mardi 17 janvier 2012

La minute nécessaire de mondialisation

 

Badische Aniline¹ se casse aux USA. La coopérative auvergnate Limagrain² est déjà partie. Heureusement que la Serasem³ aveyronaise perdure et signe. De quoi s'agit-il ? De la recherche biogénétique en semences et des départements R&D qui l'assurent. Nous avons tous entendu que recherche et inovation étaient les deux mamelles de l'Europe revenue aux avant-postes, alors pourquoi ce drainage de matière grise ? Parce que dans nos belles démocraties populaires de voirie, la rue fait la loi et soutient des groupes de pression idéologiques qui combattent le progrès scientifique à la lumière des chandelles. J'illustre d'ordinaire ce propos par la statue en bronze de Monsieur Bové plantée dans le hall d'accueil du Diable de Saint-Louis (Missouri) avec cet ex-voto gravé sur le socle :« La Monsanto à Joseph Bové reconnaissante ». Feu l'original restera, lui, empaillé dans le salon de Madame Joly.

Retour sur le futur
On a coutume de défendre la mondialisation en sequençant les valeurs ajoutées d'un produit. Le consommateur final d'un article rémunère beaucoup de monde. En remontant le temps, son achat paie une taxe, rémunère le distributeur qui a stocké l'article, le transporteur qui l'a livré, la chaîne logistique qui a pris l'article dans son usine de fabrication, l'a empoté en container, mis à bord, transporté, déchargé et mis sur chassis vers le diffuseur, l'unité de fabrication qui l'a monté, les fabricants des composants incorporés dans le produit, ceux qui l'ont testé en laboratoire ou en station d'essai et ceux qui l'ont conçu sur la planche à dessin. Pour un iPad, la fabrication vaut 7% du prix final hors-taxes.

Badische Anilin et ses confrères amputent "nos" revenus des deux derniers termes de l'échange et annulent notre participation aux découvertes de leur segment économique. Rien à voir cette fois avec les surcoûts de la social-démocratie à compte d'autrui, on fuit la connerie, point-barre. C'est une question de climat social et économique. Quand un (petit) industriel français va produire en ex-yougoslavie, son motif comptable en termes de coûts n'est pas déterminant s'il doit rapatrier ses boîtes d'articles sur des marchés solvables comme ceux d'Europe occidentale. Non. Son motif est le stress provoqué par l'environnement bureaucratique et social, et s'y ajoute depuis trois ans l'hostilité des banques à ses demandes d'accompagnement. Là-bas, le petit patron est "ignoré" des bureaux, partenaire de sa banque, apprécié des ouvriers puisqu'en un sens il s'est expatrié pour eux, et il risque surtout de redevenir heu-reux. Un autre exemple :
Le chêne de France part en Forêt Noire pour être débité au calibre et étuvé afin d'obtenir un bois-machine. Bottelé en fardeaux d'une demi-tonne, il monte à Hambourg pour être conteneurisé, prend un navire de la Hapag-Llyod (voire la danoise Maersk...) direction Ningbo (Zhejiang). Le conteneur débarqué, l'usine chinoise en extrait les fardeaux qu'elle va débiter sur machines numériques en divers composants de meubles modernes. Assemblés à la main et trois couches de vernis plus tard, les meubles emmitouflés dans du papier-bulles reprennent le camion vers le container-yard où ils seront empotés et chargés sur un navire pour Anvers. Arrivé à destination, le conteneur sera mis sur chassis routier direction la zone industrielle de Rungis ou la Haie-Coq d'Aubervilliers si vous préférez. L'article déballé sera choisi et emporté par un détaillant branché pour son show-room en ville.
Peut-on faire l'analyse comparative des coûts engendrés entre ce circuit (auquel j'ai participé) et la séquence Chêne de France transformé en bois-machine dans la région de production, débité en meubles sur machines servies, montés à la main et livrés partout en France à la demande par camions ?
Oui, mais pourquoi le deuxième circuit n'est-il pas choisi, à quelques rares exceptions près comme chez les cuisinistes ?
Il utilise des acteurs artisanaux de faible rendement, habitués à prendre des marges conséquentes pour couvrir avec peu d'activité (comparativement à l'Asie) des frais fixes en perpétuelle augmentation (la contribution foncière des entreprises est plus chère que l'ancienne taxe professionnelle de la suppression de laquelle se gargarise le ministre). Ce n'est donc pas le coût de l'ouvrier chinois (coût en forte hausse d'ailleurs depuis deux ans) qui détermine le choix du circuit économique - il n'est qu'un maillon - mais son rendement global, assuré par des acteurs très professionnels sur des chaînes de fabrication et logistique qui travaillent cinquante heures par semaine par quart pour les premières et 24/7 pour les secondes. Et le délai logistique est incorporé dans la noria une fois pour toutes.

