lundi 14 novembre 2011

Agences, je vous hais !

Barnier Michel, affecteusement désigné comme L'Endive de Savoie par notre Capo-di-tutti-capi impressionné par sa candeur, s'en prend à nouveau aux "agences" qui nous font des enfants dans le dos, et lui de récuser leur pouvoir en réclamant des organes tuteurs des marchés financiers l'interdiction faite aux gnomes de publier au moment inopportun ! Que ça !


Les origines des agences Fitch Ratings, Moody's et Standard&Poor's remontent avant la guerre de 14. Ce ne sont pas des perdreaux de l'année, et même si elles ne bénéficient pas des dispositions du dogme de l'infaillibilité pontificale - surtout dans l'évaluation des banques - elles rendent des services inestimables depuis le début, par la notation extérieure des entreprises humaines et des Etats. Elles furent créées aux sources du capitalisme à l'époque de la construction industrielle des Etats-Unis. Il fallait donner une information non-publicitaire aux souscripteurs d'actions des compagnies de grands travaux, mines et usines. Ont-elles noté la Compagnie Universelle du Canal Interocéanique de Panama de M. de Lesseps, je l'ignore, mais le scandale dans lequel le projet se liquéfia l'aurait bien justifié.

Contrairement à l'image de comploteurs qui circule dans la presse de gauche, les notations des agences ne sont pas le fruit d'un débat à quelques-uns autour d'une table basse chargée de bouteilles de rye et d'une coupe de poudre. Il y a une méthodologie qui déroule les étapes d'analyse dans deux domaines distincts, le quantitatif et le qualitatif. Je vous épargne la description de l'audit en vous signalant le document des critères de S&P ici. Et si la note jaillit de la réunion finale du comité de risque, elle résulte d'un long travail.
Deux choses à observer :
- les "jugements" d'étape sont publiés, mais les acteurs de marchés - grands fainéants - ne tiennent compte que de la notre synthétique finale ;
- la publication n'est préparée qu'après la réunion du comité ; ce qui veut bien dire que la dette souveraine française est déjà notée AA en interne chez S&P.

La meilleure façon de survivre au jugement des agences est de ne pas aller sur les marchés. Décider du déficit provoque un jour cette "humiliation", on n'y revient pas. La "solution" de la planche à billets franco-française prônée par le Front national, c'est-à-dire le recours du Trésor au guichet de la Banque de France ne masquerait pas longtemps l'impéritie de la gestion, puisque c'est la monnaie qui serait mal notée par les cambistes qui la braderaient. La loi Rothschild de 1973 (clic) interdisant ce recours n'avait pas pour but de jeter à jamais le Trésor sur des bons de place mais de stopper la planche pour redresser une monnaie dont les dévaluations avaient peine à compenser une inflation galopante (pic de 14% en 1974). Si ça tourne mal en Grèce avec un refus des marchés de refinancer, on verra bien ce que donnera l'impression de drachmes à hauteur des enjeux.

Peut-on aller sur les marchés sans les agences ? Peut-on interdire ces agences ? C'est idiot ! Les acteurs de marché s'abonneront aux avis publiés par les ruines submergées des agences coulées auxquelles auront poussé des branchies, car aucun n'a le temps ni les moyens de faire ses propres analyses, même si le monde est inondé de données compulsables. Et si par une action convergente des Etats, on parvenait à les tuer, les analystes se mettraient aussitôt à pulluler dans le monde, chacun s'attribuant un morceau de secteur économique ou financier et publiant individuellement sur Internet ses avis rémunérés (ou pas).
Pis encore, la pénurie d'information prédigérée renforcerait le moteur "panique et hystérie" aux corbeilles, les pronostics auto-réalisateurs aussi (le pronostic n'est pas bon, je joue contre cette valeur, le résultat est pire). Sans information économique travaillée, les bourses s'effondreraient carrément faute de socle à leurs anticipations.

