samedi 30 octobre 2010

Intérêts général et particuliers - scrutins

Il était une fois...
... un chemin royal qui montait de la plaine de Languedoc vers le Vigan jusqu'au Rouergue par la vallée du Rieutord de Sumène, sur l'empreinte d'une voie romaine, sans autre choix de passage qu'un col malcommode dont l'approche était si escarpée qu'elle faisait la fortune du cabaret installé au sommet, quand elle ne rompait pas les jambes des chevaux. Plusieurs fois les services de l'intendant avaient proposé d'élargir la voie pour avoir au moins douze pans¹ utiles, construire en pied de côte un pont de trois cannes afin d'allonger le trajet et diminuer la pente, et plus tard, d'abaisser le cap de côte lui-même de quinze toises, ce qui était considérable mais nécessaire. Sans le terrassement final, il y en avait pour 1330 livres, mais les riverains qui céderaient du terrain étaient contre, et la qualité des mis en cause était telle qu'on avait dû reculer, d'autant que la guerre des camisards était dans tous les esprits malgré l'apaisement.

Le Subdélégué, lassé d'une dispute plus que centenaire sur cette route, stratégique à tous points de vue, fit ramasser un beau matin les traîne-savates du quartier que l'on mit au travail contre des bols de soupe et quelques étrennes. Hurlements des riverains qui connaissaient les lois mieux que quiconque et mandèrent le premier notaire venu pour un transport judiciaire sur le chantier : " Il n'y a pas de Corvée dans les Etats de Languedoc, point-barre !". Tous travaux publics étaient donnés à des entreprises, à prix faits ou en régie. Vaincus, les services durent débander leurs équipes de volontaires désignés. La contestation rusée n'est pas de notre siècle comme on le voit, mais la vengeance administrative non plus :

L'intendant agacé lança alors un relevé de profils dans la vallée même de l'Hérault parallèle à la vallée du Rieutord pour s'affranchir de cette maudite côte. On disait le passage impossible dans les gorges, même les Romains avaient reculé. Mais que sait-on d'un ingénieur en colère !
Les études achevées, un pont fut jeté à Ganges - les travaux durèrent sept ans car on manquait de crédits - puis la voie à Pont-d'Hérault fut décaissée directement dans la paroi qui contenait le fleuve. C'est aujourd'hui la départementale 999 ; on peut encore admirer le travail. En 1725, le nouveau chemin royal fut ouvert au roulage et l'intendant, ayant appris que Monsieur de Sumène dont l'enclos aurait été entamé par le projet refusé, avait quand même perdu 20.000 livres au jeu, au carnaval de Montpellier, taxa la communauté de Sumène de 5400 livres pour lui apprendre à vivre, ce malgré la peste de 1721 ! Ça mais !

La ruine de Sumène était en marche, ses pises² qui jadis tenait toute l'huile d'olive exportée au Rouergue étaient vides. Ses cinq notaires dépérissaient et les tonneaux qui faisaient sa réputation depuis l'âge des Gaules s'empilaient sous les clèdes. Pour sauver ce qui restait d'économie locale, la communauté décida d'élargir "sa" côte à vingt pans et d'abaisser "son" col autant que faire se pouvait. La dépense fut considérable puisque il fut demandé un dégrèvement de 5800 livres au roi.
Les impôts communaux qui les écrasaient tous n'enrayèrent pas le déclin. Ce n'est que lorsque la voie ferrée de Sommières à Tournemire reprit en 1868 son axe naturel mais en passant sous le col escarpé par un tunnel de 1400 mètres, que l'injustice du XVIII° siècle fut réparée. Effectivement, Sumène reprit alors son rang économique traditionnel. Des usines de bas de soie s'installèrent et quelques tonneliers se remirent à cueillir des douves de châtaignier. Les riverains de 1714 ne savaient pas que leur ruse légale stériliserait le pays pour 150 ans !
Fin de l'histoire³.


