mardi 25 avril 2023

Lu Shaye, rossignol de Pékin

montage photo Zhao Lijian Lu Shaye sur profil de loup

Son Excellence l'ambassadeur de Chine populaire à Paris n'est pas un perdreau de l'année (clic). Son cursus est solide, que nous résumons ici pour le lecteur pressé.

Issu du milieu estudiantin francophile de Nankin célébrant les Droits de l'homme et du citoyen, il se rabat, faute de mieux, sur la CFAU de Pékin (China Foreign Affairs University) et intègre la section francophone destinée à l'Afrique. Comme tous, il fait ses premières armes dans la Francophonie, pour lui c'est en Guinée-Conakry où il entendra pis que pendre de la période coloniale, puis à Dakar où il croisera la Françafrique. Après un stage de remotivation au Comité central du PCC en charge des affaires étrangères, il rejoint Ottawa pour se heurter à l'imbroglio "Huawei" avant de prendre son poste à l'ambassade de Paris en 2019.
Dans l'almanach diplomatique chinois, Paris est la troisième destination par importance, dès lors que la France est le cinquième membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et que la Fédération de Russie est "traitée" directement depuis le ministère à Pékin. Ceci veut dire que le gouvernement chinois n'attribue pas ce poste à un yuppie décérébré mais à un haut-fonctionnaire chevronné bien dans la ligne diplomatique du parti. C'est ce qui donne toute son importance aux déclarations récentes évoquant le flou des frontières relevées après la dislocation de l'Union soviétique en 1991.
Et au plan personnel, M. Lu Shaye est trop intelligent pour s'être laissé emporter par les provocations débridées de Darius Rochebin.

Quels sont les pays niés ? Du nord au sud, les trois Etats baltes, la Biélorussie, l'Ukraine, la Crimée, la Moldavie, la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et tous les Stans. C'est exactement l'axe d'effort de la résurgence de l'empire russe activée par le Kremlin poutinique, qui, dit le géographe, n'a jamais eu de frontière.

Malgré le tollé soulevé en Europe, la mise au point du porte-parole du MAE chinois, tout en langue de bois, n'est pas accompagnée d'un rappel de l'ambassadeur en Chine pour consultations. Notre propre analyse fondée (...) nous suggère que les déclarations outrancières de M. Lu reflètent la pensée dominante dans les couloirs du MAE chinois, au motif premier et dernier de ne rien faire qui pourrait conduire à la dislocation de la Fédération de Russie. Si la sincérité des propos n'est pas une donnée importante en diplomatie, toutes les actions entreprises ou tolérées dans le dossier "Russie" sont jaugées à l'aune de cette exigence stratégique. Donc si le doute des frontières profite à la diplomatie Lavrov, celle de la plus mauvaise foi possible, il est permis d'en faire état, publiquement s'il le faut.
Doit-on rappeler cette obsession du temps long chez les Chinois ? La Fédération de Russie doit rester gérable de longues années encore afin de pouvoir négocier avec un seul interlocuteur une emphytéose chinoise sur l'extrême-orient russe, queue de trajectoire qui sera un jour imposée à Moscou par une sorte de grand remplacement en Sibérie orientale et sur les terres chinoises immémorielles capturées par le Tsar au XIXè siècle. C'est ça leur truc et la liste des motifs est précise.

Pour résumer et revenir à l'affaire d'Ukraine dans laquelle l'Elysée et le Quai d'Orsay veulent à tout prix s'impliquer, la Chine populaire - attentive aussi à son commerce extérieur - doit geler le conflit sur les lignes de front actuelles, laissant l'application des principes intouchables de la Charte des Nations-Unies à un modus vivendi de coexistence pacifique donnant du temps au temps, jusqu'à ce que la confrontation des "peuples frères" s'apaise. La Crimée pour sa part au conflit est dans un sous-dossier, mais il n'y a pas que la Chine populaire à l'avoir séparée de l'Ukraine continentale, les Etats-Unis et quelques pays d'Europe occidentale le diront en temps utile par une formulation à l'étude dans les chancelleries.


Petite note : M. Lu est souvent qualifié de "loup guerrier" par la presse, comme participant d'une nouvelle génération de diplomates chinois décomplexés et moins timorés que leurs prédécesseurs. Nous lui préférons celui de "loup-combattant" : 战狼 = loup de guerre ou loup employé pour combattre à la guerre (comme on avait des chiens de guerre chez les lansquenets de la Renaissance): donc loup-combattant est la traduction la plus proche du sens original.

Cane corso italiano

lundi 24 avril 2023

La persane 129 (des lois, des gnomes qui les font)

couverture des Lettres persanes
Sans doute est-ce le livre de chevet qui depuis ma jeunesse a le moins pris la poussière chez moi ; j'ai lu avec délectation la prose et l'esprit gascon de Charles-Louis de La Brède dit Montesquieu (1689-1755). Le bouquin disjoint et malmené disputait sa place avec l'Esprit des Lois.
La cent-vingt-neuvième d'Usbek à Rhédi m'a sauté aux yeux quand on parle aujourd'hui de l'immense scandale de la protection des squats qui déclenche des pulsions de meurtre dans le cerveau primitif du village gaulois, accessoirement, la plus parfaite illustration de la connerie en jabot, quand bien même la crise des toits ferait rage ; surtout sur des populations miséreuses d'origine lointaine venues ici s'abriter.
On me dit dans l'oreillette que le ministère révise ses décrets d'application en donnant un peu plus de mou à la corde des préfectures qu'elle n'en laisse aux tribunaux. Pour sûr, cette persane devrait être au programme de l'Ecole nationale d'administration, à apprendre par cœur, voire à SciencesPo si elle ne heurte pas la vanité puérile des impétrants en sucre d'orge. Aucune actualisation de cette lettre n'est exigée ; nous sommes en plein dans la casuistique ministérielle où Gribouille règne en maître ! Et on se gausse comme jamais à entendre la maxime "Nul n'est censé ignorer la loi".
Mais la lettre nous indique aussi que sous la Régence, le foutoir législatif était déjà bien visible et qu'en revanche, la liberté de le dire était garantie par le duc d'Orléans. La lettre se termine par un éloge du patriarcat qui fait tache aujourd'hui, à l'époque des rodéos urbains et des disputes à la sulfateuse. A quoi servirait-il d'ailleurs si Sandrine Rousseau et Caroline De Haas prenaient le pouvoir avec Alice Coffin ?
(les intertitres sont du claviste)

