jeudi 28 mai 2020

La menace systémique


La veille de l'arrivée du président Xi Jinping à Bruxelles pour une visite de six jours en mars 2019, Jean-Claude Juncker décorait son invité de la médaille du Rival systémique. Un an et des poussières plus tard, le rival un peu faraud est devenu une réelle menace systémique. Il aura fallu la rééducation en camp des Ouighours, la répression de l'insurrection hongkongaise, la crise du Covid-19, l'hystérie pékinoise à l'intronisation de Mme Tsaï comme présidente de Taïwan (ROC) et tout récemment la loi de mise au pas sécuritaire de la Zone administrative spéciale par le Parlement croupion de Chine populaire en violation du traité sino-anglais, pour que ce qui se murmurait dans les chancelleries à la machine à café, soit dit à haute voix : L'empire du Milieu revenu au devant de la scène internationale n'a aucune morale, aucune sincérité, aucune crédibilité. Il rappelle à tous l'amoralité de la défunte Union soviétique qui ne comprenait que la force comme argument décisif. C'est "normal", c'est communiste.

Dans tous les compartiments du jeu diplomatique les Chinois sont aujourd'hui perçus comme une menace, sauf par quelques idiots utiles grassement stipendiés. A un point tel que les opinions publiques occidentales et japonaises abondent au tonneau de la remise en question des routes de la soie qui deviennent les routes d'invasion des intérêts égoïstement chinois. La chaudière céleste engloutit d'énormes quantités d'énergie et de matières premières, les routes ne sont que des pompes aspirantes d'intrants qui refoulent ensuite des produits finis, et tous les crédits collaboratifs sont gagés sur les infrastructures développées. Mais les lecteurs de Royal-Artillerie savent tout cela déjà. Quand on voit l'impudence du ministère des affaires étrangères de Zhongnanhaï qui s'esclaffe publiquement à voir la France "oser" remettre en question certaines assertions officielles - pour qui se prend-elle ? - on mesure l'intensité de la guerre en préparation, guerre froide pour ce qui nous concerne, guerre ouverte en Mer de Chine où le Parti communiste a décidé de convertir le détroit de Formose en lac intérieur, quoiqu'il lui en coûte ! puisque le président Xi lui-même a avoué publiquement à l'Assemblée nationale populaire il y a trois ans que la reconquête de Taïwan était la mission vitale pour le régime, à peine d'être un jour renversé.

L'affaire est quand même loin d'être gagnée (clic) d'autant que les escadres américaine et nippone sont en inquisition permanente depuis le récent changement de ton. Sur le fond, la Chine populaire n'a aucun droit sur l'île de Taïwan qui ne lui a jamais appartenu. Cette île, qui n'intéressait pas la Chine millénaire, fut prise par la dynastie mandchoue des Grands Tsings à un général de pavillons noirs chinois qui en avait chassé les Hollandais en 1683 et constituait une menace pour les régions méridionales de l'Empire restées fidèles à la dynastie des Ming. L'île en elle-même n'avait aucune valeur pour l'empereur Kangxi, en plus d'être difficile d'accès de par la météo épouvantable du détroit presque toute l'année. Il fallut attendre 1883 pour que l'île deviennent légalement une province de l'Empire du Milieu, essentiellement pour une raison stratégique devant la menace franco-anglaise. En 1895, après douze ans, elle fut cédée aux Japonais au traité de Shimonoseki qui en décidèrent la colonisation. Les mœurs taïwanaises actuelles empruntent beaucoup à la période de l'occupation nippone. Les Japonais perdirent l'île à la fin de la Guerre du Pacifique (1945) et celle-ci fut remise à la République de Chine (ne pas confondre avec la RPC) selon les termes du traité de Potsdam. Vaincue sur le continent, la République de Chine se réfugia sur l'île pour préparer la reconquête qui n'arriva jamais. La République populaire de Chine ne posséda jamais, encore moins ne gouverna l'île de Taïwan.

