mardi 31 août 2021

Kaboul - Bamako

Clap de fin à l'aéroport de Kaboul. Dans dix jours, le vingtième anniversaire des Twin Towers sera carrément raté depuis que les ennemis de l'Occident ont repris tout le terrain conquis en représailles de l'attaque du Onze-Septembre. Une messe de requiem à Saint-Patrick devrait suffire. Mais à cette heure, nul ne sait le programme des commémorations ni la qualité des participants officiels. Des quatre présidents qui ont suivi l'affaire sans jamais être en capacité de la boucler, c'est le dernier qui porte la charge écrasante de la honte, et en second, Obama, qui a versé l'aventure au fossé dès les Nine Surges. Et Joe Biden fut son vice-président ! Nul besoin de raconter à nouveau l'histoire de la prise de Kaboul ou d'évaluer une alternative (cf. Jim Webb/NI - il y a tout) mais comme le disait tantôt l'intuitif prédécesseur au chien de prairie mort sur la tête, il valait mieux sortir civils et matériels avant les militaires que l'inverse. En quoi il est difficile de lui donner tort.

L'administration Biden semble avoir été surprise par l'effondrement des armées afghanes et la disparition du gouvernement de Kaboul. Pourtant nous savons aujourd'hui que le renseignement américain savait la précarité d'une situation inextricable au fond, et moins peut-être le pourcentage de forces fantômes du pouvoir local. Malgré les préventions déclarées par d'anciens chefs militaires sur zone contre une évacuation hâtée, il y eut obstination de l'Administration à poursuivre coûte que coûte un schéma de retrait peaufiné sur des hypothèses bureaucratiques construites sur du vent. Parfois les états-majors s'arcboutent sur les décisions obtenues laborieusement à l'issue de synthèses compliquées. C'est Gamelin en 40 ! Nous n'en concluerons pas que la puissance des Etats-Unis appartient désormais au passé, mais qu'assurément le système politique est spécialement déficient pour aller jusqu'à promouvoir un géronte (et celui-ci autoritaire et affaissé tout à la fois) aux commandes d'un régime présidentiel qui, par définition, convoque le chef d'Etat chaque matin sur la passerelle. Normalement, la chaîne de commandement, qui part du secrétaire d'Etat à la Défense Lloyd Austin et va jusqu'au chef d'état-major concerné au Pentagone, devrait maintenant sauter. Tony Blinken du Département d'Etat qui s'est très investi dzns l'affaire, devrait dégager lui-aussi. Mais il est courant chez les vieillards de changer le moins possible leur environnement pour s'y retrouver en confiance à leur réveil. Donc quelques chefs de service devraient faire l'affaire.

Kabul airlift by night


A la place des éternels contempteurs de l'Amérique, j'y réfléchirais néanmoins à deux fois avant de tester la subite impuissance de l'Oncle Sam, que ce soit en Ukraine, aux pays Baltes, à Taïwan ou en Corée. La Corée du Nord vient de redémarrer son réacteur à plutonium (AIEA). Un sanglier blessé est redoutable, et plus tard, la cicatrice lui servira d'utile rappel. Mais profitons de l'occasion pour regarder plutôt nos affaires extérieures françaises. Nous sommes engagés sur trois théâtres chauds que sont le Sahel, le Liban (FINUL) et l'Irak. Nous occupons d'autres bases, froides encore, à commencer par celle de Djibouti en face du Yemen et la BA-104 d'Abou Dhabi face à l'Iran. Les trois points d'appuis logistiques de Dakar, Abidjan et Libreville ne sont pas comptés. C'est l'Irak qui pose problème : nous déployons six à sept cents hommes (dont des forces spéciales) au nord, en soutien du gouvernement central, et M. Macron a déclaré s'y maintenir après le retrait américain qui va intervenir d'ici la Noël. Notre légitimité tient à la reconquête de Mossoul sur l'Etat islamique où nous avons apporté nos talents d'artilleurs et notre adresse à la chasse aux freux. Nous cherchions surtout à neutraliser les combattants français pour diminuer le stock terroriste d'après-guerre. Mais l'Irak est instable et tenu par des dizaines de milices patriotiques dont on ne sait la patrie. La guerre civile est latente et le dernier sommet de Bagdad du 28 août ne l'a pas éloignée. Normalement nous devrions renforcer le Kurdistan irakien en cas de déflagration, face à la Turquie qui a créé sa propre zone d'occupation au sud de sa frontière. Comme on se retrouve ! Rien ne dit que nous n'aurons pas besoin de renforcer les effectifs pour obtenir la masse critique de sûreté, surtout dans le cas d'un désengagement ultérieur. Lors de son voyage en Irak, M. Macron est monté à Erbil saluer les unités françaises et sans doute parler de ça avec les autorités kurdes. Mais ce à quoi vous pensez c'est le Sahel.

hélicoptères français


Ce brave M. Hollande n'a pas osé faire rentrer nos soldats après avoir libéré Tombouctou et bloqué la marche des émirs vers Bamako. Cette "occupation temporaire" était justifiée dès lors que des négociations sérieuses s'ouvraient entre les adversaires, du moins ceux qui ressortissaient aux territoires contestés, ce qui fut le cas à Alger en 2015. Les Accords d'Alger une fois signés, la procédure normale aurait été de ramener une partie du corps expéditionnaire sur nos bases permanentes africaines et le reste en métropole, et de laisser les Nations Unies reconstruire l'Etat malien dans ce cadre contractuel. Or on sait que le pouvoir à Bamako a tout fait pour ne pas honorer les accords tandis qu'il se goinfrait de corruption sur l'aide étrangère. Au lieu de créer l'improbable G5-Sahel où seuls deux pays savent se battre (Mauritanie et Tchad), M. Macron aurait mieux fait d'avertir ses homologues maliens que nous n'avions pas vocation à pacifier le monde en lieu et place des Nations Unies, et de partir. Mais, comme souvent, les synthèses savantes des états-majors qui trouvent toujours un avantage dans les missions extérieures, ont fait l'éblouissante démonstration de leur succès promis à la caisse à sable. Ça a merdé, tout autant que pour l'US Army en Afghanistan, mais le rapport d'échelle masque encore la vérité : l'impéritie des gouvernements sahéliens alimente la ressource en rebelles quel que soit le taux d'attrition provoqué chez les djihadistes par les raids de Barkhane. Sans règlement du conflit de l'Asawad d'où tout est parti, il n'y aura pas d'issue.

N'en déplaise à MM. Kouchner et Lévy, l'époque de l'ingérence est terminée. Des casuistes épilés viennent au micro expliquer que contrairement à l'Afghanistan, à la Libye, la Syrie ou l'Irak, c'est le gouvernement de Bamako qui nous a supplié d'intervenir en 2013 et que le "délit" d'ingérence ne nous est pas opposable. Sauf que, le gouvernement de Bamako de jadis a disparu corps et biens, et que nous nous adossons maintenant à une junte militaire qui préfère ses bureaux rafraîchis au bivouac en savane ! M. Macron va-t-il évacuer le Sahel pendant sa campagne électorale en risquant la diffusion d'images terribles des exactions djihadistes sur les populations locales, ou pire, celle de sévères déboires de nos unités de terrain ? Je ne le crois pas. Mais je mise sur ce retrait en bon ordre après sa réélection du mois de mai 2022 pour faire de la place aux Casques Bleus dont c'est le domaine classique d'inaction.