Des cuistres de cabinets
La plupart des législateurs ont été des hommes bornés, que le hasard a mis à la tête des autres, et qui n'ont presque consulté que leurs préjugés et leurs fantaisies. Il semble qu'ils aient méconnu la grandeur et la dignité même de leur ouvrage : ils se sont amusés à faire des institutions puériles, avec lesquelles ils se sont, à la vérité, conformés aux petits esprits, mais décrédités auprès des gens de bon sens. Ils se sont jetés dans des détails inutiles ; ils ont donné dans les cas particuliers, ce qui marque un génie étroit qui ne voit les choses que par parties, et n'embrasse rien d'une vue générale. Quelques−uns ont affecté de se servir d'une autre langue que la vulgaire : chose absurde pour un faiseur de lois. Comment peut−on les observer, si elles ne sont pas connues ?

De l'orgueil mal placé des successeurs
Ils ont souvent aboli sans nécessité celles qu'ils ont trouvées établies ; c'est−à−dire qu'ils ont jeté les peuples dans les désordres inséparables des changements. Il est vrai que, par une bizarrerie qui vient plutôt de la nature que de l'esprit des hommes, il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare, et, lorsqu'il arrive, il n'y faut toucher que d'une main tremblante : on y doit observer tant de solennités et apporter tant de précautions que le peuple en conclue naturellement que les lois sont bien saintes, puisqu'il faut tant de formalités pour les abroger. Souvent ils les ont faites trop subtiles, et ont suivi des idées logiciennes plutôt que l'équité naturelle. Dans la suite, elles ont été trouvées trop dures, et, par un esprit d'équité, on a cru devoir s'en écarter ; mais ce remède était un nouveau mal. Quelles que soient les lois, il faut toujours les suivre et les regarder comme la conscience publique, à laquelle celle des particuliers doit se conformer toujours.

De l'avantage de l'autorité en famille avant d'édicter les lois
Il faut pourtant avouer que quelques−uns d'entre eux ont eu une attention qui marque beaucoup de sagesse : c'est qu'ils ont donné aux pères une grande autorité sur leurs enfants. Rien ne soulage plus les magistrats ; rien ne dégarnit plus les tribunaux ; rien, enfin, ne répand plus de tranquillité dans un Etat, où les mœurs font toujours de meilleurs citoyens que les lois. C'est, de toutes les puissances, celle dont on abuse le moins ; c'est la plus sacrée de toutes les magistratures ; c'est la seule qui ne dépend pas des conventions, et qui les a même précédées. On remarque que, dans les pays où l'on met dans les mains paternelles plus de récompenses et de punitions, les familles sont mieux réglées : les pères sont l'image du Créateur de l'univers, qui, quoiqu'il puisse conduire les hommes par son amour, ne laisse pas de se les attacher encore par les motifs de l'espérance et de la crainte. Je ne finirai pas cette lettre sans te faire remarquer la bizarrerie de l'esprit des Français. On dit qu'ils ont retenu des lois romaines un nombre infini de choses inutiles et même pis, et ils n'ont pas pris d'elles la puissance paternelle, qu'elles ont établie comme la première autorité légitime.
(à Paris, le 4 août 1719)

jeudi 20 avril 2023

Le chemin de Waterloo*

*prononcez "Vouadeulou"

Pour la chute de rein d'Agnetha Fältskog et la recommandation qui va bien au teint de M. Macron : « and now it seems my only chance is giving up the fight »


Macron, impérial au pied petit, entame sa tournée de la France profonde. Il renoue avec ce vice de pérégrinité qui a échoué à calmer les gilets jaunes, malgré le nombre impressionnant d'élus locaux rencontrés dans cet exercice. Irons-nous cette fois aussi vers une grande convention citoyenne de la mort qui tue ?
Hier, la visite de Sélestat a mobilisé des mécontents que les analystes prennent pour les représentants de la majorité silencieuse ; peut-être ont-ils raison. Mais ce qui est sûr c'est qu'une fois encore le président de la République est à côté des soucis populaires, se cantonnant au programme pour croyants (toujours le même depuis 2017) qui ne satisfait sans y trop toucher que sa clientèle politique, celle de la mondialisation lucrative, le reste est... gaulois !

En fait ce qu'attendent les gens, ce n'est pas le retrait de la loi modifiant les retraites - ils voient bien que tous nos voisins travaillent plus longtemps que nous - mais que le domaine régalien soit tenu. Leurs attentes sont claires : réparer le système de santé afin de stopper la raréfaction du corps médical accessible à prix courant ; mettre au pas la racaille qui n'est plus qu'en banlieue mais surgit partout, et stopper la chienlit des émeutiers et zadistes, faudrait-il aller jusqu'à s'asseoir sur la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire ; rénover l'école publique qui nous fait honte ; contrôler l'immigration et la fraude aux prestations ; les autres problèmes, quoiqu'en disent les Insoumis payés au mois, ne lui sont pas attribués. On ne le tient pas responsable de l'inflation, ni de la crise de l'énergie, encore moins du réchauffement climatique ou de la faiblesse de nos armées échantillonaires ; parce qu'on sait intuitivement qu'il n'y peut rien faire ou si peu, vu les moyens et leviers disponibles.
En revanche, il agace le populaire à se pavaner chez les forts en gueule et autres dictateurs. Vous allez voir ce que vous allez voir, mais il a échoué avec Trump, il a échoué avec Merkel, il a échoué avec Biden, il a échoué avec Poutine et le milieu expatrié en Asie juge dérisoire et froid son dernier voyage à Pékin, il a échoué avec Xi Jinping. Certes il continue à faire le coq à Bruxelles depuis que les Anglais sont partis et que l'Allemagne se mouche dans ses doigts pour s'être plantée dans les largeurs sur son Ostpolitik en Russie ; mais les dérives budgétaires françaises et l'incapacité à assainir nos comptes irritent fortement le patron de la Bundesbank et le ministre Lindner, qui ne vont pas tarder à siffler la fin de la récréation aussitôt que diminuera la tension en Ukraine, voire même avant. L'orgueilleux Macron pourra-t-il éviter l'humiliation des quatre vérités ?

