Rappel des fondamentaux : L'irruption de l'Occident décadent en Afghanistan avait pour but de détruire l'Etat barbare et de capturer Ben Laden et sa horde de freux. Au son du canon, les Talibans s'égaillèrent et disparurent parmi les riantes collines, et leur chef Mollah Omar enfourcha sa moto vers Quetta. Après avoir démonté pierre par pierre les montagnes de Tora Bora, il est apparu que notre pire ennemi avait passé le chas de l'aiguille et n'était plus en Afghanistan. Par contre nous, nous y sommes encore ...
Le motif inventé le plus crédible fut d'instaurer une démocratie à la pointe des baïonnettes sur les ruines du régime fondamentaliste afin de combattre le terrorisme par le développement, et si cet objectif est remis en question aujourd'hui par l'administration élue, on n'entendit alors aucune remontrance parmi les Occidentaux quand nous fîmes attaquer Kaboul par l'Alliance du Nord du défunt commandant Massoud (la femme de son assassin vient d'être capturée en Belgique).
Passée la gloire éphémère d'une victoire facile, il nous a fallu du temps pour comprendre que l'Afghanistan était irréformable pour la simple raison qu'il n'existe pas. En temps normal, il n'y a pas d'Afghanistan en Asie centrale ; entre les Tadjiks, Ouzbeks et Turkmènes du Nord et les Baloutches du Sud, il y a les Pachtounes avec les Hazaras de l'ouest ; les uns et les autres n'étant pas contenus, il s'en faut de beaucoup, dans les frontières internationales du Foreign Office. L'Afghanistan n'est recréé par les Afghans que lorsque la terre des Pachtounes est envahie : les féodaux congruent à former l'Ost. La guerre "internationale" terminée, ils retournent à leur occupation favorite, s'entre-égorger pour le commerce de l'opium et les octrois.
Quand le général allemand Egon Ramms, de l'Allied Joint Force Command (Brunssum-NL), dit carrément à Joe Klein, reporter de Time Magazine, être empêtré au Helmand parce qu'il ne peut poursuivre les moudjahidine talibans jusqu'à Quetta où Mollah Omar tient sa cour, et qu'il n'existe aucun Etat crédible en Afghanistan pour mettre au pas l'administration civile et sa police d'agents doubles, on est tenté de creuser.
Le lieutenant-colonel anglais Graeme Armour stationné à Lashkar Gah (Helmand) demande en souriant pourquoi le gouverneur Sher Mohammed Akhunzada, trouvé en possession de 9000 kg d'opium, n'a jamais été poursuivi mais seulement relevé de ses fonctions ? A-t-il conservé son butin ou celui-ci a-t-il été confisqué par la famille Karzaï, parmi laquelle un certain Ahmed Walid Karzaï, narco-trafiquant notoire qui contrôle aujourd'hui la province frontalière de Kandahar avec notre cher Akhunzada ?
Et de se poser une autre question : combien de temps le gouverneur ex-taliban de l'Helmand-Nord qui contrôle la route de Kaboul, sera-t-il l'allié de la Coalition ? Donnera-t-il son préavis s'il change de camp ?
La guerre à laquelle participe l'ISAF¹ obéit à 3 ressorts : opium, tribalisme et djihad, chaque soldat s'investissant tout à tour ou en même temps dans les trois domaines, quand il n'y ajoute pas sa participation à la police nationale. Pour le malheur des populations civiles, le développement financé par la communauté internationale est combattu par le dynamitage d'édifices nouveaux ou les meurtres nocturnes des agents honnêtes. La conviction court les popotes que la démocratie ne naîtra pas en Afghanistan et qu'il est inutile de maintenir à bout de bras à Kaboul la gravure de mode qui leur sert de président dans les enceintes internationales, mais qui ne commande rien ni personne chez lui. En ce sens, la conférence "régionale" organisée hier par Bernard Kouchner à la Celle-St-Cloud est de l'argent jeté par les fenêtres, les bons interlocuteurs ne s'y sont pas présentés.
Jean-Dominique Merchet de Libération, qui sans le savoir a souvent participé à ma réflexion sur l'affaire afghane, publie un essai : " Mourir pour l'Afghanistan" (190p. chez Jacob-Duvernet, 19,90€). Je ne l'ai pas encore lu. Mais si l'on acte la liquéfaction de l'Etat central et si l'on veut quand même aboutir à l'incinération de la Pieuvre, il faut sortir du schéma traditionnel d'ingérence et s'intéresser aux fiefs provinciaux qui nous importent pour atteindre al-Qaïda, avec ou sans prime à la démocratie.
L'administration Obama a un regard neuf. Elle retourne au but premier de l'expédition : détruire le foyer terroriste. Pour ce faire, elle prend en compte le Pachtounistan dans sa globalité en faisant abstraction de la frontière entre l'Afghanistan international et les FATAs². Soit le Pakistan, dont on va sérieusement vérifier l'utilisation qu'il fait des crédits de guerre accrus versés par les Etats-Unis, investit les zones tribales et casse les Moudjahidine, soit il renonce, et la communauté internationale conclura au "no man's land", c'est à dire que la souveraineté du Pakistan sera temporairement suspendue sur les zones frontalières.
Il est probable que la région sera dès lors napalmisée et les districts douteux retournés par les bombardements du nouveau Commander in Chief Obama qui ne voudra pas ouvrir un nouveau Vietnam en engageant des troupes au sol, quelques mois seulement après s'être extirpé d'Irak. Si le Pakistan se cabre et compte tenu qu'il possède l'arme atomique, il n'est pas à exclure que le tabou du "jamais plus ça" soit levé et que le motif de conflagration régionale soit saisi pour le réduire ... à rien ! L'ange noir des médias se révèlerait être alors un cavalier ... de l'Apocalypse.
Note (1): ISAF, mission OTAN de pacification de l'Afghanistan
Note (2): FATA, zone tribales incontrôlées au nord-ouest du Pakistan
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