second chemin de Paradis. Dans les ornières du premier se sont fanées les fleurs païennes. Au creux de celles-ci ne descendent que les rayons de l’étoile du berger.

En vérité, Maurras a porté toute sa vie, au secret de son cœur, la hantise du divin. Tant qu’il n’a pu l’atteindre, il a trouvé chez Auguste Comte, avec une philosophie de l’ordre humain, la double qualité de la précision scientifique et de l’élévation morale. Mais voici la limite de son adhésion. Le positivisme même, abordé à la fin, n’a jamais pu le rallier à son dogme central :

« En esthétique, en politique, dit-il, j’ai connu la joie de saisir, dans leur haute évidence, des idées-mères. En philosophie pure, non ! »

Les dernières années d’épreuves, de prison, de maladie, de solitude ont été de la plus vive alacrité d’esprit, d’intense production. Il remontait aux sources métaphysiques, taries par la crise de sa jeunesse. Et c’est de là qu’est sortie l’une des plus curieuses révélations de sa vie secrète : cette intimité constante, exaspérée, comprimée, de toute sa longue existence, avec Pascal, qui, enfin, a éclaté au jour dans un de ses ouvrages posthumes : Pascal puni.

Pascal, en bannissant la raison de la recherche du divin, pour la remplacer exclusivement par le témoignage, avait précipité Maurras hors du dogme.

D’un argument des théologiens qui ne visait qu’à rabaisser la superbe, Pascal s’était servi pour diffamer, déformer la raison.

Maurras ne lui pardonnait pas d’avoir détruit : « le petit appareil que nous ont fabriqué les Puissances supérieures pour connaître et savoir ».

Il se récrie, devant la dureté de Pascal :

« Plus je le lis — mais il ne peut s’empêcher de le lire — plus il me fait horreur, lui, sa sœur, sa nièce, toute la bande ! Ils sont durs, perdus d’orgueil. Leur charité est toute hérissée de haine et, de là, sort leur tristesse, leur hargne, leur goût de la destruction. »

Et Maurras se détourne alors en pensée vers : « sa chère, belle, douce et délicieuse petite Thérèse de Lisieux ».

C’est entre les mains de la Sainte presque enfant, mais dont une saisissante vigueur de pensée anime les humbles écrits, que Maurras a remis son destin.

Elle rejoint le souvenir de cette mère intelligente, tendre et forte dont il porta, pour ainsi dire, une seconde fois le deuil, tant qu’il douta de pouvoir la retrouver.

Le problème qui hante les derniers jours de Maurras n’est pas un problème politique. C’est un problème religieux. Il a rouvert le fond de son être, où l’inquiétude métaphysique était entretenue comme une plaie sacrée.

Et le prêtre qui en a porté témoignage, affectueusement accueilli, a fait entendre au vieux penseur, avec une douce prudence, l’appel de la foi,

Celui qui a dit : « En politique tout désespoir est sottise absolue », qui, en dépit des coups les plus terribles du destin a gardé sa confiance comme une cuirasse sans défaut, que va-t-il en faire devant l’invisible, au seuil de l’au-delà ?

Sans doute, le philosophe est-il heureux que la plus juste orthodoxie lui permette de n’avoir pas à se dépouiller de cette raison — qu’il n’a jamais déifiée qu’en métaphore — mais qu’il a toujours tenue fermement, comme un bâton de marche. Toutefois, il comprend qu’elle ne peut rien sans une autre lumière.

Si Pascal a dit : « le cœur a ses raisons... » Maurras aurait pu dire : « La raison a son cœur ! »

Sans doute, les lignes du Parthénon ne s’effacent pas, mais s’éloignent dans leur azur trop vide pour laisser avancer devant elles, dans la grisaille de l’Ile-de-France — tant aimée, elle aussi — des visions de cathédrales !

Et, enfin, il n’y a plus que le monde invisible.

Le poète en Maurras exprime alors la sérénité de l’homme :

« Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine,
Entre les bras de l’espérance et de l’amour ! »

Suprême demande.

