vendredi 5 mars 2010

Le Piège de Goldsmith

Jacques marseilleJacques Marseille est mort hier. Formé à l'école marxiste, il avait exploré la caverne idéologique jusqu'au fond, et n'ayant trouvé que mensonges et manipulation, il en était ressorti intégralement libéral. Sa dernière flèche visait les plans de sauvetage bancaire des gouvernements socialistes de la planète, au motif qu'ils annulaient « l'alea moral » de la spéculation. La social-démocratie, qu'il avait en horreur, ne comprendra jamais que son interventionnisme à contretemps, toujours à contretemps puisque réagissant aux symptômes déclarés, ne réduit aucune fracture du corps social, draine le capital accumulé dans les bonnes périodes et sauve les malfaisants d'une faillite méritée, le tout sur fonds publics empruntés à l'étranger ! J'appris la nouvelle de sa mort, plongé dans Le Piège.

Par pur hasard, j'avais fait cette semaine du Piège de Goldsmith mon livre de cheval, entendez celui dans lequel je me force à oublier mon trajet quotidien dans l'inconfort des Transports Hubuchon, qui seront reconduits pour six ans par le veau francilien ! Je hais les cons et la plèbe ! J'adore les esprits clairs qui me changent du mien. Le bouquin a dix-sept ans et Jimmy Goldsmith est mort depuis belle lurette (1997). L'un et l'autre n'ont pas pris une ride, le second surtout !
Goldsmith, Marseille, même combat, ...tous les deux morts à 64 ans.
Libéralisme fatal ? tant pis !

Ce livre¹ se trouve en bouquinerie, mais aussi à la Fnac. Il nous parle du gros mensonge nucléaire, du cauchemar d'un pays sans usines et d'une agriculture malade des laboratoires. D'actualité donc ! Goldsmith était un libéral anti-maastrichien et anti-GATT (OMC) de l'école de Hayek, qui voulait que la libre pratique commerciale et industrielle soit périmétrée à un espace de développement homogène qui dans son esprit englobait toute l'Europe occidentale (ndlr: avec quelques "erreurs", mineure comme le Portugal ou majeure comme la Grèce). Il promouvait un marché commun des pays de l'Est adossé à un système d'échange bloc à bloc organisé pour hausser le niveau de vie des nation libérées, sans concurrence sauvage des ouvriers de part et d'autre.

Sir JimmyFarouche ennemi du Léviathan fédéral américain, véritable détournement du projet fondateur, et adversaire du copié-collé que préparaient les eurocrates, il brandissait l'intangibilité du principe de subsidiarité dans la CEE jusqu'à créer un Sénat européen qui ne veillerait qu'à ça. Sachant que « les législateurs légifèrent continuellement et que les bureaucrates, d'ailleurs publics ou privés, ont la particularité d'adopter comme objectif l'agrandissement et la perpétuation de leur bureaucratie », il préférait s'en prémunir au sommet, n'ayant pas confiance aux politiciens portés aux responsabilités par la démocratie d'images & communication. Un sénat libertarien en quelque sorte !
Personnellement j'échangerais bien ce sénat, "frein-électrique" de la Commission, contre notre digestoir gérontologique, ce qui viderait un beau palais pour mon roi et ses conseils.
Tout ce qu'il a prédit (avec bien d'autres) est arrivé. "Le piège se referme" est le titre d'un livre écrit par son frère Edouard en 2002 (Plon).
Trois exemples parmi d'autres : - la monnaie, - l'économie tertiaire, - la politique agricole commune.

1.- Le carcan de l'euro : Ne croyant pas à la vertu génétique des démocrates, il disait qu'une monnaie unique serait un carcan qui interdirait les ajustements monétaires comme sanction des insuffisances économiques locales. L'Allemagne (et toute sa zone deutschmark) a pensé a contrario qu'elle "forcerait" ses voisins (latins) à la gestion vertueuse de leurs finances publiques et leur transfèrerait en douce le surcoût de la reconstruction de la défunte RDA. L'Espagne, le Portugal et la Grèce subissent le carcan. La France et l'Italie vont suivre. L'Allemagne a étalé les milliards de DM de la reconstruction des länder orientaux sur tout le marché commun du serpent monétaire européen.
pièce allemande, porte Brandebourg
Personnellement et malgré le risque d'effondrement de la Grèce - qui me chaut peu -, je pense qu'il n'y a pas d'autres choix pour forcer les démagogues à meilleure gestion que l'épouvante de la banqueroute et la mise en tutelle du FMI conséquente qui dévastera la haute fonction publique. Quand des gens sérieux auront accédé aux manettes, nous pourrons rediscuter de l'autonomie financière des nations. Pour le moment, l'euro reste une sauvegarde, il n'y a pas sérieusement d'alternative.

