mardi 11 juillet 2006

La Toison d'or expliquée aux enfants

le moutonMon jeune fils qui parfois feuillette les grimoires m'a demandé quelle était cette breloque agricole que portent certains rois en sautoir et qui représente un mouton crevé pattes pendantes. Pas facile. Le plus simple est chronologique, n'en déplaise aux Modernes. En trois actes.

Acte 1.
Il était donc une fois un roi de la Grèce antique qui avait deux beaux enfants blonds, un garçon nommé Phrixos et une fille Hellê. Mais il s'ennuyait tant qu'il décida de renvoyer son épouse de race divine pour prendre une femme de la race des hommes un peu plus délurée. Elle lui donna deux enfants sombres et frisés qu'elle n'eut de cesse d'avantager en tous domaines au détriment des premiers enfants du roi. Ne parvenant pas à entamer l'amour du roi à leur égard elle monta une machination.
Elle ordonna aux semeuses de son royaume de faire griller les graines avant de les semer, ce qui provoqua la disette puisqu'à la date des moissons rien n'avait poussé. Elle embaucha alors un messager à prix d'or qui devait aller officiellement à Delphes consulter la fameuse Pythie sur les malheurs du royaume, mais qui devait en fait se cacher dans les bois tout le temps du voyage aller-retour et rapporter un soi-disant oracle demandant le sacrifice de Phrixos et de Hellê pour apaiser la colère des dieux agricoles.
Le roi n'y voulut consentir mais la foule du peuple affamé s'ameuta devant le palais et obtint que leur souverain exécute le terrible oracle, ce qu'il fit pour conserver son trône. Ce n'est pas bien.

Au matin du sacrifice les deux enfants furent conduits à l'autel pour l'égorgement. Phrixos leva la tête pour regarder une dernière fois le bleu du ciel avant de descendre aux noirs Enfers quand il aperçut une nuée dorée qui accourait vers eux pour bientôt les envelopper complètement.
Un gros bélier d'or s'était posé devant eux. La voix de leur déesse de mère qu'ils reconnurent leur enjoignit de grimper sur le bélier magique qu'elle envoyait exprès pour les sauver. Phrixos grimpa le premier, Hellê derrière lui, tous les deux cramponnés à la toison abondante. Et ils partirent dans le ciel.
Au-dessus de la mer Hellê voulut regarder en bas, ce que lui avait défendu son frère qui la savait sujette aux vertiges, et bien sûr la pauvre tomba et se noya. Depuis ce jour tragique on appelle cette mer l'Hellespont en souvenir de la petite princesse.
Phrixos malgré ses pleurs continua le voyage et le bélier d'or atterrit dans un endroit magnifique. C'était le royaume de la Colchide. Le bélier illuminait si fort le paysage tant le jour que la nuit, que le roi du coin décida de venir voir le prodige en personne. Il rencontra Phrixos qui lui raconta tous ses malheurs. Le bélier fut sacrifié en hommage au patron des dieux, Zeus, et Phrixos offrit la toison dorée au roi qui en fut enchanté et pria notre jeune héros de venir vivre au palais comme s'il était un de ses enfants.
Ce roi, Aiétès, avait une fille sorcière, Médée, qui fit clouer la toison d'or sur un des chênes géants du royaume, et convoqua des Enfers un dragon terrible pour la garder. On n'a pas tenu le compte de tous ceux qui périrent en venant voler cette toison,mais ils furent très nombreux que la nouvelle se répandit par le monde entier, qui a l'époque était plus petit qu'aujourd'hui. Il faut dire que pareil dragon furieux ne court pas la campagne et qu'on ne peut s'entraîner à le combattre. Fin de l'acte 1.

Acte 2.
C'est une affaire de vol de couronne par un cadet. On la connaît sous le nom de Jason et les Argonautes.
Bien des années plus tard dans ce royaume d'où s'était échappé Phrixos, le roi en charge, du nom de Pélias, avait volé le trône à son frère aîné dès la mort de leur père. L'aîné qui avait un jeune fils, Jason, destiné à lui succéder sur le trône, l'envoya dans les forêts se cacher chez un centaure qui fit son éducation, loin de la haine de Pélias. Ce centaure était un sage précepteur du nom de Chiron. Avec lui Jason apprit la philosophie et toutes les techniques de combat.
A l'âge de vingt ans, Jason mit une peau de panthère sur son dos, prit deux lances et partit de sa grotte en route vers le palais du roi Pélias pour lui demander de lui rendre son royaume. En chemin il fit un gué passer à pied sec à une très vieille femme sans savoir qu'il rendait un service à la déesse Héra, la femme de Zeus ! Arrivé fier comme Artaban devant le roi, quelle ne fut pas sa surprise d'entendre Pélias lui proposer un marché ! C'était la couronne royale contre le retour de la toison d'or de Phrixos. Le roi espérait bien que ce jeune fougueux périrait dans l'aventure.