La réponse est silencieuse, comme un pas dans la nuit. Elle est pour lui seul. Il ne peut en cacher sa joie. Et c’est alors que ce penseur, isolé, par sa surdité, du contact des hommes et, par le doute philosophique jusqu’à cette heure, de la présence divine, murmure, après les derniers sacrements :

« C’est la première fois que j’entends venir quelqu’un. »




Une dédicace parmi d'autres , celle-ci de Paul Valery :


Notes : Trois sites littéraires à cliquer pour lire du Maurras :
¤ Les Vergers sur la Mer
¤ Maurras.net des Amis du Chemin de Paradis
¤ Maurras-actuel

Postscriptum du 1er février :
On ne peut passer à côté du pamphlet de Philippe Bilger et des commentaires qu'il suscite dans Justice au Singulier.


jeudi 25 janvier 2018

Le pas de clerc de Gilles Simeoni

Ainsi la République a-t-elle claqué la porte au nez de ces messieurs montés de l'île de Beauté pour enclencher la révision constitutionnelle qui irait bien au teint. Une et indivisible est la République, a dit du Sénat le président Yodalarcher. Sauf que bien des exceptions confirment la règle : la loi d'Alsace-Moselle, les dérogations fiscales corses, la loi calédonienne, la loi de Saint-Martin, la loi de Polynésie, etc.


On ne peut raisonnablement arguer d'aucune imbécillité des pouvoirs parisiens, prévenus depuis longtemps que la revendication axiale des nationalistes serait le statut de collectivité d'outremer pour l'île. S'ils ne réagissent pas mieux aux sollicitations de messieurs Simeoni et Talamoni, c'est qu'ils attendent les résultats de la fusion récente des trois collectivités territoriales en une collectivité unique (une région et deux départements). Pourquoi se précipiter à changer déjà le format du gouvernement local, la promesse de décentralisation poussée n'étant pas encore exécutée. Attendent-ils aussi le rapport d'étape de Jacqueline Gourault, l'imposante madame Corse du cabinet Philippe, assez bien disposée jusqu'ici. Reprenons ce qu'elle disait à Radio-Corse FM après sa nomination :

« ... nous avons ici le dossier des collectivités locales, territoriales, et c’est une question qui m’est chère, sur laquelle je travaille beaucoup depuis de longues années, quand j’étais parlementaire et maintenant ici. Il est bien normal que la Corse fasse partie de mon portefeuille dans la mesure où une collectivité nouvelle s’installe. J’aborde ce dossier avec intérêt, nous allons avoir la mise en place de la collectivité la plus décentralisée de notre pays et c’est un dossier intéressant, passionnant, avec les particularités d’une île montagne. [...] Je connais l’ensemble des collectivités territoriales, assez bien, et donc je connais aussi les collectivités territoriales de Corse, et celle-ci évidemment c’est un dossier que j’ai suivi en étant que législateur, et bien entendu j’ai déjà eu des contacts et même des discussions avec les élus corses dans le cadre de la préparation du budget de la nouvelle collectivité. Je les ai rencontrés à Paris et nous avons eu plusieurs réunions par vidéoconférences, je n’étais pas seule, j’étais avec M. Gérald Darmanin, nous étions tous les deux en relations avec M. Simeoni, M. Jean-Guy Talamoni. [...] il y a une victoire, le suffrage universel a eu lieu, les Corses se sont exprimés dans la grande tradition républicaine et girondine, nous respectons naturellement, évidemment, le résultat du scrutin. »

Parmi les revendications nationalistes la partie emblématique, celle qui remue les foules, a trait au statut d'autonomie, à la co-officialité des langues française et corse, au crible du marché immobilier asservi à un statut de résidence, à l'amnistie des prisonniers réputés politiques.

Même si le Piéton n'était pas sous les ors de Matignon, il ne semble pas que le binôme corse ait déroulé sur la table un plan de développement lourd de leur île, en l'encadrant des moyens offerts et réclamés par le nouveau statut territorial. En fait, M. Philippe et ses ministres n'ont vu que des revendications politiques alors qu'ils pouvaient penser que la fusion devait en résoudre beaucoup.

Messieurs Simeoni et Talamoni auraient-ils mis la charrue avant les bœufs ?

Leur impatience à démontrer aux électeurs la pertinence de leur choix les a fait trébucher sur des questions importantes certes, mais devant résulter d'un processus de gestion pragmatique du pays qui démontrerait in fine l'intérêt d'une autonomie, plutôt que de commencer par la revendiquer, d'autant que le passé n'a rien construit de sérieux en exécution des avantages concédés par la métropole. La Corse est toujours en position de perfusion.