Inchangé dans sa posture, son arrogance naturelle de surdoué qui n'en fut pas un, sa "sûreté" de jugement, son narcissisme exacerbé peut-être par une adolescence saccagée, son autoritarisme irrépressible, Emmanuel Macron veut finir son quinquennat à sa main, quoiqu'il nous en coûte. C'est la plus sûre façon de foutre le feu au mois de mai.

Après ça, j'ai écouté Mark Knopfler avec Matt Rollings au piano dans Shangri La (clic)

It's the end of a perfect day For surfer boys and girls The sun's dropping down in the bay And falling off the world There's a diamond in the sky Our evening star In our shangri-la Get that fire burning strong Right here and right now It's here and then it's gone There's no secret, anyhow We may never love again To the music of guitars In our shangri-la Tonight your beauty burns Into my memory The wheel of heaven turns Above us endlessly This is all the heaven we've got Right here where we are In our shangri-la This is all the heaven we've got Right here where we are In our shangri-la

dimanche 16 avril 2023

La Route des Rutènes (archive)

Note d'ordre : Ceci est le résultat d'un travail personnel de longue haleine et sans intérêt public mais accessible à tous. Il est sauvegardé sur ce blogue par commodité et susceptible d'augmentations/corrections. On n'y trouvera pas de carte détaillée de toutes les voies romaines du Midi, ni les modes et techniques précises de construction standardisée de ces routes, juste une évocation ; de nombreux ouvrages spécialisés en parlent d'abondance pour qu'il ne soit pas nécessaire de mimer l'érudit. Ce n'est donc pas une "thèse de dynamique spatiale" comme on appelle aujourd'hui les monographies de transport.


chaussée sur un pont romain sans doute repavée

Dans une vie antérieure, j'ai appris qu'un consul romain décréta la construction d'une Via Rutenorum de Nîmes à Rodez à travers une contrée coupée en tous sens de montagnes et de cours d'eau parfois encaissés (Vidourle, Rieutord, Hérault, (Arre) Vis, Tarn, Viaur, Aveyron), avec de grandes déclivités (accès au plateau du Larzac). Je la date du IIè siècle post-Christum et on la retrouve dans l'histoire régionale sous différents noms en sus du précité, selon les tronçons : Cami Romieu, Cami Farrat, Route des Rutènes, Chemin Royal, Chemin Vieux, Grand Chemin. A noter que la section Larzac-Nîmes n'est pas sur la Table de Peutinger, ni sur l'Itinéraire d'Antonin (guide du routard du IVè s.). Elle est notée comme "diverticula" par l'archéologue Louis Bousquet.
Des géographes donnent pour acquis que cette "route" est un tronçon d'une voie romaine transversale qui allait de Arles à Saintes en bifurquant de la voie domitienne à Nîmes pour franchir les Cévennes. Elle se continue après Rodez vers Cahors etc... En fait, le même service est aujourd'hui rendu par l'aboutement d'est en ouest des routes D999 (de Nîmes à La Cavalerie du Larzac), N9 (de La Cavalerie à Millau) et D911 (de Millau à La Primaube - Aveyron) puis la N88 (de La Primaube à Rodez).

Quelle pouvait être l'intention du consul romain à lancer pareils travaux en Narbonnaise ?

Il a toujours existé un chemin à travers les basses Cévennes reliant les Volques aux Rutènes. A l'époque gallo-romaine, Segodunum ("le piton des plus forts"), bien qu'excentrée, était une ville relativement plus importante qu'aujourd'hui, capitale d'un pays riche tant en mines, cultures qu'en industries, et gouvernée par des élites éduquées qui n'eurent aucun mal à prendre en charge l'administration impériale à leur compte après la Conquête. S'il reste très peu de vestiges romains sur l'oppidum de Rodez (planchers carrelés de villas, mosaïques, hypocauste, amphithéâtre, fondations du grand forum, acqueduc, cloaque voûté), plusieurs voies romaines importantes en rayonnaient avant la construction de la Via Rutenorum, qui permettaient déjà l'accès à Toulouse par Gaillac et Rabastens, à l'Aquitaine par Cahors, à la Narbonaise maritime par Clermont l'Hérault et à Lyon par Javols. Il aurait existé aussi une voie Nîmes-Lodève (par Sommières, St Martin-de-Londres (départementale D1) et continuant sous la Séranne par La Vacquerie (-St Martin de Castries) permettant d'éviter le chaos du piémont de l'Aigoual (Lingas) et d'attraper à Soubès la pénétrante sud-nord vers Millau en direction du nord et la Domitienne en direction du sud. Mais sur le Larzac, notre route est identifiée comme différente de celle de Lodève qu'elle rejoindrait à hauteur de La Cavalerie (?!). Quand on connaît le territoire traversé entre Le Vigan et La Cavalerie, on élimine tout intérêt fiscal voire même administratif. Par contre, connaissant les têtes dures des Cévennes et les caboches du Rouergue, il est pensable que la voie facilitait les opérations de police de l'empire, la circulation des ordres impériaux et du courrier.
On ne doit pas négliger les motifs économiques d'échanges interprovinces et au-delà. Nîmes est à cette époque le pôle le plus attractif du Midi et une bourgeoisie d'affaires y est très influente. Descendent du Massif Central, des minerais triviaux et précieux, des articles métalliques, de la poix, de la vaisselle en quantité industrielle (céramique sigillée de la Gaufresenque près Millau), des bœufs (salers rouges), des moutons, de la laine, du drap et des fromages ; proviennent d'Aquitaine et d'Espagne, ânes et chevaux, des peaux tanées, des fourrures, des fruits secs, des minerais raffinés ; d'Italie, de l'huile (d'olive), des produits de l'agriculture élaborée, du vin ; et importés par le port de Narbonne, arrivent des épices, des herbes de sacrifice (myrrhe, encens), des parfums (musc), de la soie, de l'ivoire provenant de Méditerranée orientale (Alexandrie et les échelles du Levant) ; sans oublier le trafic du sel de mer indispensable aux salaisons.
Reste l'hypothèse d'une voie de recul stratégique permettant de faire marcher des légions depuis Arles vers le bassin fluvial de la Garonne sans passer par les voies littorales faciles à conquérir pour l'ennemi du moment. A ce sujet, il faut rappeler que la voie ferrée Tournemire-Le Vigan par le Larzac (1879-1971), tronçon d'un Rodez-Lunel, répondait aussi au défi stratégique de basculer en sûreté des moyens entre les bassins du Rhône et de la Garonne. Mais plus probablement tous ces motifs se sont rejoints pour ouvrir une voie coûteuse entre la capitale économique du pays et l'oppidum ruthénois d'où repartaient d'autres voies vers l'ouest et le nord.

