lundi 29 mai 2017

Fin d'un cycle souverainiste

Premier Edouard Philippe
On le sentait venir dès l'intronisation sans en avoir la certitude ou l'espoir selon l'opinion de chacun, le jeune président allait ringardiser la classe politique malgré le renfort des gérontes et la feuille de route paternaliste de monsieur Fabius. Les "gens", comme nous appelle Jean-Luc Mélenchon - le grand battu de l'élection présidentielle - en ont ras-le-bol, et du désordre général de la société française et de l'invocation incessante aux mânes des ancêtres, fondateurs et autres statues de bronze verdi de la République en soins palliatifs. En langage de djeune on dit : soûlant ! Droite, gauche, les mots-valises sont vides de sens, sans valeurs, et les porteurs de valise inaudibles. On refuse de les écouter. Les incantations gaulliennes de certains le disputent à la mesquinerie programmatique des autres, la mobilisation de classe tentée une dernière fois par les partis de la gabegie menacés ne parvient pas à coaguler les opinions réputées de gauche, mais qui ont retraité partout sur le spectre politique nouveau. Le Français veut du neuf et que crèvent les Guaino, Hortefeux, Accoyer, Aubry, Cambadelis, Dray, Le Guen, Vaillant, Raffarin, Woerth, répétiteurs usés d'un théâtre sans public. Et quid de Collomb à demi gâteux. C'est l'opportunité, pour une nouvelle génération guidée par la raison et les réalités, d'accéder aux affaires publiques. On en trouve partout et je vais en citer une quinzaine, hors gouvernement, pour faire bon poids :

Baroin avait ses chances en substitut d'un Fillon incapable d'atterrir dans le monde réel, il est le leader naturel du parti républicain survivant, il aurait mieux fait d'en être sûr il y a deux ans. A côté de lui, les gens comprennent les positions, discours ou postures de Wauquiez, Kosciusco-Morizet, Beigbeder, Keller, Solère..., à Blois Rama Yade et aussi bizarre que ça puisse paraître, Sarkozy, dont le discours n'est pas formaté par les vieilles lunes même s'il a fait bosser Guaino.
Jadot, De Rugy, la belle Pompili sont convoqués à critiquer Nicolas Hulot sur un argumentaire étayé avec une certaine audience mais ailleurs ne restent que Hamon, Corbière plus que Garrido et quelques autres à savoir articuler une proposition politique d'équerre ; à noter El Khomri courageuse et compatible ; sinon le reste est mort de darwinisme aggravé, fameuse loi d'attrition des espèces inadaptées. Reste Mélenchon (36 ans de carrière politique !) transformé en cairn terrier bolivarien de l'opposition en meute, petite meute. Si on continue à gauche, on arrive à droite, et là c'est le désert depuis que Marion Maréchal-Le Pen a jeté l'éponge. Nombreux étaient les électeurs frontistes de second tour qui ont voté FN en attente de ce jeune leader naturel qui accumulait les preuves de ses capacités. Royal-Artillerie l'a déjà dit ici. Personne ne s'enflammera plus pour les frères Philippot, Rachline, Collard ou le pâle Aliot, Nicolas Bay peut-être, un mégrétiste, ça s'explique. Sinon c'est mort comme le prouve le pronostic d'Opinionway dans l'hémicycle ci-dessous :

Sondage Opinionway du 26 mai 2017


Dans Challenges, Bruno Roger-Petit a stigmatisé la ringardise que nous évoquions en amorce de ce billet. Il m'autorise à le citer. Attention au verre pilé, éloignez les enfants : « Qui confesse la fascination de la sphère médiatique pour les tenants de la fermeture et du conservatisme, en ses multiples facettes… Après le Brexit et Trump, la sphère avait programmé l'avènement de la fermeture et du conservatisme… Au mieux, elle attendait Fillon. Et Sens commun. Et la Manif pour tous. Et l'insécurité culturelle en bandoulière. Au pire, elle guettait Le Pen. Et la sortie de l'Euro. Et la préférence nationale. Et la grande division française. Bref, la sphère, après avoir starisé l'ensemble protéiforme des enfermés et des conservateurs, avait comme fini par penser elle-même que l'image qu'elle offrait à voir au peuple était devenue vérité. Zemmour et Polony le matin, sur RTL et Europe 1. Finkielkraut et Onfray chez Taddeï et Ruquier le soir sur France 2. Et bien d'autres, ici et là, où l'on discute et dispute les moindres soubresauts de l'actualité… Tous étaient dans la place, en majesté. Partout, la Réac académie. Depuis dix ans. Et tous annonçaient la fin du politiquement correct, des idéaux progressistes, et d'une certaine idée de la France. La sphère les avait créés et elle en était contente. La triangulation de Gramsci était accomplie et l'hégémonie culturelle acquise grâce à eux. Leurs audiences, partout où ils étaient produits, confirmaient l'intuition...»

C'est vache de la part de BRP mais le corps électoral, souverain constitutionnel, a désavoué la sphère. Il a acheté l'Europe fédérale, la flexisécurité, le chômage précaire, l'euro, l'élégance intellectuelle, les paillettes du golden boy et une jeunesse qui a fait ses preuves par trois, millions. Macron n'est pas "mon" programme mais le peuple a dit ! Les grincheux et les battus (c'est pareil) dénient la légitimité de l'impétrant au motif que sa base électorale serait minoritaire en arithmétique. C'est faire preuve de bêtise puisqu'il n'existe aucune légitimité du nombre en République pour cause de prolifération des écuries courant aux cocardes avec chauffeur. Tous les présidents élus de la Cinquième l'ont été au second tour, donc minoritaires au premier sur un socle parfois étriqué (cf. Chirac). La seule légitimité s'il en faut une, est d'exercer quotidiennement le pouvoir en étant obéi sans reproches ni murmures par l'administration du pays. C'est le cas. En fait, la démocratie c'est de l'algèbre plutôt que de l'arithmétique. Dur, dur pour les littéraires !

Carl Lang - PdF
Au milieu des ruines (comme disait l'autre) on remet aujourd'hui en marche le moulin à poivre du souverainisme autour des mêmes (clic), nul ne voulant croire que le segment politique ait disparu. Nous voyons des gens de qualité se parler, faire cénacle avant de faire un parti éphémère, qui pensent avoir une créance sur l'avenir. C'est la démarche souverainiste agglomérante qui n'a jamais rien remporté parce que la lutte des ego a toujours primé l'intérêt général et que le corps électoral se méfie terriblement des politiques qu'il a prématurément usés. Du jour au lendemain ces gens si distingués sont devenus des cadavres exquis. Inutile d'attendre que Macron en ses conseils et son gouvernement se plante pour appeler au recours. Aussi haut que sera remontée la boule de neige, elle ne déclenchera pas d'avalanche. Toute une classe est sortie de l'épure pour n'avoir pas compris les vrais ressorts de la société française que les générations montantes veulent façonner autrement, connaissant le passé mieux peut-être que ne le croient les anciens, mais ne le jugeant pas utile dans la configuration socio-économique de demain matin. Sur ces bases, on dégage le vieux monde, et j'en suis !

Carnage de l'entre-soi : les souverainistes s'enferment, s'emmurent, ne voient plus le soleil d'Austerlitz, seul les éclaire le pessimisme aux falots tremblants de la crypte où on fait de l'écho pour passer le temps. Nous ne les nommons pas pour ne pas ajouter l'insulte à la disgrâce ; ils sont morts, et leur propre appréhension du monde en insinue malgré tout l'idée dans les cerveaux. Ils perçoivent vaguement leur inutilité, ne peuvent pas le dire, se réunissent pour un dernier pétard mouillé aux législatives puis disparaîtront, épuisés mais ravis d'avoir fini de pousser le rocher de Sisyphe. Ceux qui ont tenté le diable comme Villiers ou Chevènement vous diront qu'il y a des fenêtres d'opportunité, des trains qui passent puis qui ne passent plus. On ne peut plus balader des partisans jusqu'au prochain scrutin comme le font les Le Pen depuis toujours en comptant d'avance les sous rapportés par la séquence électorale. La prochaine fois... il n'y aura pas de prochaine fois !

Macron a prévenu le président Juncker qu'il ferait tout pour gommer les débordements insupportables de la Commission européenne à commencer par le dumping social. Il va couper l'herbe sous le pied aux europhobes allant jusqu'à disputer sa rigueur intenable au dogue de Berlin. Varoufakis* a parfaitement vu la fente dans la palissade libérale en soutenant Macron*. Sur quoi nous battrons-nous dans quatre ans s'il réussit ? Et ne faut-il pas souhaiter qu'il réussisse pour l'avenir de notre pays ?

La donne est passée maintenant aux quadragénaires décatalysés avec quelques accommodements pour satisfaire aux équilibres victorieux. Rien n'est repris du fonctionnement des quinquennats précédents. Le nouveau pouvoir est attentif à lui-même, à ses dossiers et à sa communication la plus sobre possible. Modelant la gouvernance à sa main, l'Elysée a pris le parti de se taire le plus souvent, à l'Ottomane, ce qui enrage la corporation des ratés qui se nourrissent des excréments médiatiques du pouvoir et croient gouverner en lieu et place des élus par l'alarme, le scandale, le scoop.

L'affaire Ferrand est typique de cette gestion muette du problème. On ose s'opposer à la Sainte Inquisition du Canard Enchaîné et pis que tout, Matignon snobe la campagne de presse contre le ministre, ce qui a le don d'enrager les dîneurs du soir qui somment à tout va, mais en vain ! Les journalistes de gouvernement, les influenceurs qui répugnent à se dépenser dans une campagne électorale pour prendre les choses en main, toute cette racaille planquée derrière une carte de presse, véritable sauf-conduit pour l'assassinat médiatique de leurs semblables, tout ça va être descendu à son niveau le plus trivial, utilitaire, news et commentaires, le quatrième pouvoir, qui a fait tant de mal, va se dissoudre dans le désintérêt général et les avantages fiscaux. Pour qui se prenaient-ils ces types ? Des faiseurs d'opinion, des faiseurs de rois. Tu parles ! Mort aux cuistres, à légions ! Un bol d'air frais !


Et le roi dans tout ça ?
Ben... rien ! La période d'attention de l'opinion aux débats politiques va se refermer. Nul n'a parlé du roi, sauf le président candidat, ce qui est un comble. La roycosphère n'a rien produit d'audible, n'a su promouvoir son offre politique. Les princes pour leur part s'en sont bien gardés. L'opinion avait le souci d'arbitrer au bon sens les choses sérieuses, rejetant les délires et foutaises de préaux, nulle figure de proue chez les royalistes n'a réussi à faire "sérieux". C'est dommage car la défaite cuisante du souverainisme français induit celle du royalisme en son état doctrinal actuel. C'est l'aggiornamento ou mourir. On récrit la copie ! Qui lève le doigt ?

Quant aux deux critiques insatiables au balcon du Muppet Show, laissons-leur le plaisir d'avoir raison tout seuls contre tous.



note (*) : « En écrasant le printemps grec, la Troïka a non seulement porté un coup à la Grèce, mais aussi à l’intégrité et à l’esprit de l’Europe. Emmanuel Macron a été le seul membre du système qui a essayé de s’y opposer. Je pense qu’il est de mon devoir de faire en sorte que les Français progressistes, sur le point d’entrer (ou de ne pas entrer) dans le bureau de vote au second tour, fassent leur choix en ayant pleinement conscience de cela », écrivit M. Varoufakis entre les deux tours de la présidentielle (cf. Libé).