Aujourd'hui la Chine populaire se sent forte - elle parle d'égal à égal avec les Etats-Unis d'Amérique - et le Parti communiste est rassuré sur son avenir par la reprise en main brutale des dissidents et autres éveillés qui le contestent. Mais l'avenir est moins noir pour nous qu'il n'y paraît. Le marxisme-léninisme qui fait de plus en plus recette dans les cercles de pouvoir porte en lui le germe de sa destruction : la théocratie matérialiste est génétiquement létale, car elle n'a aucune limite à son obligation de perpétuation : l'église hégémonique doit étouffer tout signe ou porteur de mécontentement à son endroit, et ce faisant elle détruit ce qui fait l'essence même de l'homme; sa liberté de penser, son insatiable curiosité, son impatience à inventer voies et moyens d'amélioration de sa condition, toutes qualités qui fermentent dans l'individu mais ne peuvent que très difficilement éclore dans le groupe, surtout quand il est contraint. C'est la démonstration que fit aux vieux généraux de la Longue Marche Deng Xiaoping en libérant les énergies individuelles : faites désormais ce que vous voulez mais enrichissez-vous ! Il ne fallait pas le dire deux fois à des Hans pour qui le Dieu au-dessus des dieux est l'Argent. Briser les libertés, caporaliser les comportements sociaux, réinvestir la sphère productive avec les commissaires politiques va aboutir où sont arrivés les soviétiques, les Cubains, les nord-Coréens : une stérilisation progressive de la recherche fondamentale, la crainte du risque de déplaire, la certitude que l'obéissance apporte le succès plus sûrement que l'intelligence, le panurgisme généralisé. Il est impensable aujourd'hui que deux étudiants chinois s'installent tranquillement dans un garage afin de programmer un langage d'exploitation informatique comme le firent Bill Gates et Paul Allen, pour le vendre ensuite à Huawei sans autre recommandation que leur seul génie. Comme nous l'avons déjà dit dans ce blogue, à écouter les centres de recherches occidentaux installés en Chine, le staff local déteste l'aventure et toute décision procède d'un compromis sur le plus grand confort commun. Il n'y a ni éclair de génie ni éclair de folie ; les jeunes ingénieurs fonctionnent. Ce n'est pas avec ce confinement intellectuel que se conquiert le monde, comme le fit en son temps l'Occident.

Il nous suffit d'attendre, tenir bon militairement, revamper nos industries, laisser à la recherche la bride sur le cou et préserver partout nos libertés basses, celles de tous les jours. Le léviathan communiste va finir pas se bloquer, surtout si on l'y pousse comme le fit si adroitement l'Administration Reagan du cousin russe. N'oublions pas que c'est le communisme chinois qui a sauvé l'Europe renaissante d'après-guerre. Imaginons que la République de Chine de Tchang Kaï-chek ait survécu à la guerre civile. Modélisée sur les idées libérales américaines et adossée à l'intelligence, et à l'infatigable labeur chinois quand on travaille pour soi-même, le nouvel empire aurait rapidement repris des forces et nous vivrions aujourd'hui dans l'ombre d'un colosse surpuissant. C'est l'image de la menace, c'est aussi la promesse de son effacement.


Sources principales :
- Loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine (1990)
- Axios China (Bethany Allen-Ebrahimian)
- Sinocism (Bill Bishop)
- La Chine à nos portes, une stratégie pour l'Europe (François Godement)
- Asialyst (Alexandre Gandil)
- Foreign Policy (Tanner Greer)
- Déclaration de Londres (art.6) au sommet OTAN du 70è anniversaire

lundi 11 mai 2020

Bagnoles de Paris

Le déconfinement sanitaire de Paris relance la dispute entre voitures, vélos, piétons et transports en commun. L'infestation probable des transports massifiés et réduits tout à la fois risque de reporter le flux alternatif quotidien sur la voiture individuelle. L'Hôtel de Ville menace les automobilistes d'appliquer la circulation alternée par numéro de plaque au motif du surcroît de pollution, après avoir décidé certaines mesures restreignant la circulation - il reste un second tour électoral à franchir pour continuer à vivre sur la mairie.
S'élèvent ci et là les clameurs dénonçant les caprices pédalos-bourgeois de la clique en charge des affaires municipales, renforcées par celles des représentants informels des banlieusards qui forment une grande partie de la circulation à l'intérieur du périphérique. Tout le monde à vélo ! Stupide.

Il n'en demeure pas moins que la circulation dans Paris tourne chaque jour au cauchemar en temps ordinaires et qu'il faudra bien prendre le problème à bras le corps. L'équipe municipale au volant compte pourrir la circulation au moyen de moult aménagements dissuasifs de la voirie et en déployant partout des pistes cyclables. De leur côté, les oppositions veulent fluidifier le trafic par une gestion numérique des feux de circulation et un réaménagement des grandes places, tout en soutenant vélos et transports en commun : on essaie de ratisser large.
Ceci étant dit, il ne faut pas perdre de vue que l'industrie automobile est une des dernières grandes industries françaises et que les améliorations de la circulation générale ne doivent pas la brimer. De ce point de vue, il est contre-productif de pénaliser la circulation routière - c'est l'histoire lamentable du 80km/h de M. Philippe - et de restreindre en même temps le trafic urbain pour de bonnes raisons. Quand chassera-t-on le Salon de l'Auto de la Porte de Versailles ?