Par ailleurs, le scrutin du 10 décembre 2017 ne fut pas un tsunami nationaliste non plus. Avec une participation très mesurée de 52,6% (source officielle) les deux partis coalisés ont fait 56,5% (contre 45,4 au premier tour). Rien ne prédit une forte mobilisation de la manifestation d'humeur prévue le 3 février en réponse à l'humiliation de Paris.

Ce que demandent les conseillers du gouvernement aux élus corses, c'est de faire vivre la nouvelle collectivité de manière responsable, le reste viendra plus tard. Bien sûr un monarchiste ne peut oublier le royaume de France et de Navarre où coexistaient sous la même couronne la grande France et la toute petite Navarre (en fait les débris septentrionaux de la province historique). Un statut d'association serait aujourd'hui pertinent mais nous sommes en République où aucune tête ne devrait dépasser.

On ne peut clore ce billet sans évoquer le mauvais choix de Jean-Guy Talamoni, président de l'assemblée corse, de ne pas participer à l'hommage dû par la Nation au préfet Erignac, pour les vingt ans de son assassinat à Ajaccio par des nationalistes alors qu'il rejoignait son épouse au théâtre ! L'insulte en a indisposé plus d'un, à commencer par votre serviteur.


Claude Erignac † 6.2.1998

lundi 22 janvier 2018

Un pape qui agace !


Que cherche le pape à nous faire payer ?

Depuis son voyage à Lesbos en 2016 dont il ramena trois familles, musulmanes, j'ai soupçonné sa sainteté de nous en vouloir et de mettre en scène son ressentiment chaque fois que possible. A l'époque il était descendu de l'avion le premier pour que les caméras le filment en train d'accueillir les douzes réfugiés syriens sauvés de notre haine par sa mansuétude ! Aurait-il pu prendre une au moins des familles chrétiennes en attente ? Ah non, ils n'avaient pas les bons papiers. Le Vatican est paraît-il souverain, comme son pontife ! Bidon tout ça.

Depuis, les exhortations vaticanesques à ouvrir grand les portes aux réfugiés de partout, spécifient chaque fois que leur religion musulmane ne peut pas être un obstacle, même s'ils forment 90% de la masse, et en dépit du fait que certains sur les barques poussent les porteurs de croix à la mer pour y faire de la place. Charité universelle, compassion sincère, larmes de sang, amour aveugle du prochain, on connaît la litanie. On connaît aussi le premier effet : les sociétés de charity business s'engouffrent dans le champ compassionnel qui est leur raison de vivre et alimentent directement les canaux d'importation en matières premières... pour se refinancer par leurs appels aux dons ! C'est un vrai métier de nos jours.

Signalons pour être juste que ce pape a plaidé pour le respect des « peuples autochtones, souvent oubliés et dont les droits ont besoin d'être pris en compte et la culture protégée, pour que ne se perde pas une partie de l'identité et de la richesse de [la] nation » mais c'était mardi dernier à Santiago du Chili, et il pensait aux indiens Mapuche (du royaume éphémère d'Araucanie et Patagonie fondé par Antoine de Tounens). Jean Raspail en est bien aise mais revenons à nos moutons noirs.

Il y a deux choses à considérer dans l'accueil de réfugiés extra-européens :

- les besoins de main d'œuvre ;
- les capacités d'intégration (ne parlons pas d'assimilation encore).

Certains pays dont les chaudières sont en surchauffe peuvent avoir besoin de bras. C'est le cas de l'Allemagne qui va digérer la main d'œuvre étrangère employable et expulser l'autre vers les sociétés providentielles qui l'entourent. La France est au contact.
Les pays latins pour leur part ont des économies atones, grevées d'un chômage alarmant, dû aussi à la sous-qualification du stock employable. Est-il intelligent d'y rajouter des gens sans formation aucune sauf à leur réserver, quand on en trouve, des emplois méprisables de soutiers qui génèrent ensuite des revendications (parfois justes) ?

Le pape accueille les réfugiés de Lesbos à Rome

Quant aux pratiques religieuses, elles font partie du défi, n'en déplaise à sa sainteté ! L'islam est une religion civique au sens où elle ne s'exprime pleinement que dans la totalité de l'espace cerné et ne peut être confinée au secret des âmes. Historiquement il transporte un kyste de terreur qui fait partie du corps islamique. Même très minoritaire, il est excessivement actif et menace d'abord le porteur s'il décide de l'éradiquer. Les djihadistes tuent en quantité des mahométans jugés déviants, schismatiques ou apostats ! C'est le ressort de leur guerre fratricide commencée au VIIè siècle.