Des scrutins et des hommes
La démocratie locale a ses limites et les intérêts particuliers sont rarement surmontés au niveau de gouvernement où leur pouvoir s'exerce. La contrainte administrative doit aussi être finement réglée par des compétences et de bonnes anticipations. L'intendant capable de lancer une route impossible était tout à fait capable de prévoir la ruine probable de la ville contournée. Sumène n'était pas chef-lieu de la baronnie d'Hierle mais son poumon économique, l'impact de la décision était bien plus large que l'accélération de la Poste Royale. Cette petite histoire pourrait servir d'argument à ceux qui préfèrent voir le Bien Commun géré par des esprits éclairés et désintéressés, loin des disputes locales. Or on sait bien la force d'exécution des choix obtenus par le vote des administrés concernés, et les esprits éclairés et désintéressés ne sont malheureusement pas en nombre. Y aurait-il un moyen de s'affranchir de la "bêtise" humaine ? Vaste programme, mais allons-y voir :

(a) La première sélection des expressions est le cens. Ne parlent que ceux qui contribuent. On sait que la frustration des non-inscrits est redoublée par la stigmatisation de leur pauvreté relative et que les autres sont d'avance désignés à la vindicte publique en période difficile. En plus la liste ploutocratique est passée de mode.

(b) On peut imaginer une pondération des voix par points civiques. Chacun a dix points, puis les chefs de famille ont un point supplémentaire par enfant, les bacheliers deux points, les diplômés de l'université quatre, les rastacouères zéro, les pupilles de la Nation cinq etc... La commission parlementaire chargée de la grille tarifaire n'en verra jamais l'issue.

(c) Pourquoi pas le QI ? Au niveau de la troisième, on passe l'examen de quotient intellectuel à la place du Brevet des collèges et le chiffre obtenu (divisé par dix) donne autant de voix lors du scrutin au suffrage universel. Sauf que la prolifération des Giscard d'Estaing par exemple n'augure pas nécessairement des bons choix. La liste est longue des bêtises du pharaon le plus doué d'Auvergne, disait Antoine Pinay parlant du pharaon pas des bêtises.

(d) La tentation est grande localement d'ancrer les suffrages au sol s'il s'agit d'y toucher. Ne parlent de la route que les propriétaires fonciers quelle que soit leur taille. Dans notre petite histoire, les artisans directement impactés par le détournement du chemin royal n'auraient eu rien à dire alors qu'ils étaient bien plus les victimes de cette décision que les agriculteurs qui nourrissaient le pays. Ca n'est pas bon.

(e) Quotient familial
: l'Alliance Royale, sous l'impulsion de son fondateur, père de huit enfants, a caressé l'idée de privilégier les familles par une pondération des voix. A y regarder de plus près, la mesure ferait le lit des tradi-cathos d'un côté et des animistes maliens de l'autre. Mais après tout favoriser les enfants c'est favoriser le futur, et si l'incitation civique redresse la barre démographique, pourquoi pas.

(f) Finalement, comme disait Churchill de la démocratie dans son fameux "le pire régime à l'exception de tout autre", le suffrage universel, un homme une voix, simplifie bien les choses. On devrait quand même le civiliser en le subordonnant à la délivrance automatique d'un quitus fiscal. Votent les résidents qui sont en règle avec l'administration des Impôts ; et au niveau local, quelle que soit leur nationalité s'ils sont établis durablement et contribuent. Ce n'est pas nouveau, mais ça peut ressortir.


Note (1) : Le pan de Montpellier fait 25cm ; la canne de Montpellier a 8 pans et fait 2m ; la toise du roi fait 1,95m.
Note (2): Grand vaisseau intransportable creusé d'une seule pierre dédié uniquement à l'huile d'olive. Chaque maison de négoce de la Grande Rue avait la sienne.
Note (3): Un blog personnel dédié à la ville : Je t'M Sumène.
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samedi 23 octobre 2010

Attila, le retour

Marcher sur ce rapport, mais du pied gauche, ça porte bonheur. C'est ce que pensent les deux tiers des faiseurs d'opinion à l'annonce d'un rapport "Attali II". Le précédent, lourd de 316 propositions, avait été enterré par le regretté Jérôme Kerviel, qui avait fondu les plombs de la Société Générale le lendemain même du jour où Jacques Attali redescendait du Sinaï avec les tables de la loi de croissance. On s'est beaucoup moqué jadis de ces pistes contre le déclin. La situation du pays ayant bien empirée, la commission éponyme en remet une couche avec cette fois-ci, le désastre grec en fond de décor subliminal. On palpe le futur.

