Le Védrine est sorti mercredi dernier, qui fait le pendant pour la Défense de ce qu'est le Gallois pour l'industrie. Ces messieurs de l'Elysée sont désormais équipés. Ce rapport de l'ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, préalablement conseiller diplomatique de François Mitterrand, est centré sur l'Alliance atlantique et son commandement intégré. Rapport complet, synthétique des équilibres en jeu, intelligent, on s'en doutait. Il fait bien le distinguo entre les textes ratifiés et la nature des actions qui en découlent, ou pas. Il se termine ainsi :
La conclusion est puissante mais à dessein elle croise à 90 degrés les réalités sociales du temps qui sont ramassées en page 17 du rapport dans la formule heureuse suivante : « Les menaces que ressentent les opinions européennes (mondialisation débridée, hypertrophie de la sphère financière spéculative, concurrence économique inéquitable remettant en cause la compétitivité économique et le système social des Européens, terrorismes, bouleversements identitaires ou culturels, compte à rebours écologique, auto-affaiblissement des pouvoirs publics) ne relèvent pas visiblement de réponses militaires.»
M. Védrine qui précise à juste raison que la défense européenne est une idée française, aurait pu ajouter - mais a-t-il dit le contraire ? - presque une marotte, qu'aucun pays continental n'a partagée, de peur qu'elle n'affaiblisse l'article 5 du Traité de Washington de 1949 et distende les liens d'assurance-vie qu'il procure aux anciens pays de l'Est en premier lieu. On peut lire ce rapport en cliquant ici, 25 pages seulement d'une rédaction fluide très Quai d'Orsay.
Dans les partis d'extrême gauche et d'extrême droite, on dénonce la participation française à l'OTAN, slogan pavlovien impossible à brider qui ne résiste à aucune analyse honnête. A gauche c'est au motif antimilitariste de base, à droite au motif souverainiste (de base). Aucun des deux bords n'a jamais posé la question en termes d'efficacité : quelle est la structure militaire capable de défendre militairement un territoire continental de 550000 km² avec quelque chance de gagner la partie ? Poser la question est y répondre. Mais pour certains, nous n'avons pas assez perdu de guerres chez nous. Faisons-donc la prochaine encore sur notre territoire, la reconstruction consécutive nous apportera enfin la croissance !
Je me permettrais de diverger sur un seul point de l'analyse de M. Védrine, en ce qui concerne la disparition de la menace continentale. Page 7 est évoquée la coopération franco-russe à côté de celle mise en place par l'OTAN, puis page 10 est déniée toute menace soviétique. Soviétique certes, mais que cela veut dire ? On voit bien que le Kremlin est sur une stratégie russo-centrée, quasiment autiste. Le "monde" se limite à ses marches qu'il a décidé de couver jalousement et il interprète toute action étrangère, même s'il n'est pas visé, comme sous-tendue par une hostilité rampante à son endroit sinon des arrières-pensées camouflées. L'opinion des élites russes est à 99% méfiante, se croyant cernées, là, par le Capital anglo-saxon et ses agents d'influence les ONG, ici, par les prédateurs affamés tels que la Chine. Détourner l'opinion vers un danger externe est de toujours un levier de politique intérieure russe. A à 69% le peuple russe juge négative une mise de niveau des forces armées chinoises par rapport à la force économique de l'empire émergent. Balkans, Baltique, Arctique, Sibérie orientale, steppe mongole, Caucase, forment le catalogue des hostilités ressenties. Le seul intérêt qu'ils aient jamais vu dans une proximité stratégique française est, depuis De Gaulle, dans une alliance de revers.
Collaborer dès lors avec une puissance paranoïaque aussi recentrée sur elle-même n'augure rien de bon (et sur le plan industriel les déboires ont été coûteux). Qui garantirait qu'à l'avenir, les maîtres du moment au Kremlin n'interpréteront de travers une stratégie occidentale (ou française s'il en reste) et ne deviendront pas menaçants avec des arguments de force modernisés. Or leur capacité nucléaire est disproportionnée par rapport à leurs capacités économiques, et leurs forces conventionnelles en pleine rénovation. Désarmer face à l'Est est une bêtise. Il faut maintenir un niveau de réplique cohérent, adapté à la menace éventuelle, mais y mettre les formes pour ne pas provoquer un pays où nous comptons beaucoup d'amis. L'a priori romantique de M. Védrine et de quelques autres comme Bertrand Renouvin par exemple, est risqué. Vladimir Poutine, romantique ?
