dimanche 14 juillet 2013

De la Révolution et de Monsieur France

Marcel Le Goff a recensé dans le bimestriel Le Lien légitimiste¹ des réflexions d'Anatole France de 1914 à 1924, sur la Révolution. Nous en remisons quelques traits saillants en soute pour servir de munitions plus tard. L'extrait ci-dessous provient du quatrième volet du cycle publié dans le numéro 51.

En guise de prologue :
— Il faut qu’un peuple soit bien riche pour s’offrir le luxe d’un gouvernement démocratique.
— La faillite de la France n’est pas à envisager pour le moment. Un pays si riche et si beau ne peut mourir que lentement.
— La République s’éteint, personne n’y croit plus que ceux qui en vivent. Il est vrai qu’ils sont nombreux, ça la prolongera.
— La Révolution française a déclaré la paix au monde. Depuis ce jour, la guerre n’a pas cessé.

Après ce qu’il venait de dire de notre régime, je l’interrogeai à nouveau sur la Révolution : fut-elle un évènement heureux et utile. Faut-il s’en réjouir ou le déplorer ?
— N’en doutez pas, il faut la maudire.
Elle a tout bouleversé, nous n’y avons rien gagné. Nous lui devons les nations armées, les casernes, les guerres innombrables. Les hommes y ont perdu des libertés essentielles, tangibles et profitables, pour une liberté toute théorique, celle de se prononcer sur des problèmes qu’ils ignorent. Je crois vraiment que l’existence était plus heureuse avant la Révolution. Les historiens ont démesurément grandi et magnifié un évènement en soi inutile et malfaisant.

Mais, lui dis-je, par votre livre Les Dieux ont soif, vous nous avez aidé à rectifier l’Histoire, car c’est bien l’ouvrage le plus réactionnaire et le plus sévère pour la Révolution qui ait été écrit depuis Joseph de Maistre.
— J’ai dit, dans Les Dieux ont soif, ce que je pensais. Je ne suis pas parti pour écrire, d’un cœur déterminé, une œuvre de glorification ou un pamphlet, j’ai dit ce que je trouvais vrai, ce qui était le résultat simple de mes études et de mes méditations. Vous voulez savoir le fonds de ma pensée : les révolutionnaires, les grands ancêtres, quand ils ne sont pas puérils, sont odieux. Leurs idées ? Quelle misère ! Leurs espoirs ? Quelle pitié ! Leur société ? Quel bagne ! Leur grandiloquence ? Quel mensonge ! Leurs promesses ? Quelle duperie !

De la Gironde et de la Montagne

La Gironde a déchaîné la guerre pour faire tomber le trône. Je déteste les Girondins, bourgeois gourmés, égoïstes et durs. Ils ont poursuivi le trône avec l’étroite rancune des petits bourgeois contre la Cour et l’aristocratie. Ils se vengeaient des dédains dont ils avaient été les victimes. Lorsque le trône par eux ébranlé fut sur le point de tomber, ils manquèrent de courage et essayèrent une volte-face, ajoutant ainsi à une mauvaise action, une lâcheté et une hypocrisie.
Les Montagnards ? C’étaient des gens tarés.
Danton est un vénal, Robespierre est un monstre, les autres des êtres suant la peur et que la peur rendait cruels.
Seul Marat me paraît faire exception, je le trouve sympathique et bon (!). Il préférait que la Révolution fit des journées, actes de violence passagers, que de se lancer dans la cruauté légale, systématique de Robespierre. Par là et, à côté de Robespierre, il était pitoyable. Ce ne sont pas toujours ceux qui réclament le plus de têtes qui en font le plus tomber. Je ne pardonne pas à la Révolution le tribunal révolutionnaire. Cela est épouvantable, on ne peut pas l’excuser. Si j’ai imaginé et dépeint Gamelin, juré du tribunal révolutionnaire, c’est que j’avais bien le sentiment que j’étais là au cœur même de la Révolution. Par ce côté, la Révolution est odieuse, là elle se montre sous son vrai jour de fausse grandeur, de faux héroïsme, de mensonge, de lâcheté, de peur et de cruauté. Je le répète, parce que je crois que c’est infiniment vrai, la Révolution est l’œuvre de gens tarés.

Si vos amis vous entendaient là, ils ne comprendraient pas.
— C’est vrai, mais ils n’ont pas compris Les Dieux ont soif. M’a-t-on assez fait de reproches d’avoir porté une main irrespectueuse sur l’arche sainte ! C’est ça qui m’est égal. J’aime mieux faire figure d’iconoclaste que de dupe.
Et puis, voyez-vous, la Révolution française, au fond, est une œuvre bourgeoise, capitaliste, elle n’a rien de social ni d’humain.
Derrière ses mots pompeux, il n’y a que des intérêts, derrière ses attitudes que des ambitions, derrière ses déclarations généreuses que des guerres et des conquêtes. Pour un socialiste², elle n’offre rien d’intéressant ni d’utile.
Elle a consolidé, affermi, propagé la propriété individuelle et par là multiplié toutes les iniquités qui en découlent. Elle a ouvert l’ère du capitalisme et de l’industrialisme.
Son individualisme a laissé l’homme face à face avec un État qui est devenu un monstre.
Démesurément accru, il est devenu tyrannique, impérieux, excessif. Il a décoré ses exigences du beau nom de patriotisme. Pour un citoyen, la vie était plus dure sous Napoléon que sous Louis XVI.

La Révolution portait en elle tous les maux dont nous souffrons, dont nous mourrons peut-être. Peut-être sa malfaisance nous réserve-t-elle encore des surprises ! Elle ne nous a donné aucun bien.
L’égalité devant la loi n’est qu’une duperie, puisque ne tenant pas compte des conditions naturelles, elle n’aboutit en fait qu’à l’iniquité. Elle a érigé la volonté nationale en règle absolue, mais elle n’a pas trouvé le moyen de la dégager des caprices individuels, ce qui au reste est impossible. Elle a ainsi ouvert le règne des malins et des habiles qui prétendent interpréter, représenter la volonté collective qu’ils n’ont captée qu’en la trompant ! Elle a ouvert la porte toute grande aux manieurs d’argent.
Sa démocratie n’est que le règne des ploutocrates. Avouez que ce n’est pas réjouissant.
On peut encore attendrir le cœur d’un roi.
Qui donc attendrira le cœur d’un riche ?
— Je ne suis pas républicain, il ne faut pas me prendre pour un idiot.
(fin de l'extrait)


Bientôt cent ans qu'elles n'en finissent plus de se dissoudre ces sociétés démocratiques qui ont vaincu le Hun, mais comme le dit ce cher Monsieur France «un pays si riche et si beau ne peut mourir que lentement». A suivre le Tour de France chaque après-midi à la télévision, on mesure combien ce pays est réellement beau, unique au monde, et ça serre le cœur de le savoir pillé, mis à l'encan par la Bêtise et la Médiocrité issues de cette triste Révolution!


(1) Le Lien Légitimiste
2 Le Petit-Prix
37240 La Chapelle Blanche Saint-Martin
(abonnement électronique à 10 euros pour 6 numéros)

(2) Socialiste au sens premier, celui qui privilégie les intérêts du peuple

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