Vingt-cinq propositions pour une cure d'austérité à la mesure du mal, tel est le poids de ce rapport allégé que l'on débine aujourd'hui. Ce mal que l'on résume à la convergence mortelle des trois déficits¹ et qui nous pousse vers la tutelle du FMI. Quand vous aurez fini de lire ce court billet, la seule dette publique de l'Etat aura cru de 480000 euros (amusez-vous sur http://cluaran.free.fr/dette.html). Un trillion sept cent milliards et des poussières de millions d'euros à la fin de l'année ? Personne n'en sait rien. Qu'importe, "l'Allemagne paiera" ! Mais me dit-on, elle a fini de payer le mois dernier². Alors, nos petits-enfants paieront, sales gosses !
Pour nous vendre cette vérité d'une dette mortelle, il est intéressant de noter que le pouvoir éphémère qui préside au naufrage va chercher un soutien moral hors de lui-même, ses analyses et recommandations étant électoralistes donc suspectes. Il lui faut une caution extérieure non électrisée par les échéances. Que dit Jacques Attali (mais que l'Elysée puisse entendre) dans son rapport de 25 propositions ? Une seule chose en fait.

Le problème, c'est l'Etat, qui pèse sur le pays comme une baleine crevée sur la plage. J'ajouterais que ces épaves ne se bougent pas, on les dynamite sur place. Avant d'allumer la mèche, dégraissons donc tous les mammouths, à commencer par les mammouths soviétiques (ça leur va bien). Une comparaison précise (qui n'est pas dans le rapport 2010) peut nous éclairer sur le poids du cétacé : Le Royaume de Suède, neuf millions d'habitants, dispose de forces armées du même niveau polémologique que les nôtres, à l'exception des corps d'infanterie qui sont bien moins nombreux, mais tous sous blindage avec une forte réserve ; l'ensemble pour un budget sept fois moindre, dissuasion nucléaire ôtée de notre bord. Il est certes difficile de comparer des budgets militaires d'un état à l'autre car les lignes de crédits ne sont pas équivalentes, mais c'est un ordre de grandeur significatif. Ne serait-il d'ailleurs que de un à trois, le problème se poserait de manière tout aussi dramatique. Question au hasard ? Faut-il dix mille plumitifs pour "administrer" le service central des Armées (SGA) ? La Suède serait bien en peine de les trouver. Chez nous, il y a de la ressource pour gérer les codes, les règles, les contre-ordres, l'agenda, les propositions budgétaires, les reports, les rapports, les ordonnancements, les transferts budgétaires, les vacances, les rhumes et les RTT. La machine peut vivre deux ans en autarcie rien qu'en produisant ses notes internes. Même constat dès qu'on lève les yeux au ciel : avec sept mille postes budgétaires, l'armée de l'air suédoise projette 300 aéronefs de combat et transport. Nous en avons presque trois fois plus, mais il nous faut plus de cinquante mille postes !

Le rapport Attali sabre dans le secteur public à juste raison
. Il prolonge la disette du recrutement (un agent sur deux n'est plus remplacé même dans la Territoriale) et gèle le point d'indice du statut des fonctionnaires jusqu'en 2013. Les secteurs touchés par la rigueur auront-ils l'outrecuidance de planquer leur fromage derrière le mal-vivre de l'infirmière ou du policier de la Bac³, derrière l'épuisement du pompier ou le surmenage du prof de collège ? Sans doute. Comme un dinosaure à cortex réflexe, le fonctionnaire français en bureau est au service d'une seule cause, lui-même. Il descendra donc dans la rue s'il fait beau, s'exercer à la démocratie de voirie, faisant une fois encore la démonstration que la démocratie représentative en vigueur n'en a plus.