Il est quasiment certain que les ingénieurs de l'empire ont suivi le plus souvent possible les drayes à bétail ou les chemins gaulois que l'on nous dit nombreux. Ainsi parle-t-on souvent de voies "gallo-romaines". Pour terminer ce paragraphe, il faut souligner qu'avant la Conquête, il existait des voies gauloises empierrées dites charretières, capables de trafic à grand débit. César en fera bon usage pour faire marcher ses légions, comme plus tard les hordes barbares feront leur profit des belles voies romaines comme autant d'axes de pénétration rapide de leur cavalerie et de leur charroi.
Nous allons donc nous limiter à sa description et oublier son intention initiale. Le contrôle de l'itinéraire est fait sur la carte Michelin n°80 au 200.000ème (éd.1990 d'avant l'autoroute A75). Pour mémoire, les Ponts & Chaussées romains ont construit plus de 320.000 kilomètres de routes ! Elles furent la première armature impériale et à ce titre, il semblerait que ces constructions ne cessèrent pas tant que l'Etat prévalut jusqu'au IVè siècle.

Itinéraire
La Route des Rutènes "Nîmes-Millau-Rodez" commence dans le bassin drainant du Vidourle (fuseau de la départementale D999 du Gard) jusqu'à Moulès (près de Ganges). Elle franchit à sec le torrent du Rieutord pour remonter vers Sumène* et bascule à Cap-de-Coste dans le bassin drainant de l'Hérault qu'elle franchit à Pont-d'Hérault. Elle évite les emportements de l'Arre en passant par Bréau et le col de Mouzoulès et par Aumessas rejoint Alzon où elle franchit la Vis, puis se hisse par le causse de Campestre sur le plateau du Larzac au col de la Barrière près de Sauclières (frontière gauloise entre Volques et Rutènes), vers Saint-Martin du Vican. Soit elle rejoint à l'Hospitalet du Larzac ou à La Cavalerie la voie Cessero-Luteva-Condatomagos-Segodunum qui remonte de Saint Thibéry depuis la Voie domitienne vers Rodez, mais plus probablement elle tire droit à travers le camp militaire jusqu'à l'est de Creissels d'où elle tombe sur le Tarn qu'elle passe à gué. A noter l'alignement SE-NO de St Martin du Vican, Les Liquisses, Les Agastous, La Blaquière et St Michel.
*une option intéressante à vérifier serait le chemin en hauteur Ganges-Cap-de-Coste qui suit la ligne de partage des eaux entre Rieutord et Hérault et qui évite les crues du torrent. Il s'embranche en continuation du Chemin des Cades à Ganges et vers le nord devient le GR 60. C'est dans l'autre sens une large piste forestière desservant les Jumeaux de Sumène. Cet itinéraire évite la côte si raide qui, passant de Sumène à Pont-d'Hérault, fit tant parler d'elle sous l'Ancien régime.


De Millau vers Rodez on la suit sur le fuseau de la D911 (Millau-Villefranche de Rouergue) jusqu'à la tour d'Azinières, puis vers Comberoumal, les Vernhes (lac de Pareloup), Camboulas, la Baraque du Pouget, Viel-Vayssac, Briane, Hyars, La Vayssière et par la D62 au Monastère sous Rodez pour franchir l'Aveyron et monter à l'assaut du piton jusqu'à la porte Sainte-Catherine. Les passages attestés existent** mais sont peu nombreux. Une pratique des travaux publics permettrait de diriger aujourd'hui la voie entre les côtes montueuses, les gués et les toponymes romains comme Lestrade. Combien de "baraques" dans les deux fuseaux successivement considérés ! Mais sur notre itinéraire, il ne reste aucun pont romain franchissant les fleuves et rivières précités. De Rodez le réseau continue vers Cahors, vers Toulouse d'une part, et vers Javols (et Lyon) d'autre part. Pour mémoire, des drayes destinées à la transhumance, qu'il ne faut pas confondre avec des voies romaines, sillonnent le territoire et peuvent prêter à confusion.

Technique des chaussées
Le tracé privilégié par les ingénieurs impériaux est la géodésique s'affranchissant des déclivités par le déblai-remblai du sol primaire. Si le souci de la pente est présent, celui de la ligne droite l'est tout autant et l'on s'étonne de trouver des pentes raides qui convoquaient parfois un renfort d'attelage pour franchir le col.

Nous confions ce paragraphe à l'érudition des grands anciens qui savaient tout sur la voie romaine standard (avec beaucoup d'exceptions): 22 pieds romains de large, bordés de 2x14 pieds non edificandi (50 pieds d'emprise totale), chaussée perméable sur ballast, parfois bombée, parfois non, dégorgeant dans des fossés ou drains d'évacuation. Les voies qui nous occupent en pays rutène n'étaient pas pavées comme les voies prestigieuses de la plaine de Languedoc, mais empierrées et sablées (viae glarea stratae), donc plus difficiles à détecter de nos jours, même si parfois sous la terre arable rapportée par le vent, on retrouve l'ouvrage multi-couches presque intact, avec son profil légèrement convexe.

Bornes milliaires :
Les distances que l'on trouve sur les bornes kilométriques rescapées de l'antiquariat se comptent en lieues gauloises romanisées ou en milles romains. Après d'épiques empoignements au millimètre près entre sociétés savantes, l'académie s'est accordée sur les valeurs suivantes :
La grande lieue gauloise (7500 pieds) vaudrait 2468 mètres d'aujourd'hui et le mille romain 1481 mètres (1000 double-pas).
Le pied romain dont on connaît des étalons vaut 0,296 mètre ce qui porte l'emprise inaliénable de la voie standard à 15 mètres et la largeur carrossable de la chaussée à presque 6 mètres. Sur le camp militaire du Larzac, on a fouillé un tronçon à grand débit qui faisaient 7,40 mètres de large.