A-t-on intérêt à créer une agence européenne ?
Pour faire quoi ? Se démarquer ? Soit elle est vraiment indépendante et sérieuse et ses avis ne divergeront des autres que dans le domaine qualitatif car les chiffres sont têtus, soit elle ne l'est pas et personne ne consultera ses notes. Mais quand bien même elle aurait tous les atours de la vertu, elle ne serait qu'une voix parmi quatre ou cinq.
C'est ce qui se passe avec Dagong (Dagong Global Credit Rating ou 大公国际资信评估有限公司). Bien que ses notations soient jugées crédibles par des acteurs de marché, ils ne les consultent jamais, même s'ils sont des investisseurs chinois. En cause, l'opacité des procédures et la non-publication des analyses, bien dans l'esprit chinois de secret. Les Stevie Wonder de la SEC (Securities & Exchange Commission) de New York, qui furent jadis impressionnés par Bernie Madoff, lui ont refusé l'accréditation. Trop proche du pouvoir politique chinois.
La finance ce n'est que de la confiance.
Et dit en passant, Fitch Ratings est dans les mains des Français de Fimalac (clac) sans que ça change grand chose, sauf peut-être un assouplissement imperceptible de certaines notes qualitatives. Rétrospectivement on n'imagine pas sans frémir ce qu'aurait été la crédibilité française dans les notations si l'ancien directeur général du FMI avait accédé aux manettes.

Il n'en demeure pas moins que l'avis des agences influence les corps électoraux en période de crise, même si dans l'isoloir le motif ultime est souvent irrationnel. C'est bien ce qui agace les gouvernements en faillite.

Pour aller plus loin :
S&P
Fitch
Moody's
Dagong

6 commentaires:

  1. Cher ami, je conçois que ces agences ne proviennent pas de la "génération spontanée", mais comment se fait-il qu'on en entende parler que maintenant ?
    Les dettes existaient bien avant cette année.
    Même si on peut se poser des questions sur le modèle démocratique, il est le modèle légale.
    Vous affirmez ici ou ailleurs que le roi ne pourra venir sans l'assentiment populaire. Pourtant là, on a l'impression que ces agences font et défont les gouvernements élus démocratiquement.
    N'est-ce pas le politique qui doit gouverner et non l'économie ?

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  2. Je vous remercie de votre question. Les agences existent depuis bien longtemps dans leur coeur de métier. Les grandes entreprises connaissent leurs notes depuis toujours lorsqu'elles cherchent à placer des obligations ou des actions en bourse, de même qu'elles sont informées du crédit international de leurs clients et des risques souverains des pays destinataires de leurs factures. En France la COFACE fait ce travail pour les exportateurs.
    Jusqu'ici les dettes souveraines des pays de l'OCDE étaient réputées sans risque, donc les classements n'étaient pas en vitrine de l'actualité. Mais la Grèce, l'Italie et le Portugal furent quand même déclassés en 2004 par S&P sans que les taux d'emprunt n'explosent, toujours parce que une dette souveraine est sûre. Mais quand des Trésors nationaux se sont mis à courir partout comme des canards sans tête à chercher de l'argent pour faire l'échéance, le tabou s'est brisé.
    Sur le régime démocratique il y aurait beaucoup à dire, et nous savons que c'est aussi le régime du mensonge à visée électorale. Les agences sont de sang froid. Elles ne jugent les pronostics que font les gouvernements que sur la base des réalités chiffrées et de la manière dont les choses ont été gérées antérieurement. Elles n'ont pas d'agenda politique mais font comprendre à leurs clients que le ministre machin est un fieffé menteur, rapport aux écarts constatés dans le passé. De même quand Bercy part sur 2% de croissance et que les agences après analyse partent sur une hypothèse de 1% voire moins, elles recalculent tout pour s'apercevoir que le gouvernement étudié se fout du monde.
    Une dernière chose : les dettes de paresse n'ont pas le même poids que les dettes d'investissement aux yeux des notateurs. Le Japon plombé d'une dette abyssale (210% du Pib) et d'une pespective de décroissance de 1% place ses OAT à 10 ans à des taux autour de 1,00%. La France bien mieux notée pour le moment achète l'argent à 10 ans à 3,45%. Les acteurs de marché sont échaudés par les rodomontades de MM. Sarkozy et Baroin. Si démocratie voulait dire vérité, nous n'en serions pas là. Mais aurait-on soumis au peuple par référendum le principe de la dette, pensez-vous qu'il aurait coupé de lui-même dans l'Etat-providence qui est à la racine du mal ? Langue au chat.