Postcriptum : on aurait pu faire un billet de même poids sur l'ensemble de l'Union européenne en amorçant outre-Manche depuis que le UKIP n'a plus qu'un seul conseiller municipal après Brexit depuis le 4 mai 2017 (date de l'élection à un tour des municipalités); ils avaient 144 sortants ! Les résultats hollandais et autrichiens n'ont pas été probants, l'AfD allemande est vampirisée par Martin Schulz... Ailleurs les souverainistes, même minoritaires, ne progressent plus parce que leurs adversaires s'organisent, jusqu'en Pologne. L'échec français a un retentissement considérable autant que le succès promis qualifiait partout les partis nationalistes.

dimanche 28 mai 2017

Flotte stratégique

Sommes-nous devenus intelligents ? Le jour de son départ de Matignon, l'ancien maire de Cherbourg, Bernard Cazeneuve, a signé le décret* de la flotte stratégique. Non, non, ce ne sont pas les sous-marins nucléaires construits aux arsenaux de Cherbourg justement, ni le groupe aéronaval que nous promenons au bord des zones de conflits pour nous conserver le fauteuil au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Ce sont les chaînons de nos filières logistiques salées qui jusqu'ici n'étaient pas gérés autrement que par la mobilisation générale de moyens affectés (plus ou moins) à des besoins à naître du conflit en préparation. Autant dire le grand flou. Le décret* définit ainsi le pool concerné :

La flotte à caractère stratégique instituée à l’article L. 2213-9 du code de la défense comprend :
– Les navires et emplois y afférents susceptibles d’assurer, dans une logique de filières stratégiques et aux fins de préserver l’intégrité de celles-ci, la sécurité et la continuité :
1° Des approvisionnements industriels, énergétiques et alimentaires du territoire métropolitain et des outre-mer ;
2° Des transports opérant dans le cadre d’une délégation de service public ;
3° Des services portuaires et des travaux maritimes d’accès portuaire ;
4° De l’intervention et de l’assistance en mer des navires en difficulté ;
5° Des communications par câbles sous-marins ;
6° De la recherche océanographique ;
7° Des travaux de production énergétique et d’extraction en mer.
Et plus loin il est précisé - ce qui montre en creux qu'on va récupérer des moyens originellement français mais passés sous pavillon de complaisance si nécessaire, la langue de communication entre les navires affectés à la flotte à caractère stratégique et les autorités publiques françaises est la langue française.
* Le décret n°2017-850 du 9 mai 2017 est accessible en cliquant ici.


Reste à établir la liste des navires et autres moyens mobilisables et suivis dès à présent. Disons tout de suite que ce n'est pas l'ancien maire du Havre qui va revoir a minima ce dispositif intelligent, qui peut-être a motivé une passation de pouvoirs particulièrement chaleureuse à l'hôtel de Matignon.

Nouvelle goélette ARANUI 5 pour la Polynésie française

Pour bien comprendre les types de navires stratégiques, au sens des intérêts immédiats de l'Etat en temps de paix comme en temps de guerre, nous citerons les remorqueurs, des dragues, des démineurs, les moyens de liaisons maritimes en continuité territoriale comme les ferries ou les goélettes polynésiennes, des méthaniers, des porte-conteneurs, les vedettes de la SNSM... « Cette flotte fait l’objet d’un plan triennal arrêté par le ministre en charge de la marine marchande, après avis de cette commission (interministérielle de la flotte stratégique). La liste des navires est tenue par le commissaire délégué au transport maritime, sous l’autorité de ce même ministre » nous dit le journal Le Marin. Outre notre marine de guerre, les autres acteurs sur zone sont les Douanes et le futur corps européen de garde-côtes s'il se crée.

Bien qu'impliqué, le ministère des Armées n'est pas l'initiateur de la flotte à caractère stratégique puisqu'il avait déjà programmé ses mécanismes de soutien propre, comme le contrat d'affrètement des Abeilles de remorquage hauturier ou ceux d'autres moyens logistiques. La démarche permet de projeter à cinq ans le panorama des moyens disponibles en cas de crise grave pour tous les services mouillés de l'Etat, et elle accompagne une re-francisation de ces moyens dans une approche de souveraineté quand c'est nécessaire et possible. L'Etat devient stratège (enfin) et commence à prendre en compte notre zone économique exclusive, la deuxième du monde. Il était temps. Bravo à MM. Cazeneuve, Le Drian et au CA Patrick Augier.

ZEE française

jeudi 25 mai 2017

Aux commandes d'AirForceOne

Le grand Gamin tout beauf au chien de prairie mort sur la tête fait un sans-fautes dans le vieux monde, à savoir qu'il n'a encore insulté personne qui ne s'y attendait pas, sauf un peu, le président réélu de l'éternel Iran. Mis à part ce raidissement que nous estimons contre-productif*, le Commander in Chief se couche comme un roseau sous le vent de la realpolitik à mesure qu'il avance dans sa tournée promotionnelle d'une diplomatie en anglais facile. Aussi, l'inquiétude des chancelleries commence-t-elle à se dissiper et le sera tout à fait quand Air Force One décollera de Sicile pour retourner à la Maison Blanche soigner son hyperactivité chronique. Lire avec profit le brûlot mi-amusé mi-angoissé de David Brooks dans le New York Times (15 mai), When the World is Led by a Child.
Note : (*) La République islamiste sera plus facilement abattue par les Levi's 501, les réseaux sociaux US ou chinois et le Coca Cola que par le confinement ou l'embargo. C'est la rue et le bazar qui feront plier les mollahs désormais enrichis et ouatisés.

Hubert Védrine confiait à Pascal Gauchon le mois dernier dans la revue Conflits l'exigence d'une attention redoublée à l'égard du pouvoir erratique américain : « Il va falloir analyser froidement ce qui sort, au jour le jour, de la pétaudière de Washington. Wait and see! Complété par : observation et vigilance. Il est difficile de distinguer les sujets sur lesquels il (Trump) va s’entêter car c’est ce que réclame son électorat (et que de dégâts en vue !), et ceux où la réalité le recadrera brutalement. Ainsi je suis persuadé qu’il ne "sortira" pas les États-Unis de l’OTAN.» On sait depuis ce soir qu'il n'en sort pas !

Ainsi est-il parfaitement inutile de gloser sur les mots de campagne ou les intentions exprimées par le Gamin puisqu'il ne s'y tient pas. On doit suivre l'évolution de la pathologie au jour le jour, noter la température, les humeurs, les silences, et verser la cellule Amérique du Quai d'Orsay à l'Hôpital Sainte-Anne de Paris, spécialisé dans les chiens fous et autres canards sans tête, qui démêlera tout ça. Bonjour monsieur Le Drian ! Autant dire que dérouler une prospective de la présidence Trump est se foutre du monde, ce que nos experts en géostratégie savent faire le mieux, jamais décontenancés par l'infirmation de tous leurs savants pronostics.

Au fait, on dit que l'ambiance au retour sera russe. Flynn, Comey, Rosenstein, Manafort, Brennan, Mueller, Sessions et l'ambassadeur Kislyak sont dans le casting de vidange de la fosse à purin des interférences russes sur la campagne présidentielle de 2016. Trump est-il vraiment au courant des détails ? Ses dénégations marquent plus l'agacement de subir le pilonnage de la presse qu'il hait que la conviction d'avoir tout bien fait tout propre. Y comprend-il quelque chose ? oui, si on le lui explique longtemps ! Une procédure d'impeachment ne sera pas enclenchée au Congrès puisque les Républicains ont la majorité et les investigations en cours, même positives (il y a de fortes chances qu'elles le soient), risquent bien de ne pas l'atteindre au simple motif non dit, qu'il n'est pas capable d'intuiter les nuts and bolts d'un projet pareil ! Les politiciens américains qui vont aux élections de mi-mandat commencent à sentir l'odeur putride de la campagne achevée et intègrent le mouvement présidentiel de navette à tisser dans leur préparation. Faire des croix sur le calendrier mural de la cuisine est leur meilleur anxiolytique.

Finissons sur les résultats de la réunion spéciale de l'Alliance atlantique du 25 mai, qui nous concernent plus que la guerre de cent ans des fils d'Abraham en Palestine que Donald Trump abandonne à leur haine héréditaire : "le problème est tout entier entre vous deux". Qu'ils s'en démerdent !


Le Beauf en majesté bouscule le Monténégrin et prend la pose et la lumière !

A Bruxelles, le Secrétaire général Stoltenberg a organisé les débats en fonction des capacités d'attention du président américain. Ainsi les interventions des chefs d'Etat ont-elles été limitées chacune à deux ou trois minutes pour éviter que le Gamin ne s'empare de son smartphone pour tweeter sur la météo belge ou féliciter la station spatiale ! Les mémos ont été simplifiés au niveau d'une classe de cinquième comme on en fait défiler parfois au Quartier général, sachant que Trump n'avait pas lu les dossiers atlantiques préparés par ses services. L'important pour tout le monde à Bruxelles était que, n'y comprenant rien ou pas grand chose, il laisse les affaires en l'état, se contentant de réclamer une hausse des participations européennes. C'est ce qu'il a fait avec véhémence après avoir évoqué l'article 5*** du Traité de l'Atlantique nord dans son allocution mémorielle devant la sculpture du Onze-Septembre. Il n'est pas allé plus loin dans la confirmation de cet engagement très important pour les Etats riverains de la Mer baltique, si l'on en croit le reportage de Foreign Policy (clic). Il inclut cependant une donnée nouvelle dans le schmilblick financier - et c'est tout ce qui l'intéresse en bon businessman - les contributions promises antérieurement par les Etats-membres et non versées (23 pays sur 28**) sont inscrites au "crédit" du compte US et restent dues, ce qui ne va pas de soi en Allemagne et à l'Est ! Considérons que l'engagement américain du Gamin tiendra bien dix-huit mois à partir de maintenant, après... c'est après, S.E.O.O.* !
* sauf erreurs ou omissions
** selon la Banque mondiale les cinq pays finançant leur défense à 2% PIB ou plus sont les USA, la Pologne, la France, l'Estonie et la Turquie
*** Art. 5 du Traité : « Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord.»
« Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales.»


Double complément : l'Européenne de la délégation américaine est Melania Trump. Slovène de naissance, Melanija Knavs parle cinq langues et a vécu quelque temps à Paris, Londres et Milan. Elle affirme à qui veut bien cesser de l'admirer pour l'écouter un peu, donner son point de vue sur tout à son mogul de mari, qu'il en tienne ensuite compte ou pas.
De formation pratique - sa beauté rayonnante n'empêche pas un don de perception des réalités - elle apporte le témoignage de captivité des Européens de l'Est et plaide pour sauvegarder aujourd'hui leur sécurité. Elle montre aussi une certaine finesse dialectique qui semble interdite à son mari . Elle assume sa charge de First Lady avec élégance ; c'est l'Europe finalement !
Autre "modératrice" de talent dans l'entourage présidentiel, Yaël (Ivanka Trump) Kushner. Elle a du sang tchèque par sa mère et parle aussi français. C'est une battante intelligente qui sait réussir en affaires de façon classique et s'est convertie au judaïsme par amour. Les femmes de l'entourage Trump remontent le plafond de verre de la compréhension du monde, comme souvent :)



lundi 22 mai 2017

Les licornes de fer de l'empire céleste


OBOR, c'est le grand projet impérial du China Dream de XI Jinping, One Belt, One Road, appelé à structurer la diplomatie chinoise sur toute l'Eurasie en structurant des axes de développement lourd : on parle infrastructures logistiques, centrales électriques, urbanisation... Des variantes plus ambitieuses encore sont diffusées par les agences d'influence pour ajouter un peu de "romantisme" au projet mais aujourd'hui nous nous en tiendrons aux segments parfaitement concrets. Les acquis chinois sont déjà nombreux sur la zone d'effort et formatent les relations diplomatiques avec les deux autres empires, Fédération de Russie et par ricochet les Etats-Unis. Une carte d'abord, prêtée par le MERICS de Berlin (The Mercator Institute for China Studies) pour cerner le projet.


Le pivot historique de la Route de la Soie est en Iran. Les échanges entre le Cathay et la Perse remontent à l'époque des Parthes et il y a du respect mutuel entre les deux nations. Placé jadis au cœur du dispositif commercial est-ouest, l'Iran retrouve naturellement ses marques dans l'OBOR. C'est dans l'ombre de cette influence que s'inscrit la revitalisation du couloir de l'Indus jusqu'au nouveau port pakistanais de Gwadar au débouché du Golfe persique sur le détroit d'Ormuz, qui permet aussi d'accéder à l'Océan indien, zone commerciale la plus prometteuse dans l'avenir. Au nord, les républiques turcophones s'emboîtent les unes dans les autres, chacune ne valant que ce que vaut ses voisins. Elles permettent en bout de course d'atteindre la mer d'Azov en passant au nord de la Caspienne. Elles sont alliées à la Chine pour deux raisons : le marché chinois de consommation d'hydrocarbures et de coton d'une part, de l'autre, la résistance opiniâtre de Pékin à l'irrédentisme ouighour qui menace les autocraties régionales par ses fermentations islamistes. Le débouché naturel occidental de la Route de la Soie est la Turquie, ou la Syrie ! On comprend qu'Erdogan ait fait le voyage.

