jeudi 8 janvier 2009

Démocratie meurtrière

dessin de Chappatte
De toutes les analyses géopolitiques qui fleurissent dans la presse à l'occasion de la tentative de mise au pas du Hamâs par Israël, aucune n'évite de proclamer la "légitimité" de l'organisation qui est arrivée au pouvoir par le choix des urnes. Il ne s'en faudrait pas de beaucoup pour que l'origine des opérations de destruction de la bande de Gaza soit réputée venir d'un choix explicite des Gazaouis qui dès lors n'auraient à s'en prendre qu'à eux-mêmes. Mais nous disons les choses autrement : c'est la "démocratie" qui ruine le pays philistin !...

Les nations occidentales connaissent les limites de l'épure démocratique et s'en méfient. L'histoire a enregistré de formidables ratés du processus qui a donné carte blanche à des dictateurs adroits, et toutes veulent s'en prémunir par une éducation civique poussée des nouveaux (et jeunes) électeurs. On peut regretter que ces efforts, s'ils barrent la route aux tyrans ou tyranneaux, ne brident pas l'ambition des bateleurs de foire qui "enchantent" l'électorat et parviennent au sommet. Les exemples en cours intéressent l'Italie, la Grèce et la France, pour faire court.

Malgré ses défauts archi-connus, nous avons forcé par le fer et le feu la démocratie au Moyen-Orient et jusqu'en Extrême-Orient (le cas du Japon et de l'Irak sont exemplaires) sur les bases occidentales de valeurs sociales qui pour le moins nous semblent aujourd'hui décalées, au point de paraître exotiques à certains Asiatiques déçus, qui reviennent au paternalisme des landlords, aux héritiers et aux clans (voir cet article de Time Magazine).
Les leaders politiques naturels, ceux dont l'ambition est impatiente, savent intégrer les voies et moyens offerts par les élections et surtout comment agir publiquement et modeler les esprits pour qu'ils s'expriment favorablement à leur égard dans les urnes. Partout en Orient, la démocratie a muté en démagogie et sa manifestation la plus fréquente est le contrepoids quasi institutionnalisé de la démocratie de voirie qui "gère" à sa façon la démocratie institutionnelle ; comme aux Philippines, à Taïwan, en Thaïlande ou en Corée du Sud. Mais le carburant du moteur reste bien sûr la corruption, endémique à l'Asie qui partage une civilisation des "petits cadeaux" dans les deux sens de l'échange.

Comment le Hamâs a-t-il pris le pouvoir pacifiquement à Gaza et dans certaines villes de Cisjordanie ? Moins par les slogans vengeurs criés dans des défilés impressionnants de martyrs énervés que par un soin tout particulier porté aux services publics de proximité. Un reporter me disait en 2007 qu'on reconnaissait une municipalité "Hamâs" à ce que les trottoirs y étaient balayés, les ordures enlevées, les conduites d'eau entretenues, les édifices publics repeints, et les gardiens de la paix honnêtes. Face à lui le Fatah montrait tout son contraire, une corruption phémoménale et un népotisme arrogant. Qui se souvient des disputes, à la mort d'Arafat, entre la famille qui détenait les numéros des comptes non résidents et l'OLP qui avait besoin d'argent ?
Mais le Hamas n'est bien sûr pas la Fédération des bons conseils municipaux. Comme sa charte nous le précise (merci à JF Legrain thru 5YL - lecture recommandée de l'art.7 et suite), il est là pour tuer et foutre les Juifs à la mer, ne distinguant pas entre l'Etat sioniste et le peuple hébreu ! Ainsi la "démocratie" que nous avons imposée aux Palestiniens dans le cadre des accords d'Oslo (art.III), a-t-elle servi à légaliser et légitimer une organisation de guerre contre un état reconnu aux Nations Unies, Israël, organisation qui, sûrement vaincue, nous attaquera dans les mois à venir par les moyens dissymétriques que l'on sait.
Qu'était-il possible de faire sinon ?