**Passages attestés :
Le Monastère et Layoule pour l'Aveyron (2 bretelles inexplicables d'accès à la ville mais déjà constatées ailleurs en Rhénanie, se rejoignant à la Baraque du Pouget-D911)
Mas Marcou (Flavin)
Hyars (Flavin)
Camboulas (pour le Viaur)
Crespiaguet
Canet de Salars
Les Vernhes (Pareloup)
Curan
Comberoumal (vallon romain)
Azinières
Les Aumières (GR62)
Millau (Condatomagos = place de marché du confluent)
Gué de Saint-Thomas (Tarn)
Route de Brunas (lacets)
(on n'a pas retrouvé l'embranchement des deux voies du Larzac entre L'Hospitalet et La Cavalerie, mais les bâtiments romains de services aux voyageurs sont peut-être sous les villages bâtis)
Sauclières
Col de la Barrière (D999 x D273)
Alzon (pour la Vis)
Mouzoulès (col de) du taillable de Mars (le chemin des Rutènes signalé en surplomb de la vallée de l'Arre ressemble plus à un chemin gaulois empierré qu'à une voie romaine)
Le Vigan (Avicantus - chant d'oiseau)
Le Rey (pour l'Arboux) Pont-d'Hérault (pour l'Hérault)
Sumène
Gué de Ganges (Aganticum) (pour le Rieutord)
Mandiargues
Sauve (pour le Vidourle)
Quissac (Quintiacum)
Montpezat
Chemin vieux de Sauve (Porte de S. à Nîmes)

Le doute qui persiste sur certains tronçons de la voie pourrait être levé en faisant une randonnée à cheval (avec quelques instruments de géodésique) et en se mettant dans la peau de l'ingénieur romain, sachant qu'il privilégiait la ligne droite ou les larges courbes prenant en écharpe la déclivité plutôt que des lacets moins abrupts, pour des considérations économiques et de visibilité du trafic. Le territoire n'a pas été bouleversé, on est dans les conditions d'époque. En selle !

borne milliaire à Rodez
borne milliaire à Rodez

Sources :
  • https://www.nationalgeographic.fr/histoire/les-voies-romaines-reseau-routier-dun-empire
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Voies_romaines_en_Gaule (dont Arles-Saintes en Charente maritime)
  • https://fr.taylrrenee.com/obrazovanie/85077-rimskaya-doroga-opisanie-istoriya-osobennosti-i-interesnye-fakty.html
  • https://aquitania.u-bordeaux-montaigne.fr/_jumi/pdf/1385.pdf (p.333 et s. - voies et chemins en Rouergue)
  • http://www.nemausensis.com/Gard/TopoGard.htm
  • http://www.lesportesdutemps.com/archives/2019/08/01/37536008.html (distances)
  • https://www.st-jacques-aveyron.com/ititour/objects/poi/documents/E01-livre-sur-voie-romaine-Lestrade.pdf
  • http://www.nemausensis.com/Nimes/ViaDomitia/MilliairesVoieDomitiene.pdf (bornes milliaires)
  • https://www.persee.fr/doc/galia_0016-4119_1999_num_56_1_3011 (lieue gauloise)
  • http://voiesromaines35.e-monsite.com/pages/elements-de-toponymie.html
  • https://journals.openedition.org/gallia/596 (St Thibéry-Rodez)
  • https://issuu.com/loubatieres/docs/9782862666280 (itinéraire en Basses Cévennes)
  • https://www.archeo-rome.com/voies/voies05.html (centuriation pratique)
  • https://www.jstor.org/stable/44744702 (relais routiers romains entre St Thibéry et Rodez)
  • https://www.persee.fr/doc/sracf_1159-7151_2009_act_35_1_1422 (vestiges romains de Rodez et de Millau)
  • https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96163310/f1.item (Le Gautier de la construction des chemins - 1755)


Commentaires ? Les corrections étayées sont bienvenues.

mercredi 12 avril 2023

Depuis le phare d'Agincourt (ROC)

phare de Pengjia (ROC)
Quand il a invité Ursula von Der Leyen à l'accompagner dans son voyage à Pékin, Emmanuel Macron s'est hissé sur le pavois de l'empereur d'Europe occidentale, accompagné de son adjudant-major qui prendrait des notes. Je pense que lors du prochain Conseil européen, il va y avoir du bruit. Non pas tant que les pays au contact, qui hurlent déjà au charron en apprenant que Miquet à la Houppe a encore pris ses distances avec l'Ukraine et Taïwan en pleine crise, demanderont des comptes, que de la part de la Commission qui vient d'être humiliée dans les largeurs. Que va faire M. Borrell à Pékin dès ce 13 avril ? Recadrer la politique de l'Union à l'endroit de la Chine populaire ? Ça ne servira à rien, le découplage macronien va être accru par les services chinois qui sont plus retors que ceux du Catalan, outre le fait qu'il est débordé déjà par la Deutschland AG qui suit son propre agenda industriel, distinct de celui de Bruxelles.

De quoi s'agit-il au fond ?

D'autonomie stratégique européenne. Dans son entretien donné aux Echos (clic), M. Macron vante ses succès sur cette voie, étroite et périlleuse, d'immodeste façon en ces termes : « Il y a cinq ans, l'autonomie stratégique était une chimère. Aujourd'hui, tout le monde en parle. C'est un changement majeur. Nous nous sommes dotés d'instruments sur la défense et sur la politique industrielle. Les avancées sont nombreuses : le Chips Act (ndlr: semiconducteurs essentiels), le Net Zero Industry Act (ndlr: rapatriement des industries de la transition verte) et le Critical Raw Material Act (ndlr: production dans l'UE de matières premières rares essentielles), ces textes européens sont les briques de notre autonomie stratégique. Nous avons commencé à implanter des usines de batteries, de composants hydrogène ou d'électronique. Et nous nous sommes dotés d'instruments défensifs qui étaient complètement contraires à l'idéologie européenne il y a seulement trois ou quatre ans ! Nous disposons à présent d'instruments de protection très efficaces.»
S'il ne s'agit encore que d'une montée en puissance, l'élan est donné dans le bon sens, après des années d'errances idéologiques dans le brouillard de la mondialisation heureuse. Mais est-il besoin pour y atteindre de braquer les Etats-Unis en ce moment ? Qui pis est, de tracer en pointillés une ligne de fracture au sein de l'Europe entre les pays échappés du bloc soviétique et les pays occidentaux préservés par les Accords de Yalta ? L'Europe seule n'a pas les moyens de se défendre contre le chef paranoïaque du Kremlin, capable de tout pour passer à la postérité comme Ivan-le-Terrible Reloaded. Six mille têtes nucléaires (dont quelques unes marchent encore) sont à sa disposition pour déployer le cauchemar atomique sur son étranger proche dès qu'il se convaincra qu'il est perdu. La menace n'est pas qu'un bluff sur le tapis vert puisqu'il enfreint aussitôt la demande chinoise de non-prolifération des ogives en décidant d'en placer en Biélorussie. Rien ni personne n'arrêtera les effets de cette névrose en dehors du premier cercle, seul capable de commander les sicaires qui achèveront une bonne fois la "vision impérialiste" de M. Poutine.