Mais l'OBOR est plus avancé qu'un "projet". Empruntant les infrastructures soviétiques, la Route de la Soie est déjà ouverte dans sa partie froide. Ainsi le trafic ferroviaire par train-bloc vers le soleil couchant fut inauguré le 5 juillet 2015. Un test de 80 conteneurs sur wagons fut lancé au départ de Kunming (Yunnan) pour remonter à Zabaïkalsk sur la frontière russe, traverser la Sibérie puis la Biélorussie jusqu'à Brest et enfin Malaszewicze en Pologne pour transborder les boîtes sur des wagons à l'écartement anglais. Puis Rotterdam. Le trajet dura 19 jours. Les porte-conteneurs de la conférence font Ningbo-R'dam (container yard à container yard) en 50 jours (source). Un test ponctuel fut fait en 2014 entre Yiwu et Madrid. Donc la logistique ferroviaire n'est pas complètement ringarde, d'autant que les Chinois ont montré leurs capacité à lancer des trains de 200 conteneurs sur la taïga. En janvier 2017 ils ont fait un Yiwu-Barking (Londres) en 18 jours. Et le 10 avril dernier (en photo ci-dessous) un train de whisky est parti de Corringham pour Yiwu (Shanghaï).


L'intérêt est de s'affranchir des aléas maritimes et géopolitiques dans une solution quand même rentable en participant au développement local de l'Asie centrale. C'est un peu la philosophie d'aménagement de l'Ouest sauvage américain par les fameuses lignes transcontinentales. Les cadences ne sont limitées que par les capacités de transbordement à l'écartement large ou normal. Les programmes sont établis vers des chantiers classiques de manutention comme Duisburg, Hambourg, Rotterdam... La Deutsche Bahn, opérateur majeur de ce trafic signale que 40000 conteneurs ont été acheminé sur le fuseau Chine-Europe avec des délais compris entre 12 et 16 jours. Un trafic annuel de 100000 conteneurs sera atteint en 2020 (source). Les opérateurs majeurs sont pour l'instant hollandais, allemand et suisse. Le temps est la moitié du transit time maritime, la masse transportée plus rapidement est bien moindre certes et le prix à la tonne moins avantageux (un porte-container océanique prend de 5 à 10000 boîtes de 40 pieds) mais le prix par fer est beaucoup moins cher que par avion pour un délai acceptable. Le transport ferroviaire est auto-financé ; inimaginable en France où l'on chercherait partout des subventions publiques pour construire l'usine à gaz qui va bien !

Il est probable que ce volet ferroviaire sera pour longtemps l'axe majeur de l'OBOR, entre deux puissances économiques (UE et Chine) écrasant toutes les autres sur le continent eurasien. Les ateliers de Dalian ou Datong produisent des locomotives "grand froid" qu'ils vendent facilement en Asie centrale. Par chance les opérateurs européens sont habitués à gérer la complexité de ce type de trafic sur le réseau dense européen, et le dispositif nous apporte de la valeur ajoutée. Le projet est typique du gagnant-gagnant. Il nous reste maintenant à charger des trains vers la Chine :) Notons pour les archives historiques que Calberson France avait lancé un projet de train-bloc régulier entre Gennevilliers et Pékin à la fin des années 80, en raccrochant le Transsibérien en Pologne. Comme souvent en France, les autres acteurs sont restés assis pour voir ce qu'il adviendrait du projet, bien qu'il soit soutenu officiellement par les opérateurs chinois. C'était l'époque où toute l'équipe Calberson Chine parlait couramment le mandarin, mais pas sa haute direction. L'entreprise (GEODIS) appartient maintenant au pôle fret de la SNCF.

Train-bloc chinois vers Riga (Estonie)

On gardera pour une prochaine fois l'étude de la concurrence ainsi créée avec le Passage du Nord-est qui est en cours d'exploration. Il s'agit de passer des navires de commerce entre la Mer du Nord et la Mer jaune par l'Océan arctique en profitant du réchauffement climatique. On peut anticiper que cette route sera empruntée par les vraquiers plutôt que par les porte-conteneurs qui ont besoin de régularité et de ports d'escale rapides, ce qui n'est pas le cas sur toute la côte russe.

Le volet maritime de l'OBOR est moins évident. Les routes existent et sont exploitées par trois alliances maritimes dans lesquelles sont déjà les grands transporteurs chinois : l'Ocean Alliance regroupe CMA-CGM (FRA), COSCO (RPC), Evergreen (ROC) et OOCL (HKSAR). L'inclusion de l'Afrique anglaise dans un courant d'échanges risque d'être décevante, au moins au départ. Il n'y a pas de réels volumes et les acteurs locaux laissent encore à désirer, sauf à recoloniser les ports comme au Pirée. Plus surprenant est le projet de contournement de la Mer de Chine méridionale par les trois fuseaux terrestres : l'un traverse la Malaisie en direction de l'Indonésie par le hub de Singapour, l'autre passe le Triangle d'Or birman (l'ancienne Tea Horse Road) depuis le Yunnan en direction de Calcutta, le troisième descend du Cachemire, longe l'Indus puis franchit le Balouchistan vers le port "chinois" de Gwadar (voir la carte ci-dessus). Les deux derniers fuseaux posent problème à l'Inde qui, accablée de neuf cents millions de pauvres, n'a pas les moyens de suivre, encore moins de concurrencer le projet de Pékin par le sien propre. Mais le but à atteindre n'est peut-être pas si désintéressé pour Pékin.


La masse de crédits d'investissements déversée sur les fuseaux terrestres de la One Belt sera en renminbi yuans. A partir d'un trillion de dollars en RMB en circulation hors de la zone d'intérêts chinois (Asie du Sud-Est), la monnaie céleste devient une devise internationale et monnaie de réserve, et on parle déjà au pluriel, en trillions ! Paul Chan Mo-Po, Secrétaire au Trésor de Hong Kong, ne s'y est pas trompé qui veut mettre au pot de l'Asian Infrastructure Investment Bank et faire prendre par les banques de la place les opérations quotidiennes de l'OBOR. D'aucuns doutent que les tycoons honkongais suivent le risque pris par l'Administration en surenchérissant sur l'OBOR, leurs affaires locales rapportant bien plus et sans risques majeurs ni souverains. Il n'en reste pas moins que le savoir-faire inimitable de la place de Hong Kong et ses connexions privilégiées au sein de la galaxie Nylonkong (clic) sont un atout pour le projet de Xi Jinping.

Plus généralement, le projet chinois qui devrait mobiliser des trillions de yuans sur dix ans suscite réticences et jalousies d'autant plus que Pékin "achète" les pays partenaires par des crédits à guichet ouvert. OBOR c'est open bar ! Ce pourquoi la délégation de l'Union européenne au grand raout du 14 mai à Pékin a marqué publiquement son agacement en brandissant les barrières non-tarifaires chinoises au commerce réciproque, sans parler des libertés publiques fortement secouées en Chine continentale.
Le président de la Chambre de commerce européenne à Pékin, Wuttke, est allé jusqu'à dévoiler que les compagnies chinoises profitaient de l'ouverture des investissements extérieurs pour faire évader plus facilement des capitaux. L'Inde pour sa part a montré son petit air boutique en refusant que "son" Cachemire soit inclus dans l'OBOR. Par contre Kim Jong-un avait envoyé un observateur : des cartes existent pour un fuseau Harbin ou Shenyang vers Busan sur la mer du Japon. Les Etats-Unis étaient absents ; Donald Trump essaie de comprendre ce qu'il se passe dans tous ces p*tains de pays imprononçables comme la Saskatchewan. Mais Vladimir Poutine est content, lui qui bénéficie gratuitement de la géographie ad hoc pour profiter à fond de ce projet colossal.

China Ocean Shipping (Group) Company

Postscriptum : un éclairage différent sur l'excellent site QuestionChine :
Le projet pharaonique des routes de la soie à 1700 milliards de $ par François Danjou (17/5/17)

jeudi 18 mai 2017

Goulard, une européiste aux Armées

Le ministre des armées parle allemand. Conseiller de Romano Prodi à la Commission européenne, chargée du suivi des travaux constitutionnels de Valéry Giscard d'Estaing, l'énarque fut avant cela et pendant dix ans dans la direction des affaires juridiques du Quai d'Orsay, au sein d'une cellule chargée de suivre la réunification allemande d'Helmut Kohl. A ces titres divers, elle a la Bundesverdienstkreuz (Croix du Mérite fédéral). Elle est ce qu'il est convenu d'appeler une pointure. Son mari étant conseiller d'Etat, elle fait partie de la noblesse républicaine. Entre deux rapports et trois bouquins, elle publia un pamphlet assez corrosif Le Grand Turc et la République de Venise signalant son peu d'engouement pour les ambitions européennes de la Sublime Porte.

Sylvie Goulard et Jean-Yves Le Drian sont les deux poids lourds de ce gouvernement Philippe I. Il n'est pas innocent qu'ils prennent deux domaines réputés appartenir au domaine réservé gaullien, signalant par là que le président Macron va s'appuyer au dossier du fauteuil et laisser gouverner - mais on peut se tromper et soutenir aussi que le combat politique étant porté d'abord sur le Code du Travail, il sera utile que les deux ministères régaliens tournent comme une montre autonome. Goulard étant plutôt typée "Quai", il y aura une bonne entente entre les affaires étrangères et la défense.

Mettre une européiste décorée de la croix de fer à la tête de la défense nationale induit-il que l'axe de progression de nos affaires militaires puisse aller vers cette défense franco-allemande voire européenne qui fait chanter et sauter les cabris ? Nous allons partir de cette hypothèse très plausible.

Les difficultés soulevées par la construction d'une défense commune sont bien connues :

(i)- réticences des pays de l'Est à prendre leurs distances avec le commandement intégré NATO ;

(ii)- budget : personne ne veut payer deux fois, une fois pour l'OTAN, une fois pour la CED, d'autant que la cible des 2% du pib doit être atteinte ;

(iii)- peu d'enthousiasme des peuples à voir revenir dans la géostratégie européenne la France (qui s'est battue pendant des siècles contre tous ses voisins) et/ou l'Allemagne même fédérale (?!) ;

(iv)- place et utilité de la Grande Bretagne dans la configuration continentale ;

(v)- enfin la question qui tue : qui commande ?

Nous allons développer brièvement chaque item.

(I)- A la chute du Mur, tous les pays libérés du glacis soviétique ont candidaté à l'OTAN avant même d'ouvrir des négociations avec le Marché commun. Le déplacement d'une brigade américaine complète en Courlande pour faire baisser le ton du Kremlin comparé à l'impassibilité atlantique dans l'affaire de Géorgie (non-membre) leur a bien fait comprendre la différence entre le in et le out ! A l'heure où nous écrivons, il n'existe aucun pays de l'Est réclamant une défense européenne, d'autant que les élections françaises ont montré une forte hostilité à l'égard de l'OTAN et une compréhension tout à fait étonnante de certains partis à l'égard de la Russie. Des parlementaires français sont même allés en Crimée célébrer l'annexion russe. Or, qu'on le veuille ou non, c'est la France, puissance nucléaire du continent, qui a le majorat de cette défense européenne. Alors risquer le commandement futur d'idiots utiles du FSB n'emballe pas les anciens du Pacte de Varsovie.

(II)- Si tous les pays aujourd'hui dans l'OTAN ont bien compris la nécessité d'accroître les dotations, dans le cas d'un budget européen se posera le problème de la contribution hybride française dans l'enveloppe des 2%. Que vaut la force de dissuasion française dans la défense commune ? Les Français veulent la compter dans les 2% et même la sortir du déficit budgétaire (les 3% de l'Eurozone), les autres pensent déjà que c'est un choix franco-français, un parapluie franco-français, presque un caprice gaullien. A suivre.

(III)- La différence de puissance militaire entre la France, l'Allemagne et les pays de second rang est grande. Il peut y avoir une perception d'écrasement, surtout chez les Etats à palmarès militaires comme la Hollande, le Danemark, la Suède, l'Espagne et dans une moindre mesure la Pologne et l'Italie. Ecouter et adopter les préconisations normalisées, les standards opératoires voire les matériels de guerre de la première puissance du monde ne se transposera pas facilement à des puissances militaires moyennes comme la France ou l'Allemagne. La Grande Bretagne apportait jusqu'ici un point d'équilibre au triangle de puissance par la réputation de son escadre, la technicité exemplaire de son corps d'armée et la retenue en tous temps de son état-major. C'est le point suivant.

(IV)- Outre la qualité des moyens offerts, la Grande Bretagne est aussi un partenaire important dans les moteurs d'avions, les turbines et les missiles aéronautiques. Nous avons des programmes en commun qui nous sont indispensables et on n'a jamais rien fait de mieux que l'Amirauté pour tenir le flanc atlantique de l'Europe. C'est elle qui actuellement repousse les provocations aériennes russes.

(V)- La question du commandement ne se posera pas au début puisque le projet de défense européenne va avancer masqué derrière un commandement provisoire multinational qualifié d'état-major ou tout autre mot-valise, sinon même enchâssé dans le commandement intégré atlantique - plus c'est compliqué, plus ça plaît aux technocrates. Mais à la première crise, dans quelques années, la question arrivera sur la table ou la caisse à sable ! Quel pays prendra le leadership ? La France croit le faire, les autres le redoutent.


