samedi 19 décembre 2009

La pétition cévenole de 1788

St Jean du gardSi les royalistes se disputent peu sur l'état idyllique de la société française d'Ancien Régime, il convient pour en saisir la réalité de sauter par dessus les romans historiques pour capter les défauts à la source. C'est en juillet 1788 que Louis XVI, sentant avec bien du retard que le royaume craque de toutes parts et que la banqueroute attendu pour le mois d'août ne relancera pas la machine, décide de préparer la convocation des Ordres. C'est l'administration judiciaire qui est compétente pour cette préparation ; c'est l'administration judiciaire qui est la doléance majeure des Cahiers ! Il est très intéressant de lire les Cahiers de doléances qui sont autant d'instantanés de la société au moment, même si des "modèles" subvenant au défaut d'inspiration furent diffusés en province, à compte du duc d'Orléans dit-on. De nombreux ouvrages y sont consacrés auxquels nous renvoyons notre distingué lectorat. On les trouve dans le fonds impérial de la Gallica.
Pour notre part, nous mettons en lumière la pétition préalable à la convocation des municipalités à l'assemblée diocésaine d'Alès qui rédigera donc le Cahier cévenol. Cette pétition, distribuée par la ville de St Jean du Gard, déjà "parle" beaucoup.

L'an 1788 et le 14è novembre dans l'Hôtel de Ville de Sumène, le conseil ordinaire de la communauté et les principaux habitants d'icelle propriétaires et cultivateurs assemblés et soussignés ;
Par le 1er consul maire a été dit qu'il a reçu copie d'une délibération prise par la communauté de Saint Jean de Gardonenque le 11 courant et dont la teneur suit :
Les citoyens des différents ordres des hautes et basses Cévennes ont considéré que Sa Majesté ayant demandé à tous ses sujets de lui communiquer leurs vues sur la meilleure manière de composer les Etats Généraux ont cru devoir porter aux pieds du trône l'expression de leurs voeux.
Si par une suite d'erreurs perpétrices d'âge en âge il y avait dans un empire diverses classes de citoyens dont les droits et les intérêts soient différents et souvent opposés, une multitude d'abus par suite desquels les moeurs civiles et domestiques même soient altérées, au point que l'oisiveté soit récompensée et l'homme inutile honoré, un tel empire doit périr. La force principale de la nation est dans le Tiers Etat.
En conséquence les citoyens des différents ordres en offrant à sa Majesté et à la Nation le sacrifice de leurs biens et de leurs vies, supplient très humblement Sa Majesté d'ordonner :
- Que tous les contribuables soient appelés à élire des députés aux Etats Généraux librement et à la pluralité des suffrages,
- Que tout représentant du Tiers Etat en soit membre,
- Que tout contribuable soit éligible,
- Que le nombre des députés du Tiers Etat soit au moins égal à celui des des députés des autres ordres réunis,
- Que les fermiers et gens à gages de la noblesse et du Clergé ne soient ni éligibles ni électeurs,
- Qu'en recueillant les suffrages dans les Etats Généraux on les compte non par ordre mais par tête,
- Que les sujets soient instruits pour pouvoir donner à leurs députés des pouvoirs convenables et suffisants.

L'Assemblée reconnaît la justesse de ce qui précède, et attendu que l'allivrement de Sumène est le plus considérable après celui d'Alais capitale des Cévennes, que sa population est d'environ 3000 âmes dont 519 payent la capitation, adhère à cette délibération et prie M. Vaquier 1er consul maire d'en envoyer des extraits où besoin sera. Et se sont signés...
Le marquis de Sumène, Vaquier 1er consul maire, Jean Laget l'aîné 2è consul, etc...
et 256 autres (on a les noms, comme dit Coluche).
On notera pour la petite histoire que les futurs "terroristes" de Sumène, curé en tête, ne signeront pas cette pétition.

Etats à Versailles
Des mots annoncent la confrontation tragique du peuple et des pouvoirs : citoyen, nation, abus, altération des moeurs, périr, tiers-état force principale... Dans ce texte est inscrit tout le désordre des Etats Généraux de 1789, la rebellion du Tiers. Le roi aurait été bien inspiré de lire lui-même ces pétitions au lieu de pousser la lîme et s'en remettre à ses ministres. Il aurait alors présidé les Etats de Versailles en sachant qui le défiait vraiment, et se serait abstenu de feindre de dormir en séance ! Dans les faits, la Révolution était lancée à tombeau ouvert dès 1788. Rien ne l'arrêterait, pas même le respect sincère que les gens du commun portait au roi, seul personnage vertueux de la Cour. Pour leur bonheur, il eut mieux valu la précéder, comme Louis XV en avait eu la prescience, que la subir.