L'intégration sociale et économique des réfugiés (politiques, économiques ou climatiques qu'importe) trouve donc ses limites dans le cas de populations musulmanes. Qu'est-il prévu spécifiquement ? Rien du tout, de peur de les stigmatiser ! Pour le moment certains pays comme le Royaume-Uni ou la Suède font les frais des béatitudes papales et réformées, et les médiats répercutent les désordres pour l'édification des foules. C'est très bien, on ne parle pas dans le vide, on ne fait pas de thèse sociologique, on lit le journal et les témoignages horripilants y abondent pour se sensibiliser à l'islam d'importation. Puis on fera un jour voter sur la question migratoire, c'est tout ce qu'il faut souhaiter, à condition que les pouvoirs publics se conforment au résultat, ce dont il est permis de douter sous une dictature des mœurs.

Au final, si l'affaire est compliquée, on doit se méfier des mesures de principe et traiter le problème de préférence par le bon sens que par incantations, et si possible, analyser des situations individuelles plutôt que des normes froides d'acceptation/rejet. Quels sont nos déficits en main d'œuvre ? Quelles sont nos capacités d'asile pour des gens en danger ? Des gens expriment-ils des besoins spécifiques ? Il doit y être répondu dans le cadre spécifique au pays d'accueil qui prime l'autre. Il n'y a pas débat parce que (1) nos pays sont défiés chaque jour pour se transformer, et mollir c'est mourir , (2) parce que la sélection n'est pas toujours négative ; en matière de santé, de logement ou d'apprentissages, par exemple.

Tout ceci pour dire que le pape ne nous aide pas beaucoup - c'est un euphémisme - et que si son audience est plus que restreinte en Europe, elle pourrait un jour ne pas sauter les hauts murs du Vatican, à moins qu'il ne transporte le Saint Siège en Amérique latine, ce qui nous ferait des vacances. En attendant, qu'il s'occupe de gérer la firme catholique et laisse les gouvernements et les citoyens européens à leurs interrogations. Les réponses vont venir, inutile au pontifex de s'immiscer, sauf à courir le risque d'une fracture.


SS Benoît XVI l'intelligence sans la force 

Vu les effectifs réduits du catholicisme européen, il est impossible, comme le disent certains pour de rire, d'ouvrir un second schisme d'Occident et de revenir en Avignon ! Quoiqu'on n'en soit pas si loin dans le groupe de Visegrád particulièrement fatigué des remontrances du successeur de saint Jean-Paul II.
Concile de Visegrád, ça sonne bien.

dimanche 21 janvier 2018

Vœux du prince Louis

 

Monseigneur Louis-Alphonse de Bourbon, aîné des Capétiens, a transmis ses vœux de bonne année aux Français par le truchement de l'Institut de la Maison de Bourbon. Les voici, avec nos sincères remerciements et l'expression de nos meilleurs pour le prince et sa charmante famille. Les inter-titres, la signature et la colorisation sont de Royal-Artillerie. Les images proviennent d'une recherche rapide sur la toile.







Français, mes chers compatriotes,

Depuis plusieurs années, j'ai pris l'habitude de m'adresser à vous durant le mois où des vœux sont formés pour ceux que l'on aime.
Au début, ce message du 21 janvier n'était reçu que par les fidèles qui, en cette date anniversaire de la mort du roi Louis XVI, revivaient en leur cœur l'espérance de la tradition. Il y avait sans doute alors un peu de nostalgie en souvenir d'un temps glorieux où la France était une grande nation. Puis, d'année en année, l'audience de ce message s'est développée, notamment avec l'essor des nouvelles formes de communication.