M51 français


En conclusion, nous avons toujours soutenu que le critère premier d'une alliance organisée pour la guerre doit être l'efficacité du dispositif bien avant les questions de souveraineté. On ne peut donc qu'attendre ce que vont aligner les quatre ou cinq pays capables de faire manœuvrer des corps d'armée. Et disons-le tout net, rien ne sera redoutable sans la participation de la Grande Bretagne.
Et la dernière pour la route : une alliance de guerre doit aussi faire peur, c'est même primordial et c'est ce que l'OTAN a réussi.

On peut comprendre que la Russie puisse s'inquiéter de cette perspective européenne, et on s'amusera à lire les mises en garde et autres dénonciations/révélations des agents d'influence du Kremlin à Paris, vent debout contre l'Europe organisée. Mais avec Emmanuel Macron, cela risque bien de ne pas suffire. Il a l'air d'en vouloir, le salaud !


PS : Le long CV de Mme Goulard est sur la Wikipedia. L'étude de caractère du nouveau ministre par Jean Quatremer dans Libération surpasse toute autre ; nous vous y adressons : Sylvie Goulard, une spécialiste de l'Europe prend la tête des armées.

lundi 15 mai 2017

Macron royaliste ?

Emmanuel Macron n'est pas royaliste mais il n'a pas la haine des rois comme on la croise souvent dans la mouvance de gauche. Par trois fois, il a inscrit son action politique dans une continuité que tous ses prédécesseurs limitaient au quatorze juillet 1789.

saint Louis IX
Dans le droit fil d'une idée exprimée jadis par Jack Lang qui n'objectait pas à l'incarnation de l'Etat par un roi au lieu d'un président élu, Emmanuel Macron relevait en juillet 2015 dans un entretien au journal d'Eric Fottorino et Henry Hermand, Le 1, l'absence du roi en des termes explicites :
« La démocratie comporte toujours une forme d'incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n'est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d'y placer d'autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l'espace. On le voit bien avec l'interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu'on attend du président de la République, c'est qu'il occupe cette fonction. Tout s'est construit sur ce malentendu.»

Quant à savoir, comme il le suggère, si les Français ne voulait pas décapiter le roi Louis XVI, c'est une toute autre affaire. Le Piéton du roi ose imaginer que l'exercice fut autant de "tuer Dieu et ses prêtres" que de raccourcir son lieutenant sur terre, d'où la damnation qui semble nous poursuivre éternellement (cf. Léon Bloy). L'histoire a jugé que le peuple français sidéré ne s'était pas soulevé au lendemain du 21 janvier 1793, acceptant que le sang du roi retombe sur sa tête.


La deuxième fois est relatée dans Challenges par Bruno Roger-Petit :

« Après sa déclaration de candidature, de retour vers Paris, Emmanuel Macron a fait une halte là où les pierres parlent. Loin des caméras et des micros, le néo-candidat à l'élection présidentielle s'est arrêté en la Basilique de Saint-Denis, tombeau des Rois de France. Seul en son destin face aux Transis. Qu'est-il venu chercher là, dans ce grand silence de marbre où dort l'âme de la France ? Conviction. Onction. Transmission. Inscription. Tout cela à la fois sans doute. Les voies qui mènent aux Forces de l'esprit sont impénétrables. Le geste de Macron rappelle qu'il est deux catégories de candidat à l'élection présidentielle: ceux qui hantent les lieux de mémoire, en quête d'encens, et ceux qui occupent les plateaux de télévision, en perte de sens.» (BRP)


La troisième fois se situe dimanche 7 mai à la grande cour (Napoléon) du Louvre dans le discours du nouveau président aux électeurs. Le Louvre de Paris est un peu la Cité interdite française, le cœur du pouvoir royal dans sa phase de construction patiente, Versailles étant la jouissance du projet accompli. Nul à gauche ni à droite n'aurait osé inclure le nom du passé tabou dans son allocution officielle. Les "vieux rois" dont parlait Sarkozy sans trop les connaître, ne furent jamais invités au banquet républicain où l'on célèbre les hommes de la Liberté, entendez les Révolutionnaires de 89. Avant la prise de la Bastille, la France vivait dans la nuit. Voici le passage que nous avons relevé et qu'aucun média ne reprend d'ailleurs dans ce qu'il faut retenir du discours d'Emmanuel Macron :

« ...ce soir, il n'y a que les Françaises et les Français, le peuple de France réuni, et ce que vous représentez ce soir ici au Louvre, c'est une ferveur, un enthousiasme, c'est l'énergie du peuple de France, et ce lieu dans lequel nous nous retrouvons dit cela, il est parcouru par notre histoire, de l'Ancien régime à la Libération de Paris, de la Révolution française à l'audace de cette pyramide, c'est le lieu de tous les Français, de toutes les France, ce lieu c'est celui de la France que le monde regarde.......»

Pyramide Pingeot

Alors quoi ?

Rattacher la fonction présidentielle à l'histoire des rois de France augure une certaine retenue dans l'exercice de la fonction, une dignité retrouvée, sans doute plus de classe que chez les deux derniers titulaires, mais Macron n'est pas Monck ! Même s'il a pu s'abandonner un jour à une évaluation des compétences actuelles des princes disponibles, il en conclu apparemment que lui-même porterait plus efficacement le combat de rénovation du vieux pays et le gagnerait. Il n'est pas désobligeant de voir aussi qu'il a la gnaque et l'audace alexandrine à saisir l'impossible que nos princes n'ont pas, se satisfaisant, eux, de la rente dynastique et des révérences mondaines qui vont avec.

Certaines officines royalistes déversent une haine incompréhensible contre Emmanuel Macron au seul motif qu'il aurait barré la route à la candidate de la régénérescence, Marine Le Pen. C'est vite oublier que les mots ne suffisent pas à guérir et que la candidate parvenue au sommet de la démagogie n'avait pas sa place dans le fauteuil du débat d'entre-deux-tours où elle a suicidé sa démarche personnelle en direct.

Sur les sites royalistes anti-Macron (ils se reconnaîtront), il est affligeant de constater que le matériau critique est arraché aux intentions supposées du démon-président - tous les verbes sont conjugués au futur - et que si peu concerne le vécu, le palmarès, ni le score des 2/3 (et 89,68% à Paris); le passé concret est avalé en bloc à la sauce mélenchonnienne jusqu'à reprendre les slogans éculés du marxisme de trottoir ! Quelle misère intellectuelle d'en arriver là ! Une fois encore la roycosphère s'abandonne au pilonnage du produit républicain sans voir cette fois qu'il ne lui est pas hostile. Demander à Philippe de Villiers pour s'en convaincre. C'est très contre-productif pour diffuser l'offre monarchiste, mais compréhensible chez des emmurés.

Terminons sur un clin d'œil. Lors d'un entretien dans une émission littéraire à l'occasion de la sortie de son roman Soumission, Michel Houellebecq, au critique qui lui demandait quelle époque de l'histoire il préférait, répondit : « l'Ancien régime ; je me sentirais bien vivre sous l'Ancien régime !».

Tous les royalistes ne sont pas chez les royalistes. Sans doute là, naît l'espérance.


Le président Macron remonte les Champs en ALM

samedi 13 mai 2017

Rétro Flash !!!

Treize-mai !

Ce jour restera pour les gens de ma génération celui du coup d'Etat d'Alger pour sauver l'Algérie alors française. Que n'avons-nous réussi ! Quelqu'aurait été son statut aujourd'hui, l'Algérie serait à parité avec l'Espagne ou pas loin. Au lieu de quoi, elle a perdu soixante ans dans le non-développement et l'assèchement de la rente saharienne, pour finir maintenant fracturée en tous sens par une ploutocratie de parvenus sans aveu.

Dans mon entourage, à l'école, dans ma ville, les réactions étaient favorables au putsch, le régime ultra-parlementaire ayant montré une usure rapide au seuil de la supercherie démocratique : plus personne ne faisait confiance à la classe politique, suppléée heureusement par la haute administration qui avait ramassé le pouvoir dans le ruisseau ! L'opinion ne se divisa que lorsque apparut le général De Gaulle dont on se souvenait non pas du rôle historique à Londres mais de la remise aux communistes de pans entiers de l'Etat à la Libération. L'affaire ressembla alors à un 18-Brumaire, mais bon, s'il fallait en passer par là pour sortir toute cette merde des Chambres... la population embraya.

Les gens de la rue ignoraient les problèmes que les analyses des événements d'Algérie dévoilèrent plus tard. On ignorait la répression de Sétif le même jour que la Victoire sur l'Allemagne. L'important était de pacifier de force nos trois départements et de donner la citoyenneté française à tous les habitants du territoire. Il y eut beaucoup de générosité à ce moment-là. Les gens en métropole encaissaient le concept d'une Algérie française intégrée, une métropole symétrique de la rive sud à parité de niveau de vie bientôt. Cela ne dura pas. L'Etat français était assez pourri pour que les gaullistes en prennent toutes les manettes et obéissent aux visions du Général.

Plus tard, j'aurais l'honneur de manœuvrer avec des anciens du 7è RTA passés par l'indigénat, et recevrais la confirmation qu'une Algérie française eut été possible. Dans ma vie professionnelle aussi, j'ai eu à faire confiance à des Algériens sans jamais m'en plaindre. Au lieu de quoi, les jeunes générations d'aujourd'hui n'ont pour projet indépassable que l'émeute ou l'exil alors que les ressources sont bien là !

C'est l'occasion de rééditer quelques commentaires d'Algériens sur cette période, réactions collectées il y a neuf ans par Jacques Guillemain pour le site 33.royaliste (clic) :

- « S’il est en Algérie, un domaine où l’effort de la France ne se discute pas, c’est bien le domaine de l’enseignement. On peut et on doit dire que l’école a été un succès certain. Les vieux maîtres, les premiers instituteurs ont apporté toute leur foi pédagogique sans arrière pensée et leur influence a été extrêmement heureuse » (Abderhamane Fares, instituteur)
- « La scolarisation française en Algérie, a fait faire aux Arabes un bond de mille ans » (Belkacem Ibazizen, conseiller d’Etat)
- « Trente ans après l’indépendance nous voilà ruinés avec plus de nostalgiques que le pays comptait d’habitants et plus de rapetoux qu’il n’abritait de colons »…
- « Beaucoup d’Algériens regrettent le départ des pieds-noirs, s’ils étaient restés, nous aurions peut-être évité cette tragédie » (Boualam Sansal, écrivain)
- « En un siècle, à force de bras, les colons ont, d’un marécage infernal, mitonné un paradis lumineux. Seul l’amour pouvait oser pareil défi… Quarante ans est un temps honnête, ce que nous semble, pour reconnaître que ces foutus colons ont plus chéri cette terre que nous qui sommes ses enfants » (Boualam Salam)
- « Dire que du temps des Français, ici c’était un jardin » (Aït Ahmed, ex-leader FLN)
- « L’œuvre de la France est admirable ! Si la France était restée 20 ans de plus elle aurait fait de l’Algérie l’équivalent d’un pays européen » (un ministre syrien à Ferhat Abbas au cours d’une visite à Alger)
- « Je ne pardonnerai jamais à la France d’avoir quitté l’Algérie » (une Algérienne à Chirac lors d’un bain de foule)
- « Si les pieds-noirs n’étaient pas partis en masse, l’Algérie ne serait peut-être pas dans l’état désastreux dans lequel elle se trouve… Franchement on pourrait presque leur en vouloir » (Malika Boussouf, journaliste)
- « A son indépendance, nul pays extérieur au monde occidental, Japon et Afrique du Sud exceptés, ne disposait d’une infrastructure aussi développée que celle de l’Algérie » (Bechir Ben Yahmed, directeur de Jeune Afrique)
- « La France a commis un crime. Elle a livré le peuple algérien aux tueurs et assassins ». (Ferhat Abbas, maurrassien, à la fin président sans pouvoir du GPRA), et un dernier entendu par le Piéton du roi lors de la visite précitée de Chirac venant d'un gamin de la Casbah d'Alger interviewé par FR2 :
- « Mais pourquoi De Gaulle, il nous a abandonnés ? »

vendredi 12 mai 2017

Jeanne 2017

 

Marcher dimanche en souvenir de Jeanne d'Arc pour le salut de la France nous rappellera que la fortune sourit aux audacieux (Chinon, Orléans) et qu'aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années ! Jeanne d'Arc n'a pas dix-huit ans quand elle monte à l'échelle de la barbacane des Tourelles. Dunois, le bâtard d'Orléans qui commande à l'armée a 26 ans et déjà des victoires. L'histoire de France est saturée de jeunesse, les rois bien sûr (sauf les derniers au profil de notaires), et bon nombre d'acteurs politiques importants. A titre d'exemple, le 14 juillet 1789, Saint-Just a 21 ans, Danton 29 ans, Robespierre 31 ans, Louis XVI 34 ans, Marie-Antoinette 33 et Louis-Philippe d'Orléans 42 ! Le 10 août 1792, le lieutenant d'artillerie qui devise à la taverne en contemplant l'émeute des Tuileries n'a pas encore 23 ans ! C'est la République embourgeoisée qui nous a apporté la gérontocratie, la République débilitée en soins palliatifs ! Le président Macron marque-t-il l'arrêt ? Là n'est pas la question, il a presque l'âge de Napoléon III.