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  3. A la question finale, je répondrais que moins le politique gouverne l'économie, mieux elle se porte car elle est auto-cicatrisante.
    Par exemple, l'histoire des subprimes est typiquement le gouvernement de l'économie par la politique. Pire, les injections massives de liquidités dans l'économie américaine dévastée par le marché hypothécaire n'ont rien résolu. L'économie n'est pas dans les pouvoirs régaliens. Elle appartient à la Nation, pas à l'Etat :)

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  4. Tout d'abord, je tiens à vous remercier d'avoir été clair pour un néophyte comme moi. Malgré tout, j'ai bien du mal avec cette finance internationale. Autant je comprends qu'un patron de PME gagne de l'argent par son travail, autant j'ai du mal à comprendre les spéculateurs qui en clic gagnent des sommes phénoménales.
    Même si je suis partisan de réduire les dettes, je trouve injuste que cela se fasse toujours auprès des personnes modestes. Peut-être parce que je suis issu de cette classe sociale: paysannerie, commerçants, artisans etc... Sur qui repose les taxes en tout genre.
    De plus mon catholicisme social m'incite à m’intéresser aux "laissés pour compte" au détriment de cette finance anonyme et vagabonde pour paraphraser un auteur contre-révolutionnaire.
    Je suis partisan d'un Etat "dégraisser" au maximum, tout en ayant un regard particulier pour ceux dont la vie est difficile. Tout cela je ne le vois pas avec nos technocrates bruxellois et de walls street.

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  5. Je tiens à m'excuser auprès de vos lecteurs pour les quelques fautes qui se sont faufilées dans mon message. A la place de "dégraisser", il fallait lire "dégraissé". Voilà ce que c'est que d'écrire si vite.
    Veuillez me pardonner.

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  6. Les marchés sont le relais anonyme entre l'épargne et l'emploi des fonds. Et la spéculation est l'huile du moteur. Après avoir cherché une bonne définition je me suis rabattu sur la Wikipedia :
    L'existence de spéculateurs acceptant de prendre des risques permet à d'autres agents de couvrir leurs propres risques en faisant l'opération en sens inverse, transférant ainsi leur risque aux spéculateurs (opération de couverture de risque). La spéculation permet de gérer les risques ne suivant pas la loi des grands nombres qui eux peuvent être couvert par le mécanisme de l'assurance via un calcul de probabilité. La liquidité du marché est d'autant plus importante que les volumes traités et le nombre de transactions sont grands. En son absence, les activités de couverture réalisées par les hedgers (ceux qui veulent se prémunir contre un risque) seraient rendues plus difficiles et plus coûteuses. La spéculation est donc considérée comme indispensable par l'apport de liquidité qu'elle permet. L'économiste britannique Nicholas Kaldor résume la fonction du spéculateur à un « Producteur de liquidité ».
    Au final, si l'économie absorbe plus d'investissements, la valeur ajoutée produite est bonne pour tout le monde, pour toutes les classes sociales. Sans marché, les fonds souverains du Golfe par exemple ne viendraient pas mettre des sous dans des projets français, ce serait trop compliqué, trop politique. La Chine communiste a vu très vite dès sa conversion au capitalisme - ce fameux chat qui attrape les souris - que les bourses étaient incontournables pour lever beaucoupde capitaux afin de lancer des entreprises nouvelles en Chine. Bien qu'ils aient disposé déjà de la grosse bourse de Hong Kong ils n'ont pas hésité à lancer les bourses de Shanghai et Shenzhen, et ce n'était pas dans un esprit de casino même si le Chinois de base le voit comme ça.
    Les marchés ne commandent pas, ils anticipent et leurs acteurs font parfois des faillites retentissantes. Ce sont les gouvernants pleutres qui cachent leur impéritie derrière les marchés qu'ils dénoncent. Pour en revenir au sujet de ce billet, avant l'heure d'ouverture de chaque marché, ce sont les agences de notation qui allument pleins phares le futur pour que chacun se décide en connaissance de causes.
    Les politiques doivent être experts et au minimum sérieux dans le domaine régalien, et gérer intelligemment les filets sociaux. Nous savons qu'ils en sont loin, et qu'ils préfèrent jouer aux "patrons de société" en investissant le champ économique qu'ils estiment plus gratifiant ; mais les poissons d'eau douce meurent en mer.

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