Alors, découpler maintenant les intérêts européens et américains comme le propose M. Macron, est plutôt malvenu, même si la démarche est légitime sur le long terme. Mais achevons le travail d'abord, m.... ! Cet propension irrésistible à communiquer sans retenue est un des plus gros défauts de notre vibrionnant foutriquet et nous ne pouvons que souhaiter qu'on le lui dise en face lors du prochain Conseil européen. Je crois qu'il y a des volontaires pour le lui crier fort et clair. Reste l'idée en soi :
Il est difficile de croire que le coup de couteau dans le dos que nous avons reçu dans l'affaire des sous-marins pour l'Australie n'aurait rien produit dans le cercle des pouvoirs français. Il est plus que probable qu'il a accéléré la re-gaullisation de notre politique étrangère en amplifiant les marges de désaccord. De par notre présence et par l'histoire aussi, nous sommes partie prenante dans la zone indo-pacifique, mais à notre mesure sur des théâtres assez bien définis. Ce n'est pas parce que nous avons baptisé le phare d'Agincourt au large de Formose et que la base navale chinoise de Zhanjiang s'est appelée jadis Fort-Bayard que nous avons des intérêts "vitaux" dans le Détroit de Taïwan. Ni même dans le Pacifique-nord. D'autant que les moyens budgétaires que nous laisse une politique de providence sociale exacerbée mise au compte de nos générations futures, limiteront fatalement nos interventions s'il faut un jour y aller pour de vrai.

Une autonomie stratégique de l'Union européenne serait la queue de trajectoire d'une politique étrangère souple et déterminée à vingt-sept ou plus, ce qui revient à en reconnaître l'impossibilité. Que reste-t-il à la France en ce cas ? Remonter en puissance sur nos propres zones d'effort afin de ne plus dépendre des alliances géopolitiques, même s'il est dans notre intérêt d'y participer. Mais sans vassalisation matérielle. Pour y parvenir, il faudra réduire la dépense publique et pas qu'un peu. Sauf à abandonner nos outremers et les fruits annoncés par la ZEE française, la deuxième du monde !

lundi 10 avril 2023

De la noble cause providentialiste

branche de ronce à mûres en fructification

Même si le royalisme providentialiste est récusé par le légitimisme incandescent parce qu'il en affaiblirait la propagande adoubée par le prince en droit de régner, on peut lui reprocher d'invoquer à la fois le majorat intégral de la Providence et dans le même élan imposer la voie où elle devrait cantoner son choix. C'est là le vice caché de la posture.

Comment peut-on s'en remettre aux voies de la Providence et vouloir la contraindre à s'engager dans le tunnel des lois fondamentales du royaume de France ? Tant Frère Maximilien Marie du Sacré-Cœur, prieur de la Confrérie royale, qu'Hervé Volto, gouverneur émérite de la Charte de Fontevrault, semblent décidés à sommer le Ciel d'amener à la lumière le prince attendu sous les conditions qu'ils lui posent, savoir :

N'importe qui, au choix du Très-Haut, mais...
- mâle blanc au titre de la loi salique ;
- catholique en capacité d'être oint ;
- français (de souche) par le droit du sang ;
- issu de la primogéniture des rois de France ayant régné jusqu'à l'abdication ;
- jurant de son incapacité à disposer de la couronne qui en droit divin ne lui appartient pas ;
- plus ad libitum...

C'est parfait et nous n'en discuterons aucun article aujourd'hui car ce n'est pas le sujet du jour.

Apparemment, nul prince dans ce cadre légal depuis deux siècles n'a retenu l'attention de la Providence. En quoi devrait-elle se plier aux Lois fondamentales ? Qui se sent investi d'une mission de coopérateur en restauration monarchique pour tutoyer le Juge en dernier ressort ? Est-ce que le lecteur providentialiste saisit bien l'énorme péché d'orgueil consistant à se hisser au niveau de la décision ? A voir avec quel entrain ils veulent forcer le Destin sous les fourches caudines des Lois, on peut raisonnablement en douter. La punchline à buzz c'est qu'ils sont gonflés comme les grenouilles de l'étang qui demandent un roi à leur guise, mais les nôtres répètent à l'envi et en même temps que ce n'est pas à eux de choisir le roi ! A n'y rien comprendre. Reprenons par le début.

Thèse A : pour l'agnostique, Dieu existe comme l'horloger de l'horloge cosmique (merci à Voltaire). Il est un principe mathématique d'astrophysique inaccessible et autonome qui (a) produit les équations de la création. Sans doute hors du temps, a-t-il réuni les conditions d'éclosion de la vie (âme) et de l'intelligence (esprit) des espèces crées à partir d'un néant originel voire primordial, tirant son Ordre du chaos. Il ne règle pas les rouages, sa création est parfaite et éternelle, peut-être en observe-t-il l'évolution quand il revient dans notre galaxie. Il ne connaît ni le temps ni le périmètre du monde, il est le monde dans son impermanence essentielle. Dans ces conditions, il y a peu de chances qu'un pouvoir célestiel interfère dans le régime politique d'une nation donnée sur une des planètes du cosmos.