Cette année pour la Jeanne, Royal-Artillerie fait donner du gros calibre. Pour notre distingué lectorat, voici le fameux discours d'André Malraux donné à Rouen le 30 mai 1964, les plus anciens sauront l'imaginer dans sa voix sépulcrale :


Vous avez bien voulu, Monsieur le Maire, me demander d’assurer ce que le plus grand poète de cette ville,[1] qui fut aussi l’un des plus grands poètes du monde, appelait un "triste et fier honneur", celui de reprendre ce que j’ai dit, il y a quelques années, à Orléans, de Jeanne d’Arc victorieuse et de rendre hommage en ce lieu, illustre par le malheur, à Jeanne d’Arc vaincue, à la seule figure de notre histoire sur laquelle se soit faite l’unanimité du respect.

La résurrection de sa légende est antérieure à celle de sa personne, mais, aventure unique ! la tardive découverte de sa personne n’affaiblit pas sa légende, elle lui donne son suprême éclat. Pour la France et pour le monde, la petite sœur de saint Georges devint Jeanne vivante par les textes du procès de condamnation et du procès de réhabilitation : par les réponses qu’elle fit ici, par le rougeoiement sanglant du bûcher.

Nous savons aujourd’hui qu’à Chinon, à Orléans, à Reims, à la guerre et même ici, sauf peut-être pendant une seule et atroce journée, elle est une âme invulnérable. Ce qui vient d’abord de ce qu’elle ne se tient que pour la mandataire de ses voix : « Sans la grâce de Dieu je ne saurai que faire ». On connaît la sublime cantilène de ses témoignages de Rouen : « La première fois, j’eus grand-peur. La voix vint à midi ; c’était l’été, au fond du jardin de mon père… Après l’avoir entendue trois fois, je compris que c’était la voix d’un ange... Elle était belle, douce et humble ; et elle me racontait la grande pitié qui était au royaume de France… Je dis que j’étais une pauvre fille qui ne savait ni aller à cheval ni faire la guerre… Mais la voix disait : « Va, fille de Dieu… »

Certes Jeanne est fémininement humaine. Elle n’en montre pas moins, quand il le faut, une incomparable autorité. Les capitaines sont exaspérés par cette « péronnelle qui veut leur enseigner la guerre » (La guerre ? les batailles qu’ils perdaient, et qu’elle gagne...) Qu’ils l’aiment, qu’ils la haïssent, ils retrouvent dans son langage le « Dieu le veut » des Croisades. Cette fille de dix-sept ans, comment la comprendrions-nous si nous n’entendions pas, sous sa merveilleuse simplicité, l’accent incorruptible avec lequel les prophètes tendaient vers les rois d’Orient leurs mains menaçantes, et leurs mains consolantes vers la grande pitié du royaume d’Israël ?

Avant le temps des combats, on lui demande : « Si Dieu veut le départ des Anglais, qu’a-t-il besoin de vos soldats ? »
- « Les gens de guerre combattront, et Dieu donnera la victoire. »

Ni saint Bernard ni saint Louis n’eussent mieux répondu. Mais ils portaient en eux la chrétienté, non la France.

Et à quelques pas d’ici, seule devant les deux questions meurtrières : « Jeanne êtes-vous en état de grâce ? »
- « Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre ; si j’y suis, Dieu veuille m’y tenir ! » ;
et surtout la réponse illustre : « Jeanne, lorsque saint Michel vous apparut, était-il nu ? »
- « Croyez-vous Dieu si pauvre, qu’il ne puisse vêtir ses anges ? »

Lorsqu’on l’interroge sur sa soumission à l’Eglise militante, elle répond, troublée mais non hésitante : « Oui, mais Dieu premier servi !». Nulle phrase ne la peint davantage. En face du dauphin, des prélats ou des hommes d’armes, elle combat pour l’essentiel : depuis que le monde est monde, tel est le génie de l’action. Et sans doute lui doit-elle ses succès militaires. Dunois dit qu’elle disposait à merveille les troupes et surtout l’artillerie, ce qui semble surprenant. Mais les Anglais devaient moins leurs victoires à leur tactique qu’à l’absence de toute tactique française, à la seule comédie héritée de Crécy à laquelle Jeanne mit fin. Les batailles de ce temps étaient très lourdes pour les vaincus ; nous oublions trop que l’écrasement de l’armée anglaise à Patay fut de la même nature que celui de l’armée française à Azincourt. Et le témoignage du duc d’Alençon interdit que l’on retire à Jeanne d’Arc la victoire de Patay puisque, sans elle, l’armée française se fût divisée avant le combat, et puisqu’elle seule la rassembla...

C’était en 1429 - le 18 juin !

Dans ce monde où Isabeau de Bavière avait signé à Troyes la mort de la France en notant seulement sur son journal l’achat d’une nouvelle volière, dans ce monde où le dauphin doutait d’être dauphin, la France d’être la France, l’armée d’être une armée, elle refit l’armée, le roi, la France.

Il y avait plus rien : soudain il y eut l’espoir et par elle, les premières victoires qui rétablirent l’armée.

Puis par elle, contre presque tous les chefs militaires, le sacre qui rétablit le roi. Parce que le sacre était pour elle la résurrection de la France, et qu’elle portait la France en elle de la même façon qu’elle portait sa foi.

Après le sacre, elle est écartée, et commande la série des vains combats qui la mèneraient à Compiègne pour rien, si ce n’était pour devenir la première martyre de la France.

Nous connaissons tous son supplice. Mais les mêmes textes qui peu à peu dégagent de la légende son image véritable, son rêve, ses pleurs, l’efficace et affectueuse autorité qu’elle partage avec les fondatrices d’ordres religieux, ces mêmes textes dégagent aussi, de son supplice, deux des moments les plus pathétiques de l’histoire universelle de la douleur.

Le premier est la signature de l’acte d’abjuration qui reste d’ailleurs mystérieux. La comparaison du court texte français avec le très long texte latin qu’on lui faisait signer proclamait l’imposture. Elle signe d’une sorte de rond, bien qu’elle ait appris à signer Jeanne. « Signez d’une croix ! » lui ordonne-t-on. Or, il avait naguère été convenu entre elle et les capitaines du Dauphin, que tous les textes de mensonge, tous les textes imposés, auxquels leurs destinataires ne devaient pas ajouter foi, seraient marqués d’une croix. Alors, devant cet ordre qui semblait dicté par Dieu pour sauver sa mémoire, elle traça la croix de jadis, en éclatant d’un rire insensé...

Le second moment est sans doute celui de sa plus affreuse épreuve. Si, tout au long du procès, elle s’en remit à Dieu, elle semble avoir eu, à maintes reprises, la certitude qu’elle serait délivrée. Et peut-être, à la dernière minute, quand sonnaient des cloches comme celles qui sonnent maintenant, espéra-t-elle qu’elle le serait sur le bûcher. Car la victoire du feu pouvait être la preuve que ses voix l’avaient trompée. Elle attendait, un crucifix fait de deux bouts de bois par un soldat anglais posé sur sa poitrine, le crucifix de l’église voisine élevé en face de son visage au-dessus des premières fumées. (Car nul n’avait osé refuser la croix à cette hérétique et à cette relapse...) Et la première flamme vint, et avec elle le cri atroce qui allait faire écho, dans tous les peuples chrétiens, au cri de la Vierge lorsqu’elle vit monter la croix du Christ sur le ciel livide.

Alors, depuis ce qui avait été la forêt de Brocéliande jusqu’au cimetière de Terre sainte, la vieille chevalerie morte se leva dans ses tombes. Dans le silence de la nuit funèbre, écartant les mains jointes de leurs gisants de pierre, les preux de la Table Ronde et les compagnons de saint Louis, les premiers combattants tombés à la prise de Jérusalem et les derniers fidèles du petit roi lépreux, toute l’assemblée des rêves de la chrétienté regardait, de ses yeux d’ombre, monter les flammes qui allaient traverser les siècles, vers cette forme enfin immobile, qui devenait le corps brûlé de la chevalerie.

Il était plus facile de la brûler que de l’arracher de l’âme de la France. Au temps où le roi l’abandonnait, les villes qu’elle avait délivrées faisaient des processions pour sa délivrance. Puis le royaume, peu à peu, se rétablit. Rouen fut enfin reprise. Et Charles VII, qui ne se souciait pas d’avoir été sacré grâce à une sorcière, ordonna le procès de réhabilitation.

A Notre-Dame de Paris, la mère de Jeanne, petite forme de deuil terrifiée dans l’immense nef, vient présenter le rescrit par lequel le pape autorise la révision. Autour d’elle, ceux de Domrémy qui ont pu venir, et ceux de Vaucouleurs, de Chinon, d’Orléans, de Reims, de Compiègne… Tout le passé revient avec cette voix que le chroniqueur appelle une lugubre plainte : « Bien que ma fille n’ait pensé, ni ourdi, ni rien fait qui ne fût selon la foi, des gens qui lui voulaient du mal lui imputèrent mensongèrement nombre de crimes. Ils la condamnèrent iniquement et… » la voix désespérée se brise. Alors Paris qui ne se souvient plus d’avoir jamais été bourguignonne, Paris, redevenue soudain la ville de saint Louis, pleure avec ceux de Domrémy et de Vaucouleurs, et le rappel du bûcher se perd dans l’immense rumeur de sanglots qui monte au-dessus de la pauvre forme noire.

L’enquête commence.

Oublions, ah, oublions ! le passage sinistre de ces juges comblés d’honneur, et qui ne se souviennent de rien. D’autres se souviennent. Long cortège, qui sort de la vieillesse comme on sort de la nuit. Un quart de siècle a passé. Les pages de Jeanne sont des hommes mûrs ; ses compagnons de guerre, son confesseur ont les cheveux blancs. Ici débute la mystérieuse justice que l’humanité porte au plus secret de son cœur.

Cette fille, tous l’avaient connue, ou rencontrée, pendant un an. Et ils ont eux aussi oublié beaucoup de choses, mais non la trace qu’elle a laissée en eux. Le duc d’Alençon l’a vue une nuit s’habiller quand, avec beaucoup d’autres, ils couchaient sur la paille : elle était belle, dit-il, mais nul n’eût osé la désirer. Devant le scribe attentif et respectueux, le chef de guerre tristement vainqueur se souvient de cette minute, il y a vingt-sept ans, dans la lumière lunaire... Il se souvient aussi de la première blessure de Jeanne. Elle avait dit : « Demain mon sang coulera, au-dessus du sein ». Il revoit la flèche transperçant l’épaule, sortant du dos, Jeanne continuant le combat jusqu’au soir, emportant enfin la bastille des Tourelles. Revoit-il le sacre ? Avait-elle cru faire sacrer saint Louis ? Hélas ! Mais, pour tous les témoins, elle est la patronne du temps où les hommes ont vécu selon leurs rêves et selon leur cœur, et depuis le duc jusqu’au confesseur et à l’écuyer, tous parlent d’elle comme les rois mages, rentrés dans leurs royaumes, avaient parlé d’une étoile disparue…

De ces centaines de survivants interrogés, depuis Hauviette de Domrémy jusqu’à Dunois, se lève une présence familière et pourtant unique, joie et courage, Notre-Dame la France avec son clocher tout bruissant des oiseaux du surnaturel. Et lorsque le XIXe siècle retrouvera ce nostalgique reportage du temps disparu, commencera, des années avant la béatification, la surprenante aventure : bien qu’elle symbolise la patrie, Jeanne d’Arc, en devenant vivante, accède à l’universalité. Pour les protestants, elle est la plus célèbre figure de notre histoire avec Napoléon ; pour les catholiques, elle sera la plus célèbre sainte française.

