mercredi 9 décembre 2009

ASC n°10

ASC 10L'Action Sociale Corporative vient de mettre en ligne son 10° numéro. C'est du très bon, as usual. Vous pouvez le lire et le télécharger en cliquant ici ou sur l’image, 24 pages au format A4. Un article m'a plus intéressé encore que les autres, c'est celui de René Cantoni, "Binôme capital - travail". Il ouvre son sujet par une citation de l'économiste Charles Rist, qui contient presque tout : « Plus son capital – le capital d’une nation donnée – est puissant, plus elle peut entretenir d’ouvriers productifs, fabriquer d’instruments et de machines qui accroîtront la productivité des ouvriers, développer chez elle la division du travail. Accroître son capital c’est donc étendre son industrie et son bien-être.»
« L’industrie de la nation ne peut augmenter qu’a proportion de l’augmentation de son capital.»
« Son capital ne peut augmenter qu’en proportion de ce qu’elle économise graduellement sur son revenu.»
René Cantoni va placer entre les deux acteurs économiques, capital et travail, le coin du "Métier" pour développer le trinôme "capital-métier-travail", ce qui est assez finement jugé. Nous n'allons pas réécrire ce bel article, surtout si nous ne sommes pas d'accord sur un point essentiel, l’absence de hiérarchisation.

Même si le but moral de toute économie est de pourvoir aux besoins de l'espèce humaine et d'améliorer ses conditions d'existence, individuellement éphémères, rien ne se construit sans capital, c-à-d. sans épargne constituée préalablement et mobilisable à l'envi. Dans l'Antiquité le capital dont disposait l'entrepreneur libre de décision était la terre et la force de travail assignée à sa mise en production, force que l'on exploitait sans vergogne, et lorsque la tâche était trop dure pour ses propres sujets, dans des dispositions d'asservissement des vaincus à la guerre. Le schéma persiste de nos jours dans des pays exotiques comme le Soudan. Son épargne capitalisable était la monnaie métallique obtenue des mises en marché, son stock de semences sélectionnées et son cheptel vif et d’esclaves. On y vit néanmoins de grandes fabriques impériales (comme la Gaufresenque de Millau) travaillant à l'exportation et soumises aux contraintes capitalistiques basiques, programmes d'acquisition des matières premières, gestion des salaires des ateliers, gestion des stocks d’amphores et vaisseaux de toutes mesures, surcoût logistique. Le Moyen-Âge, enchevêtré d'obstacles et régulièrement dévasté par le pillage, fut une période de recherche locale de l'autosuffisance, mais déjà on négociait les surplus et les talents. A la fin de cette époque, Jacques Coeur (1400-1456) fut la figure emblématique de ce capitalisme médiéval qui rivalisait déjà avec les Trésors souverains, et qui "possédait" avec d’autres la Méditerranée.

warren buffetArrivent vite les banquiers lombards de la Renaissance qui dématérialisent les règlements des échanges économiques et créent les réseaux bancaires. Le marchand ne charrie plus sa fortune comme un paysan revenant du marché du bourg, il transporte dorénavant des accréditifs honorables par les guichets du réseau où il a ouvert son compte à vue approvisionné de monnaie et valeurs négociables, et honorés aussi par les réseaux concurrents qui reconnaissent la signature. Après c'est une question de poule et d'oeuf. L'essor du commerce continental a-t-il exigé la lettre de crédit ou celle-ci a-t-elle favorisé l'expansion du commerce ? Quoiqu'il en soit on ne voit pas la production dans le schmilblick, et dès ce moment, c'est le Fric qui commande. Les banquiers deviennent les interlocuteurs obligés des Etats en formation. L'aristocratie agricole, non ! Jacques Coeur financera Charles VII qui effacera ses dettes en le "nationalisant". Mais on n'aurait pas pu en faire autant des Fugger de Francfort qui étaient derrière Charles-Quint, ou des Médicis de Florence, fermiers et banquiers du Saint-Siège, les uns et les autres étaient déjà des multinationales impossibles à capturer tout entières. François Premier sera racheté par deux banquiers juifs à Charles Quint. Un article sur la banque d'Amsterdam est disponible sur la wikipedia, qui illustre bien le contexte et montre la vulnérabilité relative d'un réseau national attelé à l'Etat.