Au final, le Rapport Attali 2010 décide de 3% de déficit budgétaire à l'horizon 2013 à raison de 75 milliards d'économies en trois ans, la cure d'austérité étant accompagnée d'une croissance du pib de 2%. Gag ! Sauf à créer une bulle de croissance à l'espagnole, ou relancer une industrie... délocalisée, mais quid de la balance commerciale alors ? - c'est impossible. L'éponge de la croissance et de la dévaluation compétitive qui efface les résultats négatifs en bas du tableau noir n'efface plus rien, depuis que le droit de faux aloi nous a été retiré par les gnomes de Francfort, et que des organisations étrangères sont capables de prédire nos résultats. Nous ne pouvons longtemps mentir aux « agences » et aux profs du FMI. Jusqu'à ce matin, aucun analyste ne nous octroie plus de 1,5% de croissance, certains moins de 1%. Les 75 milliards d'économies d'Attali, aussi pénibles à gagner soient-ils, ne suffisent déjà plus. Le compteur de la Dette tourne, alimenté par les déficits. Faut-il détruire l'Etat pour renaître du chaos ? A tout le moins, il ne faut pas avoir la religion de l'Etat. Il doit redevenir un outil de gouvernement, le couteau suisse du pouvoir, mais pas le pouvoir lui-même, car intrinsèquement pervers, qui se redivise, se clone en permanence. D'ailleurs, c'était écrit dans la Constitution de 1791 (Titre Premier, Art.1): La Constitution garantit, comme droits naturels et civils... Que tous les citoyens sont admissibles aux places et emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talents. A partir de là, le pouvoir se fragmente à l'envi pour en faire vivre le plus grand nombre, sans tenir compte des besoins administratifs ni proportionnalité. Attali a rêvé sa croissance, mais a raison sur la cible.

Ce billet a été publié par l'AF2000 dans son numéro (2803) daté du 21 octobre 2010 sous le titre "Le bon grain et l'ivraie". La version originale est augmentée ici d'un paragraphe "développant" la bureaucratie.

Notes
(1): Commercial, comptes publics et social (retraites et assurance maladie)
(2): Les derniers intérêts des emprunts étrangers de la République de Weimar pour refinancer les dommages dûs, ont été réglés en septembre par la RFA.
(3): Bigade anti-criminalité au contact des malfaisants ordinaires

Dans le Bulletin périodique officiel n°59 de l'Alliance Royale, Gérard de Villèle, dans un long article intitulé « A propos de démocratie équitable » brosse la réalité du pouvoir helvétique et de son impérieux principe de subsidiarité. Au résultat, un Etat minimal qui ne pèse pas sur la production de richesses. Nous en reprenons des extraits qu'il est inutile de commenter.
En Suisse, il y a autant de parlements et autant de gouvernements que d'entités politiques : Confédération, cantons et communes. Et ils sont, les uns comme les autres, jaloux de leurs prérogatives.[...] On n'y prononce pas le mot de subsidiarité (même pris à contresens), mais, c'est bien le mot qui convient pour définir cette répartition des tâches, qui part du bas vers le haut[...] Il est à remarquer que ces élus ne reçoivent que des indemnités modiques (citons l'exemple du ministre des Finances qui vient de son canton jusqu'à Berne chaque lundi en train, en seconde classe, et en repart en fin de semaine toujours en train et en seconde classe, en ayant vécu dans une pension de famille bernoise), et tous, exercent par ailleurs une activité professionnelle principale. Les ministres sont en nombre réduits (et disponibles car en congé professionnel) : ils ne sont que sept pour la Confédération... Parmi lesquels est désigné, pour un an, le président de la Confédération, qui conserve durant son mandat ses charges et son travail de ministre.[...] On dit que les Français travaillent pour l'Etat jusqu'au milieu du mois de juillet - histoire d'expliquer peut-être et désormais la date de la fête dite nationale - mais en Suisse, c'est le 31 mars que les Suisses commencent à engranger les fruits de leur travail. Et pourtant la Suisse n'est pas endettée, elle gagne même, année après année quelques pour cents de bénéfice...
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jeudi 21 octobre 2010