Lors de l’inauguration de Brasilia, il y a quatre ans, les enfants représentèrent quelques scènes de l’Histoire de France. Apparut Jeanne d’Arc, une petite fille de quinze ans, sur un joli bûcher de feux de Bengale, avec sa bannière, un grand bouclier tricolore et un bonnet phrygien. J’imaginais devant cette petite République le sourire bouleversé de Michelet ou de Victor Hugo. Dans le grand bruit de forge où se forgeait la ville, Jeanne et la République étaient toutes deux la France, parce qu’elles étaient toutes deux l’incarnation de l’éternel appel à la justice. Comme les déesses antiques, comme toutes les figures qui leur ont succédé, Jeanne incarne et magnifie désormais les grands rêves contradictoires des hommes. Sa touchante image tricolore au pied des gratte-ciel où venaient se percher les rapaces, c’était la sainte de bois dressée sur les routes où les tombes des chevaliers français voisinent avec celles des soldats de l’an II.

Le plus mort des parchemins nous transmet le frémissement stupéfait des juges de Rouen lorsque Jeanne leur répond : « Je n’ai jamais tué personne ». Ils se souviennent du sang ruisselant sur son armure : ils découvrent que c’était le sien. Il y a trois ans, à la reprise d’Antigone, la princesse thébaine avait coupé ses cheveux comme elle et disait avec le petit profil intrépide de Jeanne la phrase immortelle : « Je ne suis pas venue pour partager la haine, mais pour partager l’amour ». Le monde reconnaît la France lorsqu’elle redevient pour tous les hommes une figure secourable, et c’est pourquoi elle ne perd jamais toute confiance en elle. Mais dans la solitude des hauts plateaux brésiliens, Jeanne d’Arc apportait à la République de Fleurus une personne à défaut de visage, et la mystérieuse lumière du sacrifice, plus éclatante encore lorsqu’elle est celle de la bravoure. Ce corps rétracté devant les flammes avait affreusement choisi les flammes ; pour le brûler, le bûcher dut aussi brûler ses blessures. Et depuis que la terre est battue de la marée sans fin de la vie et de la mort, pour tout ceux qui savent qu’ils doivent mourir, seul le sacrifice est l’égal de la mort.

« Comment vous parlaient vos voix ? » lui avait-on demandé quand elle était vivante.
- « Elles me disaient "Va fille de Dieu, va fille au grand cœur…" ». Ce pauvre cœur qui avait battu pour la France comme jamais cœur ne battit, on le retrouva dans les cendres, que le bourreau ne put ou n’osa ranimer. Et l’on décida de le jeter à la Seine, « afin que nul n’en fît des reliques ».

Elle avait passionnément demandé le cimetière chrétien.

Alors naquit la légende.

Le cœur descend le fleuve. Voici le soir. Sur la mer, les saints et les fées de l’arbre-aux-fées de Domrémy l’attendent. Et à l’aube, toutes les fleurs marines remontent la Seine, dont les berges se couvrent de chardons bleus des sables, étoilés par les lys…

La légende n’est pas si fausse. Ce ne sont pas les fleurs marines que ces cendres ont ramenées vers nous, c’est l’image la plus pure et la plus émouvante de France. Ô Jeanne sans sépulcre et sans portrait, toi qui savais que le tombeau des héros est le cœur des vivants, peu importent tes vingt mille statues, sans compter celles des églises : à tout ce pour quoi la France fut aimée, tu as donné ton visage inconnu. Une fois de plus, les fleurs des siècles vont descendre. Au nom de tous ceux qui sont ou qui seront ici, qu’elles te saluent sur la mer, toi qui a donné au monde la seule figure de victoire qui soit aussi une figure de pitié !

André Malraux

[1] Corneille : « Ce triste et fier honneur m’émeut sans m’ébranler »

mercredi 10 mai 2017

Marion s'en va !



Il y avait cent raisons de voter Macron, et autant de ne pas le faire mais ce qui a déterminé beaucoup d'électeurs se résume à la maxime gaullienne : au premier tour on choisit, on second tour on élimine. J'ai éliminé le programme crypto-bolivarien de monsieur Philippot, le corneculage sur l'euro et le gudisme rampant. Pour le reste (sécurité, identité, immigration, préférence nationale) je me serais laissé tenter si quelqu'un d'autre que Marine Le Pen m'avait proposé du gâteau. Je n'ai jamais cru ni en ses capacités de rassemblement, ni en son niveau intellectuel, sans parler de sa vulgarité et de son dilettantisme - elle ne bosse pas ses dossiers ! Eut-elle été moins paresseuse qu'elle aurait emporté la région Nord-Picardie. Gagner un malheureux point entre les deux tours des régionales n'a jamais été critiqué, la faiblesse était pourtant prémonitoire.

Le "débat" fut accablant pour tout spectateur et pour sa nièce d'abord (elle n'aurait pas tenu jusqu'au bout, dit-on). Si l'on comparait une campagne électorale à une course hippique, ce serait du trot monté, l'épreuve toute à la main du début à la fin. Sauf qu'à y engager un tocard, on est presque sûr qu'en voyant la ligne droite il va se mettre à courir pour en finir plus vite. C'est ce qui s'est passé avec Marine Le Pen le 3 mai.

La contre-performance - arriver troisième dans une élection à deux ! - est à mettre au crédit du suicide politique de la mégère-en-chef qui va maintenant se cramponner pour encaisser les législatives. Bien sûr la bouillie pour chat du programme Philippot a découragé beaucoup de ceux qui prirent la peine de l'étudier. Racolage et démagogie sur fond de souffrances populaires laissaient voir l'usure de la trame. A partir d'un certain niveau d'instruction, les gens ne se satisfont plus d'entendre pour toute réponse à toute question que c'est la faute à l'Europe, c'est la faute à l'immigré légal et clandestin.

L'affaire aurait été pilotée par Marion sur son propre programme que j'aurais sans doute suivi. Jusqu'à ce matin je pensais qu'avec cinq ans de bonification au Palais Bourbon, l'esprit le plus délié du Bureau politique avait plus que des chances de l'emporter en 2022 avec sa ligne politique carrée et simple à promouvoir. Hélas la sclérose en plaques du parti ondulant sur tous les sujets ne le permettra pas. Ils sont nuls à chier et n'ont pas compris que Marion aurait enfoncé le coin dans les cohortes fillonistes à la seule condition d'oublier cette foutaise moscovite de sortir de l'Eurogroupe. Il fallait poloniser Sapir (lol).

Je partage à 95% les arguments d'Aymeric Chauprade qui expliquait au journal l'Opinion le 4 mai dernier pourquoi il s'était résolu à voter Macron. Si vous souhaitez passer à autre chose ou écouter la radio, cliquez d'abord sur le lien ci-dessous, le Piéton a les mêmes idées :
Chauprade - pourquoi je voterai Macron !

Le bon attelage aurait été Marion Maréchal-Le Pen / Aymeric Chauprade. On sortait complètement des doutes métafachistes, des détails de l'histoire et du Zyklon B ! On n'allait plus à Vienne au bal de la Waffen. On ajoutait une dimension géopolitique sérieuse au programme. Pour Marion, sa position politique "droite libérale et colbertiste si nécessaire" alliée à des convictions catholiques conservatrices ne pouvait que faire un carton. En plus elle a prouvé à la Chambre et en meeting qu'elle est un orateur convaincant, beaucoup d'aisance intellectuelle, de clarté quand elle déroule un raisonnement, d'à-propos, de mordant à l'occasion, et... une plastique naturelle irréprochable, la terreur de l'UMP en PACA ! Ils sont sauvés, elle part, écœurée par la mafia Philippot qui ose se maintenir après le désastre !



Pour la droite nationaliste, le danger est aujourd'hui de se leurrer sur les onze millions de voix obtenues au second tour et croire en la transmutation à l'identique aux législatives du mois de juin. La personnalité des candidats va forcément jouer comme le programme rénové qui ne peut être celui avec lequel fut perdue la présidentielle dans ses exagérations, mensonges et folies douces. C'est basique. On n'élit pas un député de cette façon.

Faudra-t-il encore trouver les cinq cents trente candidats (DLF prendra sa place) car d'eux dépendront aussi les subventions publiques calculées au nombre de suffrages exprimés, ensuite faire l'a priori d'un afflux militant pour la campagne de base, tractages, réunions publiques locales, contrôles des bureaux de vote etc... pour le moment, des pans entiers du territoire sont à jeun d'avoir rencontré des militants bleu-marine impliqués dans la campagne. Message aux investis : le kit de candidature est trois fois moins cher cette année, le coefficient multiplicateur du parti Jeanne ayant été fortement révisé depuis que la brigade financière enquête sur 2012.

FN-DLF sera un accord d'appareils, il m'étonnerait qu'il ruisselle jusqu'au terrain. Certes une bonne quarantaine de circonscriptions se sont déjà données au Front national dimanche dernier et il ne devrait pas être si difficile d'avoir des députés. Il leur reste un mois ! A miser chez le book, je jouerais 30 !

Reste à comprendre comment la droite pourrait se recomposer après la faillite Fillon, sans doute plus facilement au niveau local qu'à Paris. Avec la disparition de la scène politique de Marion Maréchal-Le Pen, il sera plus facile d'accommoder les restes en PACA mais le grand parti de droite qui nous manque redevient une chimère tant les convergences étaient sûres entre Marion, Bompard et les députés pizzaioli du Sud.


Postscriptum du 18 mai 2017: Pour la bonne administration du dossier, nous joignons le lien du testament politique de Marion Maréchal Le Pen donné à Valeurs actuelles le 17/05/2017 :
Le testament politique de Marion Maréchal-Le Pen recueilli par Geoffroy Lejeune (clic) la confirme à son niveau réel, bien au-dessus d'autres cadres du Front national. Le verbatim de l'entretien est archivé en Californie pour plus tard et donné ci-dessous d'un bloc brut de décoffrage:

