jeudi 18 janvier 2007

Louis et la Mer

La légende veut que le roi Louis XVI au pied de l’échafaud se soit inquiété du sort de l’expédition de La Pérouse qu’il avait personnellement commissionné en 1785, et dont on était sans nouvelle malgré les recherches lancées par d’Entrecasteaux en septembre 1791.
Pieux mensonge sachant que l’abbé de Firmont, seul homme de qualité accompagnant le roi au supplice, ne relate pas cette question dans ses mémoires, et les rustres bourreaux et gendarmes à portée de voix étaient bien incapables d’avoir quelque avis sur ce sujet.
Mais « se non è vero, è ben trovato » le bon roi avait une vraie passion pour le globe et la mer.

Louis XVILe jeune duc de Berry, troisième fils¹ du dauphin Louis-Ferdinand, montra des dispositions aux études poussées par une application de tous les instants. Droit et sérieux (trop peut-être) il dépassa vite les gentilshommes du royaume en maths, physique, géographie avec une prédilection pour la cartographie, un des motifs de l’expédition de La Pérouse, et en conséquence une passion pour la seule voie d’accès aux découvertes, la marine. Malgré sa timidité, il s’était ouvert aux autres par l’apprentissage des langues étrangères et maîtrisait outre ses classiques, l’anglais, l’espagnol et l’italien. A cela s’ajoutait une éducation pieuse et idéaliste qui mit un frein plus tard à de saines réactions de protection de l’institution monarchique.

(1) le dauphin Louis-Ferdinand de France eut neuf enfants :
. Marie-Thérèse de France (1746-1748)
. Marie-Zéphyrine de France (1750-1755)
. Louis de France (1751-1761), duc de Bourgogne
. Xavier de France (1753-1754), duc d'Aquitaine
. Louis-Auguste de France, duc de Berry, futur Louis XVI
. Louis Stanislas Xavier de France (1755-1824), comte de Provence, futur Louis XVIII
. Charles Philippe de France (1757-1836), comte d'Artois, futur Charles X
. Clotilde de France (1759 – 1802), reine de Sardaigne de 1796 à 1802
. Élisabeth de France (1764-1794), partagea le sort de la famille royale et finit guillotinée
Roi à vingt ans, et peu distrait par la vie de cour, il put très tôt favoriser le secteur maritime et colonial de sa politique, et porter au niveau le plus élevé la marine héritée de Louis XV, reconstruite avec talent par le détestable mais efficace Choiseul. Rien déjà à l’époque ne se faisant dans la solitude d’une chambre à cartes, notre propos est d’évoquer aujourd’hui les marins du roi.
Citer les noms qui suivent indique déjà le niveau atteint par le royaume de Louis XVI dans la chose maritime. La plupart portent des noms de navires modernes sinon de lycées ! Les voici par ordre de naissance.

 


Picquet de la MotteToussaint-Guillaume Picquet de la Motte (1720-1791), entre aux gardes marines à 15 ans. Il bourlingue partout où le canon fume, au Maroc, en Baltique, aux Antilles, aux Indes. Conseiller de Sartine pour les ordonnances de 1776, il n’y reste pas longtemps puisqu’on le retrouve chef d’escadre à Ouessant (1778); il sera ensuite la terreur des Anglais. Il repart aux Amériques où il se distinguera chez l’amiral d’Estaing.
Fin manœuvrier il recevra même une lettre de félicitations de l’amiral anglais Hyde-Parker qu’il avait attaqué avec succès. C’est un vrai : 52 ans de service, 34 campagnes, 10 combats, 6 blessures.

 


De GrasseFrançois, Joseph, Paul, Comte de Grasse (1722-1788), page du grand maître de l’Ordre de Malte à 11 ans, il monte sur les galères de l’Ordre à 12. Il entre au service du roi Louis XV pour la guerre contre l’Angleterre. Belle campagne d’Amérique ; il est à Grenade, Sainte-Lucie, La Martinique et Savannah, jusqu’à sa consécration, la bataille décisive de la Chesapeake qui signera la fin des hostilités entre les Insurgents et la couronne britannique aux dépens de celle-ci.
50 ans de service à la mer !