Le temps est venu de mettre sur la table un plan de circulation drastique pour Paris, qui va soulager la ville de ses encombrements. C'est ce que nous proposons ci-dessous pour meubler une semaine qui s'annonce riche en ratés, couacs et foutoir.



Projet de réforme de la circulation parisienne intra-muros ?!



Préambule
La codification est destinée à ceux qui veulent faire un Powerpoint

Le trafic a deux origines : la circulation intérieure (C1) et la circulation de transit (C2).

Il y a trois types de trafics en surface : (T1) les déplacements des services publics de l'Etat (y compris celui des régies de transport), (T2) les déplacements des professionnels assurant des services à la population (artisans et livreurs), (T3) les déplacements individuels à titre professionnel ou privé.

Le trafic est assuré par cinq vecteurs : (V1) les flottes automobiles des services publics, (V2) les flottes commerciales et artisanales des professionnels, (V3) les flottes de taxis et transport à la demande (Uber), (V4) la circulation générale de voitures non dédiée, (V5) les une-roue et les deux-roues.

Le territoire parisien est formé de quatre zones : (Z1) la voirie de grande circulation (boulevards, grandes avenues et périphérique), (Z2) le fleuve et les canaux, (Z3) la voirie haussmannienne, (Z4) la voirie médiévale.

Un projet

(A) Sérier les trafics selon leur origine :

Le transit doit être détourné de Paris en améliorant les conditions de son contournement. En ce sens la neutralisation bienvenue des voies sur berges aurait dû être précédée d'un renforcement du périphérique (surtout au sud), dont le trafic de transit provincial et international aurait dû être déporté sur l'A86 et l'A104 depuis longtemps... si ce pays était gouverné. Mais clientélisme oblige, les grands travaux routiers ont souvent succombé à la préservation du confort de gens bien placés. Le bouclage de l'A86 ouest (de La Jonchère à Marnes-la-Coquette) et celui de l'A104 ouest (Ile de Migneaux) sont exemplaires à cet égard.

On ne doit pas confondre le transit et l'accès depuis l'extérieur. La banlieue doit continuer à entrer dans Paris parce qu'elle est en assure le fonctionnement quotidien.

- le Mur des Fermiers Généraux en bleu, la Barrière de Thiers en rouge -

(B) Associer les zones et les types de trafic :

Si les services publics et au public (T1 et T2) doivent aller partout sans restrictions, tout comme les deux-roues qui n'encombrent pas l'espace (V5), les déplacements individuels (T3) ne devrait pas permettre d'accéder à la voirie médiévale (Z4). Comme on ne peut trier rue par rue, il serait logique d'interdire le centre historique de Paris à la circulation générale (V4) et pour faire simple, sortir les six premiers arrondissements et la moitié est du VIIè du plan de circulation de la Préfecture, à l'exception des grands boulevards (l'ancienne enceinte Philippe-Auguste) permettant de le contourner et des quatre axes traversant à grand débit que sont le boulevard Raspail, les boulevards Saint-Michel-Sébastopol, le boulevard Saint-Germain et la Rue de Rivoli-Saint-Antoine. Les modalités d'accès et de stationnement seraient à définir, sans doute sur la base d'une gestion des plaques d'immatriculation.
La séparation du trafic professionnel et du trafic privé obligera à spécialiser les plaques d'immatriculation des artisans et commerçants en ajoutant par exemple un "SP" comme Services au Public). De même sera-t-il plus facile de contrôler les taxis identifiables par une couleur unique comme dans beaucoup de villes étrangères : le vert-wagon à toit blanc irait bien à Paris.

Il existe une zone concentrique à ce centre historique qui est délimitée par l'ancien Mur des Fermiers Généraux érigé jadis pour percevoir l'octroi. Des boulevards le remplacent aujourd'hui. Ils délimitent les arrondissements 8, 9, 10, 11, 12-ouest, 13-nord, 14-nord, et un peu du 15è et 16è-nord. Cette zone devrait être d'accès réglementé pour la circulation générale (V4) par le biais d'un péage modéré, exception faite des flottes de taxis et assimilés. Le reste du territoire qui représente plus de la moitié de la superficie de Paris serait libre d'accès comme aujourd'hui et le trafic fluidifié par tout moyen intelligent comme la synchronisation des feux en fonction de la charge de la voie.