Touaregs



Pour compléter cet article en bonne compagnie, on peut lire deux contributions en français, l'une de François Danjou sur Question Chine et l'autre de Rama Yade (directrice de l'Africa Center Atlantic Council) sur Jeune Afrique.

jeudi 26 août 2021

La pente isolationniste américaine

W.J. Burns
Haut fonctionnaire et diplomate William J. Burns, directeur de la CIA

Lors du G7 virtuel de mardi dernier convoqué par Boris Johnson, le président Joe Biden a campé sur son agenda qui prévoit de sortir d'Afghanistan les dernières troupes américaines au 31 août 2021, soit mardi prochain minuit EST. Il argue d'un accord passé avec le pouvoir taliban de Kaboul pour maintenir un couloir humanitaire sûr vers les deux aéroports jusqu'à cette date, accord sans doute obtenu sur place par William Burns, le Directeur de la CIA (30 ans de diplomatie). Il est moins question dans ses propos actuels du sort des collaborateurs afghans, pour ne pas braquer le pouvoir local qui demande que le pays ne soit pas vidés de ses experts car il en aura besoin pour remonter la pente. Même si la noria occidentale pompe beaucoup d'eau, il n'est pas à exclure que les ressortissants de l'ex-coalition puissent quitter le pays par d'autres voies que Kaboul, par voie terrestre avec une sécurité assurée par les talibans en province et en frontière. Par contre pour les autres, la chose est entendue.
Le Congrès est hostile à cet entêtement sur la date du 31 août mais, apparemment, le président Biden entend rompre avec la tentation du "toujours plus", plus d'hommes, plus de temps, plus d'argent, qui a guidé dans le passé les opérations extérieures vers le fiasco. D'autres moyens sont possibles, même s'il ne semble pas connaître lesquels.

Ce qui est plus net est son refus d'entendre les supplications de ses alliés britanniques, italiens, allemands et français qui sont également empêtrés dans les procédures d'évacuation. Le motif invoqué par les services est que l'Etat islamique en Afghanistan - ennemi juré des talibans - serait en approche des pistes d'envol pour faire un carton spectaculaire avant le départ des Américains. Il est illusoire de pouvoir les détecter et les contenir sans l'appui attentif des talibans du district de Kaboul. Derrière cet écran d'ordinateur, il serait forfanterie d'indiquer un dispositif de sûreté possible. Reste qu'aucun compromis n'a été essayé par la Maison Blanche pour tenir compte des difficultés de ses alliés et que désormais se pose la question de la fiabilité du couplage atlantique.

Marc Fiorentino
Justement, dans sa lettre numérique quotidienne, Marc Fiorentino qu'on ne présente plus, donnait une synthèse très pertinente de ses considérations sur le futur isolé des Etats-Unis revenus d'un siècle de déboires diplomatiques. La voici telle qu'elle fut reçue le 23 août 2021 :

LES ÉTATS-UNIS...
...ne veulent plus être les gendarmes du monde.
Ils ne veulent plus sacrifier une seule vie américaine à des milliers de kilomètres de la mère patrie. Et, ce qui est nouveau, et qui change totalement la donne, ils n'ont plus besoin d'être les gendarmes du monde. Pour une raison simple : ils sont devenus autonomes.

AUTONOMES...
...pour l'énergie.
Ils n'ont donc plus besoin du Moyen-Orient.Autonomes pour l'alimentation. Autonomes pour la tech, à un détail près, on en reparlera. Certes leur balance commerciale est encore largement déficitaire mais pour une masse de produits non stratégiques. Les États-Unis peuvent fonctionner seuls. En toute autonomie. Plus aucune raison d'intervenir au-delà de leurs frontières.

LES ALLIÉS TRADITIONNELS...
...des États-Unis ont du souci à se faire.
Et ils s'en font. Ils doivent tous réévaluer la situation à l'aune de ce nouveau paradigme. L'Arabie Saoudite, les autres pays du Golfe ou encore Israël vont devoir apprendre à se défendre seuls. L'Europe va devoir apprendre à se défendre seule. Et Taïwan a compris cette semaine qu'aucun Américain ne mourra pour empêcher la Chine de l'annexer.

LE CAS DE TAIWAN...
...est intéressant.
Les États-Unis sont dans une course contre la montre. Taïwan a encore un intérêt stratégique: les semi-conducteurs. Les États-Unis espèrent que la Chine ne lancera pas l'inéluctable annexion avant qu'ils ne deviennent autonomes en semi-conducteurs. Mais dès qu'ils le seront, dans quelques années, Taïwan sera livrée à elle-même avant d'être livrée à la Chine.

APRES PLUS D'UN SIECLE D'INTERVENTIONISME...
...pour des raisons purement économiques, et idéologiques, la lutte contre le communisme, une page se tourne.
Les États-Unis reviennent à un isolationnisme qui leur est cher. Et cela change la face du monde. Du monde politique. Et du monde économique.
[fin de la synthèse fiorentina]


Et lui de conclure sur l'Afghanistan :
« Si les Talibans ne font pas l'erreur d'être les complices d'un attentat sur le territoire américain ou sur des personnes de nationalité américaine, ils pourront tranquillement faire régner la terreur chez eux. La realpolitik version 21ème siècle.»

Président Monroe
Le bonheur des peuples est de rester chez eux comme y obligeait la doctrine Monroe (5è président de l'Union) dans un discours resté fameux et prononcé devant le Congrès des Etats-Unis le 2 décembre 1823. Elle est restée la fréquence porteuse de toute la diplomatie étasunienne jusqu'à l'engagement des Sammies dans la Grande Guerre en Europe. Le président Wilson prit fait et cause pour les démocraties et formula sa doctrine à lui dans un discours pas moins fameux délivré devant le Congrès des Etats-Unis le 8 janvier 1918 en prélude au traité de Versailles et à la création de la Société des Nations. Ce sont les Quatorze Points de l'idéal wilsonien. Qui sont refutés aujourd'hui, selon l'axe d'approche de Marc Fiorentino. Ce nouveau défi qui bouleverserait les relations internationales en profondeur s'ajoute au défi climatique qui n'est pas affronté sérieusement par les grandes nations. Si Marc Fiorentino a une perception extra-sensorielle du futur, nul doute qu'au spectacle du chaos afghan, les think tanks américains qui font la diplomatie du pays auront la même, et que l'analyse fouillée d'un futur probable est déjà lancée. Il nous suffit d'attendre pour la lire.

Postscriptum du 27 août 2021:
Dans son allocution d'hier à la Maison Blanche, Joe Biden est apparu comme un homme fatigué, presque un vieillard. Nul doute qu'il cherchera à venger l'insulte de l'Etat islamique au Khorasan, mais il aurait pu marquer le coup plus brutalement, en décidant d'un périmètre de sûreté au delà de l'enceinte aéroportuaire, par exemple. Après avoir vu le porte-parole du Pentagone lire son prompteur pour nous parler des attentats de Kaboul, on a l'impression que la communication politique à usage intérieur a pris le pas sur l'action. Après le bon vieux clown de la téléréalité, le système démocratique américain a sélectionné un sénateur en fin de vie. Le quarante-sixième président des Etats-unis passera-t-il l'hiver ?

mardi 24 août 2021

Trésors de Taïwan

étang de lotus

Le trésor de Taïwan n'est pas le butin caché du Kuomintang qui, dans sa retraite en 1949, aurait emporté avec lui deux cents tonnes d'or du continent selon le tabloïd Global Times. Le trésor de Taïwan, c'est une géographie exceptionnelle et ses peuples certes, mais aussi des villes de légende comme Taïnan !