Mon droit

En ce début 2018, je veux poursuivre cette rencontre. Elle fait partie de mon devoir de successeur légitime des rois dont l'histoire se confond avec celle de la France. Comme héritier des rois, je me dois d'incarner cette tradition qui ne peut consister uniquement à assister à des cérémonies de mémoire. Elles sont pourtant nécessaires et j'y participe toujours avec joie. Elles permettent de résister à la destructrice amnésie mémorielle instrumentalisée par ceux qui n'ont pas envie de voir la France fière d'elle-même et soucieuse de prolonger, dans l'avenir, le rôle de moteur qu'elle eut durant si longtemps.
Mais, à quoi me servirait-il d'être l'héritier d'une dynastie millénaire ? Il ne peut s'agir pour moi de me satisfaire de considérer la gloire de mes ancêtres. Il m'appartient encore plus, si je veux être digne d'eux, de contribuer à l'édification du présent et de l'avenir, à ma manière, avec mes moyens. Je serais ainsi fidèle à ce qui était la nature de la royauté française, faire de l'action du roi, avant tout, un service rendu à tous.

Ma mission

Remplir ce devoir me paraît d'autant plus important que notre pays traverse une épreuve difficile comme l'histoire en réserve, malheureusement, à espaces réguliers. Dans ces moments, c'est toujours en revenant à ses fondamentaux que la France a pu trouver un nouveau souffle. Devant les difficultés il ne s'agit ni de se cacher la réalité, ni d'abandonner, mais de réagir. Tel est le devoir d'état de chacun, des familles en particulier, même si c'est souvent difficile et impose des sacrifices. Par ma position, n'ayant pas à me placer dans le contexte de promesses ou de programmes de la politique au quotidien, il m'appartient de le rappeler.
Attaquée à l'extérieur et sur notre sol par un ennemi aussi insidieux que brutal et qui, souvent, trouve du renfort dans nos faiblesses et notre laxisme ; rongée de l'intérieur par une crise morale qui lui fait parfois renier son identité, la France, notre pays, est tenue de réussir à se reprendre. Elle le doit à tous ses enfants ; elle a aussi une obligation envers ceux qui l'ont toujours regardée comme le foyer où naissent les grandes idées et s'épanouit la civilisation née du double héritage gréco-latin et chrétien.

Notre société

Cet héritage, s'il nous a été transmis, n'a de sens que pour le présent. Il nous appartient de le faire vivre. Cela d'autant plus que la société est à un tournant et, surtout, en attente. Le contexte ayant changé, il faut lui redonner un cadre. Celui dans lequel nous vivons depuis deux siècles s'effrite. Fait de beaucoup d'idéalisme, d'égoïsme et de matérialisme, il ne répond plus aux besoins de la société, car elle s'est prise dans ses propres contradictions. Ses excès dans tous les domaines ont abouti à d'immenses échecs tant dans le domaine social qu'environnemental, et l'homme en fait les frais. Ce mouvement délétère pour les libertés, devenues licences, l'économie devenue financiarisation, l'emploi précarisé, la culture, l'éducation et le patrimoine trop souvent livrés aux destructions, se développe puisque, face à lui, un nouveau contexte se met en place. Il se nomme mondialisme, société du numérique et de la dématérialisation, émergence de nouvelles puissances, éclatement de la société en "réseaux", remise en cause de certains fondamentaux en matière d'éthique, tels que famille et couple ou la valeur de la vie humaine, déculturation.
La situation n'est pas simple et il est difficile de trouver la juste conduite face à ce monde qui change. Un monde nouveau est à redessiner, ce qui demande de recréer une anthropologie donnant sa place à la gratuité. Abandonnons donc les constats et la nostalgie d'un temps qui n'est plus celui dans lequel nous vivons et encore moins celui de nos enfants !

Construire un avenir transcendant

Acceptons, enfin, de relever les défis de demain pour redonner un sens à nos actions présentes et futures. Redonnons à la jeunesse l'espérance, non pas celle des facilités matérielles, mais celle de l'épanouissement de soi et des autres à commencer par la famille qui doit redevenir le socle principal de toute vie commune. La génération montante, la mienne, ayant redécouvert les vertus du réalisme qui doit imprégner l'action, a largement déjà contribué à la remise en cause des excès d'une société sans limites et oublieuse de la nécessaire transcendance sans laquelle l'homme n'est pas pleinement homme.
Cela me paraît conforme au rêve capétien qui a bâti la France et enfanté l'Europe. Il était vision d'un avenir partagé. Les grandes nations ont besoin de tels horizons. Regardons autour de nous, les pays qui prospèrent sont ceux qui croient en eux et en leur devenir. Ce fut longtemps l'esprit qui a animé notre pays et le monde occidental. Avec lui, la France a pris une place prépondérante dans le monde car elle était porteuse d'espoir pour ceux qui aspiraient à devenir sujets du roi de France. Ainsi ils avaient l'assurance de participer à cette aventure commune que la France offrait à tous, dès lors qu'ils l'aimaient et voulaient contribuer à sa grandeur.

