jeudi 1 février 2007
Changing the Guard
En ces temps de campagne présidentielle si l'on réclame le roi, on suscite outre la surprise deux réactions. Soit "votre" roi ressemble aux rois démocratiques du Nord ou d'Espagne, et ça coûte cher pour inaugurer les chrysanthèmes, soit il a des pouvoirs réels comme le président actuel de la République, et alors la dérive monarchique de notre régime va aboutir à la tyrannie dès lors qu'il n'est plus réglé par l'élection.
On mesure la parfaite méconnaissance des monarchies scandinaves et anglaise, laissons de côté la maison d'Espagne qui a recouvré le pouvoir dans des circonstances spéciales.
Les rois du Nord sont plus "puissants" que ne l'imaginent les Français. En cause chez nous le substrat national de violence, qui en temps de guerre s'épanouissait dans la furia francese, et qui conduit à déconsidérer ici tout pouvoir qui ne s'appuie pas sur la force. C'est le réflexe stalinien du "pape sans divisions". Quel est donc ce Chef qui ne peut à sa guise me mettre en prison, faire charger ses cohortes sur mes remontrances bruyantes, espionner ma vie dans ses moindres recoins, et me guider par la loi dans mes opinions ? Moins que rien ! se dit le veau national. D'où l'expression passée dans le langage courant, "avoir autant de pouvoir que la reine d'Angleterre". Et bien commençons par là !
Sans faire un cours constitutionnel sur la monarchie britannique, rappelons que le souverain anglais occupe trois fonctions. Il est le chef de l'Etat britannique et à ce titre préside le Commonwealth ; il est le chef de la nation anglaise ; il est le gouverneur de l'église anglicane.
Le souverain chef d'Etat assume une fonction constitutionnelle en légitimant la politique générale du gouvernement choisi par les Communes. C'est le discours du Trône qui ouvre les sessions parlementaires convoquées par le roi.
Le souverain assume aussi une fonction de représentation. S'il visite assez fréquemment les pays étrangers où il dispense des conseils de bonne gouvernance, le chef d'Etat reçoit les missions diplomatiques, les lettres de créances des ambassadeurs, et les délégations étrangères dans son palais. On peut comprendre qu'on n'y parle pas que de gastronomie. Surtout en Angleterre.
La fonction de chef d'Etat la plus discrète n'est pas la moins importante. Il reçoit chaque semaine le premier ministre en tête-à-tête politique pour échanger leurs idées ; le souverain y exerce ses droits : "the right to be consulted, the right to encourage, the right to warn". Cet "exécutif informel" est complètement illisible par les Français qui manquent d'accoutumance au débat d'idées qu'ils transforment en rixe verbale.
On peut déjà dire que la fonction de chef d'Etat britannique n'est pas neutre.
La seconde charge assumée, chef de la Nation, est de loin la plus importante. Comme elle ne s'inscrit pas dans les minutes d'une constitution sauf pour la justice où il est considéré comme la "source primaire" du Droit, nous ne la voyons pas.
Le souverain est le point de convergence de l'identité nationale. Quel que soit le document de nationalité que vous ayez en poche, votre acceptation à Buckingham ou votre bannissement donne ou retire votre "anglicité". Le patron de Harrod's en sait quelque chose.
Le souverain incarne aussi par l'unité de sa personne, l'unité de la Nation, et justement parce qu'il est délivré du gouvernement quotidien du pays, il surmonte les divisions politiques et les fractures sociales.
Il incarne enfin par sa propre attitude la fierté britannique.
Selon son tempérament, il ajoute au sentiment de continuité de l'Etat la diffusion d'une considération certaine pour le service public qui agit en son nom, On Her Majesty's Service, et pour les forces armées dont il reste le chef.
C'est enfin le souverain qui distribue honneurs et récompenses civiles et militaires. L'effet est sans doute plus fort d'être distingué par le chef de la Nation que par un politicien de rencontre sous le regard mort d'une mariane en plâtre exhibant de gros seins !
Le système de gouvernement monarchique tire sa force de ce qu'il sépare les devoirs officiels du chef d'Etat de la vie tumultueuse des partis politiques. La stabilité institutionnelle est assurée par la pérennité incarnée dans son roi (ou reine) qui préside au carrousel des cabinets démocratiques.
Le journaliste Bagehot écrivait au XIX siècle : "The nation is divided into parties, but the crown is of no party. Its apparent separation from business is that which removes it both from enmities and from desecration, which preserves its mystery, which enables it to combine the affection of conflicting parties ". Les deux étages sont bien distincts et il est assez étonnant de constater que la charpente féodale que nous évoquions dans ce blogue l'an dernier, a survécu en Grande Bretagne au milieu d'un foisonnement de libertés civiles gérées démocratiquement. Ce sont ces libertés que notre République, obsédée par sa survie, ne peut pas produire.
S'ajoute à ces fonctions officielles de la couronne, des charges de bienfaisance qui sont universellement appréciées. Toute la famille royale est mise à contribution dans ce domaine. Observant le rôle de la famille royale, Bagehot avait bien perçu l'intérêt de la pipolisation en disant : "A family on the throne is an interesting idea also. It brings down the pride of sovereignty to the level of petty life."
Pour enfoncer le clou, nous rappellerons que le budget public de la maison de Windsor est bien moins onéreux que celui de la présidence française. Si l'on y ajoute l'orgie financière des campagnes quinquennales, il n'y a pas photo.
Un mot sur ces rois du Nord. La monarchie anglaise a été le modèle sur lequel ont évolué les monarchies hollandaise et scandinaves. Les principes exposés ci-dessus s'appliquent donc. Et moins qu'en Grande Bretagne encore le régime monarchique n'y est discuté. Disons mieux, il y est énergiquement défendu dès qu'il est contesté par un étranger. Attention à la raclée si vous débinez la famille royale locale en fin de soirée au pub.
Saurions-nous revenir en France à un régime naturel avec cette part d'affectif derrière laquelle le peuple court ? Le socialiste Guy Mollet en avait caressé l'idée, paraît-il !
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