algèbre du boson de Goldstone
algèbre du boson de Goldstone


Thèse B : s'il n'est pas "que" l'Esprit mathématicien d'où tout émane, il peut être alors le dieu hébreu, vengeur et jaloux de l'Ancien testament, qui a passé la main à son fils pour œuvrer d'Amour et Charité au bénéfice de l'humanité, enfin, de la fraction de cette humanité qui le reconnaît pour maître absolu. Sauf qu'à moins d'avoir une foi aveugle, on ne peut pas considérer le désordre du monde et le malheur immense répandu pendant des siècles sur la création terrestre, comme participant de son projet. Et là, on devient vite dualiste:
Dieu ferait face à une opposition nihilienne qui procède du néant primordial et cherche à détruire ce qu'il a créé pour retourner au non-état antérieur. L'observation de la réalité peut conduire à croire en l'existence d'un mal principiel émané du chaos, résilient et concurrent du dieu positif. Alors, pour en revenir à nos moutons, se pourrait-il que ce Mal parvienne à entraver voire bloquer tout projet providentiel ? Auquel cas - mais nous allons un peu loin - demander à la Providence d'entrer dans les lices des lois fondamentales n'est-il pas compliquer sa tâche pour autant qu'elle parvienne à mater son contraire ? Auquel cas encore, nous devrions en rabattre un peu et laisser les titans combattre en attendant de connaître à quelle sauce nous serons "mangés".

cul de lampe aux grenouilles

Conclusion : plutôt que de forcer les voies de la Providence à notre idée, appelons-la de nos prières dans le pari pascalien et reconnaissons son libre-arbitre puisque elle-seule, à mon sens, en dispose. La juste mission du providentialisme n'est pas d'obtenir un monarque préformaté par un modèle royaliste historicisé, mais de ranger l'espace où s'accomplira la restauration au seul gré des voies de la Providence réputées impénétrables. La prière de référence et quotidienne dès prime devrait reprendre une supplique qui pourrait être quelque chose comme : « Donne-nous aujourd'hui, Seigneur, un roi saint derrière qui Tes enfants marcheront à Ta rencontre ». C'est un exemple.
Dès lors, il faudrait sortir des allégeances et ignorer les princes autant qu'ils refuseront de se soumettre à la Providence quand le temps viendra. Ranger l'espace d'accueil c'est un peu ranger sa chambre, purifier son cœur, s'instruire pour être utile au prince qui vient, amasser des soutiens et toutes bonnes choses nécessaires au succès de l'entreprise. C'est à mon avis la seule posture pertinente pour un providentialiste sincère. Toute autre "exigence" instrumentalise le concept pour l'abouter à notre propre construction intellectuelle. C'est un blasphème contre l'Esprit saint.

Qu'on garde bien en tête aussi que l'intérêt de retrouver en France une monarchie n'est pas de faire revivre l'Ancien régime aboli dont les traces sont partout visibles, mais de convoquer le maximum de chances à la survie de notre nation d'abord et de sa régénérescence ensuite. Mais il faut déjà être convaincu que la monarchie soit la meilleure solution et ensemencer l'opinion en conséquence. Sans être providentialiste, je le suis, je le fais. S'il reste une question fondamentale qui peut se poser, c'est bien celle-ci :

La méritons-nous ?


[ fin de la séquence pascale ]

samedi 8 avril 2023

Pâques 23

Jésus et Marie-Madeleine au tombeau
Peinture d'Antonio Allegri da Correggio titrée Noli me Tangere 

Au matin de Pâques, le Seigneur s'est accompli dans sa divinité en prenant pour premier témoin une femme. Marie-Madeleine. Toute l'affaire avait commencé par une femme, l'archétype du Contraire qui voulut connaître l'interdit et ruina le projet de béatitude d'une espèce qui allait immanquablement s'ennuyer au jardin d'Eden. Eve. Puis passèrent les grandes reines d'Israël* qui surgissent des pages noires du peuple hébreu, Bethsabée, Jézabel, Athalie, Esther, sans lesquelles les tribus abrahamiques auraient succombé aux fumées bitumineuses du Jourdain, puis Judith qui décolla Holopherne comme on le fit plus tard de Fualdès, toutes symboles vivants de l'alliance avec Yavhé ; jusqu'à la modeste davidienne Marie de Nazareth qui enfantera le Messie.

Tout ceci est-il vraiment vrai ? Interrogeons le spécialiste :
« J’appelle historique ce qui est réellement arrivé dans le monde extérieur aux esprits, ce qui est événementiel et non seulement conscientiel. Et, en un second sens, plus profond, j’appelle historique ce qui, étant arrivé, suscite chez les hommes animés par l’idée de vérité l’attitude de l’attestation. Et j’appelle enfin historique, en un troisième sens plus profond encore, ce qui a été affirmé par divers témoins indépendants les uns des autres dans des conditions telles que l’accord de leurs témoignages ne peut s’expliquer ni par l’influence de l’un sur l’autre ni par le hasard. C’est dans ce sens-là que je crois pouvoir dire que la résurrection se présente comme historique. Ce que j’ai remarqué au sujet du tombeau vide et des apparitions (et surtout de leur rapport réciproque) me porte à penser que je suis ici en présence d’une réalité ayant le caractère d’un événement, bien que ce soit plutôt un trans-événement, je veux dire : un événement qui, quoique dans ce monde, n’est pas seulement de ce monde » (Jean Guitton).

Donc Jésus de Nazareth et Marie de Magdala se sont bien vus au tombeau après la mort du Christ, et si elle ne l'a reconnu qu'à sa voix, c'est que son corps astral* était en cours de transfiguration, pas encore achevée. Μή μου ἅπτου (noli me tangere) Ne me touche pas !
La femme est l'origine du monde. Si tous les rois naissent des femmes, les manants, les marchands, les saints, les capitaines, les voleurs, les prêtres et les assassins aussi. Le Christ ressuscité affirma cette vérité première en retardant sa rencontre d'avec les hommes. Redivinisé, il recommença par l'essentiel.
Bizarre. Vous avez dit "salique" mon cousin ? Comme c'est bizarre !

mardi 4 avril 2023

Une Charte pour demain ?

clocher de l'abbaye de Fontevraud
[Spécial Royco] La Charte de Fontevrault est-elle fongible dans l'indifférence ? Sa continuation est mise en péril par l'absence de candidat au poste de gouverneur qui sera déclaré libre au 25 du mois d'août 2024. Pour palier cette timidité à se compromettre socialement, le président-fondateur a décidé de créer une fonction d'alter ego afin de continuer le binôme "président-gouverneur" qui jusqu'ici n'a factuellement rien prouvé, tant en effectif cotisant qu'en influence. Je ne donne pas les chiffres étiques publiés par la Charte, le but étant de trouver une échappatoire plutôt que d'appuyer sur la tête. Il s'agira donc d'un Connétable. Mazette ! On imagine l'impétrant de haute taille, l'œil perçant et suite nombreuse en armures polies-miroir, capable de renverser une situation compromise. Patience, nous allons savoir : on prendra connaissance des "attendus" en cliquant sur cet article récent du blogue chartiste : Fondation d’un nouvel office à la Charte de Fontevrault. Vous noterez que tel un cuirassé, la Charte restera sur son erre et discutera de ce point le 25 août prochain pour application un an plus tard, si Neptune y consent.

