dimanche 10 avril 2011

Changement de paradigme

Sur le forum Vive-Le-Roi, Pays-De-Caux qui commentait notre billet "Démondialisation", a parlé d'un changement de paradigme¹. C'était sans doute à la lecture du pararaphe ci-dessous :
« Il est des gens très diplômés qui refusent que la globalisation de la planète soit le vecteur d'une nécessaire entropie, à défaut de quoi le choc intercontinental sera encaissé sous forme d'une guerre mondiale. Plutôt que d'affronter les empires émergents par notre inventivité, notre créativité, notre intelligence, les économistes au petit pied qui jugent celle d'autrui à l'aune de la leur, préfèrent au foisonnement des libertés économiques seules créatrices de richesses pérennes, les schémas simples facilement compréhensibles et surtout explicables par l'histoire. Or l'entropie des conditions socio-économiques des pays du monde est un phénomène nouveau. Tout le monde y passe, c'est au tour de la nation arabe ces temps-ci d'avoir ce fol espoir. »

Il relève quatre désordres : Contestations en tout genre, émergence de nouveaux concepts, piétinements du droit international traditionnel, immigration inquiétante...

Contestations ? On a longtemps cru qu'à l'arrivée de la carte perforée IBM, les Etats déjà passablement invasifs au motif marxiste de la dictature dogmatique du Bien, allaient muter en véritable gardes-chiourmes, et une littérature d'enfer terrestre submergea les rayons de science-fiction des librairies. Dans l'AF2000 de jeudi dernier, Piolenc fait une critique poussée de deux romans qui se veulent prémonitoires, "Bienvenue à Gattac" et Les Monades urbaines". Je vous y renvoie.
Depuis l'affaissement de l'Anarchie de bombardement de la seconde moitié du XIX° siècle, le besoin d'émancipation n'a jamais été aussi fort et les Etats jamais aussi généralement contestés, à un point tel qu'ils font leurs les revendications individualistes les plus échevelées comme pour acheter la faveur de continuer à régner sinon à faire semblant, et d'en vivre bien sûr pour leur nomenklatura. L'effondrement moral du Sénat qui vient de voter "sa" loi de bioéthique et la procréation assistée pour les paires comme il en va traditionnellement pour les couples, est un signe de désarroi moral. Les sénateurs veulent-ils être dans le vent qu'ils ne servent plus à rien. Faisons de grandes économies en démobilisant le parlement gériatrique vers les hospices cantonaux.
On notera que la fièvre émancipatrice se propage ces temps-ci dans des Etats réglés au millimètre pour tout prévoir et punir. Le Rue arabe emporte tout au vent de la liberté, et la charia avec ! La Chine observe inquiète cette météo libertaire et coffre tous ses intellectuels douteux², au cas où.

C'est aussi grâce à l'émergence de nouveaux concepts que le désordre progresse. Je pense que la vie internétique fait à chacun la démonstration peut-être factice qu'il vaut son pareil dans son domaine de compétences ou d'intérêts sans aucune référence géographique. Or les Etats sont terriblement géographiques, les deux pieds dans le même sabot scellé sur place ! Par sa navigation sans limites ressenties, l'internaute éprouve une certaine supériorité jusqu'à contester dans des manifestations d'ampleur les empiètements des administrations nationales dans la sphère privée. Par chance pour les Etats, Internet est très peu developpé. Ce que l'on voit est du super-minitel avec une architecture rayonnante. Revoir la conférence de Benjamin Bayart en cliquant ici pour comprendre que si les pouvoirs laissent Internet prospérer dans son concept originel, ils sont cuits³. Sachant que le bon sauvage ne l'est jamais plus tard que midi au gnomon, comment s'organiseront les sociétés, dans leurs proximités, dans leurs dépendances lointaines, reste pour moi un mystère ; mais le changement de paradigme sera alors accompli !

Le droit international traditionnel protège la police et la justice des Etats chez eux avant même de régler les relations de pays à pays. C'est l'irréfragable souveraineté, dont se parent les détracteurs de l'ingérence, même s'il s'agit d'abattre des tyrans cruels. Cette liberté de "gérer" son peuple en vase clos est contestée par ce peuple même qui appelle à l'ingérence quand ses conditions d'existence deviennent intenables, absolument ou relativement à celles d'autres pays qu'ils connaissent en vrai ou en faux.

Ces vingt dernières années, le droit d'ingérence a prévalu chaque fois que la force extérieure surmontait les résistances nationales mais jamais quand une bombe atomique est poussée sous la table de conférence. On l'a invoqué contre la Serbie, l'Irak, maintenant contre le Warziristan, la Libye, mais il est exclu de s'en servir en Corée du Nord, a fortiori au Tibet, et bientôt l'Iran sera hors d'atteinte. Le droit international ? pour quoi faire ? pour en parler bien sûr !