Valoriser les valeurs

Face aux nouveaux enjeux, il y a place pour un pays qui s'affirme avec son identité propre et ses valeurs. Déjà nombre d'entre vous en ont conscience : ceux qui entreprennent, ceux qui trouvent de nouveaux terrains sur lesquels le génie français peut se déployer ; ceux qui pensent que le Bien commun sera toujours supérieur aux égoïsmes ; ceux qui ont compris que la vie en société est préférable à tous les communautarismes, formes nouvelles des féodalités archaïques. Il y a un espace pour la France dans le monde de demain et donc pour les Français. Il appartient à chacun de le construire en restant fidèle aux valeurs et aux principes légués par l'histoire. Soyons fiers d'être des héritiers et sachons transmettre l'héritage.

En ce début d'année, mes vœux s'adressent tout particulièrement à tous ceux qui croient en la France, mais je pense aussi à ceux que la société a laissés sur le bord du chemin, ayant oublié que la charité demeurait le premier devoir des hommes. Ils ont leur place. Ne l'oublions pas !
En 2018, pour l'aider à être elle-même, puisse la France, fille aînée de l'Église, compter sur tous les saints qu'elle a vu naître, à commencer par saint Louis, le modèle des gouvernants.



Louis-Alphonse, duc d'Anjou
le vingt janvier 2018





vendredi 19 janvier 2018

Requiem en souvenir de Louis XVI

Schola Sainte Cécile

Dimanche prochain 21 janvier, on dira des messes pour le repos de l'âme du roi Louis XVI dans beaucoup de villes françaises. Les royalistes trouveront la messe qui leur convient en consultant les sites ad hoc :
- Messes Louis XVI
- La faute à Rousseau

Sur la zone historique, il n'y a que trois lieux pertinents, la Chapelle royale du château de Versailles où rien n'est prévu par la V° République ; la Chapelle Expiatoire du square Louis XVI, rue Pasquier à Paris (9°) bâtie sur l'ancien cimetière de la Madeleine où fut inhumé le roi décapité à la Concorde ; et la basilique nécropole de Saint-Denis où Louis XVIII fit transférer les cendres de son frère et celles de la reine Marie-Antoinette en 1815. Les autres lieux sont tout aussi respectables mais surtout de commodité pour le recueillement.
Le Mémorial de France à Saint-Denys fera dire une messe samedi 20 janvier à midi, en exécution de l'ordonnance perpétuelle de Louis XVIII. Le Cercle de l'Œillet Blanc et la maison d'Orléans seront à Saint-Germain l'Auxerrois le même jour à 11 heures. L'Institut de la Maison de Bourbon ira le dimanche 21 à 10h30 au Square Louis XVI à Paris.

Le caveau des Bourbons à Saint-Denis


Hostias in requiem de Luigi Cherubini pour Louis XVI (1816)

Comme chaque année l'Action française organisera à Paris une retraite au flambeau pour le roi mort, avec un départ vers 16h du parvis de l'église Saint-Roch le samedi 20 janvier (clic programme AF-IDF).
Soyez nombreux !

296 Rue Saint-Honoré (1er)

jeudi 18 janvier 2018

Déni de démocratie ?

Après la décapitation du roi Louis XVI à Paris (c'est de saison), le pape Pie VI fit part de sa douleur et récusa la souveraineté du peuple en des termes non ambigus : « Le Roi très chrétien Louis XVI a été condamné au dernier supplice par une conjuration impie et ce jugement s’est exécuté. Nous vous rappellerons en peu de mots les dispositions et les motifs de la sentence. La Convention Nationale n’avait ni droit ni autorité pour la prononcer. En effet, après avoir aboli la monarchie, le meilleur des gouvernements, elle avait transporté toute la puissance publique au peuple, qui ne se conduit ni par raison, ni par conseil, ne se forme sur aucun point des idées justes, apprécie peu de chose par la vérité et en évalue un grand nombre d’après l’opinion ; qui est toujours inconstant, facile à être trompé...» (la déclaration papale complète sur l'Institut du Christ-roi souverain prêtre).