Jason convoqua le meilleur architecte naval pour lui construire un navire capable d'affronter la grosse mer, et Héra qui surveillait de loin, lui fit engager dans l'équipage Hercule, celui des douze travaux, et Thésée qui avait déjà tué un monstre à lui tout seul en Crête. Le bateau s'appela l'Argo. Il partit avec cinquante rameurs, et les gens nommèrent ces courageux, les Argonautes.
L'aventure maritime sera très périlleuse. Il faudrait cinquante pages de blogue pour la conter en détail. Ils franchirent au moins cent périls, comme quand ils passaient trop près de certaines îles, et que des géants leur lançaient des rocs aussi gros que des maisons pour les éloigner. Une fois il descendirent sur une île pour faire de l'eau douce et rencontrèrent le vieux Phrinée qui était tourmenté par les Harpies qui lui volaient ses maigres repas ; ils le sauvèrent et Phrinée leur donna de précieuses informations pour la suite :
"Vous atteindrez bientôt deux énormes rochers. Ce sont les Cyanées, des roches bleues. Elles ne sont pas fixées au fond de la mer et dérivent en se heurtant fréquemment. Entre elles, vous seriez écrasés comme des grains de blé. Ne passez pas entre elles avant d'avoir lâché une colombe. Si elle passe au milieu, tirez sur les rames et suivez-la rapidement. Puis dirigez-vous droit vers l'Est: c'est là qu'est la Colchide. Vous reconnaîtrez facilement le palais d'Aiétès : il est couronné par plusieurs tours. Près de ce palais vous trouverez un bosquet dédié au dieu de la guerre Arès, et dans le bosquet vous verrez le gardien du trésor : le dragon qui ne dort jamais. Votre tâche sera périlleuse, mais la déesse Héra vous protège, et, si le pire survenait, Aphrodite, la déesse de l'amour, vous aidera."

C'est bien ce qui arriva. Mais le vieux roi Aiétès n'entendait pas donner la toison d'or car on lui avait prédit qu'il mourrait par après s'il la perdait. Cependant comme c'était un roi dur mais honnête, il lança un défi à Jason, celui de combattre deux formidables taureaux aux sabots d'airain que lui-même avait soumis plus d'une fois. Finalement c'est Médée la sorcière qui emporta la victoire pour Jason parce qu'elle en était tombée amoureuse dès qu'elle l'avait vu, bel éphèbe si courageux, bronzé et musclé, et tout et tout. Elle le protégea de la fureur des taureaux par un onguent spécial-fauves, et plus tard endormit le dragon par quelques gouttes de parfum magique.
Elle rembarqua avec Jason et la toison d'or qu'ils venaient de voler. Aiétès les fit poursuivre par toute sa flotte de guerre et les coinça. Médée fut jugée par un roi tiers qui fut attendri et finalement leur accorda le passage. Il s'en fallu d'un cheveu que ça ne finisse mal ; des Sirènes aux longues chevelures bouclées avaient décidé d'attirer les rameurs par leurs chants mélodieux et leurs oeillades ; ils se seraient fracassés sur les rochers les malheureux. Depuis, on sait tous cela, mais à l'époque c'était surprenant.

Bref, revenus chez le roi Pélias, ce fut encore Médée qui se chargea du problème, car bien sûr le roi cruel ne les attendait pas de sitôt. Elle le fit fondre dans un bain de feu auquel elle avait donné l'apparence d'un bain de jouvence en plongeant un vieux bélier qui en était ressorti apparemment en jeune agneau bêlant. Le roi ne se méfia pas, voulut rajeunir lui-aussi, plongea et disparut laissant le trône à Jason.
Médée qui s'ennuyait ferme dans ce pays étranger, surtout du fait que le beau Jason avait choisi une femme plus jeune, quitta le royaume. Comme quoi la magie ne sert pas à tout. Personne n'entendit jamais plus parler d'elle. Fin de l'acte 2.

Acte 3.
Au quinzième siècle, le duc de Bourgogne, Philippe III le Bon, décide de rehausser le prestige de son mariage avec l'infante du Portugal à Bruges (1430). Il crée le même jour l'Ordre de la Toison d'Or. C'était aussi un ordre concurrent de l'Ordre de la Jarretière anglais, fondé cent ans plus tôt sur le mythe des chevaliers de la Table Ronde. Le mythe grec valait bien le mythe breton puisqu'il exaltait lui-aussi les valeurs chevaleresques qu'avait montré en son temps Jason, et comme alors déjà on aimait beaucoup enraciner les nouveautés dans le plus lointain passé, le duc et son conseil avaient choisi le chevalier le plus antique, élevé par un centaure-savant, Jason le plus courageux, le plus beau, le plus séduisant et qui, comme saint George, patron de la Jarretière, avait terrassé un dragon ainsi qu'il en va chaque vendredi dans tous les romans de chevalerie du Moyen Age. De Médée on avait fait hélas peu de cas. Cette ingratitude poursuivit la maison de Bourgogne qui s'éteignit peu de temps après avec Charles le Téméraire.

L'église enfourcha l'innovation et un evêque du nom de Fillastre, grand esthète et chancelier de l'Ordre, récupéra si bien le mythe grec qu'il le christianisa complètement en faisant l'impeccable démonstration qu'en leur temps biblique, Gédéon, Jacob, Job et David avaient eux-aussi gagné leur toison d'or, tout autant que le beau Jason ! Tous ces chevaliers étaient cousins au courage.

En 1469 le roi de France Louis XI qui ne voulait pas être distancé, créa de son côté l'Ordre de Saint-Michel dans le même esprit. Saint Michel a lui aussi son dragon ; mais seule la Toison d'Or a le mouton.

L'Ordre de la Toison d'Or est parvenu jusqu'à nous. Depuis la mort de Charles II de Habsbourg, il y en a deux, l'un en Espagne par la maison d'Anjou, l'autre en Autriche, mais le "canal historique" est l’ordre habsbourgeois qui a conservé le caractère religieux et aristocratique que lui avait donné Philippe le Bon. Son rituel d’admission demeure intact, avec adoubement par l’épée et serment solennel. Le français est resté sa langue officielle.
La République française reconnaît l'ordre espagnol.

Armorial de Philippe III, duc de Bourgogne

armorial de Philippe le Bon

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