dimanche 26 janvier 2014

France-Chine la longue marche

Sous le titre Partenariat en perspectives, ce billet a été publié dans l'Action française 2000 du 16 janvier 2014 dans le dossier "Noces d'or franco-chinoises" à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'ouverture de relations diplomatiques normales entre la France et la Chine populaire, sous le premier septennat du général De Gaulle. Il entre en archives Royal-Artillerie.

Le 27 janvier 2014, l’orchestre symphonique de la Garde républicaine de Paris donnera un concert au Musée national de Chine à Pékin, et le 28 au Grand Théâtre de Shanghaï à l'initiative de la Fondation Charles de Gaulle et de l'Institut des Affaires étrangères du Peuple chinois. Suivront des expositions itinérantes. On eut aimé faire mieux pour le cinquantenaire de la réouverture de relations diplomatiques établies par le roi Louis XIV et l'Empereur Kang-Hi, relations affaiblies par les traités inégaux puis interrompues par la guerre sino-japonaise et ses conséquences ; mais notre aisance financière nous bride. Charles de Gaulle est le seul président français imprimé dans les mémoires célestes, le côté "théâtre ambulant" y étant pour beaucoup car le paraître est une qualité recherchée en Chine. Le mettre en avant dans cette commémoration est à la fois juste et avisé si on veut tirer l'événement par le haut, après l'avalanche de cuirs et couacs de cette décennie. Nous n'avons pas tant d'atouts en Chine pour ne pas les utiliser tous.

Cinquante ans de partenariat diplomatique, puis stratégique à partir de 2001, ne laissent d'étonner, mais la Chine a une considération particulièrement avantageuse de la France qu'elle voit plus grande qu'à la toise. Cette péninsule du bout du monde, où le soleil accepte de se noyer, cumule la géographie inédite d'un finistère et la réelle beauté de paysages contradictoires et inédits. Son histoire, longue quand même de la moitié de celle de l'éternel empire, est la construction inlassable sur le même coin de Terre d'un petit empire à lui seul, indépendant et arrogant toujours, envahissant parfois, en bien des points semblable à l'enracinement continu des Hans sur leur sol. Et pour les maîtres d'aujourd'hui, elle fut l'inventeur de tous les communismes originels. Kampé ! Le pays fait riche, la culture impressionne, ses atouts sont inimitables ; et sa gastronomie universellement prisée est le meilleur label qui puisse convaincre un Chinois converti aux crus bourgeois du Bordelais.

Si leur partenaire est le plus petit des Cinq Grands ou dit-tels qui veulent juger les nations au Conseil de Sécurité, la France y ajoute le gouvernement de l'Afrique, soit directement par sa gendarmerie coloniale, soit indirectement par le travail de réseaux inavoués et de services rompus au métier. Ce tropisme français nous vaut d'ailleurs des bataillons de locuteurs français chez les Chinois qui commencent leur carrière en Afrique francophone, et un peu de respect aussi. Le Mali à cet égard nous a fait beaucoup de bien, comme Bouteflika au Val-de-Grâce.

✝ Paul BERLIET
L'autre intérêt porté à notre pays est à l'image des produits de luxe dont nous sommes si fiers et à juste raison : la technologie de pointe appliquée. Notre cousin germain est apprécié au poids de son sérieux et à l'épaisseur de ses carrosseries, quand nous-mêmes le sommes aux fulgurances de l'innovation. Transport ferroviaire, énergie électrique nucléaire, missiles, gros porteurs aériens les appâtent, même s'ils ne passeront pas de contrat d'exclusivité à notre bénéfice. Et dans des domaines moins évidents, nos relations sont plus développées qu'on ne le dit pour des raisons de confinement technique, au sein de groupes de travail permanents abordant les questions militaires. D'où leur totale incompréhension de contrats mercantiles passés jadis avec Taïwan dans le domaine des armements, Mirages et frégates La-Fayette, affaires visant à contrer sur sa zone d'effort le complexe militaro-industriel américain ! Les effets pervers de ces contrats qui se font encore sentir chez nous, suggèrent à nos interlocuteurs, largement commissionnés pour se taire, de ne pas nous dire : on vous l'avait bien dit. Ceci nous amène à considérer notre handicap majeur : le défaut de vista et l'impermanence.