Oui, il y a bien déni de justice en Loire atlantique, nous n'y reviendrons pas car il est très documenté, et déni de démocratie au sens où l'entendent le peuple et ses représentants élus, même si des manifestations monstres ont été observées contre le projet d'aéroport. Le dénouement de la crise de Notre-Dame des Landes signe donc un double échec, ce qui fait beaucoup :

I.- Échec technocratique, puisque le gouvernement des bureaux, comme les appelait Charles Maurras, a la fâcheuse tendance à décoller des réalités et bien plus grave s'auto-alimente de sa propre production bureaucratique. Pour beaucoup d'administrateurs la pertinence d'un projet se mesure à l'épaisseur de la cote. Si vous avez quatre-vingt kilos de classeurs, l'approbation est légitime, autant que sa mise en œuvre justifie quelques accommodements avec des dommages collatéraux. La Cinquième république plus que ses parentes a poussé la technocratie dans ses derniers retranchements et nourri les rapports de la Cour des Comptes comme jamais. C'est la prise de pouvoir d'une technostructure emblématique du système français de grandes écoles, La Caste s'arrogeant outre le pouvoir l'intelligence du développement du pays tout juste mesurée par la réussite aux concours. Le reste est à l'avenant... décevant.

Citons pour faire thèse quelques échecs retentissants :

Barre du Haut du Lièvre à Nancy
- Théorie des Grands Ensembles raillée souvent comme "politique de la ville sans ville", qui va produire à pleine charge des logements déshumanisés où ne viendront habiter que ceux qui n'ont pas d'autres choix.

 - Abandon des départements français d'Afrique du Nord qui a créé en métropole le premier département de France, le département algérien (4 millions de gens).

- Plan calcul de 1966 : Bull, C2I, Unidata, circuits intégrés CGE...), des milliards et des morts !

- Démembrement du département de la Seine pour rompre la "ceinture rouge" de Paris, qui va obliger à créer des villes nouvelles trop proches du périphérique pour reloger la classe laborieuse. La densification ruinera tout aménagement intelligent (difficultés à boucler les fuseaux de transport) et l'on compte aujourd'hui sur le projet de Grand Paris pour rattraper ce qui existait naturellement avant 1968.

- Concorde, ivresse de la prouesse technique, décalée des évolutions vers un transport aérien de masse prouvées par l'indéniable succès du Boeing 747.

- Stérilité du Minitel au moment où s'envolait le maillage Internet.


II.- Échec démocratique ? Bien sûr qu'il y a un déni démocratique dans l'abandon de l'aéroport du Grand Ouest. Il n'en pouvait être autrement dès lors que l'outil démocratique est utilisé depuis toujours pour confirmer une intention des pouvoirs publics et qu'en cas de mauvaise surprise, on le remet dans sa caisse à outils ainsi qu'il en fut du référendum européen de 2005. Le peuple avait voté certes contre le traité constitutionnel giscardien mais bien plus contre le gouvernement Chirac. Dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, bien que le projet aéroportuaire ait été justifié par le développement de deux régions contiguës, la Bretagne et les Pays de Loire, la circonscription consultée fut limitée au département de la Loire atlantique parce que les sondages y donnaient un "oui".

Mais quand bien même ! Les résultats par communes ou quartiers montrent que la projection d'un futur économique régional ne fut pas le premier motif de l'expression des suffrages. Malgré un tapage de tous les instants et de forts désordres à Nantes et Rennes, la participation fut faible : 51,08%. Si les communes sous avions ont voté le transfert, aucune commune d'accueil de la nouvelle infrastructure n'a suivi. Des communes au sud de la Loire comme au nord ont privilégié la distance à parcourir, d'autres la sécurisation de l'emploi sur la zone aéroportuaire existante mais le plus étonnant fut le résultat de Nantes-ville : 50,06% de oui avec un taux de participation de 46,56% (malgré les émeutes précédentes). La maire de Nantes reste soudée à ce résultat fort précaire, obtenu en plus sans l'alternative du réaménagement de Château Bougon. Qu'importe, le gouvernement mussolinien de monsieur Valls tenait un résultat à 55% que l'on pouvait brandir dans l'hémicycle sans se soucier des ressorts de la consultation. Il n'en put rien faire ! CQFD.

Manifestation monstre contre NDDL - Où se cachent les 200 terroristes ?


