
Demain, anniversaire de la capitulation du Reich millénaire signée à Berlin le 8 mai 1945. Tout le monde connaît l'histoire de la bataille de Berlin qui atteignit des sommets de courage et de cruauté. On sait moins que dans les rangs des derniers défenseurs du III° Reich, se trouvaient des soldats français, en nombre, qui se battirent jusqu'à la dernière heure et au-delà, à tel point que les historiens reconnurent leur surprenante pugnacité dans ce baroud d'honneur.
Le Reich était vaincu comme tous les empires qui veulent survivre par hégémonie, l'extension des conquêtes ne pouvant se rémunérer que par des territoires riches. Or l'Eldorado (mines, céréales, pétrole) que représentait l'Union soviétique n'avait pu être capturé. A l'inverse l'Italie, les Balkans, la Grèce ne lui apportaient rien de plus qu'une exposition en fenêtre du Sud et un étirement de ses lignes de front. L'affaire était entendue ...
Chiens de guerre ou fachistes convaincus, les Français du Reich répondirent à leur serment, et ont à leur manière expié leur mauvais choix dans une fidélité au contrat qui étonna jusqu'aux généraux allemands, enfermés comme eux dans la capitale ravagée. Ce sont ces gens de la 33° Waffen SS Grenadier Division Charlemagne dans la bataille de Berlin que nous évoquons cette année, pour la simple raison que le rédacteur, alors jeune sous-bite de l'infanterie, rencontra l'un d'eux pendant son service militaire en Allemagne, un qui parla. Mais ce billet n'est pas son récit dont nous n'avons conservé en mémoire que deux choses :
*son ironie quant à notre collaboration franco-allemande moderne ;
*sa certitude d'avoir choisi le « camp surhumain¹ » : l'Allemagne seule vainquit toute l'Europe continentale, il fallut plus de la moitié du Monde pour l'abattre.
(1) Dans Les Epées, Roger Nimier fait dire au milicien Sanders que «l'Allemagne en 1944, fut le grand lieu de rencontre des desperados de l'Europe. Toute l'ivresse d'une défaite éclatante et méritée s'est présentée devant nous... ».

La division Charlemagne fut levée en Allemagne pendant l'été 44 à partir d'unités éparses de la Collaboration comme la LVF du front de l'Est, les Franc-gardes de Darnand, la Sturmbrigade SS Frankreich, les volontaires français de la Kriegsmarine. Elle fut inscrite au tableau d'unités le 11 novembre 44 avec un effectif de 7260 hommes, alors que les Alliés parvenus aux Vosges attaquaient la Trouée de Saverne !


Fenet, dont le poste de commandement est installé dans l'Hôtel de Ville, est blessé au pied (comme en 40), ce qui l'oblige à commander son bataillon en chaise à porteurs (littéralement) ! Le reste du bataillon est dirigé sur la Hermannplatz, et l'adjudant Hennecourt avec sa section de commandement est laissé en arrière pour récupérer les attardés rescapés.


Si les groupes SS sont vite désorganisées par le combat de rue au milieu des ruines, sous les bombardements d'artillerie et le napalm, la camaraderie aura toujours le dessus et personne ne sera abandonné sauf mort.
Si on peut appeler ça une ligne, les Français tiennent leurs postes entre la Wilhemstrasse et la Friedrichstrasse, commandés par Fenet et par le lieutenant allemand Weber, surnommé Zyklon(!) par ses soldats. La nuit du 28 se passe à attendre l'assaut de l'infanterie russe. Celle-ci progresse à côté des chars qui ont pour mission de détruire au canon les immeubles afin d'ensevelir les tireurs embusqués sous les décombres. C'est aussi une guerre de caves.

Mais la poussée russe est irrésistible et leur infanterie – qui carbure à la vodka - coule autour des positions françaises comme de l'eau. Fenet évacue son PC et masque sa retraite par des incendies, pour se réorganiser au carrefour de la Puttkammerstrasse. En fait sur la carte, ils n'ont cédé que cinquante mètres ! Leur position est pilonnée au mortier de 120 et malgré un dernier assaut de chars inabouti, la nuit du 29 avril tombe sur leurs positions certes méconnaissables mais conservées.
Le bilan est sévère surtout parmi l'encadrement qui a toujours montré l'exemple : on compte de nombreux tués comme les aspirants Billot et Lemaignan, et de nombreux blessés graves comme les aspirants de Lacaze, Boulier, Frantz et les sous-lieutenants Berthaud et Labourdette.