Tauromachie

Le Royaume d'Espagne saisit la corrida comme un bien culturel en transférant sa réglementation du ministère de l'Intérieur au ministère de la Culture. C'est la conséquence de l'abolition votée par le Parlement de Catalogne le 28 juillet 2010. Même si le débat a eu lieu (68 pour, 55 contre), cette loi régionale n'est pas une loi "humanitaire". Elle accroît la fracture entre Barcelone et Madrid, les Catalans quittant leur hispanité pour se fondre dans l'entropie européenne et y assurer un avenir distinct. L'uniformisation promue par Bruxelles, tous ensemble, tous pareils, fait des clients à la fédération mais il n'est pas dit qu'au bout du compte elle leur apporte plus de "bonheur".

Sans remonter aux calendes, la Catalogne fut une province du Royaume des Francs et les Barcelonais furent vus à Senlis en 987. Proche de l'Aragon qui donna des rois au sud de la France, elle s'est toujours distinguée de la Castille hispano-moresque par sa langue occitane et ses moeurs très méditerranéennes. La corrida participe des jeux du cirque en Catalogne comme dans le reste de l'Occitanie, alors que le rite est à la fois solaire et funèbre en Castille et en Andalousie qui gardent vivace la conjuration des jeux crétois.
Le "cirque" se porte bien en France, les places de tradition taurine, ne sont pas en panne d'audience. Dax, Béziers, Nîmes, Arles pallient un peu leur assoupissement économique par des férias très courues.

Là-bas par contre, au coeur du pays brûlant, le jeu crétois subit la concurrence furieuse des distractions modernes que sont le football et les spectacles de masse. Il faut dire qu'il est d'un autre niveau, ce qui n'est pas dans l'air ambiant de la disneylandisation abêtissante.

La corrida canal historique conjure la Mort. Même si ce n'est pas vendeur, sa liturgie mérite une explication et ses manifestations publiques une protection patrimoniale. Faisons un peu d'explication. Depuis la nuit des temps, le taureau est une idole méditerranéenne comme le dragon en Asie. Il incarne la force obscure dans toute sa brutalité et sa rencontre est le plus souvent fatale. De notre côté, la mort est la seule certitude de l'homme et depuis l'Antiquité nous ne concevons d'autre existence que celle du corps physique. Même si le désespoir et sa révolte nous appellent vers des "explications" rassurantes, le cortex reptilien nous fait comprendre en conscience que la fin s'approche chaque jour. On se vengera de notre inexorable destin en tuant le taureau, après avoir regardé la Mort en face, les yeux dans les yeux, et en avoir cette fois encore réchappé.

La liturgie - le matador est un prêtre - n'impose pas la loi de l'homme au taureau, on ne dompte pas la Mort. On la trompe. Il n'y a pas de place pour la pirouette, la danse, la joie, tout le rite est déroulé dans une exposition au danger mortel qui préfigure la dignité voire l'orgueil que l'on montrera devant la Mort aux autres et à soi-même, au dernier jour de sa vie. C'est tout le mépris castillan devant l'adversité, puis le néant. Tu peux me tuer, tu ne peux pas me vaincre, "Yo, el rey !". La posture n'est pas "méridionale".