[ Vous quittez la vie politique à seulement 27 ans, après cinq années de mandat. Depuis votre arrivée à l’Assemblée, en 2012, la notoriété a-t-elle été un poids ? La notoriété a toujours fait partie de ma vie. J’ai grandi à l’ombre de celle de mon grand-père, de celle de mon père, plus tard de celle de ma tante : elle fait partie de mon quotidien. J’ai toujours été la “petite-fille de”, où que j’aille, quoi que je fasse, je n’ai jamais pu y échapper. Je n’ai jamais connu l’anonymat. Mais même si c’était assez pesant, cela s’est avéré positif et m’a permis de ne pas être grisée par la notoriété le jour où j’y ai été confrontée. J’ai donc un rapport assez détaché à cela, dépassionné. Pour moi, la notoriété est un outil dans le cadre de mon travail, pas une fin en soi. Cette exposition naturelle m’a permis aussi de ne pas chercher la médiatisation, d’avoir une communication raisonnée, maîtrisée, de ne pas chercher le bruit médiatique, de choisir pendant cinq ans certaines émissions, certains formats, de ne parler que lorsque j’avais quelque chose à dire, de ne pas être uniquement dans le slogan médiatique, mais dans une vraie construction politique. Lorsqu’on est arrêtée dans la rue, à 22 ans, qu’on ne peut plus être anonyme, cela joue-t-il psychologiquement ? Oui, bien sûr. Ce qui est dur, c’est d’essayer de continuer à avoir une vie normale. Pour des raisons de sécurité, je n’y suis pas réellement parvenue : je suis passée d’une vie où je prenais les transports en commun, où je vivais comme tout le monde, à une vie plus cachée. Mais certains domaines m’ont permis de me préserver, de m’en extraire. Mes amis les plus proches ne viennent pas du milieu politique, ils sont des Français de tous profils, ils sont cadres dans l’événementiel, commerciaux, avocats, et en continuant à vivre avec ces gens-là je ne me suis pas déconnectée de la réalité. J’ai gardé ces amis, et leur vie simple. Je ne suis jamais sortie dans des endroits huppés, je ne vais pas dans les grands restaurants, j’ai des loisirs et des vacances simples, je n’ai jamais vécu grand train. Mon environnement social immédiat, c’est la classe moyenne. Qu’avez-vous perdu en faisant de la politique ? Je n’ai pas trop perdu, parce que j’y ai pris garde, mais je pense qu’en politique, on a tendance à perdre les amis capables de nous critiquer. Il y a un phénomène de cour qui s’installe assez naturellement, le côté “vu à la télé” biaise complètement les rapports humains, d’autant plus quand il y a des jeux de pouvoir dans les partis. On perd aussi beaucoup de sa liberté privée. On voit souvent la politique comme un milieu de profiteurs, mais c’est aussi un milieu sacrificiel à bien des égards, car il y a une grande porosité entre la vie publique et la vie privée, il est très difficile de garder un équilibre. Et puis il y a la contrainte des partis politiques, qui est frustrante. On peut critiquer le système des partis, légitimement à certains égards, mais ils sont incontournables dans le cadre institutionnel actuel. Malheureusement les initiatives isolées de la société civile, que l’on peut admirer par ailleurs, fonctionnent peu sur le plan électoral. Pour être efficace, il faut donc se plier à une discipline de parti, ce n’est pas toujours évident. Vous avez le sentiment d’avoir perdu en liberté durant cinq ans ? Forcément, c’est logique, surtout quand on a face à soi des gens qui passent leur temps à essayer de nous diviser, politiquement et humainement. J’ai toujours eu le souci de ne pas me dédire tout en ne faisant pas les choux gras des médias. Cette contrainte vous a-t-elle oppressée ? J’en ai été parfois un peu frustrée, oui, surtout à 27 ans. J’avais peur de devenir comme certains responsables politiques qui sont des moulins à slogans, ne servent que des éléments de langage. Ce n’est pas mon modèle. Qu’avez-vous appris durant votre mandat ? J’ai acquis des expertises et des compétences. La politique demande une grande capacité d’adaptation. Au moment de votre élection, vous étiez particulièrement scrutée. On épiait la jeune fille blonde, certains ironisaient au sujet de “Barbie fait de la politique”, et vous vous êtes finalement révélée travailleuse, presque bonne élève… Mon jeune âge a été indéniablement un handicap en termes de crédibilité. Lorsque je suis arrivée à l’Assemblée, j’ai suivi un parcours administratif et, au moment de créer mon adresse mail, on m’a demandé de quel député j’étais l’assistante ! De même, lors de mes premières réunions avec des responsables syndicaux agricoles, ils ne me regardaient pas, moi, mais mon assistant de 45 ans, qui était un homme. Ce n’est pas méchant, mais ce monde a du mal à avoir une interlocutrice de mon âge. Ma jeunesse a donc été davantage un handicap que ma féminité, qui, dans le jeu politique actuel, est un atout. Nous vivons encore dans le pays de la galanterie ! Je peux dire des choses fortes qui seront plus audibles que dans la bouche d’un homme ; l’agressivité à mon égard peut être assez vite mal perçue, et cela force aussi mes adversaires politiques à aller sur le fond en évitant les postures. Vous prenez à rebrousse-poil les discours de femmes politiques qui se plaignent du sexisme… J’ai toujours refusé de jouer les victimes. À une certaine époque, les gens s’enorgueillissaient d’être des héros, aujourd’hui ils se félicitent d’être des victimes ! Je trouve délétère cette victimisation permanente eu égard à son sexe, à son handicap, à son origine. Je n’ai jamais voulu jouer de ma féminité comme d’un handicap, je n’ai jamais été victime de misogynie, je le dis franchement, au contraire, cette féminité a été un atout. J’ai toujours trouvé cela très paradoxal que les femmes, surtout à gauche, disons-le, s’enferment dans cet élan victimaire pour pouvoir justifier certaines erreurs ou certaines carences. François Fillon s’adressait à la droite traditionnelle, Marine Le Pen a séduit les classes populaires. Tous deux ont perdu cette élection présidentielle. Est-il possible de réconcilier ces deux électorats ? Je pense que la stratégie victorieuse réside dans l’alliance de la bourgeoisie conservatrice et des classes populaires. C’était la synergie qu’avait réussie Nicolas Sarkozy en 2007. Indéniablement, il y a des gagnants et des perdants de la mondialisation, une fracture territoriale, une France périphérique, une fracture mondialistes-patriotes, mais je crois que la droite traditionnelle et les classes populaires ont un souci commun, c’est celui de leur identité. Pas l’identité comme un folklore artificiel ou comme un musée qu’on dépoussière, mais comme un ciment social. L’identité, c’est ce qui nous donne le sentiment d’être un peuple, en dépit de lieux de vie différents, de modes de vie différents. Et ce ciment social a été brisé à plusieurs égards. L’enjeu essentiel de civilisation, à mon sens, est de savoir comment conserver, protéger, transmettre et vivifier ce ciment social. C’est là qu’intervient la question de l’école, de la transmission, de la culture, de nos traditions, de notre patrimoine, d’un certain mode de vie. Le philosophe François-Xavier Bellamy dit que l’avantage de la culture, c’est que c’est le seul bien qui se partage indéfiniment sans jamais léser personne. Si on s’attache à la transmission et à la vivification de la France, nation littéraire, nation philosophique, nation historique, à partir de là, on peut défendre ce ciment social et sauver le pays des fractures qui l’attendent. La question identitaire unifierait donc toutes les droites ? La question identitaire permet de transcender les clivages. Elle comporte une dimension abstraite, c’est vrai, avec des symboles, la Marseillaise, la devise, notre patrimoine républicain, et une dimension charnelle, notre terre, notre terroir, notre gastronomie, la pierre locale avec laquelle on construit sa maison. Ces deux dimensions sont complémentaires. Pour parler de stratégie, le souci commun de l’électorat de la droite conservatrice et de la France périphérique, qui n’ont pas le même rapport à la mondialisation, c’est le souci de la transmission de leur patrimoine matériel et immatériel. À partir de ce constat, on peut imaginer des passerelles pour les rassembler et apporter des réponses en commun. Mais le programme très libéral de Fillon était un repoussoir pour les classes populaires, et la sortie de l’euro de Marine Le Pen effraie la droite… Voilà pourquoi je parle de passerelles. Quand une partie de la France conservatrice défend le mariage et la filiation, elle défend aussi une partie de l’identité française avec une certaine idée des rapports humains basée sur le bien commun et l’intérêt du plus faible plutôt que sur la jouissance et l’envie de l’individu dans une liberté sans limite. C’est donc un combat identitaire, qui peut rejoindre le combat identitaire des classes populaires plus axé sur les questions liées à l’immigration et au multiculturalisme. Bien sûr, il peut y avoir des divergences économiques, mais les moteurs de vote sont essentiellement spirituel, culturel et identitaire : les masses ne bougent pas autour de l’économie. Ce qui relie ces deux électorats, c’est donc le conservatisme. Il peut s’agir de conservation de l’identité, d’un mode de vie, mais aussi du patrimoine, des entreprises, d’un modèle économique à défendre en régulant la mondialisation. Vous revendiquez-vous conservatrice ? Oui, car je défends la conservation de ce qui est beau et juste dans notre histoire, je souhaite conserver les leçons de nos expériences passées ainsi qu’une certaine vision de l’homme, de sa dignité, du refus de sa marchandisation, d’ailleurs partagée par une majorité de Français. Croyez-vous à la persistance du clivage gauche-droite ? Je pense que les courants de droite et de gauche continuent d’exister et de structurer la vie politique, car il y a des héritages philosophiques, culturels, des références et des logiciels qui continuent d’irriguer la vie politique française. C’est un clivage qui continue d’exister mais qui est inexact dans la structuration actuelle des partis. Pour caricaturer un peu, je reprendrais la phrase de l’historien Ghislain de Diesbach : « Il existe en France actuellement deux grands partis de gauche, dont l’un s’appelle la droite. » Pour être plus exacte, je dirais que les deux grands partis, Les Républicains et le PS, se retrouvent aujourd’hui dans un grand bloc centre droit, centre gauche en accord sur tous les sujets fondamentaux. L’union des droites reste-t-elle un de vos objectifs ? Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, cette union patriotique que j’appelle de mes vœux n’a pas de sens en prenant en compte les partis actuels : je ne vois pas comment le FN pourrait faire une alliance nationale avec Les Républicains au regard de la façon dont ils gouvernent et du logiciel qui est le leur. Et au regard du logiciel du FN, qui se situe à gauche sur de nombreux sujets, notamment en économie ? Ce qui reste possible, c’est l’union des hommes. Il existe aujourd’hui une zone blanche, entre certains courants chez Les Républicains, que je qualifierais de droite nationale conservatrice, Nicolas Dupont-Aignan, ceux qui sortent du champ politique, comme Philippe de Villiers, certains élus et cadres de la droite, et le FN. Dans cette zone blanche, il y a une recomposition à opérer, qui s’apparenterait à l’union de certaines droites. Mais sans doute pas avec cette droite des Républicains, qui est une droite reniée. Vous avez à de nombreuses reprises cité des personnalités de droite comme Henri Guaino, Jacques Myard, Pierre Lellouche, Alain Marsaud, Éric Ciotti, en disant que pourriez travailler avec eux. Si, demain, Laurent Wauquiez dirige Les Républicains, cela changera-t-il la donne ? Oui, un profil comme Laurent Wauquiez change la donne. Mais il faut voir ce qu’il fera de ce pouvoir ! Si c’est pour avoir un nouveau Sarkozy, ce n’est pas utile… Laurent Wauquiez est-il sincère ? Je ne sonde pas les cœurs et les reins. Est-il capable de mettre en place des alliances intéressantes ? Seul l’avenir le dira. Ce qui est sûr, c’est que, dans le paysage politique actuel à droite, il fait partie de ceux dont les déclarations laissent penser qu’on aurait des choses à se dire et à faire ensemble, je ne vais pas dire le contraire. Néanmoins, pour être honnête, je ne suis pas certaine que Laurent Wauquiez mènerait spontanément cette politique au conseil régional s’il n’y avait pas un groupe FN aussi fort, devenu incontournable électoralement. La présence du FN contraint la droite à mener une certaine politique et à se remettre en question. La réalité, c’est que la droite a été sous la coupe psychologique de la gauche pendant des années et que le poids du FN la force aujourd’hui à se repositionner. Pourquoi la tentative de structurer une droite “hors les murs”, à mi-chemin entre Les Républicains et le FN, a-t-elle échoué politiquement ? Elle ne pouvait marcher que dans l’optique d’être une passerelle entre la droite et le FN, or Les Républicains ne sont pas suffisamment en difficulté électorale pour accepter de bouger. La droite a une clientèle électorale, notamment chez les personnes âgées, qui lui reste très fidèle, lui permettant de survivre, en l’empêchant d’envisager cette recomposition. Les choses seront peut-être différentes dans dix ans. La génération qui vient a déjà mis un bulletin FN dans l’urne, elle est complètement décomplexée, plus du tout sensible à la diabolisation, n’a pas baigné dans le rêve européen et n’a rien à perdre. Dans les dix ans qui viennent, les cartes seront totalement rebattues… Les figures de cette droite “hors les murs”, Buisson, Villiers, Zemmour, vous ont-elles influencée ? J’écoute ce qu’ils disent, je les lis. Ils sont assez complémentaires. Philippe de Villiers mène un combat culturel, Éric Zemmour un combat journalistique et Patrick Buisson un combat idéologique. Chacun à sa manière, ils ont fait bouger des lignes et réussissent à s’adresser à un lectorat transversal qui va du FN aux Républicains en passant par Dupont-Aignan. Ils incarnent cette droite intellectuelle à laquelle la gauche au pouvoir a permis de réémerger, mais c’est trop peu, ils sont trop peu nombreux, et il reste encore beaucoup à faire. Notamment par le biais d’Internet : l’enjeu de la génération patriote qui vient va être de mettre ses compétences au service d’une cause. À quelle droite appartenez-vous ? Lorsqu’on me demande à quelle droite j’appartiens, je réponds, en reprenant la classification de René Rémond, que je suis à la confluence de la droite légitimiste et de la droite bonapartiste. Mais, pour prendre une catégorie plus récente, j’appartiens