Au flanc sud-ouest de l'île en Mer de Chine méridionale, sous l'archipel des Pescadores, se trouve l'ancienne capitale de Formose. C'est une métropole très active de la taille de Bordeaux, mais la Garonne s'appelle An-Ping River. Taïnan a la particularité d'abriter trois cents temples et quatre fois plus de chapelles-boutiques dédiées au commerce des grâces divines, dans le droit fil de la relation donnant-donnant entre le mortel que nous sommes et le dieu ou la déesse invoqué. Mais personne ne les a comptés. Y en aurait-il cinquante qu'un guide de voyage s'y serait mis, mais seize cents ! Les guides citent le vieux temple de Confucius ; le temple très couru de Matsu, la déesse de la mer (et des pêcheurs) ; le temple de Wufei qui veille sur les sépultures des concubines et les ennuques du prince Zhu Shugui qui se tuèrent tous pour ne pas passer sous la domination de la dynastie mandchoue. Chacun de ces temples a son histoire et il vous faudra plus d'une journée pour épuiser ce chapitre. Mais Taïnan n'est pas que cela.

rue de Tainan

Le site fut au départ celui d'un comptoir de commerce où les capitaines chinois et japonais venaient trafiquer des peaux et diverses denrées avec les aborigènes établis là depuis trente mille ans au moins. Puis les Hollandais structurèrent l'espace au XVIIè siècle et le mirent en défense pour en faire la capitale de leur colonisation côtière. Ont subsisté de cette époque le Fort Provintia et la forteresse Zeelandia (Anping). Vint ensuite le légendaire Koxinga, capitaine de pirates-marchands chinois, né au Japon, ayant conçu le projet d'arracher la Chine du sud aux griffes des Tsings mandchous pour la remettre aux Mings. Après des succès mitigés au Foukien, il débarque avec vingt-cinq mille hommes à Formose pour prendre l'île à la Compagnie des Indes néerlandaises et en faire sa base arrière. Il y parviendra en 1662 et d'une certaine façon créera une nation taïwanaise. Sa page Wikipedia vaut le détour. L'empire mandchou délaissera Taïnan la rebelle pour Taïpeh en 1886, avant de perdre l'île de Formose au traité sino-nippon de Shimonoseki (1895).

Taïnan a conservé la double influence sino-nippone - les Japonais l'administreront durant cinquante ans (1895-1945) pour la moderniser - et la ville est très caractéristique de cette différence marquée d'avec la Chine populaire actuelle, rutilante et fliquée à mort tout à la fois. Taïnan est plus "accessible" que Taïpeh dont la démesure (presque dix millions d'habitants dans l'agglomération) et la pulsation continue peuvent parfois fatiguer l'Occidental.

Trois trucs à faire parmi cent :

- Les sources chaudes de Guanziling dans la montagne, une vraie thalassothérapie de boue. On termine la cure du jour par la visite rassérénante du temple Huoshan Biyun où brûle une flamme naturelle depuis plus de deux cents ans.

- Les salines de Jing Zai Jiao, à moins que vous n'ayez déjà fait Noirmoutier et Guérande.

- Le lac artificiel de Wushantou où l'on a eu le bon goût d'édifier une statue en hommage à l'hydraulicien japonais maître d'oeuvre de ce grand projet d'irrigation dans les années 20.

Bien sûr, on peut aussi aller se prendre en photo devant le drapeau nationaliste de la République de Chine sur le destroyer DDG-925 TeYang amarré au port de Anping. Et sur la plage, on pratique le surfcasting. Eh oui : si vous êtes entraîné, vous vous ferez une tonne d'amis, la meilleure façon d'apprendre une ville chinoise ! En hiver, il fait 20°C à Tainan.

Anping harbour, Tainan

Postscriptum éphémère :

Jusqu'au 30 août 2021, le service public offre en streaming le voyage-reportage de Jérôme Pitorin à Taïwan. Une heure et demie de découverte d'une île tropicale étonnante qui culmine à quatre mille mètres (3997 exactement), une heure et demie de partage avec ce peuple aimable et affairé qui n'a toujours rien compris au bonheur communiste que voudrait lui imposer le grand frère continental. A tel point que ce sont les souvenirs et les mœurs nippones qui ressurgissent aujourd'hui, comme pour signifier aux voraces que cette île est définitivement partie ailleurs ! Cliquez ici, et vous pouvez aussi enregistrer l'émission.

dimanche 22 août 2021

Nouvelles d'orient compliquées

Les murs s'élèvent entre l'Europe et l'Asie dans le même temps où l'Occident retourne sur ses terres historiques. Sous le Caucase peu hospitalier et sans parler de la steppe kazakhe, la route des migrations passe par la Turquie qui a deux frontières terrestres critiques, l'une de cinq cents kilomètres entre les lacs Van et Ourmia qui la sépare de l'Iran ; l'autre à l'opposé, de même longueur, sépare la Thrace de la Grèce (200km) et de la Bulgarie (240km). Le sas turc ainsi défendu vise à contenir l'invasion migratoire déclenchée par les trois guerres civiles de la région, en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Combien de temps l'Etat turc perclus de dettes et sans monnaie solide tiendra-t-il ce défi, est une autre histoire.

Dans l'esprit de certains, et dans le droit fil de la propagande soviétique d'antan, l'Occident étant la cause de tous les dysfonctionnements de la planète, il n'est que justice qu'il en subisse les pires inconvénients. Auxquels on a envie de dire, comme au communiste Pierre Jacquemain (Regards) qui s'épanchait chez Arte28 sur les malheurs annoncés à compte d'autrui : va manger tes morts et laisse-nous entre hommes !
De fait, c'est avec une certaine gourmandise qu'on soulève le voile des hésitations régionales à reconnaître comme partenaire fiable l'Emirat islamique des fiers talibans. S'il est exclu qu'aucun accord de partenariat soit conclu ces temps-ci avec les trois républiques soviétisées du Turkménistan, d'Ouzbékistan et du Tadjikistan, on peut douter de l'entrain des mollahs de Qom à couver les œufs de serpent de ceux qui connaissent et puis tuent par plaisir les jeunes Hazaras chiites, à un jet de pierre de la frontière iranienne. Tout en face, le Pakistan utile, celui du bassin de l'Indus, redoute que la victoire des fondamentalistes à Kaboul ne lève un enthousiasme démesuré chez les vociférateurs déments des FATAs, bien encadrés par l'ISI. Le pays fait déjà des procès de blasphème à des gosses, n'est-ce pas suffisant comme marche à l'enfer ? Mais le plus gros morceau d'inquiétude est coincé dans la gorge de la Chine populaire, derrière le corridor du Wakhan qui tient la porte du Xinkiang, anciennement dit Turkestan oriental en Asie centrale, et pour lequel le roi des Afghans se battit avant-guerre contre le Kuomintang.

route du Wakhan


Profitant de la pax americana, la Chine populaire a cherché à développer ses investissements miniers (cuivre, autres non-ferreux et terres rares) mais les déclarations ronflantes pour la galerie ont eu du mal à se concrétiser. Les deux échecs ou semi-échecs sont la mine de cuivre de Mes Aynak et un permis de recherche pétrolière dans la vallée de l'Amou-Daria. Le départ de la coalition sécuritaire lui complique les choses, d'autant que si les cadres talibans ont toujours été choyés (et stipendiés) par Pékin pour compliquer la tâche aux Américains, la sinophilie des cadres et des soldats de base est loin d'être acquise, puisque les Chinois ont la très fâcheuse habitude d'importer le travail de chez eux, ne laissant quasiment rien aux oisifs chez qui ils viennent creuser. L'exemple le plus proche de nous fut la construction de l'autoroute algérienne. Les développeurs chinois vont connaître le prix des choses avant de lancer l'autoroute du Xinkiang à l'Océan indien. (source 1)

L'intérêt de la Chine pour l'Afghanistan est dirigé vers le Pakistan où elle construit une route de la soie très ambitieuse et coûteuse appelée China-Pakistan Economic Corridor. L'Afghanistan doit être un pays de flanc-garde garantissant la stabilité de son voisin pakistanais déjà menacé par l'Inde. C'est pourquoi la pire dictature islamiste les effrayera d'autant moins que le territoire sera tenu d'une main de fer depuis Kaboul. Ce qui, avec la mentalité locale où chaque seigneur de guerre est empereur en son district, n'est pas garanti. La preuve vient de tomber au Balouchistan voisin.