(C) Régler le problème du stationnement en voirie :

Outre l'occupation plus ou moins illicite de l'espace public, le stationnement des automobiles en surface est une pollution. Comme dans certaines villes étrangères, il serait avisé de lier l'immatriculation d'un véhicule à Paris à la possession d'une place de garage. Il existe encore de la place pour construire des garages à voitures dans Paris ; il existe aussi des parkings-silos qui correspondent bien à l'utilisation sporadique d'un véhicule. Pour le reste, le stationnement resterait payant en journée avec relevé de la vignette Crit'air comme aujourd'hui.


Conclusion

Tout le monde ne peut pas se déplacer à vélo, de même que chacun n'a pas son véhicule qui l'attend en bas de l'immeuble. Mais tout le monde doit aller et venir librement en sûreté. Tout projet de circulation en surface convoque une franche amélioration des transports en commun. Non pas tant pour le maillage qui est excellent à Paris, que pour les conditions de leur utilisation. Sécurité, propreté, amplitudes horaires, il y a beaucoup de travail - c'est un euphémisme - car il ne suffira pas d'en parler mais de téléphoner à Hercule quand il en aura fini aux écuries du roi. On ne va pas rentrer dans la polémique Paris vs. Calcutta qui serait bien trop cruelle pour une équipe municipale à l'emblème du rat.

dimanche 10 mai 2020

Orléans 1429

Aujourd'hui, deuxième dimanche du mois de mai, la nation française fête Jeanne d'Arc la Pucelle. L'Eglise catholique fête pour sa part la sainte Jeanne d'Arc le 30 mai. C'est l'occasion de reprendre Orléans aux Anglais comme en 1429. Les voix, les moutons, "gentil dauphin" font dix pour cent de l'affaire Jeanne d'Arc, l'essentiel est militaire dans l'esprit de ce temps, c'est à dire à la fois brutal, imprévu et mystique. Est-ce pour cela que la canonisation du capitaine Darc n'aboutira qu'en 1920 après des siècles d'obscurité ? L'Eglise ne pouvait si facilement "adorer" ce qu'elle avait brûlé.


Le plus sûr de l'histoire sont les campagnes militaires d'une part et le procès terminal dont on possède les minutes, de l'autre. Laissons la chicane à l'Université et pénétrons la tactique.

Tout commence au siège d'Orléans, euh... non ! Le Stalingrad valoisien c'est l'abbaye fortifiée du Mont Saint-Michel où le sire d'Estouville et cent vingt chevaliers tinrent tête à Lancastre au seuil du duché de Normandie pendant trois ans à partir de 1423 et demeurèrent invaincus (respect !).

Orléans, grande ville fortifiée et porte du Sud (ou du Nord selon le côté d'observation), meilleur bénéfice stratégique que le Mont, tiendrait-elle autant ? C'est ce que voulait savoir Montaigu, vétéran d'Azincourt et lieutenant-général du roi d'Angleterre en Normandie. Il mit le siège devant Orléans le 12 octobre 1428, et commença à élever des bastilles d'attaque sur les côtés ouest et nord de la ville. Le 24, il prit le châtelet dénommé Les Tourelles, qui tient le pont rive gauche, non sans mal puisqu'il y resta.

Talbot qui lui succèda s'y enferma pour assister à la coupure du pont par les Français - damned ! - et à son encerclement. Les Anglo-bourguignons comprirent qu'ils n'étaient pas assez nombreux pour l'emporter ou bien les murs français étaient-ils trop épais pour leurs bombardes, qu'importe, l'équilibre des forces s'avéra mère de l'ennui ; aussi le corps d'armée bourguignon se retira-t-il du camp au premier prétexte, ce qui donna l'idée aux capitaines français de couper le ravitaillement anglais en se l'appropriant.