 


SuffrenPierre-André de Suffren (1729-1788) entre à 8 ans à l’Ordre de Malte. Il en finira bailli. Après s’être formé chez l’amiral d’Estaing, le roi lui confie une division de cinq bateaux pour l’Océan indien. Tacticien génial, il n’aura de cesse de mettre la pâtée aux Anglais. Sadras, Provedien, Negapatam, Trincomalé, Gondelour sont des batailles navales gagnées par Suffren. Marin d’instinct, intrépide et fougueux, il disparaît trop tôt à 59 ans en prenant le commandement de l’escadre de Brest en formation.

 


EstaingCharles Henri, comte d’Estaing (1729-1794), il fera les Indes avec Tollendal et entrera dans la Marine à 30 ans ayant compris que la guerre avec les Anglais devait se faire sur mer. Nommé en 1777, vice-amiral des mers d'Asie et d'Amérique, il prendra une part active à la guerre d'indépendance américaine avec le marquis de La Fayette. Son principal fait d’armes est la prise de la Grenade. Sa principale qualité, savoir déléguer. Aussi populaire que La Fayette à son retour en France, il soutiendra les réformes de Calonne puis la Révolution venue, suivra son penchant immodéré pour la popularité, ce qui ne lui évitera pas l’échafaud. Brillant et ambitieux, il mourra sans postérité. Aucun bâtiment de la Royale ne porte son nom.

 


BordaJean-Charles, chevalier de Borda (1733-1799), mathématicien, physicien et marin. D’abord ingénieur militaire, il n’embarque qu’à 34 ans pour des missions scientifiques. Il participe lui aussi à l’obsession de l’époque : longitude et cartographie. Il détermine précisément la position de Hierro, l’île de Fer aux Canaries sur laquelle passe le méridien zéro pour toute l’Europe. Puis il fait la guerre d’Amérique avec le vice-amiral d’Estaing.
Il naviguera beaucoup en Atlantique et se rangera dans les mathématiques. On lui doit entre cent inventions, les tables trigonométriques décimales et les tables des logarithmes, des sinus, sécantes et tangentes, suivant la division du quart de cercle en cent degrés !

 


MarignyCharles René Louis, vicomte Bernard de Marigny (1740-1816), garde de marine à 14 ans, il ne débarquera pas souvent et sera de toutes les batailles jusqu’à commander la Belle Poule à Ouessant. Puis il ramènera Benjamin Franklin en Amérique à la barbe des Anglais. Il s’illustrera durant la guerre d'Indépendance américaine, lors du combat de la frégate La Junon, qui fera l’objet d’une commande de tableau par Louis XVI pour l’édification des élèves de l’école navale.
Il fera carrière à Brest dans des circonstances difficiles jusqu’au grade de contre-amiral, et soutiendra Louis XVI qu’il connaissait personnellement jusqu’au dernier jour.

 

Viennent les trois explorateurs, sans doute les « chouchous » du roi.

Louis Antoine de Bougainville (1729-1811), mathématicien connu par un traité de calcul intégral, il restera dans les mémoires comme le navigateur du célèbre voyage autour du monde. Il débutera dans la fonction publique par une carrière diplomatique et militaire à Londres puis au Canada sous Montcalm. Après la guerre de Sept-Ans il se consacrera à la marine et établira une colonie aux Malouines. Puis ce sera le fameux voyage (1766-1769). La relation de cette expédition fera rêver des générations aux Tahitiennes, mais les considérations quoique élégantes portées aux indigènes suscitera le non moins fameux Supplément au voyage de Bougainville de Diderot dans lequel le philosophe attaque le colonialisme et l'esclavage.
Il fut promu chef d'escadre en 1779 et commanda plusieurs vaisseaux dans la guerre d'Indépendance américaine contre l'amiral Hood. Il sera à la Chesapeake. Le défaut d’argent public ne lui permettant pas de poursuivre ses explorations, il prendra le commandement de la marine à Brest en 1790, et restera fidèle à Louis XVI.
Il est au Panthéon.