Les pêcheurs du port stratégique de Gwadar, que les Chinois ont capté par une concession de quarante ans donnée par l'Etat pakistanais, viennent de se révolter en attaquant les intérêts chinois. Motif ? Les Chinois paradent comme en terrain conquis, prennent les Baloutches pour des natives, et leurs chalutiers pillent les eaux de Gwadar en emportant le poisson jusqu'en Chine. Les Chinois ont grassement payé les décideurs de Karachi et d'Islamabad, ils ont oublié le gouverneur du Balouchistan qui aurait été de bon conseil. Dans le paysage s'agite la BLA. C'est la Balushistan Liberation Army, tout un programme, surtout après les attaques ciblées commises par elle contre des Chinois traversant la province. On compte des morts quand même ! (source 2)

Si Gwadar est très excentré à l'ouest de l'axe Cachemire-Karachi, c'est justement cette position qui fait son intérêt : le port en eau profonde est en Mer d'Arabie à proximité de la Mer d'Oman où débouche le Golfe persique. Avec un terminal pétrolier et des quais de manutention, le site est transformable en base navale sans frais, au cœur même de la zone de frictions qu'un "empire mondial" comme la Chine populaire ne peut éviter. Gwadar est aussi le point d'entrée du couloir d'énergie chinois pour le brut iranien voisin, à raffiner chez la Khalifa Coastal Refinery qu'Abou Dhabi va réactiver au Balouchistan, avant de pousser le produit vers Kashgar au Xinkiang, en sautant la passe de Khunjerab à 4700m ! La station de pompage méritera le détour. (source 3)

Gwadar CY

Pour la petite histoire, la première concession portuaire fut donnée en 2007 à la Port Of Singapore Authority, qui a bientôt jeté l'éponge à divers motifs dont la corruption et l'insécurité n'étaient pas absentes, mais dont le premier était le report incessant des infrastructures promises par Islamabad pour créer un hinterland. Le port étant dès l'origine partie prenante de la route de la soie AFPAK, Pékin a repris le projet en 2013 avec la China Overseas Ports Holding Co.Ltd de Hong Kong.


Finalement, toute la région regrette les idées simples de l'Amérique qui permettaient sur un espace tranquille de vaquer à tous crimes ou juteux délits qui gonflaient les comptes à numéros. Et ces cowboys avaient créé des centaines de milliers d'emplois bien payés, avec une liberté de dire et de faire inconnue depuis la chute du roi Shah. Comment soixante ou quatre-vingt mille talibans vont-ils pouvoir tenir un pays aujourd'hui développé et par endroit moderne, un pays aussi vaste, montagnard et compliqué ? Une population désabrutie par la fréquentation des étrangers ? C'est la gageure du siècle, surtout depuis que fut démontré en 2001 qu'ils n'étaient pas invincibles. Le Panshir s'agite déjà et dans l'est, la population a montré à Jalalabad qu'elle n'avait pas peur des freux du calife. Ceux des pays qui, comme la Russie ou la Chine, ont misé sur une pacification inquisitoriale de leur zone d'intérêts pour les voir croître, risquent bien d'en attendre longtemps les bénéfices si la guerre civile se rallume. Les Américains ont laissé beaucoup d'armes en Afghanistan. Les clans s'y sont jetés dessus, au cas où, va savoir, on en viendrait à... s'emmerder !

Notes :
- Source 1 : Universe Wide Coverage
- Source 2 : The Guardian
- Source 3 : Gwadar And CPEC

samedi 21 août 2021

Summertime (VI) l'auto pornographique

Bien que la situation générale soit moins grave qu'un épisode de guerre mondiale comme les hommes savent si bien en déclencher, le cœur n'est pas à rire. Le 15 août 2021 restera une date historique comme celle de la chute de Constantinople : l'Occident mis en échec à Kaboul par des hordes de pouilleux embrasés par leur foi. En hommage à nos "sœurs" comme en rêve le taliban errant par les nuits sans lune, voici la minute féministe qui va bien au teint des Afghanes :


Oh well I'm the type of guy who will never settle down Where pretty girls are well, you know that I'm around I kiss 'em and I love 'em 'cause to me they're all the same I hug 'em and I squeeze 'em they don't even know my name They call me the wanderer, yeah the wanderer I roam around around around Oh well there's Flo on my left and there's Mary on my right And Janie is the girl with that I'll be with tonight And when she asks me which one I love the best I tear open my shirt I got Rosie on my chest 'Cause I'm the wanderer yeah the wanderer I roam around around around Oh well I roam from town to town I go through life without a care 'Til I'm as happy as a clown With my two fists of iron and I'm going nowhere I'm the type of guy that likes to roam around I'm never in one place I roam from town to town And when I find myself a-fallin' for some girl, yeah I hop right into that car of mine and ride around the world Yeah I'm the wanderer, yeah the wanderer I roam around around around, let's go Oh yeah I'm the type of guy that likes to roam around I'm never in one place I roam from town to town And when I find myself a-fallin' for some girl I hop right into that car of mine and ride around the world 'Cause I'm a wanderer, yeah a wanderer I roam around around around, around, around 'Cause I'm a wanderer, yeah a wanderer I roam around around around, around, around... !


rose rouge-noir


Bref, pour remonter le moral de l'espèce humaine, le rapport du GIEC est tombé : on est foutus, on mange trop ! Nous perdrons la terre plus tôt que prévu et sûrement ; l'homme en est la cause. A l'heure où nous mettons sous presse, des irresponsables parlent encore de... développement ! Ce ne sera que justice à la fin ! Nous sommes au sortir du jurassique juste avant l'arrivée de l'astéroïde. Nous laisserons dans les sables crépusculaires de notre civilisation les témoignages de nos folies.

Après qu'auront disparu les êtres de chair, leur survivront pendant quelques décennies des êtres de fer. Pour quelques mois encore, il est possible de sauver un dinosaure. Et le plus abouti dans le cycle d'attrition naturelle du programme est la Cadillac Deville 1965. Des lignes parfaitement horizontales pour des modèles les plus longs, les plus larges, les plus bas que tout ce que la production américaine avait montré. Le modèle à découvrir ci-dessous est mû par un moteur de 429 pouces-cubes avec pour jockey un carburateur quadruple corps qui délivre 340 chevaux. Deux tonnes d'acier et de chrome sur 5,68m de long et 3,29m d'empattement, royal ! Si vous en croisez une, achetez-la, et comme notre ami dans la vidéo, planquez-la dans une grange. Le combo V8 GM - HydraMatic est inusable et vous trouverez toujours de l'essence de contrebande pour la faire tourner... la nuit en campagne, quand la police photovoltaïque dort. En guise de notice nécrologique la voici :





Il ne vous reste plus qu'à prendre la route pour l'université d'été de l'Action française à Roanne, même si l'effondrement de la civilisation humaine, sur une planète qui s'ébroue pour s'en défaire, n'est pas au programme. Ça commence demain dimanche.