Trois cents chariots étaient annoncés le 11 février 1429 sur la route de Chartres avec une forte escorte. Des tonneaux de harengs pour le Carême ! Mais ils ne le surent que plus tard. Dunois sortit de la ville avec un corps franco-écossais mais Bourbon qui devait rallier, se traînait pour une raison ignorée. Les Anglais ne se démontèrent pas et formèrent le cercle de chariots dans la plus pure tradition des pionniers de l'Ouest sauvage pour poster leurs archers protégés - on n'avait pas encore découvert l'Amérique. Devant ce "fort" impromptu, Stuart qui commandait les Ecossais voulut charger à cheval alors que Dunois préférait ses lignes d'infanterie. Pour ne froisser personne chacun n'en fit qu'à sa tête, et Bourbon ayant rejoint entretemps se lança de même, à son idée. Les Anglais récitant la maxime du maréchal Soult (la discipline faisant la force principale des armées ...) les écrasèrent ; ce fut la Pâtée de Hareng.

Les rescapés revinrent à Orléans le moral à zéro et communiquèrent leur désarroi à toute la ville. Au printemps de 1429, les vivres commencèrent à manquer, stérilisant toute initiative de la part des franco-écossais. La rumeur courut le royaume d'un siège terrible, bien pire que celui du Mont Saint-Michel. C'était compter sans le Dauphin qui rencontra à Chinon le signal d'une rupture stratégique sous la forme de Jeanne Darc, dix-huit ans, une âme incandescente chevillée au corps et surtout tenant bien en selle. La Providence rebattait les cartes et Orléans serait sauvée par l'enthousiasme. Le 29 avril, l'avant-garde du corps d'armée du Dauphin Charles de France, fort de quatre mille hommes bien équipés, levés à Blois, arrive en vue d'Orléans pour renforcer la garnison et desserrer l'étau.

Au grand dam de la sainte qui voulait attaquer derechef les retranchements anglais de la rive Nord, l'avant-garde progressa sur la rive sud en s'écartant largement des postes anglais pour atteindre Chécy où Dunois l'attendait en amont d'Orléans. Il ne s'agissait pas de se battre mais d'abord de descendre des vivres par le fleuve vers la ville affamée, car avant de charger sous l'étendard du Christ, il fallait abriter l'approvisionnement à Orléans même, puisque le pays ne possédait aucune autre place forte qu'Orléans pour les mettre en sûreté. Dunois attaqua le soir la bastille de Saint-Jean-Le-Blanc pendant la descente des barges et les Anglais ne purent stopper le train.
L'avant-garde n'avait en fait été détachée que pour l'approvisionnement de la ville et l'escorte de la Pucelle. Jeanne et ses gens entrèrent le lendemain soir dans Orléans, toujours assiégée sur son arc "nord/ouest/sud" mais libre à l'Est, par la porte de Bourgogne (n°5 du plan). Du 30 avril au 3 mai, elle arpenta les remparts en exhortant son auditoire au courage, puis s'aventura deux fois sous escorte jusqu'au poste anglais du capitaine Glasdale pour demander des nouvelles de deux hérauts que les Anglais lui avaient pris. Le séminaire de remotivation s'acheva par une grande procession de l'Invention de la Croix le 3 mai. Les Anglais étaient hilares ; ils ne pouvaient pas connaître la suite.
On passa dès lors aux choses sérieuses.

Dunois qui était parti à Blois prendre le gros des troupes, revint par la rive nord avec Gilles de Rais le 4 mai. Ils entrèrent en ville par la Porte Parisie (n°13) avant que d'attaquer la bastille Saint-Loup toujours sur la rive droite dans une position excentrée à l'Est, afin de faire passer les barges comme on l'avait fait la première fois mais sur la rive sud. L'escarmouche dégénéra et le tumulte de la bataille réveilla Jeanne en pleine sieste. Elle s'arma, leva les miliciens de la ville et sortit en renfort vers la bastille. Talbot accourut avec un fort parti anglais pour sauver sa position orientale. A ce moment précis, Dunois tourna ses forces contre la bastille de Saint-Pouair et leurra Talbot qui perdit Saint-Loup.

L'état-major français était plutôt relevé ; outre le Bâtard d'Orléans (Dunois), héros de Montargis à deux contre un, on y trouvait Gilles de Rais, spécialiste des prises de forts et châteaux ; Loré, tanné par les victoires et spécialiste de l'éclairage et des coups de main ; La Hire du camp d'Orléans, soldat audacieux mais entier, complètement droit en ces temps de bascule, jamais en deçà de la main au rempart ; Xaintrailles, capitaine gascon de valeur reconnue au point que les Anglais qui l'avaient fait prisonnier à Cravant, l'échangèrent contre le connétable John Talbot dont le seul nom terrorisait les enfants pas sages ; et Dammartin du parti de Charles de Bourbon, qui fera même le routier pour assouvir ses impatiences de soudard.
La Pucelle n'était pas seule avec Jésus et Marie mais entourée de valeurs militaires et d'expériences croisées. On décida donc de prendre les redoutes anglaises une par une plutôt que de faire une grande et glorieuse attaque pour entrer dans les Chroniques futures.
Il est temps de sortir le plan d'état-major, à cliquer pour mieux voir.