 


Antoine-Raymond-Joseph Bruny d'Entrecasteaux (1737-1793), entre dans la Marine à 15 ans sous les ordres du bailli de Suffren. Sa carrière assez terne s’illumine soudain d’un voyage en Chine contre la mousson par le détroit de Malacca et les Philippines à travers des régions non cartographiées et réputées impossibles. En 1791 Louis XVI fait confiance à son grand professionnalisme pour aller rechercher La Pérouse qui ne répond plus. Il mourra du scorbut en mer.

 


lapérouseJean-François Galaup de Lapérouse (1741-1788) garde marine à 15 ans à Brest. Il sera capturé par les Anglais à la fin de la guerre de Sept-Ans. Il fait diverses campagnes en outremer et lors de son premier commandement sauve le comptoir indien de Mahé. Il fait la guerre d’Indépendance américaine dans la baie d’Hudson, et revient en France avec des qualités reconnues de grand professionnel. Fleurieu le présente à Louis XVI qui lui confie « son » voyage autour du monde dont les conditions sont consignées dans une charte qui reste un modèle d’instructions. Il s’agit aussi de terminer le travail commencé par l’Anglais Cook.
Deux navires, la Boussole et l’Astrolabe partent de Brest le 1er août 1785 pour un périple estimé à trois ans. Les résultats de l'expédition furent connus à chaque escale. Le 6 novembre il parvient au Brésil puis le 24 février 1786 au Chili et ensuite à l'île de Pâques, puis Hawaï le 30 mai 1786. Entre-temps, une reconnaissance des côtes du Canada et de 1’î1e de Vancouver en juillet 1786 est marquée par un incident de mer et la perte de 22 marins dans la baie de Lituya. Le 28 mars 1787 commence l'exploration de la côte asiatique par Canton, Formose et le Japon. Barthélémy de Lesseps, interprète de russe, débarquant au Kamchatka, quitte l'expédition pour ramener par voie de terre les documents de la seconde partie du voyage, en traversant toute la Sibérie. Puis c’est le silence, l’inquiétude et in fine le chagrin du roi.

Deux autres marins de talent auraient leur place ici :
- Louis Villaret de Joyeuse et Louis-René Levassor de Latouche Tréville.

Mais bien sûr derrière la gloire de nos marins, il y a l’intelligence, la patience, l’application, un travail acharné surveillé par le roi qui est là dans son domaine de prédilection. Pourquoi n'a-t-il pas transféré sa capitale à Nantes ?

 


sartineAntoine de Sartine (1729-1801), ami de Choiseul, modernisa la flotte en rationalisant les infrastructures, ports et chantiers navals, qui passèrent sous la coupe de la Marine. Il réorganisa le corps d’artillerie navale en standardisant la fonderie des pièces, et remis à niveau équipages et infanterie embarquée en luttant contre l’insubordination par une amélioration de l’hygiène et l’accompagnement sanitaire de blessés débarqués. En vue de disputes à venir avec l’Angleterre, il accéléra la construction de navires sur plans standard dans de nouvelles cales sèches comme l’y incitait l’ingénieur Sané. Ces travaux furent complétés par la mise en sûreté des ports militaires.
Deux points au passif, il persista à réserver l’accès du corps d’officiers de pont aux fils de l’aristocratie, ce qui ne permettait pas de forger une endurance comparable à celle de leurs homologues britanniques ; et il ne tint aucun compte des crédits alloués pour le budget de la Marine qu’il dépassait allègrement.
Lui succéda le maréchal de Castries en 1780.