Le cabinet Philippe du président Macron a donc laissé tomber la supercherie démocratique stérile. Il a décidé de faire réfléchir pour lui des professionnels non attachés aux "bureaux" qui touillent la même soupe froide depuis vingt ans, a fait la synthèse de leurs conclusions et a tranché ! C'est la définition du gouvernement des hommes. Pour les archives, on va reprendre ci-dessous le communiqué de Matignon résumant l'intervention d'Edouard Philippe hier devant la presse :

À l'issue du Conseil des ministres du 17 janvier 2018, le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé la décision d'abandonner le projet aéroportuaire du Grand Ouest à Notre-Dame-des-Landes. Une "décision logique au regard de l'impasse devant laquelle se trouve ce dossier", a déclaré le Premier ministre pour qui "50 années d'hésitation n'ont jamais fait une évidence".
"Cette décision d'apaisement doit aussi être l'occasion d'un nouveau départ, l'occasion de construire différemment, intelligemment", a déclaré Édouard Philippe qui a souligné que le projet aéroportuaire du Grand Ouest "ne correspondait plus aux réalités actuelles de l'organisation aéroportuaire."
Le Premier ministre a indiqué que le réaménagement de l'aéroport de Nantes-Atlantique allait être effectué avec des mesures pour limiter les nuisances sonores. De même, l'aéroport de Rennes-Saint-Jacques sera agrandi et développé.
Parallèlement, le Grand-Ouest a besoin de solutions pour croître. Il a besoin d'être connecté au reste de la France et de l'Europe. Ce dont le territoire a besoin, "ce à quoi le Gouvernement s'engage, c'est que le [territoire] dispose de liaisons faciles avec les autres métropoles européennes et de mettre en place des liaisons rapides avec les hubs des longs courriers internationaux", a-t-il précisé.
"Nous devons davantage jouer sur la complémentarité rail-air", a déclaré le Premier ministre qui a demandé à la ministre des Transports, Elisabeth Borgne, "d'étudier dans un délai de six mois les conditions de mise en œuvre de trois chantiers [consistant] à optimiser l'usage de Nantes Atlantique, à mettre en réseau les aéroports régionaux et à nous appuyer sur les lignes ferroviaires à grande vitesse pour rejoindre les plateformes aéroportuaires parisiennes."


III.- In cauda...

L'analyse politique ne peut s'achever sans parler des politiques eux-mêmes. La décision du gouvernement d'en finir n'est pas qu'une atteinte à l'orgueil des caciques nantais que l'on fait atterrir de force dans le champ des réalités mais un sacré coup de vieux. Leurs anticipations anciennes n'ont jamais été confirmées dans les faits mais actualisées en permanence. Le concret présent ne prouvant rien, restons dans le futur ! La furie immobilière qui sous-tendait l'opération en sera pour ses frais ; ceux qui ont acquis des terrains sous avions en attendant le transfert du trafic n'ont plus qu'à les mettre en culture. On connaît des petits paysans qui aimeraient s'installer.

Finissons par cette évocation des intendants d'Ancien régime par le très socialiste Anatole France, lue sur le Lien légitimiste n°51. Revenant de Tours à la Béchellerie (Saint-Cyr sur Loire) en passant le pont de pierre, il disait :
Tenez, regardez les escaliers de votre pont qui conduisent aux berges, comme ils sont beaux. Larges, d'une perspective heureuse, ils sont du plus pur XVII° siècle. Seulement ils sont délabrés, la république n'a pas d'argent pour les belles choses. Quant à ces vases*, aux quatre coins du pont, je suis certain qu'ils n'ont jamais attiré votre attention ; ils résolvent une difficile question de perspective. Ils sont assez grands pour être vus de loin, pas trop grands cependant pour écraser lorsqu'on est près d'eux. ces gens-là savaient construire. Ces grands intendants sont la gloire de la monarchie finissante. Ils s'intéressaient à tout. L'administration n'était pas pour eux une paperasserie stérile, mais la vie même dans ses manifestations les plus variées. Beaux-arts, industrie, commerce, ils voyaient, discernaient, jugeaient, encourageaient...
(*) ce sont les pots-à-feu qui, allumés, signalaient l'axe du pont par temps de brume épaisse.

La démocratie directe, sacralisée par les partis minoritaires n'est ni le remède aux erreurs de jugement ni le moteur d'un développement raisonné quand elle déborde de sa sphère cognitive. Le génie s'y fait rare !


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