Le verrou de l'Est, la bastille de Saint-Loup, était tombé le 4. Le fleuve était libre d'accès en amont d'Orléans. Talbot renforça les Tourelles qui bloquaient le pont rive gauche, en réduisant au minimum la garnison de la bastille de Saint-Jean-Le-Blanc qui pour lui, faisait double emploi. Jeanne et la milice passèrent sur l'île aux Toiles le 6 et, après que les sapeurs eurent jeté un pont provisoire vers la rive sud, s'emparèrent sans coup férir de St-Jean-le-Blanc déserté. La troupe fit tête vers les Tourelles qui était la position anglaise de conséquence.

Les compagnies sortant de la porte de Bourgogne continuaient de passer sur l'île aux Toiles et l'infanterie attaquait déjà le couvent fortifié de Augustins proche des Tourelles. L'objectif était de combler les fossés de fagots et de les incendier entre les assauts. La garnison anglaise qui combattait pour partie à pied sous ses murs, tint bon et au moment opportun lança sa contre-attaque. Jeanne qui commençait à prendre goût à la tactique, avait convaincu La Hire de former un escadron adossé à Saint-Jean-le-Blanc. Ceux-là chargèrent à ce moment et repoussèrent les Anglais derrière leurs murs. Les renforts français continuaient à passer le fleuve et pour la seconde fois Talbot fut leurré par Dunois qui attaqua la bastille Saint-Laurent dès que le groupe de Jeanne et La Hire monta à l'assaut du couvent. La Pucelle s'y blessa dans une chausse-trappe.

Dès la nuit, Talbot vida ses bastilles de Saint-Privie et de Charlemagne pour concentrer ses forces sur la rive nord. Ainsi les Tourelles et la barbacane qui tenait l'accès au pont, étaient-ils les seuls points d'ancrage des Anglais au sud du fleuve. Cette position dès lors isolée était destinée à tomber. Ça se passa le 7 mai. Après un bonne nuit de récupération en ville, Jeanne rejoignit aux aurores ses capitaines aux Augustins.

La barbacane située entre les Augustins et les Tourelles était une construction carrée imposante faite de quatre murs de pierre et de bois posés sur une levée de terre, le tout cerné d'un fossé en eau, sauf pour le mur du nord qui avait son pied dans le fleuve. L'accès se faisait par trois passerelles de flanc et un ponceau appuyé aux Tourelles. A 8 heures, l'infanterie teste les défenses. Il apparaît indispensable de combler le fossé de fascines et tous débris de démolition, ce à quoi la milice s'attelle pour terminer ce travail vers 1h de l'après-midi. L'assaut de la barbacane est donné aux échelles. Jeanne trop exposée prend une flèche sous la clavicule et l'assaut est brisé. Dunois envisage de remettre à demain, mais Jeanne demande de surseoir à cette décision le temps d'une prière. Sa bannière est dans les mains de Le Basque qui s'immobilise face au fossé, le pied de hampe posé au sol. Jeanne de retour saisit sa bannière de son bras valide et dans un geste naturel l'élève pour la reprendre au soldat. L'infanterie voit le signal et lance un dernier assaut, décisif celui-là puisqu'il surprit les Anglais qui croyaient en avoir fini pour la journée.

Pendant ce temps, les sapeurs français avaient construit un brûlot qu'ils lancèrent sous le ponceau des Tourelles reliant la barbacane, et l'endommagèrent à tel point que lorsque le capitaine de garnison voulut retraiter de la barbacane perdue aux Tourelles, celui-ci s'effondra sous leur poids.
Mais les choses avançaient aussi par le nord. La milice établissait des passerelles entre les bouts de pont sur la Loire et bientôt on put lancer des compagnies à l'assaut des Tourelles du côté opposé à la barbacane. Dans la tenaille, les Anglais ne surent résister et capitulèrent à la nuit tombée. Ce soir du 7 mai, Jeanne d'Arc et la troupe française rejoignirent la ville d'Orléans à pied sec, en passant par le pont sur la Loire.