Effectivement l'infanterie accompagnée de chars attaquent pendant la nuit du 30 et si la percée d'un T34 dans le dispositif du Sturmbataillon est stoppée, les positions françaises sont débordées au point que Fenet fait reculer tout le monde de 100 mètres en échelle de perroquet jusqu'à la Prinz-Albrechtstrasse où ils investissent les caves (il n'y a plus rien debout en surface). Le repli ne sera terminé qu'au soir c'est dire l'imbrication d'un combat intense.
En utilisant les soupiraux des immeubles (surtout celui du RSHA*), les derniers Français au nombre de trente - c'est tout ce qu'il reste des 360 hommes du bataillon chargé à Neustrelitz - retarderont la progression de l'infanterie russe mais Krukenberg devra abandonner la station Stadtmitte dans la nuit du 1er mai après avoir décoré le sergent Eugène Vaulot de la croix de fer de chevalier pour son huitième char russe.
Lors d'une tentative de percée pour sortir de la nasse vers le nord-ouest selon les ordres du commandant de place Weidling, le général Krugenberg sera capturé avec quelques hommes de la division Charlemagne, Vaulot sera tué en traversant la Spree.
Note (*): RSHA = Office Central De Sécurité Du Reich (Himmler)

A l'aube du 2 mai, le calme est revenu. Il se passe des choses étranges près du Ministère de l'Air à côté duquel le Sturmbataillon est retranché : on voit des drapeaux blancs sur des voitures qui passent et parfois des fraternisations distantes entre soldats allemands et russes ; ça sent la fin de l'histoire !
Un ogre vient d'en manger un autre. Il n'a plus faim !
Fenet, maintenant seul avec une vingtaine de rescapés, cherche à rejoindre le Ministère de l'Air qui est une position plus sure construite en béton armé. Ignore-t-il que Hitler est mort depuis deux jours et que le général Helmuth Weidling commandant la place a capitulé la veille. Le règlement de combat obscurcit-il son jugement ? La bataille semblant finie, il cherche plutôt une solution. En chemin, ils croisent un détachement soviétique qui les contrôlera sans les arrêter. Il décide alors de retourner au Ministère de la Justice prendre des ordres. Avec une vingtaine de Baltes de la 15°Waffen-SS qu'il trouve là abandonnés au milieu des ruines, il décide de percer avec eux vers Pankow. Par une bouche d'aération, ils descendent dans le métro qui s'avère infesté de Russes, jusqu'à la station Potsdamerplatz où il choisissent d'attendre cachés le cessez-le-feu qui ne devrait pas tarder, si tant est qu'il n'ait pas été déjà déclaré à leur insu. Ce qui est la vérité.
A ce moment toutes les défenses lourdes de la ville se sont rendues, les deux forteresses berlinoises ont capitulé après le suicide de Goebbels, de même que la citadelle imprenable de Spandau qui tint jusqu'au dernier moment comme un coin dans le bouclage russe, permettant à beaucoup de quitter l'enfer.
Découverts dans le métro par une patrouille russe, Fenet et ses hommes sont faits prisonniers et soignés. Quelques jours plus tard, Fenet sera "abandonné" par les Russes à la porte de l'hôpital où son pied avait été réparé, et il décidera de rejoindre la France dans un convoi du STO. Condamné à vingt ans de travaux forcés, sa peine est commuée en conditionnelle en 1949. Fin.

L'aspirant de la Coloniale, Henri Joseph Fenet, deux fois blessé devant Verdun en juin 1940 et croix de guerre, croix de fer de chevalier, sera libéré en 1949 et mourra de ses souvenirs dans son lit à Paris le 14 septembre 2002.
Quand on réfléchit cinq minutes, on ne peut qu'être étonné du chevillage des convictions de ces soldats qui firent leur métier jusqu'au bout de la fin du Reich, sans se poser (apparemment) aucune autre question que militaire. Par ricochet, on comprend mieux le refus d'obtempérer d'un Brasillach qui partageait des convictions semblables et chevillées pareillement à son âme, convictions qui lui permirent d'affronter le peloton d'exécution.
Sans en faire un éloge déplacé, ces gens font aussi partie de l'histoire de France. Ils viennent de toutes les couches sociales et de tous les bords politiques jusqu'à être l'échantillonnage assez fidèle d'une population, résumée à ses effectifs finalement ...courageux. Quelques restes feront bientôt l'Indo !
Repos ! Vous pouvez fumer.
Note (1): Les grades de la Waffen-SS sont différents dans leur appellation de ceux de la Werhmacht
- Grades SS inscrits dans l'article :
*capitaine = Hauptsturmfüher
*général de brigade = Oberführer
*adjudant = Oberscharführer
*lieutenant = Obersturmführer
*aspirant = Standartenoberjunker
Note (2): Pierre Rostaing écrira "Le prix du serment" aux Editions du Paillon.
Note (3): Les divisions de volontaires (freiwilling) et « volontaires désignés » étrangers des Waffen-SS autres que la Nordland et la Charlemagne sont les suivantes :
- Estoniens : 20°SS
- Lettons : 15° et 19°SS
- Galiciens : 14°SS
- Hollandais : 23°SS Nederland et 34° SS Landstorm Nederland
- Croates : 13°SS Handschar et 23°SS Kama
- Ukrainiens : 14°SS
- Albanais : 21°SS Skanderbeg
- Hongrois : 25°SS et 26°SS Hunyadi
- Flamands : 27°SS Langemarck
- Wallons : 28°SS Wallonien
- Russes : 29°SS et 30°SS
- Cosaques : 15°SS Kosaken-Kavallerie-Korps
- Italiens : 29°SS
- Biélorusses : 30°SS
PPS : billet légèrement remanié le 8 mai 2019.