mercredi 5 septembre 2007

L'Inquisition facile

Bernardo Gui du Nom de la RoseLa reconquista raspalienne passe-t-elle par une intensification de la sylviculture ? C'est ce que nous conseillons aux Croisés nouveaux, après une lecture attentive des riches heures de Bernard Gui, le dom Bernardo du film Au Nom de la Rose qui acheva jadis la conquête des âmes égarées en Languedoc sans chercher à gagner celle des coeurs, et dont on réédite cette année le Manuel.

L'Inquisition tire son nom de sa capacité à avoir recours à la procédure inquisitoire, procédure extraordinaire inconnue du droit romain. Un tribunal classique ne pouvait pas se saisir spontanément d'une cause: il ne pouvait intervenir que pour répondre à une plainte au civil ou une dénonciation au pénal. Au contraire, un tribunal d'Inquisition pouvait examiner d'office (au sens littéral) toute question ressortissant à son domaine de compétence, sans avoir besoin d'être saisi par un tiers. Ce pouvoir fut attribué pour permettre d'examiner rapidement et efficacement tous ceux qui pouvaient être soupçonnés d'hérésie. Le pouvoir inquisitoire était un pouvoir exorbitant, susceptible d'être employé abusivement, et donc refusé aux juridictions classiques (source Wiki). L'Inquisition deviendra vite un Etat dans l'Eglise.

A la décharge du projet inquisitorial du saint siège, on peut relever que la préservation de la foi, dans une époque excessivement mystique et autant obsédée par son salut que celle-là, était du même ordre que la préservation de la santé physiologique aujourd'hui. L'hérésie était combattue non pour elle-même mais pour sa contagion "mortelle" au corps sain des fidèles. Les hérétiques à bas bruit n'étaient finalement pas inquiétés appliquant d'avance la maxime "pour vivre heureux vivons cachés".

Grand inquisiteur à Toulouse de 1308 à 1323, Bernard Gui fut chargé de purger la région des vestiges du catharisme qui refusait de disparaître sous les cendres de la croisade des Albigeois. Le traité de Meaux établi par la reine-mère Blanche de Castille en 1229, à part le dépeçage du Midi entre le roi de France et le pape, n'avait donc pas atteint le but fixé à l'origine. Frère Prêcheur de langue d'oc et comprenant donc le patois des Cathares, Vaudois et autres bégards déviants et béguines, tous du cru, rigoureux dans ses enquêtes, implacable dans ses sentences quoique piètre théologien, il remporta son challenge par une organisation efficace et une opiniâtreté infatigable. C'est le modèle de l'inquisiteur sévère, loyal et droit, appuyant la procédure sur une maîtrise savante de son art. Ce modèle parviendra jusqu'à nous et sera utilisé quand les circonstances exigent d'aboutir. Ses fils spirituels s'appellent Auss..., (censuré) et ses principes gouvernent encore nos juges d'instruction, capables de faire avouer n'importe quoi à n'importe qui, comme nous l'ont montré des affaires récentes. La procédure en vigueur de nos jours reste d'ailleurs qualifiée d'inquisitoire !

Les Belles Lettres ont republié en 2006 son Manuel de l'Inquisiteur (édition bilingue français-latin) dont la lecture vous consume aussi vite que le doute canonique vous saisit. Pourtant le grand Bernardo sut jouer de la peur qu'il inspirait en restant froid et distant, plus que des affres de la Question promise aux nuques raides, qu'il jugeait stupide pour obtenir témoignages honnêtes et aveux sincères. On le reconnut intègre et "juste" par rapport au Codex pontifical, ce qui lui valut la mitre des mains de Jean XXII. Des 647 prévenus qui passeront sur la sellette il n'en "brûlera" que 45 dont 3 par contumace !

Exercez-vous à l'inculpation des sorciers ou aliens de votre entourage comme suit :

Inspirez !
Interrogatoire des sorciers, devins et invocateurs des démons :

Au sorcier, devin ou invocateur des démons inculpés, on demandera la nature et le nombre des sortilèges, divinations ou invocations qu’il connaît, et qui les lui a enseignés.

Item, on descendra dans les détails, prenant garde à la qualité et conditions des personnes, car les interrogatoires ne doivent pas être les mêmes pour tous. Autre sera celui d’un homme, autre celui d’une femme. On pourra poser à l’inculpé les questions suivantes : que sait-il, qu’a-t-il appris, à quelles pratiques s’est-il livré à propos d’enfants victimes d’un sort ou à désensorceler ?

Item, à propos des âmes perdues ou damnées ;
Item, à propos de voleurs à incarcérer ;
Item, à propos d’accord ou de désaccord entre époux ;
Item, à propos de la fécondation des stériles ;
Item, à propos des substances que les sorciers font absorber, poils, ongles et autres ;
Item, à propos à propos de la condition des âmes des défunts ;
Item, à propos de prédictions d’événements à venir ;
Item, à propos des fées, qu’on appelle « bonnes choses » et qui, à ce qu’on dit, vont de nuit ; Item, à propos de des enchantements et conjurations au moyen d’incantation, de fruits, de plantes, de cordes, etc. ;
Item, à qui les a-t-il enseignées ? De qui les tient-il ? Qui les lui a apprises ?
Item, que sait-il de la guérison des maladies au moyen de conjurations ou d’incantations ?
Item, que sait-il de cette façon de récolter les plantes, à genoux, face à l’orient, et récitant l’oraison dominicale ?
Item, qu’en est-il de ces pèlerinages, messes, offrandes de cierges et distribution d’aumônes qu’imposent les sorciers ?
Item, comment fait-on pour découvrir les vols et connaître les choses occultes ?
Item, on fera notamment porter l’enquête sur ces pratiques qui sentent une superstition quelconque, l’irrespect, l’injure vis-à-vis du sacrement du corps du Christ, vis-à-vis du culte divin et des lieux consacrés.
Item, on s’enquerra de cette pratique qui consiste à conserver l’eucharistie, à dérober aux églises le chrême et l’huile sainte ;
Item, de celle qui consiste à baptiser des images de cire ou autres ; on demandera la manière de les baptiser, quel usage on en fait et seuls avantages on en retire.
Item, on interrogera le prévenu sur les images de plomb que fabriquent les sorciers ; mode de fabrication et emploi.
Item, on lui demandera de qui il tient tous ces renseignements ;
Item, depuis combien de temps il a commencé à user de telles pratiques ;
Item, quelles personnes et combien sont venues lui demander des consultations, en particulier pendant l’année en cours ;
Item, lui a-t-on antérieurement défendu de se livrer à ces pratiques et de n’en plus user désormais ?
Item, a-t-il récidivé malgré cette promesse et abjuration ?
Item, croyait-il à la réalité de ce que les autres lui enseignaient ?
Item, quels bienfaits, présents ou récompensés a-t-il reçus pour ses services ?"