Le lendemain était un dimanche. Suffolk, le commandant anglais, décida d'en découdre à la loyale et disposa ses gens en ordre de bataille à partir de ses positions de l'ouest, privilégiant ses archers gallois comme à Crécy (1346), et il attendit. Les Français, avisés de ce dispositif meurtrier, apparurent aux créneaux pour admirer la manœuvre mais ne sortirent pas. Sur les conseils de Jeanne, ils assistèrent à une grand-messe en plein air. Suffolk déçu plia bagage et retraita vers Meung où il fut pourchassé par des francs-tireurs. Le siège d'Orléans était levé le 8 mai 1429.

Le dauphin vint à Tours pour y recevoir la nouvelle de la bouche de Jeanne le 10 mai 1429. Commença alors la campagne de la vallée de Loire sous le commandement du duc d'Alençon, dont le succès permettra le sacre de Charles VII à Reims. L'épopée de Jeanne d'Arc commençait.

écus du siège d'Orléans

NB: Ce récit a déjà été proposé aux lecteurs de Royal-Artillerie en mai 2009 pour le 580è anniversaire. Il est recyclé.


Avant l'épopée johanique, c'est la campagne militaire qui commence : à Jargeau contre Suffolk le 12 juin, à Meung contre Talbot et Scales le 15, à Beaugency contre Talbot le 17, à Patay en bataille rangée le 18 où l'on prend la revanche d'Azincourt en tuant la moitié de l'armée anglaise de Talbot, plus tard, à Montépilloy contre Bedford, le régent de Lancastre, le 15 août ! Sans parler des sièges de Troyes, Paris et Compiègne, ce dernier ayant été fatal. Le capitaine Darc est certes un chef de guerre en construction mais elle sait convaincre à la caisse à sable et bénéficie d'une intuition souvent juste. Tout d'application (dira plus tard Napoléon de la guerre) son art est traversé de fulgurances à l'assaut qui lèvent l'enthousiasme des soldats. Mais tout son courage et son habileté ne seraient rien sans l'aura mystique qui l'entoure et qui finira par impressionner la troupe anglaise jusqu'à la démoraliser. La victoire de Patay est autant due à la lenteur de la mise en place du dispositif de combat de John Talbot qu'à la charge de la cavalerie blindée française.

S'il fallait une conclusion, nous pourrions dire que l'opération de libération de la place forte d'Orléans obéit au raisonnement tactique moderne qui commence toujours par : un vrai chef, des moyens adaptés. Le Dauphin Charles de Ponthieu disposait de moyens, de capitaines aguerris et féaux, mais il ne savait pas utiliser la dotation sur l'épure stratégique d'une reconquête de ses terres. Il faudra qu'une fille forte de dix-huit ans - on ne saura jamais vraiment son âge ni ses origines - vienne lui faire honte pour qu'il daigne gagner la guerre de Cent Ans. On notera qu'après la capture du capitaine Darc, les choses se hâtèrent bien plus lentement. Il n'en demeure pas moins qu'il fut un grand roi malgré son ingratitude envers la Pucelle qu'il laissa brûler. Il régna quarante ans pour relever le pays. Sa page Wikipedia est bien faite.

jeudi 7 mai 2020

Les 75 ans d'une grosse illusion

Il y aura soixante-quinze ans demain, tombait le Reich millénaire. Capitulation de Berlin, accords de Potsdam, procès de Nuremberg, on en avait fini avec la Bête immonde. C'était oublier dans l'euphorie du moment que l'un des vainqueurs était l'autre signataire du Pacte germano-soviétique de 1939, le second visage de la Bête. Il nous en cuira ! Je parle des peuples ayant reçu le bénéfice de leur libération de la part de l'URSS. Entre l'établissement du marxisme-léninisme en Russie et la chute des Khmers rouges, cent millions de gens seront passés par pertes et profits pour faire la démonstration qu'un homme nouveau était arrivé.

- Gare berlinoise d'Anhalt 1945 -

Le XXè siècle fut celui des pires orgies de guerres et massacres gratuits pour simplement... des idées ! Gardons-nous de les remettre en selle aujourd'hui sous couvert d'une amélioration de l'espèce humaine, son augmentation, son écologie. Gardons-nous des grandes idées, qui dans les pages d'histoire ont mené le monde au bord de sa perte mais, indolores à la lecture, sont appelées à revenir par des idéologues inconscients. Logique et pragmatisme d'abord ! Réorganisons nos sociétés à l'épreuve de ce qui marche plutôt que de faire entrer de force les comportements humains dans le moule d'une intuition non vérifiée. Georges Brassens le dit avec des mots très justes, dans la tradition sceptique du vieux Pyrrhon d'Elis, fatigué des idées.