Reste du commentaire de Pays-De-Caux, l'immigration inquiétante.
Le phénomène n'est pas vraiment nouveau, et à notre sens, ne participe pas du changement de paradigme. Les grands désordres ont toujours déclenché de grandes migrations humaines, mais animales aussi. Rappelons les déportations réciproques en Méditerranée orientale lors de l'effondrement de l'Empire ottoman, les substitutions de peuples en Union soviétique, la marche à l'ouest des Allemands à la fin de la guerre, sans oublier les migrations de la famine : déferlement des Chinois affamés du Guangxi au Tonkin, émigration des Irlandais et des Italiens aux Etats-Unis. Aujourd'hui nous observons une décompression de la démographie africaine surnuméraire vers l'Europe des vieux. C'est assez logique en arithmétique des vases communicants.

Changement de paradigme ? A part donc le quatrième "désordre", il est indéniable que la marche de la Planète répond de moins en moins aux critères d'analyse du passé, et cela met à mal la valeur de l'expérience. Le décalage est perceptible dans le discours du front souverainiste qui convoque à ses démonstrations des complexités figées, obsolètes, même si l'intention est louable. Les nouvelles complexités ne sont pas à la portée du premier venu et dépassent le simple bon sens qui fait lui-même souvent défaut dans les politiques publiques et les projets concurrents. Il est venu le temps de « l'imagination au pouvoir ».
La mondialisation dont on parle partout est moins simple qu'une question de frontières et d'écarts criants des coûts de production. On y reviendra dans un billet sur le défi démographique, mais déjà nous devons garder à l'esprit que cette mondialisation est avant tout une surpression qui rompt les digues nationales. Les énormes excédents de main d'oeuvre et de production ici courent vers les déficits, là. On ne la décide pas, on la subit, on l'affronte, on ne l'évite pas... même en Islande, le pays le plus paumé qui me vient à l'esprit !
En revanche, dans le comportement économique individuel, nous gagnerions des parts du marché "intelligence" si nous appliquions des choix naturels, écologiques, et résistions plus nettement au matraquage consumériste qui crée "nos" besoins ! Et pour couvrir nos intrants, il vaudrait mieux trouver quelque chose à vendre plutôt que de blinder les postes de douane.

Dans les affaires publiques, ce bon sens et un peu d'imagination redevenue la règle permettraient d'éviter les abîmes financiers où nous précipitent les gribouilles et les malins qui ont capté les leviers de commandes pour leur propre fortune. Il n'est pas besoin d'avoir fait Saint-Cyr ni Dauphine pour...
. Ne pas dépenser plus qu'on ne collecte ;
. Privilégier le domaine régalien dans le budget de l'Etat central car personne d'autre ne s'en chargera ;
. Ajuster les contributeurs, les contribuables et les pensionnés ;
. Compter au marc le franc la participation de chacun à la société et au partage qui s'ensuit ;
. Avancer partout au mérite ;
. Faire son droit au Futur en favorisant la liberté intellectuelle de R&D ;
. Maintenir les moeurs et les rites traditionnels majoritaires ;
. Diffuser en Afrique le cri du Larzac : Volem viure al país et prendre le taureau du développement par les cornes ;
Vous pouvez continuer vous-même la liste.




Note (1): Le paradigme est un cadre qui définit les problèmes et les méthodes légitimes, et qui permet ainsi une plus grande efficacité de la recherche : un langage commun favorise la diffusion des travaux et canalise les investigations [Thomas Samuel Kuhn (1922-1996) via Wiki]
Note (2): En plus de l'artiste emblématique Ai Weiwei, 200 avocats, juristes, artistes et intellectuels ont été retirés de la circulation en moins d'un mois pour avoir respiré l'odeur du jasmin, dont Liu Xianbin qui avait pris deux ans et demi pour Tian An Men 89 et en fit dix !
Ont été relevées les "disparitions forcées" de...
Chen Wei, maître peintre officiel
Cheng Li, artiste
Chen Wanyun, blogueur
Ding Mao, prosateur
Guo Gai, artiste
Guo Weidong, blogueur
Jiang Tianyong, avocat
Hua Chunhui, intellectuel blogueur
Huang Xiang, artiste
Lan Jingyuan, activiste CHRD
Lian Haiyi, prosateur
Li Shuangde, activiste CHRD
Liu Anjun, artiste
Liu Shihui, avocat
Mo Jiangang, activiste CHRD
Pu Fei, prosateur,
Ran Yunfei, prosateur,
Tan Jitian, avocat
Ten Biao, avocat,
Wei Qiang, blogueur
Wen Jie, blogueur
Xu Zhiyong, juriste
Zheng Changtian, professeur
Zhui Hun, artiste
etc... total : 200
Note (3): L'affaire Wikileaks dévoile déjà la difficulté de contrer un site en multi-hébergement sur serveurs automatiques, sans encore passer aux serveurs individuels connectés 24/7 depuis n'importe où dans le monde. Les panneaux solaires vont permettre ce type de métastases fatales pour les Etats sauf à contrôler chaque écran.

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