Expirez !

Sentences de B. GuiLa procédure inquisitoriale étant de droit entièrement écrite et archivée au greffe épiscopal, le livre des 636 sentences promulguées avec certitude par Bernard Gui en 940 instances inquisitoriales est disponible en deux volumes reliés aux Editions du CNRS pour la modique somme de 250€, 5% étant reversés au souvenir des suppliciés. Le livre ne tombe jamais des mains et fera de vous un Parfait hibou.

Si le bûcher vous purifiait et surtout vous évitait l'Enfer à la Jérôme Bosch, on pouvait dire que les tribunaux de la sainte Inquisition étaient pavés de bonnes intentions : la rédemption par séparation de l'âme rachetée et du corps perdu. Mais avant d'en arriver à ces extrémités, les hérétiques "bénéficiaient" d'une gamme de peines non létales.

Les peines n'en étaient pas, on parlait plutôt de pénitences. Pendant le "temps de grâce" accordé sur un territoire donné pour confesser son hérésie, les sanctions étaient diverses et allaient de la fustigation pendant la messe, aux pèlerinages expiatoires, ou à l’entretien obligatoire d’un pauvre, voire au port de la croix jaune d’infamie sur les vêtements selon la mode d'alors.
Le pratiquant avéré d'une déviance réprimée qui s'était converti avant l'échéance du Temps pouvait quand même être incarcéré, soit au "mur large" dont on avait de bonnes chances de réchapper sans cholestérol, soit au "mur étroit" dans ce qu'il faut considérer comme des oubliettes, les oubliés sortant des statistiques. Les fugitifs, les relaps et les entêtés risquaient le feu et le savaient.

Il n'en demeure pas moins que certains inquisiteurs furent de véritables fées du foyer, comme le dominicain Robert le Bulgare, Parfait apostat, qui, connaissant bien ses anciens codisciples, ordonnait des feux d'enfer, tels celui de la Charité sur Loire à 50 bûchers et celui de Provins où 183 martyrs furent brûlés après une rafle au marché de la ville (1239). Le prémontré Conrad de Marbourg qui s'était fait une spécialité des lucifériens, atteignit des scores enviables en Allemagne, jusqu'à se faire assassiner dans une embuscade. Ce fut le premier dépêché d'une longue série.

T.D.
En pratique, pour faire un bon bûcher il faut se lever tôt et quérir le bois mort dans la forêt profonde où s'entend le coucou. Mieux encore la sapinière qui fleure la résine matutinale. Compter quatre stères pour une sorcière, six pour son ogre de mari. Les enfants se chargeront de la paille avec le renfort de quelques ânes et des cailloux pour ne pas se perdre.

La poix d'enduction est la substance visqueuse indispensable à la prise, on la commercialise sous le nom de poix-résine. La noire est plus chère que la blanche d'un sou. Les surplus sont exportables vers les saloons américains où l'on triche aux cartes. Soyez perfectionnistes et rajoutez de la poudre de charbon de bois au chaudron quand il est tiède, et un zeste d'amadou. Si vous êtes dans un bon jour, enduisez la chemise de lin du supplicié de soufre dont la combustion facile l'asphyxiera sûrement. Les arômes sont onéreux et ne serviront à rien, la fumée de chair calcinée emportant l'ambiance. Evitez une chaise sous le vent pour chanter vos psaumes pendant l'incinération.
Sous réserve d'aumône de la part des affligés vous serez enjoints parfois à étrangler l'impétrant ; prévoyez une petite cordelette de soie cirée pour suffoquer le vilain en lui passant le capuchon.

La cérémonie fumigatoire est décrite dans les ouvrages catholiques de la bibliothèque vaticane à laquelle je dois vous renvoyer, n'ayant obtenu encore les copyrights idoines du saint Office, de crainte peut-être que son dernier Motu Proprio tridentin n'entraîne ses contempteurs à en faire des tonnes sur cet art ancien de l'ardeur dans la propagation de la foi.
5...4...3...2...1 : ignition !

instance inquisitoriale
Fides suadenda non imponenda

L'Inquisition fut abolie en 1846 !

2 commentaires:

  1. Vos deux derniers articles se rejoignent dans l'actualité par le décès de Driss Basri à Paris.

    Il fut le "grand inquisiteur" du roi Hassan 2 et l'architecte d'une répression féroce de toute opposition marocaine. On ne sait pas encore le compte des "disparus" !

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  2. Le roi Hassan II fut un tyran impitoyable et la machine de répression a été bien plus terrible que l'ancienne Inquisition catholique.
    La vérité commence à émerger.

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