lundi 13 avril 2015

Ballade en forêt


Observant ci et là les traces du châblis de la Noël 99 - quinze ans après, on les voyait encore par des clairières improbables - je poussais mon bleu de Gascogne dans les bois de Maisons-Laffitte du côté du pavillon de la Muette dont on a parlé dans la presse de mécontentement, quand un cairn tout ébouriffé croisa notre chemin. Je reconnus le chien avant le maître qui arrivait en pressant le pas. C'est une maîtresse. "Bonjour, j'ai lu tous vos livres", me dit-elle. Et moi, un peu confus de lui avouer que, si je squattais l'espace cybernétique plus que de raison - mais comment le savait-elle d'abord ? - je n'avais encore rien publié, pas même à compte d'auteur. En fait, j'ai bien écrit un roman de cinq cents pages que j'avais débité par épisodes sur Steppique Hebdo papier, mais au moment de le ramasser en un volume pour le présenter à l'édition, il m'avait paru "nul à chier" en me tombant des mains. On aurait dit du Claude Ferny.
"Mais vous écrivez bien dans l'Action française ?" reprit-elle. C'était donc ça. De temps en temps, quand vraiment ils n'ont pas trouvé mieux et dans d'autres journaux aussi sur des sujets que j'ignore, ce qui lui arracha un sourire, elle avait de très belles dents.

Le pavillon de la Muette derrière nous était un sujet tout trouvé sur la privatisation du patrimoine national en période de banqueroute nationale. Elle m'apprit que beaucoup de biens fonciers d'importance était toujours la propriété de familles en Angleterre et que la question ne se posait pas. Elle était - je le sus plus tard - irlandaise, orangiste, et pas rousse.
Mais la question en marchant ne tarda pas : "C'est quoi cette affaire Le Pen dont me parle ma bonne ?". Ah oui, vous employez une bonne nazie ? Elle rit franchement, si librement que je me fis violence à dire du mal de gens qui ne m'ont jamais rien fait. Et voici à peu près mon racontage :

Le vieux Le Pen a construit sa vie sur une carrière de "chef féodal" qui par essence recherche ses féaux et uniquement ceux-là. L'inclination naturelle de Le Pen à bien parler à la tribune le mena vers la constitution d'un parti politique réglementaire, bien aidé par un président de la République qui lui devait des voix. Cette construction attira des cadres formés qui prirent ce parti comme un instrument de conquête du pouvoir alors qu'il n'était qu'un outil de coagulation de râleurs et ronchons bougons¹, et d'abord, un pavois gaulois d'ostentation du menhir national. Quand il nomma sa fille pour lui succéder, la coterie régénérée qui se mit en place joua à fond la conquête du pouvoir, tout en s'agaçant de la posture avantageuse du vieux chef qui, lui, n'avait pas changé. Il n'a pas sa place dans ce logiciel politique et fait tout son possible pour dérailler le train. C'est un caprice de vieillard cacochyme, incapable d'assurer aucune fonction exécutive nulle part quoiqu'on ne l'y ait jamais vu - il est assez diminué en mobilité mais garde toute sa tête et le pouvoir de nuisance qu'elle contient. D'où le clash !

Soit il se couche et écrit ses mémoires à sa gloire, soit il appelle au schisme et le parti dérivé renouera avec les anciens scores de l'extrême droite dure, dans les deux pour cent, ce qui aurait le mérite de couper l'amarre nauséeuse d'un antisémitisme désuet auquel le Front national est encore lié. À mon avis, il se couchera, car le mafiatage en continu que réclame un parti politique est maintenant au-dessus de ses forces - il a 87 ans - mais le précurseur chimique de la haine peut encore détonner car il ne réclame pas d'effort.

Quant au parti actuel, rénové autour de sa fille, il va se fracasser sur le mur du programme économique qui n'est qu'une resucée de celui de la Révolution Nationale² du maréchal Pétain. Avec de bonnes et de mauvaises idées mais terriblement daté. Ce programme n'a pas été combattu sur ce terrain économique jusqu'ici mais à l'approche de l'élection présidentielle de 2017, les analyses défavorables vont pulluler et lui aliéner la classe moyenne qui serait tentée par le nettoyage de la porcherie républicaine, pour y mettre des cochons tout propres. Elle écoutait gravement, ce qui me surprit un peu.

Nous débattîmes de détails racistes, des couleurs européennes, des cafards asiatiques et des mahométans anxiogènes. Puis vint l'UKIP qui touche à ses limites dans la campagne électorale britannique en cours. Et franchissant le pont cavalier sur les voies du triage, nous fîmes tête vers la route derrière les chiens pour y boire un chocolat chaud. Elle prit un whisky entier sans eau ni glace. Ses yeux déjà brillants n'en pétillaient que plus. Je n'avais pas remarqué les émeraudes en boucles d'oreille. Je reviendrai à la Muette.


cairn terrier


Notes hors-conversation :
(1) Les Ronchons des Ecrits de Paris ?
(2) voir la Wikipedia sur la RN(clic)

5 commentaires:

  1. On apprend ce matin que le Menhir s'est couché du côté de son âge, ce qui n'est pas le meilleur choix pour le RMB. La rupture sulfurique n'intervient pas. Le déminage du futur est impossible.

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  2. Et quel intérêt d'ailleurs....? Le FN s'est rangé dans le camp du "l’état est bien-l’état est bon-l’état est le seul salut"! D'ailleurs c'est le seul camp qui existe dans ce pays....Le vrai problème est bien là.....On attend maintenant une grande gueule transgressive qui dénoncera le "tous pourris" du nouveau tri-partisme, les soirs d’élections! mais même plus drôle ...Un disque rayé de plus!

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  3. C'est la revanche de Bruno Mégret qui voulait donner au Front sa place au sein du Système et accepter les responsabilités exécutives. Ironie de l'histoire, c'est la fille du cacique réticent à gouverner qui reprend l'idée de gouverner.

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  4. ça finira comme les précurseurs du Front en Italie: Le MSI s'est intégré à la droite systémique berlusconienne quelques années après la mort d'Almirante..... Chez les Protestants on nomme ça la prédestination.....C'est inéluctable!!!!!

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  5. Tout le monde n'est pas Dominique Venner. L'extraversion endémique de l'ambition politique conduit à s'établir socialement. Il y faut réussir à la fin. Les doctrines les plus acérées s'émoussent par la notabilisation. Ce qui prouve bien que la classe médiatico-politique joue la diabolisation du Front, qui lui rapporte plus que le combat idéologique.

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