2.- L'illusion de la croissance par les services qui faussent le PIB. Remplacer les activités de production de biens (industrie, agriculture) par des activités dépensières (santé, cadre de vie, tourisme), ou des activités financières (bancassurance) en acceptant la théorie ricardienne de spécialisation internationale et sa loi des avantages comparatifs, nourrit les statistiques économiques avant les élections, en masquant la paupérisation de la nation induite par les échanges internationaux.
Les écarts de niveaux de vie entre pays annulent ces lois de globalisation, car être forcé d'exporter biens et services à faible contenu de main d'oeuvre contre biens et services à fort contenu, revient, sans diminution de la population résidente, à importer massivement du chômage, et quand il devient structurel, de la pauvreté. Ce flux de pauvreté importée participe de l'entropie globale, les niveaux de vie nationaux à la fin de ce siècle devant être comparables à quelques nuances près pour l'équilibre global.
Lloyds de Londres
Si les délocalisations annoncées par le schéma ricardien semblent irrépressibles, il faut constater qu'elles détruisent tout notre tissu industriel de moyenne gamme, celui qui donne du travail, et ne sont remplacées par rien de durable. Et encore, Goldsmith n'a pu assister à l'émigration massive du tiers-monde non émergent vers nous, au moment où le pays marche à la banqueroute. Il serait mort deux fois.
Un grand pays doit produire lui-même la plupart de ses besoins, in situ ou ailleurs, en ajustant leur fourniture par le commerce international. Mais s'en remettre tout entier au marché, comme le fit l'Angleterre qui ne produit que du vent (parfois de l'ouragan) et des invisibles, présuppose la paix des bisounours. Heureusement pour elle qu'il lui reste le pétrole et Windsor. Ceci implique de laisser vivre chez nous les productions essentielles et donc, de les protéger en frontière. Reste à le faire intelligemment, voire à le faire tout court ! Sans en parler.

3.- PAC delenda est. L'intention initiale de produire intensivement sur place à prix garantis la nourriture dont l'Europe avait besoin, a ouvert un boulevard à l'amélioration de la productivité par la diffusion des résultats du génie génétique et de la chimie, succédant à la mécanisation à outrance. Au bout du compte ? désertification des campagnes et rupture du tissu social, dégradation en profondeur de l'environnement, animaux artificiels "malades de la peste", politique de compensations au bénéfice d'acteurs agricoles insatiables. Un grand désordre et une qualité générale de nourriture en baisse suivant la courbe des prix, sauf pour quelques happy few de la branchitude et les rescapés des communautés hippies des années soixante-dix.
le Causse
La pression écologique va heureusement renverser la logique productiviste en privilégiant les productions naturelles de proximité, pour amorcer une renaissance des campagnes. Il faudra matraquer dur le veau national pour qu'il cesse d'acheter de la merde. Peut-être ira-t-on, comme pour les cigarettes, jusqu'à imprimer sur certaines boîtes : "Peut nuire gravement à la santé ".
Les perdants, industries chimiques, labos de biotechnique et leurs innombrables experts indépendants, se défendront comme de beaux diables dans les vapeurs du chaudron de la nouvelle Inquisition, mais à terme nous aurons renoué avec le bon sens qui est de nos jours la denrée la plus rare. Il sera plus facile ensuite de promouvoir le Bien commun et sa garantie suprême.

Le troisième volet traité par le bouquin de Goldsmith est celui de l'électricité nucléaire. La question mérite son propre développement. Que choisir entre deux maux ? l'éternité de la radioactivité des éléments de centrales démantelées ou les foucades d'un bédouin de Cyrénaïque.

Tout ce que n'a pas prédit Jimmy Goldsmith mais que l'on déduisait logiquement de ses brillantes démonstrations, ...n'est pas arrivé. Il devait se méfier in pectore.

Selon la formule thatchérienne, l'aide au tiers-monde revenait à faire subventionner les riches des pays pauvres par les pauvres des pays riches. Elle avait tort. Sûr que les pauvres d'ici ont payé et paieront encore le tiers-monde pour une illusion de tranquillité, mais des pauvres d'ailleurs, beaucoup ne le sont déjà plus. Certes la loi Sevran de la bite des Noirs consomme beaucoup de fonds de développement, mais l'exemple de la Chine et des tigres asiatiques fait la facile démonstration de l'émergence d'une classe moyenne solvable au tarif OCDE, enterrant ce faisant les rapports² de la Banque Mondiale de 1992 qui les voyaient submergés par leur démographie en sous-estimant leur génie national.
Faire le riche, placer ses enfants, préserver ses vieux jours, devint le but de deux milliards de gens à l'esprit libéré des idéologies et canalisé dans la réussite personnelle. Le résultat est terrible pour nous et nos prospectivistes, mais magnifique pour eux. Ils pouffent à nos gémissements. On ne peut que souhaiter la même aventure à l'Afrique et à l'Amérique latine.
Chongqing
Mais n'oublions jamais que cette entropie générale subie par les "peuples développés" qui vont s'appauvrissant en termes relatifs, n'est que le prix à payer pour stabiliser une planète pleine à craquer, dès lors que les empires émergents disposent aujourd'hui du feu nucléaire ? Je défends cette thèse "communiste" réactualisée : plutôt pauvres qu'incinérés.