Avec tous les atouts dont nous disposons et malgré une taille globale devenue modeste au pantographe de la mondialisation, nous avons la main dans certains domaines, l'eau par exemple. Tout le monde n'en peut dire autant. Mais nous entamons gravement cet avantage qualitatif par la faiblesse de notre régime politique fondé sur les zigzags de l'alternance qui montrent à l'envi foucades et demi-tours, en face d'un empire ayant aboli le temps sur un vecteur de développement inchangé depuis l'aube du monde. Le surgissement démocratique d'amateurs ou de parvenus ignorant toute étiquette, voire d'une grossièreté inexplicable chez les héritiers de la "France des Lumières", n'est pas compréhensible pour des dirigeants chinois formés sur plusieurs lustres à la compétence et à la sérénité exigées par de hautes fonctions de responsabilités. Rappelons qu'il s'agit rien moins que d'administrer sous une même loi un milliard et trois cent cinquante millions de gens ! Du jamais vu sur Terre.
Le "China Dream" du président Xi Jinping n'est que la feuille de route des anciens empereurs, on n'en pourrait dire autant du nôtre. Finalement le peuple français a la redoutable imbécillité d'élire ceux qui obéreront au mieux ses chances, ce qui suffit à convaincre les Chinois que notre démocratie doit rester cantonnée chez ses fondateurs, ce dont ils tirent grand avantage.

Jean-Pascal TRICOIRE
Cet affolement constant des élites chez nous - ne citons pas les trépidations de ces jours-ci (ndlr : au moment, Dieudonné, Valls et Julie Gayet) - et l'impermanence des politiques menées entament plus qu'on ne croit la confiance de nos partenaires, et ce, même au niveau du chef d'entreprise chinois intéressé à se développer en France. Ils sont tentés de ne saisir qu'une opportunité à court terme au lieu de privilégier l'avenir, au simple motif que nul ne sait de quoi sera fait le lendemain chez nous. Les désordres en voirie ne les effraient pas - ils connaissent les leurs, parfois plus sanglants - mais la déconsidération des cadres, l'anarchie syndicale, l'apathie de l’État à réprimer les désordres industriels, la complexité mouvante des procédures, les réticences à l'achat de valeurs patrimoniales captives comme les vignes, qu'on n'emportera donc jamais, et un code du travail monstrueux freinent l'élan alors que l'intention est là. D'où l'intérêt d'une diplomatie parallèle établie sur la durée et menée par des connaisseurs, diplomatie sans dentelles capable de limer les aspérités et les surprises d'une politique au jour le jour, d'un niveau parfois affligeant.

Cette diplomatie parallèle mérite d'être renforcée, le Comité France-Chine fondé par Paul Berliet et présidé aujourd'hui par le patron de Schneider Electric n'y suffit plus. D'autres capteurs de marchés dans les mains d'acteurs économiques validés par le business - un langage que les Chinois comprennent sans explications - doivent investir l'espace à côté des réseaux classiques d'influence que sont les chambres de commerce, les PEE, Ubifrance, Invest in France Agency (IFA), Sopexa, Atout France ou le French Centre for Research on Contemporary China de Hong Kong. Notre présence se renforce déjà au niveau des piétons. Les expatriés permanents se comptent eux-mêmes vingt mille à Shanghai, quinze mille à Hong Kong et sept mille à Pékin. Ils se disent contents. Cinquante ans de mariage sont des noces d'Or. Champagne !


mardi 21 janvier 2014

Marcher pour le Roi Mort

Ce texte a été publié par le site de La Faute à Rousseau, la semaine dernière, dans sa rubrique "La Patte à Catoneo". C'est une patte de chat qui cache des pattes de mouche. Il entre en archives Royal-Artillerie. Ce billet est le second commis par le piéton du roi pour le site de propagande de la Restauration Nationale ; le titre annonçait le cortège Action Française de dimanche dernier.