Pourquoi ?

Non, pas le connétable, mais l'apparente cachexie dont souffre la démarche œcuménique remettant l'avenir de la cause royaliste entre les mains de la Providence qui apparemment ne l'a pas saisie ! Il y a deux réponses :

(1) Le Temps : comme toute œuvre humaine, la Charte de Fontevrault est inscrite dans la quatrième dimension, le temps. La Providence n'y est pas. On peut raisonnablement penser que la puissance céleste est là, quelque part, de toute éternité et que le séquençage temporel n'est qu'un convention humaine de classement des événements les uns par rapport aux autres, mais fondamentalement ce paradigme n'est pas reconnu en "haut lieu". Pour ne pas désespérer la crypte, certains comptent en semaine d'années kabbalistique afin d'allonger la portée de la partition temporelle, mais comme le chat de Schrödinger, on ne peut être dans le siècle et dans le ciel en même temps. Ce qui veut dire que l'invocation de la Providence finit à certains égards par ressembler au mythe du Bateau Blanc* ou plus prosaïquement s'agissant du retour d'un prince, à celui de John Frum*. Mais ces deux espaces ne collisionnent pas. C'est un vice caché structurel, à mon seul avis, bien sûr.

(2) Le projet : faire parler entre elles les chapelles royalistes comme l'ont tenté les Biennales Blanches jusqu'au four de Tours constaté par le gouverneur Pachot (clic), ne peut pas être l'objectif secondaire durable d'une organisation aussi discrète que la Charte, sans l'émulation d'un but à atteindre, d'une cible. Or, ces chapelles parfaitement sécularisées ne reconnaissent, chacune à sa manière, que les avantages des principes monarchiques applicables à la royauté, sans promouvoir aucun agenda pour y atteindre, à l'exception du parti de l'Alliance royale construit sur une plateforme politique mais qui n'apparaît pas dans les lucarnes bleues. On peut comprendre que le plan proposé par la Charte de "prier et attendre le grand monarque" ne puisse convaincre largement les chapelains ; les princes un peu plus, qui ne désirent rien moins que leur tranquilité. L'accueil n'est que de sympathie, il n'y a pas d'entrainement rassembleur, encore moins multiplicateur. C'est donc bien là le défi auquel elle est confrontée : quelle queue de trajectoire susceptible d'éveiller l'intérêt dans un espace-temps défini ? Royal-Artillerie a étudié une cible programmatique simple à comprendre et surtout à expliquer : le régalien au roi, et rien d'autre ! Nul besoin d'épiloguer longuement, il suffit de cliquer sur les quatre liens de l'Espace Rénovation Politique dans la colonne latérale de ce blogue, et prendre le temps d'étudier la question.

eau-forte d'un château par Montbrillant

Ce choix du régalien strict divise le champ socio-politique entre espace étatique constitutionnel (les institutions de tête) et espaces social et sociétal où le titulaire de la charge n'interviendra jamais, laissant le gouvernement des gens aux assemblées citoyennes qu'ils se choisiront. Ainsi les vertus théologales et cardinales si prisées des chartistes reviendront-elles dans le champ régalien à l'effet de quoi il sera légitime d'appeler la Providence à les y maintenir, même si elle ne répond pas. La cible est réduite et les "valeurs" à défendre sont débarrassées des dérives "progressistes". La rechristianisation souhaitable de l'espace privé deviendra une tâche séparée de la promotion du roi et largement remise entre les mains expertes de l'épiscopat. La cible du régalien n'interfèrera pas dans le choix du monarque que les circonstances présenteront. Celui-ci devra être en capacité de conduire son domaine régalien au profit de tous, et la permanence de ce souci sera assurée par la succession familiale. On ne lui en demandera pas plus, encore moins de répondre aux lois fondamentales obsolètes qui n'ont su préserver le modèle précédent d'un échec retentissant. Une res-tau-ra-tion ne peut être un but fédérateur car, d'expérience, elle est démolissable assez facilement. Ceux qui voudront continuer à invoquer ce mythe échoué seront mieux avisés d'approvisionner suif et mèche pour incanter dans la crypte et s'y rassurer. Le défi de la Charte n'est-il pas d'ATTERRIR à moins de disparaître ? Remettre son destin à la Providence n'oblige pas à vouloir fréquenter toutes les allées du Paradis. Le Ciel aidera autant que les hommes affronteront des réalités et pas des constructions mentales dans un brouillard mystique qui les rassure. Il n'est qu'à ce niveau qu'ils rencontreront un résultat récompensant leurs efforts.

Reste une question avant de fermer l'article, que je pose aux chartistes : ce choix de remettre toute espérance dans les mains d'une Providence qui ne répond jamais, est-il un protocole de psychothérapie sourde ? Parce que l'appétence inlassable pour les visions ou apparitions, toujours indirectes mais dans le bon sens, ne laisse d'interroger l'agnostique atterré que je suis. Vos commentaires spécifiques bienvenus.


Liste des liens en clair :
  • https://charte-fontevrault-providentialisme.fr/index.php/2023/03/31/le-mot-du-gouverneur-fondation-dun-nouvel-office-a-la-charte-de-fontevrault/
  • https://chartedefontevraultprovidentialisme.wordpress.com/2019/10/21/12-octobre-2019-un-petit-commentaire-apres-la-6eme-biennale-blanche-tours/
  • https://www.gilles-debouverie.fr/mes-lectures/archives-lovecraft/10-le-bateau-blanc-lovecraft
  • https://journals.openedition.org/jso/10210
  • https://royalartillerie.blogspot.com/2019/09/providentialiste.html

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