Intéressons-nous au taureau. Comme la vierge sacrifiée, il ne doit jamais avoir combattu l'homme et doit être brave et impressionnant. Au sortir du toril, la lumière explose, il découvre l'arène, en fait le tour et choisit sa base de combat, car le combat est sa nature. Le taureau va répéter ses assauts sans imagination, mais la Mort est sûre de la conclusion et n'a pas besoin d'intelligence. A quoi l'homme oppose sa volonté, sa malice, en faisant sortir le fauve de sa base, comme lui-même quitte la sienne qu'on appelle "angoisse". Sans l'angoisse, les coups ne portent plus, on se mesure, on se frôle, on se caresse. Un seul des deux connaît la fin. Quoique ! La Mort n'a d'autre ressource que de briser le rite, de fondre sur sa proie, de tromper l'autre ; certains fauves apprennent plus vite : le torero cordouan Manolete, mythe divin, arrogant et triste, fut ainsi tué par Islero, un Miura de 500 kg, le 28 août 1947 aux arènes de Linares. L'Espagne prit le deuil. Ces taureaux "rapides" sont le plus grand défi pour l'homme, aussi limite-t-on le combat à quinze minutes ; au-delà, il sait !



Pour combattre la mort brute, le torero se pare de lumière, un soleil à lui-seul, en charge de tuer l'angoisse et le désespoir d'ordre et pour compte des spectateurs. La corrida est une tragédie qui vient de loin - littéralement le chant du bouc qu'on égorge - même si la messe n'a pas toujours eu les mêmes répons, même si la chorégraphie est relativement récente.
« La victoire que le Grec remportait par le verbe et par la pensée, l'Espagnol l'obtient par l'action. Ainsi les arènes furent-elles pour ces peuples ce que le théâtre fut pour les Grecs : une école morale où s'affirmait non pas une pensée mais un style » (Michel del Castillo).
Il est normal que le gouvernement espagnol ait rattaché la corrida au ministère de la Culture.

Cela n'empêche pas la Catalogne de poursuivre sa quête identitaire. Elle ouvre ces jours-ci à La Jonquera le plus grand bordel d'Europe, qui drainera l'épargne du Sud-Ouest français. A quand la République ? Il ne faut pas poser la question.

 

dimanche 3 octobre 2010

Au roi et vite !

Ce court billet fut publié la première fois le 7 mai 2006 pour préparer la campagne d'Yves-Marie Adeline, sous le titre "La Chevalerie nécessaire". Nous le rééditons après la Marche des Millions d'hier, à qui l'on n'a rien expliqué, ou qui n'ont pas compris que la providence est morte.

En ces temps de putréfaction d'un régime agonisant, on se surprend à rêver à des mythes enfuis depuis longtemps. J'ai besoin d'air frais, d'eau claire, de pures demoiselles, gentils damoiseaux, preux chevaliers. Toute la ménagerie romantique au son du cor au fond des bois, rappelant les mânes de Roland, Perceval, Lancelot, Arthur partis quérir le Graal, afin d'oublier pendant une heure la misère morale dans laquelle on veut nous étouffer.

A voir le succès écrasant d'ouvrages comme le Da Vinci Code, qui veulent faire revivre l'âge d'or supposée de la monarchie première, qui veulent annoncer "le retour du roi", le grand monarque, ses ascendances davidiques, et pourquoi pas la judaïté des Gaulois ou des Goths, on mesure l'appel d'air pur nécessaire à chacun pour supporter un quotidien souvent minable. La saga des Anneaux participe elle-aussi de cet engouement, vécu dans une crasse idéologique que l'on aurait jamais crû rencontrer après l'effondrement de l'empire du mal.
En fait la menace que l'empire soviétique était parvenu à nous faire assimiler complètement par le vacarme adroit d'un prompt engloutissement sous un déluge de fer et de feu, obligeait nos nations repues à se tenir propres. L'ours abattu et sa peau mise en tapis, on vient danser dessus la farandole grotesque de nos moeurs décadentes, moeurs que nous voulions exporter dans le monde entier dans les fourgons de la globalisation, comme la World Gay Pride de Jérusalem par exemple, mais que certaines nations réveillées commencent à nous refuser. Et nos grands esprits de prédire l'imminence d'un choc des civilisations.