Le rapport met aussi l'accent sur le commandement français ACT (Allied Command Transformation). Avec un effectif de 130 militaires français à Norfolk, nous sommes au coeur de l'épure. L'OTAN nous doit déjà une rationalisation de nombreux commandements dispersés qui a permis de vraies économies ; à nous de mettre notre "patte" au dessin de l'Alliance future, en forçant le trait parfois pour bien rester dans le défi militaire et ne pas laisser dévier l'ouvrage vers une coordination conrainte des politiques étrangères nationales.
« La mutation de la politique étrangère, et de défense, américaine et l’évolution incertaine du monde multipolaire instable, rendent plus nécessaire, et moins impossible, un rôle accru des Européens pour leur propre défense en attendant qu’ils l’assument un jour, pour l’essentiel, par eux-mêmes, tout en restant alliés des Américains. Cette politique doit être menée de front, simultanément, au sein de l’Union européenne, de l’OTAN, de groupes ad hoc, selon des tactiques adaptées à chaque cas et à chaque enceinte et en anticipant les échéances. C’est une politique audacieuse et décomplexée d’influence accrue dans l’Alliance qui facilitera les efforts européens de la France. Le maintien d’un certain niveau de capacité est bien sûr indispensable à sa réussite.»
Statue d'HV au Quai d'Orsay en 2112 |
M. Védrine qui précise à juste raison que la défense européenne est une idée française, aurait pu ajouter - mais a-t-il dit le contraire ? - presque une marotte, qu'aucun pays continental n'a partagée, de peur qu'elle n'affaiblisse l'article 5 du Traité de Washington de 1949 et distende les liens d'assurance-vie qu'il procure aux anciens pays de l'Est en premier lieu. On peut lire ce rapport en cliquant ici, 25 pages seulement d'une rédaction fluide très Quai d'Orsay.
Dans les partis d'extrême gauche et d'extrême droite, on dénonce la participation française à l'OTAN, slogan pavlovien impossible à brider qui ne résiste à aucune analyse honnête. A gauche c'est au motif antimilitariste de base, à droite au motif souverainiste (de base). Aucun des deux bords n'a jamais posé la question en termes d'efficacité : quelle est la structure militaire capable de défendre militairement un territoire continental de 550000 km² avec quelque chance de gagner la partie ? Poser la question est y répondre. Mais pour certains, nous n'avons pas assez perdu de guerres chez nous. Faisons-donc la prochaine encore sur notre territoire, la reconstruction consécutive nous apportera enfin la croissance !
Je me permettrais de diverger sur un seul point de l'analyse de M. Védrine, en ce qui concerne la disparition de la menace continentale. Page 7 est évoquée la coopération franco-russe à côté de celle mise en place par l'OTAN, puis page 10 est déniée toute menace soviétique. Soviétique certes, mais que cela veut dire ? On voit bien que le Kremlin est sur une stratégie russo-centrée, quasiment autiste. Le "monde" se limite à ses marches qu'il a décidé de couver jalousement et il interprète toute action étrangère, même s'il n'est pas visé, comme sous-tendue par une hostilité rampante à son endroit sinon des arrières-pensées camouflées. L'opinion des élites russes est à 99% méfiante, se croyant cernées, là, par le Capital anglo-saxon et ses agents d'influence les ONG, ici, par les prédateurs affamés tels que la Chine. Détourner l'opinion vers un danger externe est de toujours un levier de politique intérieure russe. A à 69% le peuple russe juge négative une mise de niveau des forces armées chinoises par rapport à la force économique de l'empire émergent. Balkans, Baltique, Arctique, Sibérie orientale, steppe mongole, Caucase, forment le catalogue des hostilités ressenties. Le seul intérêt qu'ils aient jamais vu dans une proximité stratégique française est, depuis De Gaulle, dans une alliance de revers.
Collaborer dès lors avec une puissance paranoïaque aussi recentrée sur elle-même n'augure rien de bon (et sur le plan industriel les déboires ont été coûteux). Qui garantirait qu'à l'avenir, les maîtres du moment au Kremlin n'interpréteront de travers une stratégie occidentale (ou française s'il en reste) et ne deviendront pas menaçants avec des arguments de force modernisés. Or leur capacité nucléaire est disproportionnée par rapport à leurs capacités économiques, et leurs forces conventionnelles en pleine rénovation. Désarmer face à l'Est est une bêtise. Il faut maintenir un niveau de réplique cohérent, adapté à la menace éventuelle, mais y mettre les formes pour ne pas provoquer un pays où nous comptons beaucoup d'amis. L'a priori romantique de M. Védrine et de quelques autres comme Bertrand Renouvin par exemple, est risqué. Vladimir Poutine, romantique ?