Au mois de janvier 1789, une assemblée préparatoire des trois ordres fut convoquée à Alès sous la présidence du marquis de La Fare, illustrissime maison languedocienne issue de Saint André de Valborgne. Les députés de Sumène ne purent rejoindre à cause des rigueurs de l'hiver et peut-être aussi du manque d'empressement. Le 12 mars 1789, la communauté suménoise fut assignée par huissier et sommée d'envoyer quatre électeurs à la Sénéchaussée de Nîmes pour nommer les huit députés du Tiers et finaliser le Cahier de Doléances. Ce cahier (accessible sur la Gallica, ici) dévoile les nombreux abus du régime en vigueur et tend à l'égalité civile, payée sans qu'on s'en aperçoive par une aliénation de la liberté individuelle. Pourquoi enlever aux Seigneurs les droits de police et de banalité pour les remettre aux mains des communes qui ordonneront le maximum, forceront l'emprunt et organiseront les visites domiciliaires de vérification du "bon esprit" de chacun ? En découlera la centralisation absolue et le despotisme de l'Etat devenu omnipotent. On n'en est toujours pas sorti, mais ces conséquences n'étaient pas prévisibles par les électeurs de Nîmes. L'auraient-ils senti qu'ils n'en auraient pas dévié parce que s'ouvrait enfin devant eux l'opportunité de "gouverner", depuis les petits emplois de proximité qu'ils avaient captés jusqu'aux échelons supérieurs. D'ailleurs comme le fit remarquer Isidore Boiffils de Massanne en son temps, la Déclaration des Droits de l'Homme en préambule de la Constitution de 1791 n'avait qu'un seul article utile à la bourgeoisie, l'article VI :
« La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » Il s'étonnait alors qu'aucun gentilhomme sensé, un agriculteur bourgeois, voire un négociant n'ait proposé la rédaction suivante :
« Les dignités, places et emplois publics ont été jusqu'ici la plaie de la France ; leur nombre et leurs avantages doivent être réduits au strict nécessaire tellement qu'ils ne puissent tenter la capacité de personne ; ce sera un travail occupant le moins possible de citoyens avec une rétribution juste mais modique. »
J'applaudis. Isidore avec nous !

Sumène
Au mois d'août 1789, commença la série de terreurs paniques et superstitieuses, souvent sans motif qui accompagnèrent cette période de troubles. On forma à Sumène une milice de sécurité, la Garde Bourgeoise, renommée ensuite "Nationale" pour accuellir chez nous tout le diable et son train !


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6 commentaires:

  1. De temps en temps c'est bien de remettre les pendules à l'heure.

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  2. Venant de découvrir cet Isidore, je me proclame son disciple.

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  3. Article intéressant qui donne un goût de vécu à l'histoire.
    Mais vous évacuez la revanche des huguenots cévennols qui est un des motifs de la Révolution en Languedoc.
    La mort du roi régla le compte de la Saint-Barthélémy.

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  4. Un travail intéressant, qui gagnerait à être mis en parallèle avec un auteur proche de l'AF, Augustin Cochin.
    Son extraordinaire acuité, notamment sur cette phase de préparation directe à la Révolution, a été enfin reconnue par l'Université, en la personne de François Furet (Penser la Révolution française). Ses travaux mettent en évidence le mécanisme des sociétés de pensée, dans sa première application politique en Bretagne et en Bourgogne.

    A lire aussi l'excellent manuel, accessible à tous: Histoire des institutions de l'époque franque à la Révolution. Le point de vue de l'histoire du droit éclaire singulièrement la genèse de la Révolution.

    Sur les cahiers de doléances, et la réalité de leur contenu, je citerais Gaxotte:

    "Dans l'ensemble, les élections donnèrent bien ce qu'en attendaient les clubs philosophiques. (...) Les Cahiers de campagnes ne sont presque jamais des Cahiers de paysans... presque partout ils ont été proposés, rédigés ou copiés par des hommes de loi... Ils reproduisent les modèles non seulement dans leur esprit, mais dans leur style - qui les trahit. Parfois le tabellion lettré qui a tenu la plume les a embellis de citations latines, de vers anglais, de passages de Fénelon, de Montesquieu, de Le Trosne, d'invocation à la Nature ou de remerciements à l'Etre suprême..."

    Il manque quand même un critique en rapport avec ce qu'EST l'ordre normal de la société, des rapports à l'autorité, de la légitimité des aspirations des uns et des autres... Mais c'est quand même très intéressant!

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  5. On sait d'ailleurs que depuis la Régence la maison de La Fare était cliente de la maison d'Orléans.
    Ce n'est pas innocent que ce soit un Mgr de La Fare qui ait prononcé le sermon de la messe d'ouverture des Etats à Versailles.

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  6. Effectivement rien n'est innocent !
    Merci pour cette page d'histoire qui, avec les commentaires qui ont été faits, n'est pas sans évoquer l'idée du comte de Chambord, selon laquelle il était prêt à reprendre le grand mouvement de 1789, mais en le corrigeant, autant que faire se peut, à partir du moment stratégique où tout a basculé vers la catastrophe ...

    Et comme nous sommes à la veille d'une immense banqueroute - celle de 1788 était due , sauf erreur, à la guerre outre Atlantique ... - peut-être y a-t-il quelque chose à faire aujourd'hui ?

    Vous avez dit " pétition " ? Il semblerait qu'il y ait de la pétition dans l'air ...

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