Qui pourrait bien avoir lieu, tant notre "way of life" est en train de dégoûter de monde, autrefois tiers, aujourd'hui émergent, ce monde relativement neuf dans ses perceptions modernes, mais qui voit ses valeurs essentielles fondre comme beurre au chaudron sur un feu de dollars.

Il y a réaction !
Non pas tant sur les traditions ou les coutumes qui appartiennent au domaine des signes de reconnaissance et gardent toutes leurs chances de survie dans les rapports du clan, mais déjà pour préserver la consolidation du socle civilisationnel de ces empires revenus parmi nous, que la folle globalisation menace d'entamer.

Malheureusement, en Europe et en France surtout, l'équation du déclin, inéluctable en l'état des modèles retenus, n'est pas clairement posée. La vérité fait peur ! A nos hommes politiques qui pressentent un coup de massue s'ils la disent, mais aussi aux gens du commun qui ne tiennent pas à connaître l'étendue du désastre promis, et se perdent dans une fébrilité de consommation ou d'épargne, comme pour oublier leur mal aux dents.

Or notre démographie normale est négative, les surplus annoncés par l'institut statistique sont éminemment dangereux pour notre civilisation.
La proportion d'actifs devient incapable de porter à bout de bras le nombre impressionnant des inactifs. La France est devenu un pays de vieux.
Les systèmes de prévoyance et de sécurité sociale sont en faillite, et ne peuvent plus compter sur les abondements du Trésor depuis que l'on sait que notre dette publique est bi-trillonnaire en euros, ce qui met son service et a fortiori sa réduction, hors de portée. Nous vivons à crédit comme des cigales. La crise financière peut être extrêmement sévère pour la classe moyenne et basse.
Notre jeunesse est devenue encore plus peureuse que ses aînés et se bloque, ou se laisse bloquer, dans un immobilisme jamais vu chez cette classe d'âge.
Nos moeurs se liquéfient au motif de la liberté de chacun de se "réaliser pleinement", provoquant de multiples déchirures dans le tissu social que l'on veut maintenant reprendre par les coutures du communautarisme, système parfait pour exacerber les antagonismes. Ce dont nous avons le moins besoin dans notre situation.

Plus que jamais il nous manque un axe, un dessein national, et quelqu'un de chair et de sang pour l'incarner. Une nation, c'est comme de la limaille de fer ; les grains sont de toutes tailles, mais pour les mettre en ordre il suffit d'un champ magnétique. La monarchie incarnée dans un roi crée ce champ magnétique.
Le roi est un aimant d'organisation.

le roi mythique
Il faut tout demander à ce prince réclamé que certains attendent depuis si longtemps, de génération en génération. Il doit avoir une âme de chevalier et la distinction naturelle qui se porte avec. Je le souhaite intelligent, perspicace, travailleur, résistant à la fatigue et plutôt adroit et libre de raisonnement parce qu'il aura fort à faire pour redresser la barre. Pugnace, tenace, politique et beau. Car il devra susciter l'affection, provoquer l'engouement d'un peuple remuant et ingrat, finalement pas si exceptionnel que ça même s'il s'en vante partout !

Après deux cents ans de républiques à éclipse, un lavage de cerveau généralisé, la destruction de la foi chrétienne, l'enkystement de la caste des médiocres dans le corps administratif de la nation, l'affaissement durable de notre économie, la pusillanimité de nos forces de sûreté, la confiscation du système éducatif par les maîtres, la subversion de notre magistrature, et bien d'autres désagréments à surmonter, celui qui reprendra la main devra n'être rien moins qu'extraordinaire.

Bien sûr le principe monarchique prime sur la qualité du titulaire pour son efficacité et devrait permettre de se passer de cette ardente exigence, mais pour instaurer à nouveau ce régime, à peine de n'en voir que les prémices sinon au plus loin ses cent jours, on ne pourra pas se passer d'un personnage véritablement d'exception pour "réamorcer".
Le roi du vitrail ? Le roi de l'affiche ?
Le prince des Invalides ?

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