T80 russes en manoeuvre - crédit Chistoprudov Dmitriy |
Le rapport met aussi l'accent sur le commandement français ACT (Allied Command Transformation). Avec un effectif de 130 militaires français à Norfolk, nous sommes au coeur de l'épure. L'OTAN nous doit déjà une rationalisation de nombreux commandements dispersés qui a permis de vraies économies ; à nous de mettre notre "patte" au dessin de l'Alliance future, en forçant le trait parfois pour bien rester dans le défi militaire et ne pas laisser dévier l'ouvrage vers une coordination conrainte des politiques étrangères nationales.
Extrême-gauche et extrême-droite se rejoignent souvent dans leur commune détestation des démocraties libérales, qu'incarnent à leurs yeux les USA. Ça ne date pas d'aujourd'hui. D'où cette admiration inconditionnelle, chez nombre de gens, à droite, pour le tchékiste Poutine, ex-assistant technique de la Stasi à Dresde, qui n'a jamais caché sa nostalgie de l'URSS. Il est vrai que son URSS est plutôt celle de Staline, avec son virage nationaliste et anti-occidental de la fin des années 1930. Voir les propos prêtés à Alexandre Nevski, dans le film d'Eisenstein de 1937 : "Pour les Tatars, on peut attendre... Il est un ennemi plus dangereux qu'eux, plus proche, plus hargneux, dont on ne s'affranchira pas par un tribut : l'Allemand" (en sachant que le mot russe немец, qui désigne l'Allemand, désigne aussi bien tous les Occidentaux). Deux ans plus tard, pacte germano-soviétique oblige, le film est interdit.
RépondreSupprimerMais cette vieille idée de l'alliance tatare, mise en oeuvre au XIIIe siècle par Nevski, survit chez les Eurasistes qui influencent, paraît-il, les cercles du pouvoir russe actuel et ont séduit entre autres notre Alain de Benoist. Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Douguine
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
SupprimerSur le fonds eurasiste, je ne sais pas si en dessous des élites phosphorantes quelqu'un croit encore à ces slogans "continentaux" qui vont de pair avec la théorie de l'encerclement. Les Russes du commun aspirent à une société juste normale, avec des logements, un travail correctement payé, des écoles pour les gosses, des magasins fournis et les moyens de circuler dans un pays immense. Rien de révolutionnaire, ils ont déjà donné. En Sibérie orientale la qualité d'accueil des gens et des édiles vis à vis des développeurs chinois est même surprenante. Cette dynamique est régulièrement cassée par le Kremlin qui craint que le pragmatisme ne le ringardise.
RépondreSupprimerEn Occident, la théorie (pour moi) fumeuse de l'eurasisme est relayée par les intellectuels marginalisés qui n'ont pas trouvé leur place dans le débat atlantique et/ou qui développent un réelle phobie de l'Amérique. Ils sont parfois vexés de n'être pas convoqués à donner leur opinion dans cette confrontation positive et cherchent à déplacer les enjeux de tous ordres à l'opposé, à l'Est.
La théorie de l'encerclement reste une théorie. Dans les faits, la Russie résiste aux empiètements des occidentaux et de l'OTAN, sauf sur ses frontières sibériennes orientale et méridionale qui ne pas sont accessibles à la conjuration du Pentagone et du Département d'Etat.
RépondreSupprimerSi ces efforts de déstabilisation occidentaux cessent, la théorie s'effondrera d'elle-même !
Renouvin (candidat NAR à la présidentielle de 1974) dénonce le rapport de Védrine sur son blog par pur anti-américanisme: OTAN: le rapport Védrine.
RépondreSupprimerIl ne donne pas de lien pour lire ce rapport officiel avant de lire ses commentaires qui sont sans doute plus importants à ses yeux. On le sent largué: OTAN, euro, occidentalisme (?).
Merci de l'info. Evidemment ça fait un peu bouillie pour le chat. Une bouillie idéologique qui a peu de logique, puisqu'il était demandé à HV un rapport de situation et pas un rapport d'intentions.
SupprimerQue le rapport ne plaise pas ne peut dissimuler qu'il est établi sur des faits. Sa seule faiblesse à mon sens est de voiler la menace russe. Ce que refusent les idiots utiles comme le précité.
Recension du rapport Védrine dans l'Action Française 2000 du 6/12/12, reprise sur le blogue de l'auteur :
RépondreSupprimerJournal d'un eurosceptique.
A noter un fil de commentaires instructifs sur ce rapport à la suite d'une analyse de Pierre de Meuse sur le blogue RN La Faute à Rousseau.