Roulez bolides !


deux motos

mercredi 18 août 2021

L'Occident sort du tombeau afghan

La chute de Kaboul n'est pas à mettre au débit des armées occidentales qui ont été rapatriées depuis bien longtemps, mais elle illustre presque parfaitement le jeu de poker menteur entre les admnistrations militaires et civiles. Le Pentagone a fourni à la Maison Blanche le tableau des effectifs et des dotations les plus modernes de l'Armée nationale afghane lui assurant une supériorité imparable ; trois cent mille soldats appuyés par l'artillerie et des avions d'attaque au sol contre moins de soixante mille pouilleux en tongues. La CIA a émis des doutes sur l'astiquage poli-miroir des armures afghanes mais dans le vacarme du gouvernement américain au prise avec de gros problèmes économiques et sanitaires, sans parler de la menace chinoise, l'avertissement n'a pas percuté. Et pourtant le dénouement illustre très parfaitement les fondamentaux de ce qui fut déclaré autrefois comme le tombeau des empires. L'Afghanistan n'existe toujours pas, ni comme nation, ni comme Etat. Mais ses dirigeants savent faire semblant, si ça paie ! Et deux mille milliards de dollars plus tard¹, ça a payé. Il n'y a que deux lois qui règlent cet espace, celle des rites coraniques du premier degré et celle de la corruption comme système de circulation monétaire. L'armée afghane n'existait pas, les soldes débondées par les Etats-Unis étaient englouties par les réseaux de paiements sans atteindre le voltigeur de pointe ; l'autonomie jalouse des chefs de corps déployés sur le terrain faisait le pendant de celle des administrateurs provinciaux, et de celle des commandants talibans indépendants sur zone. C'est à ce titre fort intéressant de voir comment les directives promulguées par les chefs talibans de Kaboul seront exécutées en province. Mais n'étant pas sur place, et n'y étant jamais allé, nous ne tomberons pas dans le piège de l'expertise mondaine comme s'y prête nos éditocrates préférés. La profusion de commentaires joyeux sur le thème du "je vous l'avais bien dit" est obscène même si le 15 août 2021 marquera le jour d'un retour de l'Occident sur ses bases, mais certainement pas son affaissement comme se plaisent à le célébrer les idiots du Kremlin qui pullulent chez nous.
Note (1) Les deux trillions de dollars proviennent essentiellement de la planche à billets américaine


pilote afghane
Faudra peut-être avancer le siège pour manoeuvrer le "volant" sans cabrer l'avion !


Le retrait était inscrit au programme de tous les pays de l'Alliance atlantique. Il a été freiné par le constat d'un besoin accru d'instruction des troupes régulières et celui de la consolidation d'une administration difficile à ancrer. Mais nous avons construit des écoles, des bâtiments comunaux, des centrales électriques et leurs réseaux de fourniture de courant jusqu'au dernier district, des adductions d'eau, des dispensaires, des hôpitaux, des routes etc... dans le plus pur style colonial, c'est vrai. Mais la population, qu'elle nous aime ou non, a su profiter de la modernisation occidentale et s'en souviendra. Dans les grandes villes, l'émancipation des femmes et l'éducation des jeunes filles a été réussie et elles s'en souviendront aussi. Sans boule de cristal, on peut présager qu'à partir d'aujourd'hui toutes ces infrastructures vont lentement se dégrader et le prix de la peinture passer dans la poche du parrain local, un peu comme en Algérie. Les Afghans ont eu vingt ans de clarté occidentale et ont goûté au luxe de l'envie satisfaite. Pouvions-nous leur assurer ce train de vie vingt ans encore ? Sans doute pas avant d'avoir converti une population fondamentalement islamique, autant dire jamais. Nous nous apercevons, moi du moins, que les Talibans n'ont vaincu personne, tout le pays rural était de leur côté.

A compter de maintenant, est constitué entre l'Iran, l'Afghanistan et le Pakistan, un axe islamique allant du Golfe persique à l'Indus, qui surtout menace les républiques d'Asie centrale et le Turkestan chinois² (Xinkiang) par l'exportation d'une influence coranique (que nous jugeons délétère) sur ces contrées. Celle reconfiguration stratégique oblige à une surveillance continue par deux empires partageant des frontières mises en tension sur cet axe, la Fédération de Russie et la Chine populaire, la première vassalisée par la seconde. L'Inde est partie prenante, au Cachemire pour le moins ; prise en tenaille, elle sent la mâchoire de l'ouest se renforcer contre elle. Sa forte communauté islamique va reprendre les couleurs de l'espérance. Mais c'est sur la zone syro-irakienne que la chute de Kaboul peut résonner le plus fort. L'Iran est moralement renforcé par la victoire des Talibans et va pousser les feux en Irak méridional pour renverser la situation plutôt confuse à son profit et faire pièce aux sanctions américaines. Un pays ne s'y est pas trompé, la Turquie, qui, en dépit de ses chaleureuses félicitations, construit un mur à la frontière orientale pour bloquer tout ce que l'Iran envisage de laisser passer pour déstabiliser l'Europe. La Turquie dont l'économie est très affectée par la situation mondiale et les erreurs du gouvernement AKP, subit une pression migratoire intense qui submerge toutes ses capacités d'accueil depuis la guerre de Syrie. On comprend qu'elle déclenche de temps en temps des chasses de pression sur l'Union européenne. Il serait intelligent de discuter avec elle de l'avenir.
Note (2) Le roi afghan Zaher Shah avait envoyé un corps expéditionnaire à Yarkand en 1934 dans l'intention de soutenir un Turkestan ouighour contre les Huis et les Hans. Ses volontaires seront tous massacrés par les troupes du Kuomintang.


Dans une sorte de mouvement tectonique, l'Occident va continuer le retrait amorcé par les empires européens il y a soixante-quinze ans bientôt (abolition du Raj britannique aux Indes), et se renforcera sur ses terres historiques, l'Europe et l'Amérique du Nord, océans compris. Son capital intact est l'inventivité dans les sciences fondamentales, de savoir tout fabriquer et d'adorer les libertés et le succès individuels. Ce sera sa marque. Des alliés convaincus du modèle, l'Occident n'en manque pas, à commencer par le Japon et l'Australie. Bien d'autres s'agrègeront dans l'avenir par le biais de traités de libre-échange comme le Partenariat transpacifique et l'administration Biden a déclaré vouloir offrir une alternative aux routes de la soie chinoises qui, à l'usage, apparaissent moins "cool" que prévues.

Il resterait à parler de l'émotion déclenchée dans les divers think tanks de stratégie, concernant un découplage atlantique ou notre abandon du Sahel. Nous n'avons de solution de rechange dans aucun des deux cas, mais c'est bien d'en parler, parler, parler pour continuer les subventions publiques. Pour terminer, les réactions d'Emmanuel Macron et de Joe Biden ont été dans la veine attendue, simples, directes, précises. Nous pûmes avoir peur d'une certaine emphase qui va bien aux désastres. Pour finir, récupérons les femmes afghanes ! Elles combattront ici le ramas de pétasses islamocompatibles qui tiennent le mégaphone.

Soosan Firooz
Jolie rappeuse afghane, et oui ! Voir son clip en cliquant sur l'image.

mardi 17 août 2021

La clé six pans de Royal-Artillerie

ecrou


En préparation de l'université d'été de l'Action française, nous osons insister sur six points qui encadrent notre réflexion depuis seize ans (?!)

(1) Le Pantographe global

La France est une ancienne grande puissance de taille moyenne, dont le prestige est mis en péril par l'affaissement moral et mental de ses peuples et par une gestion inqualifiable de sa cinquième République en permanence réformée.

(2) Le Territoire finistérien

Dans le monde globalisé actuel, nous faisons partie de la péninsule continentale eurasienne dans une position de finistère océanique, la meilleure en fait, véritable rente de situation, très mal exploitée. L'étranger considère ce pays comme le plus beau du monde.