carriole attelée
Mais rien ! Tout procède de cette idée fantasque du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, doublée de la supercherie de la souveraineté des nations. Les peuples ne peuvent disposer d'eux-mêmes que dans les limites de leurs frontières sans causer de préjudices à leurs voisins, pour autant que leur société soit pacifique et tendue vers le bien commun. Or l'invasion de la Palestine anglaise par les Juifs a cassé le découpage ottoman et a mité le pays jusqu'à estomper toute notion de frontières sûres. Quant au "bien commun" il fut mis à l'encan par la vente volontaire du foncier palestinien par la bourgeoisie cupide.
Trois guerres ont été déclarés et perdues par les pays arabes, et l'Occident a chaque fois limité les effets de la victoire israélienne à des motifs humanitaires louables certes mais porteurs d'une redoutable infection, celle de l'irrédentisme naturel palestinien, très compréhensible. Les guerres sont choses terribles mais il est coupable de ne pas les finir. A l'exception des trois éruptions précitées, la Palestine vit en guerre non déclarée depuis 60 ans ! Soixante ans ! Les coupables désignés, le Américains, ne sont peut-être pas les seuls. Sauf la Syrie qui s'est battue jusqu'au bout, la Jordanie et l'Egypte ont transigé avec Israël aussitôt que leurs frontières ethniques ont été menacées, abandonnant les Palestiniens sous le joug de la colonisation juive, bien contents de n'en prendre plus dans leurs camps de réfugiés. Auraient-ils été contraints de pousser la guerre jusqu'à Sedan qu'ils auraient été acculés à un traité de paix, réglant la question ; alors que sous l'égide des grands pays, ils sont restés trop longtemps sous des régimes de cessez-le-feu ou d'armistice qui ont laissé les plaies ouvertes s'infecter.

On peut l'aimer tout en disant cette vérité : le peuple palestinien ne fut jamais une entité nationale, malgré les fabrications les plus échevelées qui le ferait descendre des habitants de la Judée romaine. Il doit nécessairement s'imbriquer dans un Etat existant - c'est d'ailleurs l'espérance panarabe -, état qu'il renforcera de son génie propre, reconnu par tout le Moyen Orient. On peut refuser ce principe de séparation nette entre Israël et ses voisins pour sauver l'imbrication actuelle, mais il faut alors accepter le pronostic d'une guerre de cent ans aux dépens des faibles et des démunis.

Il en va de même de sa souveraineté.
Cette proclamation universelle de la souveraineté des nations fait sourire. En dépit du fait qu'il n'est de souveraineté que celle du souverain, le découpage du Monde en petits lots étanches nationaux, égaux en droits et souverains, participe de la myopie souverainiste classique. Non ! Toutes les nations n'ont pas le droit à la "souveraineté"; soit qu'elles soient incapables de l'assumer, comme la Papouasie, Andorre ou le Zimbabwe ; soit qu'elles jouent à "chat perché" pour agresser leurs voisins ou sanctuariser leurs bases d'attaque, comme la Somalie, mais aussi la Corée du Nord, le Liechtenstein ou l'Afghanistan taliban. Les Palestiniens, s'ils ont droit à vivre en paix chez eux sous un gouvernement arabe choisi ou désigné, ne peuvent prétendre à aucune souveraineté si dans le même temps la communauté internationale la reconnaît au même endroit au nouvel entrant, Israël. Sinon cela veut dire que les organisations internationales s'abandonnent à gérer les guerres en leur cortège d'horreurs.

palestine biblique
Entretemps l'artillerie de Tsahal pilonne le bouclier humain mis en place à l'insu du malheureux peuple gazaoui par les chefs du Hamâs, qui auront raison dans leur tête jusqu'au dernier des Palestiniens. Israël a tort de se laisser piéger par cette tactique victimaire et devrait plutôt prouver la monstruosité du règlement de combat de son ennemi.
Par contre le blocus et la ghettoïsation d'un million et demi de gens ont lamentablement échoué : décidés pour anéantir les résultats du scrutin légal, ils ont produit une profonde misère et une haine incandescente justifiée, sans tarir les départs de roquettes. La démocratie israélienne n'est pas là non plus un gage d'excellence géopolitique, et apparemment un sacré nid de corruption lui aussi.
Décidément !


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