 


De CastriesCharles Eugène Gabriel de La Croix de Castries (1727-1800), marquis, comte et baron en Languedoc, est un soldat qui se distingua pendant la guerre de Sept-Ans et en Corse. Ami de Necker, il refondera la stratégie navale avec les succès que l’on sait aux Amériques et rénovera l’administration (inscription maritime, tableau d’avancement). Ce fut un travailleur acharné qui ne comptait pas ses heures. Il émigrera en octobre 1789 et malgré son âge fera bonne figure dans l’Armée des Princes. Il mourra chez le duc de Brunswick.

On ne peut passer Fleurieu sous silence.

 


écu de fleurieuCharles-Pierre Claret, comte de Fleurieu de la Tourette (1738-1810), vient des équipages de la flotte où il embarque à 17 ans. Esprit curieux, il valide à son bord le chronomètre Berthoud qui permet le calcul de longitude. C’est un cartographe passionné au point d’acheter un cabinet d’estampes à la fin de sa vie pour y organiser une immense bibliothèque hydrographique.
Lieutenant de vaisseau en 1776, voulant se consacrer à la rédaction d’une histoire de la navigation, il proposa sa démission que Louis XVI refusa. Celui-ci créa en 1777 en sa faveur, la place de Directeur des Ports et Arsenaux de la Marine, poste qu’il conserva 15 années, en faisant fonction de chef d’état-major. Plus ici.
Son grand œuvre est le Neptune du Nord ou Atlas du Cattegat et de la Baltique qui lui prit 25 ans de travaux. Récupéré par Napoléon, il sera couvert d’honneurs. Il est au Panthéon.

 


Jacques-Noël Sané (1740-1831), architecte naval, le plus brillant de l’âge de la voile, dit le « Vauban de la marine ». Il est l’architecte de la quasi-totalité des vaisseaux de ligne construits en France, de la Guerre d’Indépendance Américaine à la fin du Premier Empire. Ces vaisseaux de 74 canons surpassaient en vitesse et manoeuvrabilité tout ce qui existait. Les Anglais en capturèrent et les copièrent sans aboutir au même résultat. Il y avait une patte « Sané ».
C’est Duhamel de Monceau qui le repèra à l’école du gémie maritime de Paris. Dès son diplôme on lui confia deux bâtiments qui feront la différence du premier coup. Il construira en tout 150 navires de guerre, le chef d’œuvre étant le 118-canons Etats-De-Bourgogne, fin et puissant. Il passera la Révolution à Brest à faire une marine avec des bouts de ficelles, puis travaillera pour l'Empire qui l'honorera.

Pierre-Alexandre-Laurent Forfait (1752-1807), ingénieur hydrographe, n’étant pas noble, il bénéficiera d’une dérogation pour entrer dans le génie maritime. A 31 ans il commence sa carrière d’ingénieur des constructions navales à Brest puis à Cadix sous le comte d’Estaing. Il inventera le principe du paquebot mixte qui permettra l’essor des colonies. Ce fut un constructeur de frégates particulièrement réussies. Plus tard il ouvrira la voie maritime de la Seine pour le Directoire en mettant au point les mâtures mobiles, ce qui lui permit d’atteindre le Pont Royal avec un navire de mer. L’Empire l’honorera.

La marine de Louis XVI, abîmée par la Révolution, ne rencontrera pas la même passion chez l’Empereur des Français qui restera un artilleur jusqu’au bout. La guerre à l’Angleterre ne pouvait se faire que sur mer. De ne l’avoir pas cru amènera sa perte.

Un portail sur la marine d'aujourd'hui : http://www.netmarine.net/index.htm

 

2 commentaires:

  1. Quelques petites modifications sont à faire sur le portrait de charles-pierre de Fleurieu,

    Par exemple, il était gouverneur de Louis XVII.

    Je vous conseil mon blog: www.fleurieu.skyblog.com

    salutation royalistes.

    RépondreSupprimer
  2. J'ai piqué votre commentaire bien tard mais j'ai lié ce billet à votre page 2, car il est encore souvent lu.
    Merci.

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.

Les plus consultés sur 12 mois

Compteur de clics (actif)