Dans son Journal d'une femme de cinquante ans¹, la marquise de La Tour du Pin relate son 21 janvier 1793 ; ils étaient réfugiés chez une amie à Passy, village alors hors les murs.
Pour les situer : Gouvernet, son mari, avait été colonel du Royal-des-Vaisseaux, puis après un poste diplomatique à La Haye fin 1791, il parvint après bien des péripéties à émigrer en famille aux États-Unis. L'Empire et Talleyrand ayant sollicité son concours, il ne purent obtenir son accord que tardivement pour la préfecture de Bruxelles ; la Restauration lui confia les ambassades des Pays-Bas puis de Sardaigne après le Congrès de Vienne où il négocia dans la délégation française, puis il refusa l'usurpation de 1830 ce qui lui valut la prison. Elle-même avait été dame de compagnie de la reine à Versailles, comme sa propre mère auparavant ; c'était une Dillon de grand caractère, capable de tout faire et experte en chevaux, Dillon du régiment irlandais², Dillon aujourd'hui du rhum Dillon de Martinique. Les voici à la fenêtre de Mme de Poix :
« Le matin du 21 janvier, les portes de Paris furent fermées, avec l'ordre de ne pas répondre à ceux qui en demanderaient la raison au travers des grilles. Nous ne la devinâmes que trop, et appuyés, mon mari et moi, sur la fenêtre de notre maison qui regardait Paris, nous écoutions si le bruit de la mousqueterie ne nous apporterait pas l'espoir qu'un si grand crime ne se commettrait pas sans opposition. Frappés de stupeur, nous osions à peine nous adresser la parole l'un à l'autre. Nous ne pouvions croire à l'accomplissement d'un tel forfait, et mon mari se désespérait d'être sorti de Paris et de ne pas avoir admis la possibilité d'une semblable catastrophe. Hélas le plus grand silence continua à régner dans la ville régicide. A 10 heures et demie, on ouvrit les portes, et tout repris son cours comme à l'ordinaire. Une grande nation venait de souiller ses annales d'un crime que les siècles lui reprocheront !... et pas une petite habitude n'était dérangée » (T.I-ch.XIII-§.II).

Le sang de Louis XVI devait être, selon son dernier vœu rapporté par Sanson, le « ciment du bonheur des Français ». Hélas, nous entrâmes dans un tunnel de cent cinquante ans de guerres et de dévastations ! Que l'on croit ou non en la justice immanente, le sang du roi est retombé sur nos têtes. Nous sommes les héritiers indivisaires du péché monstrueux de nos pères qui est plus difficile à laver que le péché originel, racheté, lui, par la venue du Christ. Est-ce pour cela que nous en sentons encore le poids ?

Le temps existe-t-il ou n'est-il que convention de la Relativité ? Nos mœurs, nos choix d'aujourd'hui ont-ils pesé jadis ? Vraie question si l'on abolit l'abscisse des temps : sommes-nous maintenant coupables en pensées et en actions de laisser retentir en nous les désordres révolutionnaires d'antan ? Que renvoyons-nous aux mânes des suppliciés de Septembre de plus que nos petites lâchetés et une prière rapide chaque 21 janvier ? L'acceptation discrète de notre asservissement moral et matériel, le confort du jacobinisme transmuté en social-démocratie orwellienne, le laisser-passer donné à de nouvelles hordes sans combattre ! Sommes-nous dignes de leur martyre ? Moi, j'en doute, et c'est en ce sens que j'éprouve une gêne à chaque anniversaire du 21 janvier 1793.

Le marquis de La Tour du Pin Gouvernet, pourtant habitué au carrousel des régimes, lui, n'accepta pas les Trois-Glorieuses. A 73 ans, il se jeta sans hésiter dans la révolte de Marie-Caroline de Bourbon-Siciles quoiqu'il ait dû lui en coûter fors l'honneur. Il prit trois mois de forteresse !

Marcher pour le Roi Mort est une manifestation nostalgique de tradition. En conscience, elle nous semble nécessaire et le serait sans doute davantage si nous la vivions comme une expiation, non tant du crime que de notre réserve. C'est ce qu'évoque la chapelle érigée par Louis XVIII au cimetière de la Madeleine vers laquelle nous devrions marcher la tête couverte de cendres, du moins s'en oindre le front et ranger les bannières, à défaut de pouvoir prendre les armes.

La conjuration du mauvais sort passe par l'instauration d'un roi qui renouera les fils de notre destin. Prions pour nous d'abord ! Louis-Auguste de France est, lui, tiré d'affaire. Pas nous !

Messes partout (cf. La Faute à Rousseau).


Note (1): Cet ouvrage est en accès libre chez la Gallica.
Note (2): Consulter la notice de Jean-Louis Vial sur Nec Pluribus Impar.


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