à la “droite Buisson”. J’ai été très marquée, récemment, par son livre la Cause du peuple, dans lequel j’ai vu, exposés de manière claire, les fondements de cette droite nationale, identitaire, sociale, qui est la mienne. Vous ne vous dites pas bonapartiste ? Il y a un côté très révolutionnaire chez Napoléon. J’ai une fascination pour ce personnage exceptionnel, pour ce génie militaire, qui a structuré de manière très efficace notre État nation, mais je trouve cette fascination un peu morbide : au service de ses ambitions personnelles, il a quand même été capable de sacrifier à une échelle industrielle des Français, et sa démarche fait peu de cas de la vie humaine, il a également réhabilité certains responsables à l’origine du massacre des Vendéens. Qu’avez-vous pensé de la campagne de François Fillon ? J’ai lu l’intégralité de son projet. On m’avait dit qu’il était formidable et je l’ai trouvé très décevant sur le fond. Je reconnais un certain talent à François Fillon parce qu’il a réussi, notamment à l’issue de la primaire, à se fabriquer de manière totalement artificielle la réputation d’un homme souverainiste, de droite, conservateur, alerte sur la question identitaire, alors que, quand on regardait dans le détail, c’était extrêmement léger, très peu ambitieux. De toute façon, sa campagne était impossible, il a été inaudible à cause des affaires… Et sa posture de rebelle, de survivant, anti-système et anti-médias ? Il l’a adoptée extrêmement tardivement… Si le but était de jouer comme Trump, c’était un peu petit bras. Je l’ai trouvé bon dans l’Émission politique, sur France 2. Il n’est pas un mauvais orateur. Mais j’ai senti qu’il avait des réserves, qu’il n’osait pas y aller. Il a par exemple supprimé la référence au Qatar et à l’Arabie saoudite dans un discours sur l’islamisme. Cet homme a manqué de courage dans sa campagne. Croyez-vous réellement au clivage entre “mondialistes” et “patriotes” ? Je crois que nous sommes confrontés aujourd’hui à une élite d’émigrés spirituels, au sens où, spirituellement, ceux qui nous dirigent ne sont plus nos compatriotes. Leur vie est à l’échelle mondiale, ils passent leur temps dans les business class entre New York, Doha et Singapour, la France est étriquée à leurs yeux, ils ne raisonnent plus à l’échelle nationale. Leur cynisme est d’autant plus fort que ces gens se sont évertués à briser les frontières des Français pour fabriquer de nouvelles frontières à leur profit grâce à l’argent. Ils ont, eux, des frontières géographiques, vivent dans les meilleurs quartiers en se préservant des problèmes liés à l’immigration et aux tensions culturelles qu’ils imposent aux Français. Ils ont, eux, des frontières sociales, se cooptent aux meilleurs postes, alors qu’il n’y a jamais eu aussi peu de fils d’ouvriers dans les grandes écoles. Ils ont, eux, des frontières scolaires, mettent leurs enfants dans les écoles privées quand les enfants des Français doivent subir les lamentables programmes et méthodes qu’ils ont mis en place. Et je trouve cela profondément injuste. En face, les patriotes sont tout simplement les partisans de l’enracinement, ce qui n’empêche pas d’être lucide sur les défis de la mondialisation. À vos yeux, Macron est l’incarnation de ces élites ? Macron en est une belle incarnation. J’aime la formule de Finkielkraut : pour Macron, « la France n’est plus une histoire, la France n’est plus même un pays, c’est un pur espace ». À ses yeux, la France est une start-up multiculturelle, un business, qui doit être le plus rentable possible. S’il faut faire rentrer un million d’immigrés dans le pays parce que c’est rentable, quelles que soient les conséquences sociales, il le fera. Pour lui, la France est un territoire, pas une patrie ; c’est une population, pas un peuple ; ce sont des individus, pas des personnes. Macron est un héritier des soixante-huitards ? Macron accomplit Mai 68. Avec lui, c’est l’idéologie du progrès, le culte du renouveau, qui implique nécessairement de faire table rase du passé. C’est l’idée soixante-huitarde selon laquelle l’homme ne peut s’émanciper que s’il se délie de tout héritage, de toute autorité, de tout cadre culturel. Je pense que c’est une erreur fondamentale. Et sur le plan économique ? Macron considère que la société apaisée, qui fonctionne, est celle dans laquelle les liens sociaux sont uniquement régis par les liens économiques, les liens égoïstes, le contrat. L’État est réduit au minimum, c’est le libéralisme intégral, une idéologie née à gauche, où l’individu prime sur toute autre considération. Macron ne voulait d’ailleurs pas avoir de programme, mais proposait un « contrat avec la nation ». Cela a des conséquences politiques très claires : quand vous avez une distension brutale du lien social, avec le terrorisme par exemple, que répond M. Macron ? Qu’il faut deux points de PIB en plus, qu’il faut réduire le chômage et investir dans les banlieues françaises. Il apporte une réponse strictement économique, alors qu’en fait, cette distension du lien social ne relève pas principalement de l’économie, mais du domaine moral et culturel. Ces gens-là n’arriveront pas à répondre à ces défis, ils sont à côté de la plaque, ils sont dans la négation anthropologique. Ce qui fait un peuple, ce n’est pas le contrat, c’est la pure gratuité. C’est, selon la formule de Renan, « d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir ». C’est ce sentiment commun qui permet naturellement le civisme, la politesse et la solidarité sans y avoir nécessairement un intérêt égoïste. Trouvez-vous une qualité à Macron ? … C’est un bon communicant… Je suis frappée par sa capacité à mettre à profit la formule du cardinal de Retz, « on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ». Il l’a théorisée, intellectualisée, et surfe sur une ambiguïté générale. Macron est l’incarnation de ce concept, c’est assez fort. Il est progressiste, mais j’ai envie de lui répondre par Orwell : « Quand on me présente quelque chose comme un progrès, je me demande avant tout s’il nous rend plus humains ou moins humains. » Moi, je ne trouve pas plus humain de mettre en place un modèle économique qui fait fabriquer nos produits par des esclaves à l’autre bout du monde, d’avoir un Whirlpool en Pologne plutôt qu’en France, de créer des mouvements de population qui rendent tout le monde malheureux et génèrent des situations tendues et conflictuelles, que les droits de l’enfant d’avoir un référent père et mère soient niés, que les femmes louent leur ventre et vendent leur bébé. Cette vision de la société me fait peur. Marine Le Pen vous a affublée, il y a quelques semaines, du qualificatif « raide », comme votre génération, disait-elle… Oui, je pense que Marine a bien perçu que la génération qui va subir tous les manquements et toutes les lâchetés de la classe politique, a de quoi être raide… C’est ma génération qui va payer les fractures territoriale et sociale ; qui va subir à grande échelle les cassures entraînées par le multiculturalisme ; qui va devoir combattre le fléau de l’islam politique et radical qui gangrène les banlieues ; qui va encore probablement connaître des dizaines de morts lors d’attentats ; qui va subir la casse sociale, le chômage de masse ; qui va payer les abus de la génération 68, qui a joué la cigale tout l’été et nous laisse des déficits incommensurables, des privilèges de classe intenables et irréformables… Quand on sait cela, il y a de quoi avoir une certaine raideur et une certaine exigence, car c’est ma génération qui va devoir se retrousser les manches et relever ces défis immenses. J’appartiens peut-être à une génération un peu dure, mais la vie est dure. Le chômage nous touche particulièrement, les jeunes sont les plus confrontés à l’insécurité du quotidien, à la cohabitation multiculturelle, aux difficultés de logement. Ma génération est désenchantée, elle sait que les lendemains ne chanteront pas et a compris qu’elle vivra moins bien que celle de ses parents. Nous sommes raides, mais l’angoisse est importante. Avez-vous, par moments, été frustrée dans votre activité de député ? Forcément, car le fonctionnement actuel des institutions ne permet pas à un député non inscrit d’être entendu. J’ai fait une fois voter un amendement très technique, pas politique, en commission, qui a été annulé deux heures plus tard à la suite d’une nouvelle réunion expresse de la même commission : voilà un exemple qui illustre à quel point l’intérêt général a complètement déserté cette Assemblée. J’ajoute que l’Assemblée nationale est en grande partie une chambre d’enregistrement des directives du Parlement européen, qu’on vit un simulacre de débat en commission, en sachant pertinemment que la France n’a pas de marge de manœuvre. Ensuite, les disciplines de parti sont tellement présentes qu’il n’y a aucun suspense sur les votes, on a beau argumenter, débattre, cela ne sert à rien. Ce fonctionnement est assez médiocre et très frustrant sur le plan intellectuel. Cela a d’ailleurs tué la qualité du débat car chacun récite sans emphase ses arguments. J’avais discuté avec un fonctionnaire présent depuis longtemps qui m’expliquait avoir vécu l’effondrement progressif du niveau des députés de législature en législature… Continuerez-vous, une fois retirée, à intervenir dans le débat public ? A priori non, ce n’est pas prévu. Excluez-vous de mener un combat parallèle, sur le plan culturel par exemple ? Non, je ne l’exclus pas. Si ma reconversion professionnelle me le permet, j’essaierai de le faire. Mais en tout cas, je ne ferai pas que cela. Que retenez-vous du fonctionnement des médias, auxquels vous avez eu beaucoup affaire ? Ce fonctionnement ne me convient pas du tout puisqu’il privilégie la superficialité, l’instantanéité et l’agitation du moment. J’ai constaté que certains journalistes, qui reprochent beaucoup de choses aux politiques, sont en réalité le strict reflet de leur médiocrité. À mesure que les politiques devenaient des petits technos formatés sortis de Sciences Po et de l’Ena, les journalistes devenaient des petits clones formatés sortis des écoles de journalisme. J’ai assez peu d’estime pour la profession, où je n’ai trouvé presque aucune culture historique, politique, où j’ai entendu du slogan et des éléments de langage, où beaucoup reprennent la dépêche AFP du matin, recopient ce qu’a écrit le collègue. Mais cet univers est le reflet du fonctionnement actuel de la société. J’avais lu une analyse scientifique expliquant que le fonctionnement cérébral des générations qui viennent était radicalement différent de celui de la génération de nos grands-parents. Les connexions neuronales se façonnent en fonction des stimuli extérieurs et de notre environnement : nos grands-parents, qui étaient soumis à moins d’informations, développaient leur mémoire et leur concentration, et ont beaucoup de mal avec la saturation de l’information et le zapping. La génération qui vient, elle, a une capacité à passer très vite d’une information à une autre mais de moins en moins de capacité de concentration et de mémoire. Cela pose un vrai problème de société : au lieu de contrer ce phénomène général, l’école l’accompagne, au lieu d’être un sanctuaire qui force le cerveau à développer ses capacités, elle s’aligne et baisse le niveau d’exigence. Et les médias s’adaptent à cela, au temps de cerveau disponible. Cela pose également un problème démocratique : on ne peut pas être un citoyen éclairé si on n’a pas un minimum de mémoire, de capacité d’analyse et de concentration. Disons-le aussi, le fonctionnement de certains médias, notamment leur financement, pour ceux qui vivent non pas de leurs lecteurs mais d’aides directes ou indirectes, ne les aide pas à se confronter à la réalité, les empêche de sortir de leur monde dogmatique, sectaire, idéologique. Trouvez-vous les journalistes conformistes ? Beaucoup sont bien-pensants, mais, pire : ils sont ultra-prévisibles. Certains journalistes commentent davantage qu’ils n’informent. On peut aujourd’hui faire de la politique à très haut niveau en répétant trois slogans à la radio le matin ; si on veut être paresseux, cet univers permet de l’être. Les formats sont toujours les mêmes, quand on va dans une émission, on sait exactement ce qu’on va entendre parce qu’ils répètent tous la même chose. J’ai vu un vrai manque de travail et une vraie paresse intellectuelle, et, très rarement, j’ai rencontré des journalistes pertinents dans leur approche, originaux. Dans certaines émissions, l’invité a parfois même moins d’importance que le journaliste qui est devenu le propre objet de l’émission. Quels écrivains vous ont marquée, construite intellectuellement et politiquement ? J’aime beaucoup Simone Weil, j’ai lu sa Note sur la suppression générale des partis politiques. Je suis marquée par les analyses d’Alain de Benoist, sans être d’accord avec lui sur tout, mais il a une capacité à démocratiser les sujets éminemment complexes notamment dans son livre sur la théorie du genre, les Démons du bien. Plus jeune, j’ai été marquée par les livres de Jean Sévillia, Historiquement correct, Moralement correct, le Terrorisme intellectuel, qui remettent en cause tous les paradigmes dans lesquels on évolue, cela m’avait fait énormément de bien. J’ai beaucoup aimé aussi les Fleurs d’Ulysse, de Jacques Trémolet de Villers, ainsi que son récent livre sur Jeanne d’Arc. J’apprécie la critique du libéralisme de Michéa, qui en pointe les dérives. J’ai aimé également le livre de Frédéric Rouvillois, Être (ou ne pas être) républicain. Les Déshérités de François-Xavier Bellamy est aussi un livre qui a compté pour moi politiquement. Quelles sont vos références majeures parmi les classiques ? Je suis une fervente lectrice de Péguy et Barrès, qui parlent mieux que quiconque de la France, même si ce n’est pas très politiquement correct. J’ai lu l’Anthologie de la poésie française de Pompidou, je l’ai toujours à côté de moi. J’ai lu Balzac, il y a longtemps, j’ai adoré Rousseau — sur le plan littéraire, moins sur le plan politique —, je vais lire le “Petit Lavisse”, j’ai découvert au moment des commémorations de la Première Guerre mondiale Orages d’acier d’Ernst Jünger et les Croix de bois de Roland Dorgelès, qui retracent la ferveur patriotique de ces millions d’hommes dans l’horreur… J’ai en mémoire, aussi, un texte magnifique de Pic de La Mirandole sur la différence entre la nature animale et la nature humaine, De la dignité de l’homme. Au sujet de l’homme, il écrit : « À lui, il est donné d’avoir ce qu’il désire et d’être ce qu’il veut. »]




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