Encore les Schleuhs !
Sur le premier circuit vous retrouvez la patte allemande. Le bois-machine français est étuvé à coeur dans de grandes usines et parfaitement calibré pour être pris sans blocage par le système de guidage des machines-outils. Cette première transformation de matière est une capture, le reste doit profiter le plus possible à l'économie allemande à commencer par une sortie du territoire douanier au nord et un chargement sous pavillon national. Il y a de grandes chances pour que les machines-outils numériques de Ningbo soient allemandes (sinon suédoises, autrichiennes, suisses) et l'agent maritime allemand fera là-bas l'offre placée pour reprendre les conteneurs remontant en Europe.
Aparté : nous signalons qu'un projet LIIIFT* fut mis à l'étude par les autorités françaises, belges et néerlandaises en 2005 pour que Rotterdam tire des trains-blocs privés depuis Lyon, donc à 260 kms de Fos. Fut-il question de prix ? non ! de savoir-faire. Pourquoi Marseille n'a pas organisé le drainage des chargeurs par trains-blocs le long de ses couloirs naturels de Saône et Rhône et jusqu'au Rhin par la trouée de Belfort ? Poser la question n'est pas politiquement correct.
*(Long Innovative Intermodal and Interoperable Trains)

Désastre du Plan soviétique
Nous pensons que les débats comptables sur les écarts de compétitivité globale au niveau de la macroéconomie européenne sont risibles, car il n'y a que des cas particuliers, et au niveau mondial, les paramètres sont évalués trop sommairement. Les facteurs de succès sont aussi nombreux que ceux de l'insuccès et ne peuvent pas tous être chiffrés. Mais la "sympathie" de l'environnement joue pour beaucoup dans l'établissement des circuits "recherche, fabrication, diffusion".
L'avenir est dans la recréation de pôles industriels organisés en filière comme nous en avons eus jadis. On ne peut faire vivre toute la France sur des Silicon Valleys. Deux souvenirs parmi une bonne cinquantaine qui, s'ils ne peuvent être ressuscités, peuvent donner des idées : la rue du Landy, véritable "artère mécanique" au nord de Paris, et la vallée du Gier, boulevard de l'outillage près de Saint-Etienne. Il y avait aussi la "ville automobile" La Garenne-Colombes-Courbevoie-Levallois, le "quai aviation" de Puteaux, bref... nous fûmes ! L'aménagement technocratique du territoire par la contrainte impérieuse du Commissariat gaulliste au Plan a saupoudré la campagne d'usines perdues pour briser la ceinture rouge de Paris, anéantissant l'un des coeurs battant de l'industrie française. Ses héritiers veulent refaire ce qui fut détruit par leurs pères, le département de la Seine de jadis appelé maintenant Grand Paris, et les pôles de compétitivité en rase campagne menés par des fonctionnaires éclairés, fils de ceux qui ont éparpillé tout le monde. Gribouille.

De tous les politiques qui s'empoignent sur la monnaie ou l'exportation, combien connaissent réellement le commerce extérieur pour l'avoir pratiqué ? Je crois qu'il n'y en a aucun (j'ai vérifié les CV). Une seule parade, passer un loi au Parlement décrétant l'obligation d'intelligence dans les affaires économiques et aux ministres celle d'atteindre le niveau requis pour entrer en sixième. Ainsi M. Lemaire de l'Agriculture, apprendra-t-il chez Acadomia qu'un hectare fait cent ares ou dix mille mètres-carrés. Génial !

Notes
(1) BASF déplace sa station OGM en Caroline du Nord suite aux premiers arrachages de parcelles OGM en Allemagne.
(2) Limagrain a délocalisé sa station de recherche OGM au Colorado en 2010 pour trouver du blé modifié et du blé hybride.
(3) La RAGT de Rodez a depuis longtemps pris ses marques aux Etats-Unis dans la recherche génétique semencière avec Dekalb Genetics (Illinois) du groupe Monsanto. Pour le moment elle maintient ses stations de recherche en Aveyron et en France.

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