(3) La Souveraineté à responsabilité limitée

Aussi fort qu'elles brillent, les lanternes de l'indépendance et de la souveraineté absolue sont des vessies. Celles-ci, qu’exprime le slogan "la France seule", obsolète depuis le débarquement des Sammies à Saint-Nazaire en 1917: Lafayette nous voilà ! éclairent des impasses qui réclament beaucoup d’énergie à pénétrer avant de taper dans le mur du Réel. Nous sommes obligatoirement acteurs de l'Union européenne et de l'Organisation de l'Atlantique Nord. Notre jeu n'est pas d'abattre une carte indépendance, mais de réunir celles d'une puissance revenue au bon niveau pour commander à nos dé.pen.dan.ces.

(4) Le Poison démagogique

Criblée de dettes, la République ne peut exploiter sa rente géographique et culturelle pour une raison somme toute simple : la dette abyssale n'a pas de contrepartie infrastructurelle qui la gagerait, mais s'est accumulée au fil des campagnes électorales en rémunération des classes sociales au moment victorieuses. La démocratie d'étage national est bien plus que l'exaltation de l'envie (dixit Proudhon) mais un principe de drainage continu des richesses accumulées dans les périodes fastes. Ses tabous se nomment "solidarité" et "partage" avec la précaution de ne pas les appliquer aux générations montantes. C'est un système convenant aux criquets pèlerins, aux idiots sous tutelle, pas aux hommes libres !

(5) Le Cancer du Nombre

Tout pays d'une certaine taille a besoin d'une politique de temps long, assumée par des compétences non partisanes et fondée sur le bien commun. L'histoire a montré que les périodes d'aristocratie (au sens athénien) accroissaient les richesses distribuables et la force commune de la Nation tandis que les périodes démagogiques (avatar inévitable de la démocratie hors-sol d'étage national) dilapidaient les richesses constituées, et même celles qui n'étaient pas encore disponibles. La démagogie détruit la force commune par le combat des partis et par la règle de légitimité acquise au nombre, mère de tous les affrontements fratricides. Le Nombre est le pire des cadrans.

(6) Le Diamant royal

Le roi est la clef de voûte idéale puisqu'il pérennise l'idée de Nation, l'incarne toute et la domine. Il sert de repère fixe dans les périodes de tumultes, apaise les contentieux, recherche le bien de chacun et de tous, et par éducation, est au fait de la chose publique très tôt dans sa vie. La charge de roi accumule l'expérience nécessaire à l'exercice de sa fonction pendant une période plus longue que la seule vie du titulaire au moment. Le roi dont le souci premier est le legs d'un héritage toujours mieux consolidé n'est prisonnier d'aucun dogme, d'aucune idéologie, d'aucune loi supérieure à celle qui le sacre. Le roi est enfin la garantie d'un rajeunissement périodique de la clef de voûte nationale quand s'ouvre sa succession. Le modèle est naturellement évolutif puisqu'il meurt en saisissant le vif ou abdique en faveur de la génération suivante.

écrou hexagonal



Tous les plans sur l'avenir doivent tenir compte de ces six contraintes. Elles excluent à la fois, le Frexit de M. Philippot, le souverainisme obtus de tous ceux que je ne citerai pas, et finalement, toute monarchie n'ayant pas prise sur le domaine régalien (entièrement ou pour partie).
Une prospective qui s'affranchit de cet adossement fait perdre du temps aux auditeurs parce qu'elle les floue. La situation du pays est assez grave pour ne pas y ajouter les rêves agités de "penseurs à titre gratuit" phosphorant au fond de la crypte ! Les réalités nationales sont plus prégnantes que l'ombre des moulins.

Bon camp à tous, les pieds au sol !

samedi 14 août 2021

La nuit islamiste s'étend sur l'Afghanistan

Taliban


On ne connaît pas encore le fin mot de l'histoire mais pour le moment, la liquéfaction de l'Armée nationale afghane au contact des katibas talibanes (quand il y a contact) ne laisse d'impressionner et rappelle furieusement deux précédents :
En 2003, à l'exception de la Garde Républicaine qui montra le drapeau, les armées de Saddam Hussein disparurent du champ de bataille, chacun rentrant chez soi, emportant son fusil. On sut que le mouvement fut initié par les commandants d'opérations sur le terrain qui cessèrent leurs ordres comme le leur conseillaient les Américains. Furent-ils achetés ? Sans doute, tant qu'ils n'étaient pas dans le Jeu de cartes*.

La deuxième fois fut en 2014 la liquéfaction de la garnison de Mossoul encerclée par l'Etat islamique en Irak et au Levant. Les deux divisions irakiennes qui y stationnaient fourniront le plus gros des armes lourdes dont se prévaudra l'ISIL** dans sa capitale syrienne de Raqqa. L'ISIL militaire était commandée par les officiers irakiens qui avaient fait défection devant les Américains en 2003. Où sont-ils aujourd'hui ?

Dans les deux cas, c'est une armée démotivée qui se couche, quelle que soit la puissance de feu installée. Ces armées sont trop souvent recrutées parmi des catégories laissées pour compte qui y trouvent une solde et trois repas quotidiens. Pas plus que l'Irakien saddamite, l'Afghan militaire n'a signé pour mourir mais survivre, en attendant que s'ouvre une opportunité d'amélioration de son sort... dans le civil. Face à eux, des guérilleros dépenaillés, armés que de fusils d'assaut et de lance-roquettes mais motivés par la victoire à portée de main, piétinent les savants dispositifs de la caisse à sable. Tous les conseillers occidentaux se sont repliés laissant voir l'impuissance du commandement autochtone qui n'est pas toujours obéi.

Dans The Atlantic, le colonel Mike Jason revient sur toutes ses années d'instruction des troupes irakiennes puis afghanes. Les procédures sont tout à fait celles utilisées autrefois pour former les harkas algériennes au temps béni des colonies. L'enrôlé obéit parce qu'il y trouve un intérêt matériel et, à de rares exceptions près, aucun esprit de corps n'est insufflé à la troupe, docile, obéissante et qui regarde l'heure. Son témoignage en forme d'autocritique est à lire en cliquant ici. Et on a tout compris : les unités que le colonel américain a formées se couchent. Il sait pourquoi, maintenant !

Dans un communiqué lu par la porte-parole de la Maison Blanche mercredi 11 août, parlant de l'ANA***, Jen Psaki a répété une fois encore : « Ils ont tout ce dont ils ont besoin. Ce qu'ils doivent décider est de savoir s'ils ont la volonté politique de se défendre et, s'ils en ont la capacité, de s'unir entre dirigeants pour se défendre. Nous continuerons à fournir un appui aérien au plus près. Nous continuerons à les ravitailler en vivres et matériel, et nous paierons les soldes.»
On voit que l'Administration Biden s'en tient au TED****, qu'elle laisse la motivation du combat à la partie afghane, et que le niveau de doute est élevé du coté américain ; ce qui explique la réaction du président disant, au vu des premiers revers, qu'il ne regrettait rien. Les Etats-Unis ne vont pas se battre vingt ans de plus en lieu et place des Afghans !