Autre prédiction qui ne cadre plus : Goldsmith fondait sur la France ses espoirs de redressement de la situation européenne, entre une Grande-Bretagne omnibulée par le dogme mondialiste qui la dévitalisait et une Allemagne confinée à la domination industrielle européenne mais protégeant la bonne santé de son marché naturel, dont son premier client et fournisseur, la France. La France d'alors lui paraissait en pleine mutation politique, abandonnant aux musées universitaires les vieilles lunes socialistes qui l'enchaînaient, et capable d'inventer une troisième voie qui ne soit pas la triste lubie gaulliste de la fusion des économies libérale et planifiée.

une mine de UK CoalOr la Grande Bretagne résiste bien. Elle reste encore le second compétiteur mondial en matière de finances et la Crise systémique n'a fait que redistribuer les cartes tirées d'un jeu neuf ; et puis, on l'oublie toujours, elle demeure un acteur pétrolier mondial incontournable, et même détient d'excellentes mines de charbon³ (fermées par le gouvernement Thatcher pour avoir la peau de la National Union of Mineworkers).
L'Allemagne est devenu un acteur industriel global bien plus mercantile que prévu, qui met sa politique étrangère en remorque de son économie, qui ne se soucie pas plus que ça de la santé de son pré carré, qui vend de la technologie sensible au tiers monde (TGV Pékin-Shanghaï), et peut même détruire certains fleurons industriels voisins si elle y trouve son avantage à court terme. Les soubresauts de la coopération germano-européenne parlent d'eux-mêmes. Daimler va lâcher EADS à qui veut payer.

Hélas pour l'espoir, la France, empêtrée pour longtemps dans ses trois déficits - en 17 ans ils ont explosé -, chargée d'une dette publique abyssale gagée sur rien d'autres que l'épargne populaire intérieure, sans rentes ni de situation, ni minière, sans idées ni projet, a décroché du peloton des décideurs mondiaux, même si le barouf élyséen cherche à masquer notre "inutilité". Les pays baltes et la Géorgie ne nous ont-ils pas "interdit" hier de vendre des bateaux de commandement à la Russie ? Ça en dit long.

Jimmy Goldsmith était également sympathique, hors-sujet. "Epouser sa maîtresse crée une vacance de poste", disait-il, mais plus sérieusement : la démocratie forcée à toute la planète associée à l'impérialisme culturel anglo-saxon est un viol des nations qu'elle déstabilise, avec des conséquences graves pour la paix stratégique. On y est en plein.
BelcastelUne nation saine doit être riche de villages, d'artisanats, d'une multitude de petites et moyennes entreprises couvrant un large spectre de métiers, ainsi bien sûr, que de grands groupes industriels ; mais le socialisme déteste la diversité et privilégie les grands ensembles dans lesquels il peut jouer sa partition en agitant le triangle de pouvoir "Etat-Patronat-Syndicats". Dling, dling, dling... Le socialisme internationaliste accouplé à la globalisation est le plus sûr chemin du déclin. On le savait, la preuve est maintenant là, au bout de soixante ans de gestion des deux partis de gauche dominants, dont l'un s'appelle "la droite" !

En conclusion, le Piège de Jimmy Goldsmith est un recueil de bon sens, écrit par un homme d'affaires crédible puisque milliardaire, qui aurait pu propulser le parti de Philippe de Villiers un peu plus loin que les 300 mosquées de Roissy. Mais la Providence en a jugé autrement ! En 1997, nous n'en avions pas assez bavé ! Peut-être nous ramassera-t-elle bientôt, dès lors que Le Piège s'est refermé ?

Note (1): Editions Fixot (Hachette) - isbn 2-87645-209-X
Note (2): Daly-Goodland (Département de l'environnement, Banque mondiale, 25.09.92)
Note (3): Pour les experts, le charbon est indispensable à tout bouquet ou scénario de transition énergétique à moyen et long terme. Les procédés modernes fournissant un combustible propre permettront de réactiver les mines anglaises (et galloises) d'anthracite.



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