vendredi 1 mai 2020

Nouvelles de la nef des fous

L'adieu aux larmes de Jean-Paul Brighelli paru dans Causeur cette semaine est empreint d'une amertume à laquelle ses billets ne nous avaient pas habitués. Prenant ses droits à pension cette année il quitte l'Education nationale en échec sur bien des plans malgré les avertissements de bon sens que lui et quelques-uns n'ont pas manqué de donner aux contribuables qui financent à fonds perdus la Fabrique du crétin. Les moins bêtes mettent en même temps leurs niards dans le privé, les plus riches, carrément ailleurs.


Le Complexe de Cassandre qu'il faut lire absolument, nous laisse sous la férule des pédagogistes fous de la Rue de Grenelle qui nient la cruelle instruction publique au bénéfice de l'auto-apprentissage du néant par des foules d'écoliers menés à l'abattoir social par le panurgisme du corps professoral. Privilégiant ses heures et mesurant sa peine, le professeur normal reste dans les clous du confort syndical. Transmettre quoi ? Laissez-les acquérir par eux-mêmes les réflexes sociaux de leur époque ! La Machine comme l'appelle Brighelli (le mammouth de Claude Allègre) a vaincu ! Dans ses bottes de fer la Connerie progressiste est parvenu à éliminer les cassandres qui dénonçaient l'abrutissement général des jeunes générations pressées dans le moule du prêt-à-penser et sensibles à toutes les campagnes d'opinion, comme on le voit des nuées scientistes qui traversent nos sociétés sous l'autorité indiscutable des éditocrates et autres sachants abonnés au plateaux médiatiques pour y faire l'éducation du citoyen : méfiez-vous du bon sens et des idées naturelles, la vérité est au bout d'un labour pénible dont nous allons vous économiser le travail en vous révélant déjà la vérité enfouie au bout du champ !

Jean-Paul Brighelli nous fait part d'une réflexion que lui faisait Natacha Polony après avoir elle-même pondu un essai sans pitié sur l'école de la République, Nos enfants gâchés : « Nous avons perdu, ils sont indécrottables — et d’autant plus indécrottables qu’en parfaits gens de gauche, ils ne réalisent pas que ce qu’ils font en classe annihile à jamais l’espoir de voir bouger les choses.»

A y regarder de plus près, ce ne sont pas tant les allumés de la pédagogie au moindre effort qui sont à craindre que le système lui-même, la Machine. Par la centralisation à outrance du réseau éducatif français, une poignée de malfaisants relayée par des inspecteurs qui lui doivent leur carrière, est en capacité de pourrir tout l'enseignement public. Y vais-je fort ? Les classements internationaux parlent d'eux-mêmes : la nation la plus cultivée, dit-on, produit une relève médiocre et largement distancée par ses concurrents de demain. Dégraisser le mammouth s'avère impossible, les syndicats ayant l'école en otage protègent la Machine. Il ne reste qu'à détruire le monstre et régionaliser ses fonctions, en prenant soin de ne pas éparpiller en province les fonctionnaires d'administration centrale qui ferait métastaser le cancer qu'on opère. Il faut débander toute l'institution parisienne, la mettre à la retraite en attendant quelque hypothétique procès ou mise au mur à la faveur d'une révolution, si le cœur vous en dit.

Il est intéressant de revenir au Projet de Société de Frédéric Winkler (clic) qui dans sa section éducative autonomise les universités jusqu'à créer des républiques universitaires en lieu et place de la centralisation jacobine, après avoir détruit le ministère et levé la tutelle de l'Etat central sur ce compartiment social. Chaque conseil régional des universités pourrait organiser les programmes de chaque cycle en privilégiant l'autonomie pédagogique des établissements qui resteraient administrés matériellement par les responsables territoriaux qui les financent aujourd'hui. Au milieu des ruines, nous, nous avons une réponse au chaos. A nous de l'expliciter et de la vendre.

Laissons le mot de la fin à Brighelli qui s'adresse à ses collègues pantouflards : « Vous ne vous rendez même pas compte que le discours anti-Blanquer (et encore une fois, je n’ai aucune action dans ce ministère, ni ce gouvernement), comme jadis le discours anti-Darcos, est téléguidé de loin par des pédagos qui le haïssent, parce qu’il a un tout petit peu menacé leurs positions établies. Vous êtes manipulés et vous vous croyez lucides… Pauvres cloches ! »

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