Il n'empêche que le retour de la charia stricte terrorise surtout les femmes et les jeunes filles qui ont goûté à la liberté de s'épanouir et d'apprendre, avant de redevenir demain matin du bétail qu'on trafique. Quoiqu'il en soit... d'horrible déjà, la guerre civile afghane ne fait que commencer. Il existe des unités régulières de choc qui sont capables de prendre à leur tour le maquis et mèneront la vie dure aux Talibans revenus au pouvoir comme ceux-ci le firent après qu'ils furent chassés de Kaboul en 2001. Les ethnies du nord, Ouzbeks de Dostum et Tadjiks de Massoud (le fils) reconstituent des unités combattantes pour conserver leurs fiefs hors des griffes pachtounes. Si Mazar-e-Charif tombe, les assiégeants seront à leur tour assiégés et plus vulnérables que lorsqu'ils étaient planqués dans les montagnes. Evidemment la population civile paiera le prix fort comme dans toute théocratie brutale quand les dieux ont soif. La dernière ère de paix afghane fut le règne de Mohammad Zaher Shah (1933-1973). Ça date.

mosquee bleue


Postscriptum du 15 août : le rapport d'un Lt-colonel de l'US Army, déployé quatre fois en zone Moyen-Orient confirme l'analyse du Colonel Jason, y ajoutant la dénonciation des mensonges de généraux carriéristes qui flouèrent le Pentagone et la Maison Blanche. On le lira avec profit en cliquant ici.

Note * le Jeu de cartes était le trombinoscope des dirigeants politiques et militaires du régime irakien que les alliés pourchassaient et que tout chef de groupe avait dans la poche de poitrine
Note ** ISIL : Islamic State of Iraq and the Levant
Note *** ANA : Armée nationale afghane, mais aujourd'hui ils ont pris un nom plus ronflant
Note **** TED : tableau des effectifs et dotations de l'unité de combat considérée

mercredi 11 août 2021

Summertime - V

La séquence d'été de Royal-Artillerie passe aussi des tubes français.
Quelle sera la chanson gagnante dans les boîtes de plage ? Il y faut du rythme, une voix pas trop perchée ou électronisée qui arrive à vaincre le beat, un appel à chorus (ah-ah); le châssis n'est pas important sauf pour l'image mentale du teuffeur. Après avoir dit ça, on peut mentir et proposer Clara Luciani (Corse et Marseille) qui a ces qualités au centuple. Il y a aussi du Mylène Farmer là-dedans. Oyez :


Ah-ah, ah-ah, ah-ah, ah-ah ?
Ah-ah, ah-ah, ah-ah, ah-ah ?

Elle respire l'odeur des corps
Qui dansent autour d'elle dans l'obscurité
Ils s'effleurent sans timidité
Une insolence chorégraphiée

Elle veut pas s'asseoir, elle veut s'oublier
Elle veut qu'on la drague, qu'on la regarde et qu'on la fasse tourner
Elle veut pas s'asseoir, ça a trop duré
L'immobilité forcée, ce soir la vie va recommencer
Il faut qu'ça bouge, il faut que ça tremble
Il faut qu'ça transpire encore
Dans le bordel des bars le soir
Débraillés dans le noir
Il faudra réapprendre à boire
Il faudra respirer encore
Il faut qu'ça bouge, il faut que ça tremble
Il faut qu'ça transpire encore
Dans le bordel des bars le soir
Débraillés dans le noir
Il faudra réapprendre à boire
Il faudra respirer encore

Souvent sa nuque frôle le dance floor
On croit qu'elle flanche mais elle s'en sort
Le rythme de son cœur
S'aligne aux stroboscopes et bat un peu plus fort

Elle veut pas s'asseoir, elle veut s'oublier
Elle veut qu'on la drague, qu'on la regarde et qu'on la fasse tourner
Elle veut pas s'asseoir, ça a trop duré
L'immobilité forcée, ce soir la vie va recommencer
Il faut qu'ça bouge, il faut que ça tremble
Il faut qu'ça transpire encore
Dans le bordel des bars le soir
Débraillés dans le noir
Il faudra réapprendre à boire
Il faudra respirer encore
Il faut qu'ça bouge, il faut qu'ça tremble
Faut qu'ça transpire encore
Dans le bordel des bars le soir
Débraillés dans le noir
Il faudra réapprendre à boire
Il faudra respirer encore

Allez respire encore
Allez respire encore, allez, allez, allez, allez
Allez respire encore, allez, allez, allez
Allez respire encore, allez, allez, allez, allez
Allez respire encore, allez, allez, allez, allez, allez, allez

Oh, il faut qu'ça bouge, il faut qu'ça tremble
Il faut qu'ça transpire encore
Dans le bordel des bars le soir
Débraillés dans le noir
Il faudra réapprendre à boire
Il faudra respirer encore
Il faut qu'ça bouge, il faut qu'ça tremble
Faut qu'ça transpire encore
Dans le bordel des bars le soir
Débraillés dans le noir
Il faudra réapprendre à boire
Il faudra respirer encore

Allez respire encore
Allez respire encore
Ah-ah
Ah-ah-ah-ah
Ah-ah-ah-ah-ah
Ah-ah, ah-ah, ah !

Pour le tube de l'été, Clara Luciani a un concurrent sérieux avec Maître Gims associé à la belle albanaise Dhurata Dora : Only You (clic). Tous les ingrédients du succès sont dans la potion !
Quoique dans le genre "guinche-paillotte", il sera toujours difficile de battre la référence :




Mira lo que se avecina A la vuelta de la esquina Viene Diego rumbeando Con la luna en las pupilas Y su traje agua marina Van restos de contrabando Y donde mas no cabe un alma Allí se mete a darse caña Poseído por el ritmo ragatanga Y el DJ que lo conoce Toca el himno de las doce Para Diego la canción mas deseada Y la baila, y la goza, y la canta Y aserejé ja de je De jebe tu de jebere Sebiunouva Majabi an de bugui An de buididipí Aserejé ja de je De jebe tu de jebere Sebiunouva Majabi an de bugui An de buididipí Aserejé ja de je De jebe tu de jebere Sebiunouva Majabi an de bugui An de buididipí No es cosa de brujería Que lo encuentre to' los día' Por donde voy caminando Diego tiene chulería Y ese punto de alegría Rastafari afrogitano Y donde mas no cabe un alma Allí se mete a darse caña Poseído por el ritmo agatanga Y el DJ que lo conoce Toca el himno de las doce Para Diego la canción mas deseada Y la baila, y la goza, y la canta Aserejé ja de je De jebe tu de jebere Sebiunouva Majabi an de bugui An de buididipí Aserejé ja de je De jebe tu de jebere Sebiunouva Majabi an de bugui An de buididipí Aserejé ja de je De jebe tu de jebere Sebiunouva Majabi an de bugui An de buididipí...ad libitum

samedi 7 août 2021

Camp A.F. 2021

« Bien que l’Action française ne croie pas à l’instauration possible d’une "bonne" République en raison des tares inhérentes à ce régime, et qu’elle considère toujours que l’instauration d’une monarchie active soit la première des priorités dans l’intérêt des Français, elle ne saurait toutefois se désintéresser des élections, présidentielle et législatives, qui, en façonnant l’équilibre politique des cinq années suivantes, conditionnent en grande partie l’avenir du pays.»

moto en chemin


L'université d'été de l'A.F., connue sous son nom générique de Camp Maxime Real del Sarte depuis 1953, s'attelle à former la jeunesse au concept maurrassien de l'empirisme organisateur, du moins lui en donne-t-elle le goût, libre à chacun de lancer ensuite les filets de son propre laboratoire intellectuel dans l'Océan Maurras. Nul n'a jamais été déçu de sa participation au camp, outre la chance donnée d'y faire de solides amitiés.
Le programme de cette session est consultable en cliquant sur notre image motarde ci-dessus. Dans une quinzaine donc, sauf confinement coronavirien, commencera près de Roanne le 67ème Camp Maxime Real del Sarte qui diffuse sur une semaine la pensée maurrassienne de l'Action française. S'y réunissent des "jeunes" de quinze à trente-cinq ans et la crème de la Vieille Maison pour en ressortir gonflés à bloc, les uns étonnés d'être toujours là au pupitre, les autres d'avoir touché au graal de la pensée politique. A quel effet ?