Stavros Niarchos en couve de TimeCe capitalisme
, activé par les corporations marchandes, s’appliqua d’abord à l’armement de navires de commerce et au négoce des cargaisons. Même s’il y eut relativement peu d’investissements « industriels », c’est depuis cette époque que le capitalisme prime en économie. Les grandes aventures commerciales comme les compagnies des indes, les plantations coloniales, les canaux de jonction des mers, sont toutes d'essence capitalistique et motivée par le « retour sur investissement ». Seule pour l'instant, la conquête spatiale s'en prémunit car c'est un domaine de souveraineté, mais déjà une exploitation de ses retombées se fait jour, après que des capitalistes ait été convaincus de fabriquer leur propre navette spatiale (Richard Branson a lancé son petit vaisseau orbital Virgin Galatic hier).

Le métier quant à lui, est un facteur essentiel de recherche, d'inovation et développement mais demeure stérile sans capital. C'est bien ce dont tous nos chercheurs se plaignent. Pas de moyens librement consentis, mais des crédits ministériels soumis à des aléas complètement étrangers à l'économie de la recherche. Si le métier a son talent propre, son moteur est assujetti au carburant financier. Le XX° siècle a vu la prolifération d'ateliers automobile en France produisant des marques à double nom : les De Dion Bouton, Chenard Walker, Cottin Desgouttes, Panhard Levassor, Donnet Zedel..., Rolls Royce, étaient l'association d'un ingénieur et d'un financier. Mais même sans cette évidence, beaucoup de ce que nous avons développé associait l'ingénieur et le financier. Bien sûr il y eut de prestigieuses réussites d'ingénieurs associés entre eux, comme la compagnie Fives Lille Cail, le banquier étant remplacé par les crédits publics d'équipement.

Bernard Thibault de la CGTTroisième thème du débat, le travail. S'il dispense les moyens d'existence à ceux qu'il enrôle, il est le paramètre ancillaire, et cette position n'a pas beaucoup évolué depuis les origines bourgeoises de l'industrialisation où l'on considérait assez normal que les familles ouvrières tirent la langue tout au long de l'année. Le travail est dénoncé aujourd'hui comme une variable d'ajustement des bilans par le phénomène exécrable des licenciements boursiers, et d'aucuns plus pessimistes anticipent une société post-moderne, sans travail. C'est l'Horreur Economique de Viviane Forrester, prix Médicis 1996. Certains jours on s'y croirait déjà.

Qu'apporte le corporatisme sur cette épure économique ? Une organisation souple des relations de production par branches et - du moins le souhaite-t-on - dans la nécessaire anarchie libertarienne, sans laquelle l'économie est caporalisée et châtrée, à l'avantage des médiocres, les plus nombreux, les plus revendicatifs. Un exemple paradoxal de corporatisme souple est la CGT, Confédération Générale du Travail qui tient son congrès ces jours-ci. Elle allie la liberté décisionnelle qui laisse aux syndicats affiliés le pouvoir de signer localement, et le principe de subsidiarité qui remonte en tête tout ce qui ne peut être réussi localement, comme les accords de branches, les négociations patronales nationales, le lobbying législatif. Bernard Thibault est un impulseur, un animateur, une porte d'accès, pas même une autorité de coordination. Etonnant, non ?

René Cantoni propose quatre titres de corporations qu'il détaillera sans doute un jour : la corporation ouverte, la corporation socialisante, la corporation équilibrée et la corporation traditionnelle. Je ne sais s'il est si utile de glaner dans le passé les briques nécessaires à la construction d'un corporatisme moderne, car la « corporation » existe sous nos yeux dans les branches d’activité fédérant horizontalement et verticalement les salariés d’un côté et les patrons (qui ne le sont pas moins) de l’autre, et dont l’existence juridique est fondée sur les conventions collectives. Mais ce dont je suis sûr est que le libéralisme, parfois combattu, parfois dénigré, reste incontournable pour l'innovation et le développement de produits neufs. A preuve, les pays innovants sont libres de tempérament et nourris par le système capitaliste bien qu'imparfait. La corporation peut être aussi sclérosante, c’est son plus grand défi.

Reste à déterminer par quelle voie la France pourrait être recapitalisée dans l'espace stratégique où elle peut agir. La démarche implique une correction sévère du calibre de puissance afin que les générations montantes ne s'épuisent pas à suivre un modèle hors de taille et de ressources. L'objectif est d'être les plus forts possibles, avant de se croire les plus intelligents, ce qui ne nous rapporte rien. Un peu de cynisme frédéricien dans notre angélisme universel ne nuirait pas.


Virgin Galatic
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1 commentaire:

  1. Peut-être serait-il extrêmement enrichissant pour notre école de pensée d'intégrer tout ce qui peut l'être dans les théories de notre prix Nobel d'Economie Maurice Allais ?

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