L'effet est rampant plus qu'évident. Plusieurs personnalités du monde politique sont passées par un camp d'Action française, qui en ont retenu l'essentiel, une approche de la Cité fondée sur une doctrine politique adossée à l'histoire. Mais la plupart de ceux-là n'ont pas fait aboutir le projet national qu'ils caressaient. Si le CMRDS entretient la flamme, le CMRDS n'est pas un complot. Les sections royalistes peuvent s'y ressourcer, mais ce sont elles qui sont chargées de mettre en pratique le fameux coup d'Etat s'il était possible.
Et il y a loin de la coupe au lèvres.

La dernière météo favorable à la diffusion d'une alternative à la Cinquième République fut celle des Gilets jaunes sur les ronds-points. Pour la première fois depuis longtemps, le système de démocratie représentative était rejeté par la classe moyenne basse, celle qui fait et défait l'élection. On n'avait plus sur les écrans les révolutionnaires encartés, aux calicots bien calligraphiés et aux slogans automatiques, non ! ils étaient ce que Mélenchon en campagne avait appelé "les gens". Aucun pilier du système ne trouvait grâce à leurs yeux mais, après la manifestation colossale du 17 novembre 2018, sous la pression de l'extrême-gauche en panne sur son chemin traditionnel, le mouvement muta en contestation systématique de tout et rien, ne laissant plus de place à la conversion raisonnée des foules. La séquence des ronds-points transformés en de multiples pôles de discussions politiques, était finie. Les royalistes n'avaient pu y accéder, pour diverses raisons, dont la faiblesse des effectifs actifs n'était pas la moindre, et l'insuffisance de formation à l'agit'prop de contact, patente. Le programme affiché du CMRDS 2021 n'y répond qu'en partie. Yakafokon.......etc.

logo AF

mardi 3 août 2021

Summertime(-IV) in Bamako

Au moment où la France réduit la voilure au Mali au seul motif qu'à l'impossible nul n'est tenu*, vous n'avez jamais entendu depuis notre entrée à Tombouctou en 2013 le delta blues du Sahel. Hona est un morceau de Boubacar Traoré, une légende de la musique malienne (clic), aussi puissant que le blues planteur du Mississipi.
Vincent Bucher l'accompagne à l'harmonica, comme le ferait Sonny Boy Williamson. En prime, quelques rushes de Bamako qu'on ne voit pas aux informations. Enjoy !




*Ceux des lecteurs qui sont revenus de vacances et retrouvent leur sérieux peuvent lire l'éditorial de Bernard Lugan sur l'opération Barkhane en cliquant ici. On y apprend que l'OPEX n'a jamais visé à faire la paix, ce qui obligeait à passer par une recolonisation temporaire de l'espace en jeu, mais à affronter les insurgés dans le but de les "réduire" ou de les... (ndlr: dégoûter) de nuire. Selon la hauteur du vin de palme dans le verre, on peut penser que les succès militaires de la coalition sont indéniables mais, comme les vieux africanistes s'y attendaient, les situations politiques nationales ne sont pas en phase, la grille ethnique primant tout !

dimanche 1 août 2021

Une lettre persane

billet de 200FF

Tous les dix ans ou presque je relis Montesquieu, non par esprit de contradiction à l'endroit des royalistes qui disent pis que pendre des Lumières, que pour le double plaisir de la langue classique dans ses tournures propres à l'esprit français disparu. Le monarchiste, lui, est libre de droits, de l'homme aussi, et remise la transcendance au rayon des accessoires indispensables au bon déroulement de la pièce, ce qui lui ouvre l'Encyclopédie. Les Lettres persanes, bien sûr. A force, on les sait toutes et rit d'avance à celle du casuiste épilé (57), celle des féministes (107) sinon à la plus féroce contre le régime, la 124 sur la question fiscale qu'elle attaque de biais, en ironisant sur le pillage des contributions par le roi afin de récompenser ses courtisans "avides et insatiables". L'injustice flagrante de la fiscalité d'Ancien régime avait été analysée par les plus grands penseurs du moment derrière Vauban. Les princes de ce temps ne la jugèrent jamais mortelle au point de braquer la cohorte des privilégiés ; elle les tuera pourtant ! Mais en période estivale, celle des cocus complaisants (55) fera l'affaire ; elle est savoureuse et courte, et les temps ont bien changé, hein ?


bois de cervidé fleuri


[...]


Les Français ne parlent presque jamais de leurs femmes : c’est qu’ils ont peur d’en parler devant des gens qui les connaissent mieux qu’eux.
Il y a parmi eux des hommes très malheureux que personne ne console : ce sont les maris jaloux ; il y en a que tout le monde hait : ce sont les maris jaloux ; il y en a que tous les hommes méprisent : ce sont encore les maris jaloux.
Aussi n’y a-t-il point de pays où ils soient en si petit nombre que chez les Français. Leur tranquillité n’est pas fondée sur la confiance qu’ils ont en leurs femmes ; c’est, au contraire, sur la mauvaise opinion qu’ils en ont : toutes les sages précautions des Asiatiques, les voiles qui les couvrent, les prisons où elles sont détenues, la vigilance des eunuques, leur paraissent des moyens plus propres à exercer l’industrie du sexe qu’à la lasser. Ici les maris prennent leur parti de bonne grâce, et regardent les infidélités comme des coups d’une étoile inévitable. Un mari qui voudrait seul posséder sa femme serait regardé comme un perturbateur de la joie publique, et comme un insensé qui voudrait jouir de la lumière du soleil à l’exclusion des autres hommes.

Ici un mari qui aime sa femme est un homme qui n’a pas assez de mérite pour se faire aimer d’une autre ; qui abuse de la nécessité de la loi pour suppléer aux agréments qui lui manquent ; qui se sert de tous ses avantages au préjudice d’une société entière ; qui s’approprie ce qui ne lui avait été donné qu’en engagement, et qui agit autant qu’il est en lui pour renverser une convention tacite qui fait le bonheur de l’un et de l’autre sexe. Ce titre de mari d’une jolie femme, qui se cache en Asie avec tant de soin, se porte ici sans inquiétude : on se sent en état de faire diversion partout. Un prince se console de la perte d’une place par la prise d’une autre : dans le temps que le Turc nous prenait Bagdad, n’enlevions-nous pas au Mogol la forteresse de Candahar ?
Un homme qui, en général, souffre les infidélités de sa femme n’est point désapprouvé ; au contraire, on le loue de sa prudence : il n’y a que les cas particuliers qui déshonorent.
Ce n’est pas qu’il n’y ait des dames vertueuses, et on peut dire qu’elles sont distinguées ; mon conducteur me les faisait toujours remarquer : Mais elles étaient toutes si laides, qu’il faut être un saint pour ne pas haïr la vertu.

Après ce que je t’ai dit des mœurs de ce pays-ci, tu t’imagines facilement que les Français ne s’y piquent guère de constance : ils croient qu’il est aussi ridicule de jurer à une femme qu’on l’aimera toujours, que de soutenir qu’on se portera toujours bien, ou qu’on sera toujours heureux. Quand ils promettent à une femme qu’ils l’aimeront toujours, ils supposent qu’elle, de son côté, leur promet d’être toujours aimable ; et si elle manque à sa parole, ils ne se croient plus engagés à la leur.

Paris, le 7 de la lune de Zilcadé, 1714



livre ouvert

Je me suis offert cette année L'Esprit des lois en tirage limité, sur papier bible ivoire relié cuir, pour augmenter le plaisir de lire. En format poche, c'est aussi un livre de plage.

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