Dans un premier article [Le Pentagone du prince] nous nous sommes permis d'énoncer quelques spécialités utiles à la formation d'un prince accédant. Certains parmi nos lecteurs ayant demandé des éclaircissements, ces cinq spécialités sont aujourd'hui un peu plus développées ci-dessous :
* Finances internationales immergées, marchés denrées et matières
#1. Les finances immergées et les marchés denrées-matières sont des spécialités dont la compréhension n'est accessible que par les back-offices des banques ou par les salles de marché des maisons de trading. Leur influence est considérable sur les paramètres politiques, certains disent que l'essentiel du pouvoir y gît.
A s'en tenir aux finances immergées, signalons que les "finances au noir" brassent soixante-dix trillions (mille milliards) de dollars par an (fourchette de l'estimation de ses acteurs : 65-75). Les produits financiers dérivés capturent sept cents trillions de dollars, soit le PIB mondial puissance 10. Côté titres, la bourse en chambre noire de compensation absorbe environ un sixième des transactions (ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on compense avant bourse comme les pêcheurs font la "criée" en mer avant de débarquer le poisson). Ces transactions sont par définitions "préalables", elles induisent des effets sur les marchés de plein vent ! Ceux qui veulent creuser la question en français peuvent cliquer ici sur le shadow banking de Henri Lepage.
Les exécutifs des grands pays connaissent ces données sans toujours les comprendre à l'exception de Cameron, Xi Jinping et Obama. Un prince incapable de participer à ces mécanismes (même s'il n'en joue pas) est un prince d'opérette. Il semblerait que les lois de la génétique nous en aient préservé un.
Les marchés denrées et matières sont plus compliqués et bien plus dangereux puisque ce sont des marchés de leviers. Passer quelques semaines au London Metal Exchange ou à Chicago n'est pas perdre son temps.
Un exécutif "étanche" aux futures est à la merci d'explicateurs intéressés et ne verra venir ni la disette intentionnelle ni l'inondation dirigée. Vladimir Poutine s'en mord les doigts qui mesurait sa puissance à l'immensité d'un Etat-continent en oubliant qu'il n'est maître d'aucun prix des productions de l'empire ! Tout ce qu'extraient les Russes est "valorisé" à l'étranger. Au Congo, c'est pareil.
La plupart des dirigeants arabes cherchent encore où fut mise l'allumette des "printemps". Et pourtant la manipulation des cours des produits alimentaires n'est pas chose nouvelle, manipulation dont ils étaient chez eux coutumiers pour rétablir les équilibres sociaux.
* Droit international appliqué
#2. Sauf à passer par un cursus juridique classique de droit public, la connaissance des réalités pratiques du droit de force inter-nations est indispensable. Il est aujourd'hui des cours internationales qui brassent ces problèmes quotidiennement.
Depuis l'aube du monde les nations s'affrontent à bon droit. S'il n'y suffit, on convoque les puissances célestes ! Nous avions cru en être revenu alors que la moitié du bassin méditerranéen se gouverne désormais du Ciel ! Il n'y a rien à opposer au Croyant que la force, sa propre force parfois. En ce sens les jugements des cours internationales ont peu d'effet sur les théocraties prétendues, et le prince accédant sera bien avisé d'outiller sa diplomatie selon des lignes de force fondées sur la jusrisprudence et l'histoire plutôt que sur des principes généreux. C'est pure manipulation dans un champ d'hypocrisie sans frontière qu'il faut labourer dans la pestilence des remords.
Pour les royalistes, la plus célèbre fut l'exhumation de la vieille loi franque des successions patrimoniales en 1358 qui fondait enfin sur quelque chose d'écrit la masculinité souhaitée du légataire universel au bénéfice du royal champion. Tout l'art fut ensuite d'en faire une loi fondamentale du royaume de France, affublant l'usurpation réussie du pouvoir légal qui le menaçait. Facile, l'Université de Paris jadis s'imposait à tous.
Il en va de même aujourd'hui avec la sacralisation de la démocratie de Westminster qui gouverne (ou gouvernait jusqu'à hier) les "jugements" des enceintes internationales, séparant le bon grain de l'ivraie, donnant et reprenant les crédits de développement, séquestrant et libérant les avoirs bancaires, canalisant le commerce et l'alimentation. Ces supercheries ne sont tenables qu'étayées par un corpus doctrinal. Pour la démocratie il est de grand poids et grossit sans cesse. Il faudra au prince pénétrer les arcanes du droit des Etats pour n'être jamais subjugué par les diktats que lui présentera la Faculté et garder le recul nécessaire qu'apporte la connaissance des "dessous" avant l'expérience à venir, sans oublier, comme le dit Herbert dans les archives du Bene Gesserit (T.v-XOX232), que la loi choisit toujours son camp en fonction des modalités exécutives ; la moralité et les finasseries juridiques ont peu de chose à voir avec elle dès lors que la véritable question qui se pose est : "Qui tient le manche du fouet ?".
Bismarck avait compris qu'un prince dit le droit avant de le lire ! C'est une formation spéciale de l'esprit.
* Infra-stratégies, art de la guerre
#3. Pour la stratégie, on a envie de pousser à l'étude des Sun Tzu et Clausewitz - ce qui ne serait aucunement perdre son temps - mais ce sont les infra-stratégies actuelles qui comptent dans le débat et leur approche n'est pas si aisée. Peu de cénacles s'en occupent et les pénétrer demande beaucoup d'habileté... ou de relations. Avec les secondes cela reste possible.
La seule stratégie qui soit porteuse des diplomaties des Etats-continents est la globalisation : c'est la stratégie infrastructurelle, d'aucuns pensent (comme nous) qu'elle est unique et que toute alternative y est un leurre. L'entropie générale des mœurs de l'espèce humaine déclenchée par la colonisation globale européenne puis par la mondialisation anglo-saxonne dérive vers un empire planétaire fini dont les instruments de pouvoir sont à ce jour inconnus mais cherchés avec avidité. On disait auparavant impérialisme ou hégémonisme. Le concept s'est mercantilisé mais la queue de trajectoire est la même : Imperat !
La démarche américaine visant à équilibrer le TAFTA d'un traité identique à son occident¹ participe de cette marche à l'empire dans laquelle son seul contempteur est la Chine qui a déclaré son propre projet impérial sur sa tranche de pamplemousse.
Toute diplomatie - et c'est un domaine réservé d'excellence pour un prince accédant - doit être définie et conduite dans cet environnement quelque peu éloigné des déclarations fraternelles des enceintes de communication internationale que sont celles de l'ONU pour ne citer qu'elle entre dix. Ne pas oublier que le droit international et la morale internationale sont deux grilles d'analyse parfaitement étrangère l'une à l'autre. Trouver entre les deux l'intérêt stratégique d'un pays moyen et démunis comme le nôtre est un exploit. Nous l'attendrions du prince, sinon à quoi bon, nous nous contenterons d'un Vergennes-Védrine dans l'emploi.
Pour ce qui est de notre zone de chalandise, on conviendra que nous assistons à l'effondrement du bassin méditerranéen, comme si le fond de la mer s'était ouvert sur les abysses et emportait tout dans un trou noir. S'opposent deux mondes, l'un scientifique mais désarticulé, l'autre perdu dans les incantations et le désordre. A la charnière de cet affrontement on trouve deux Etats religieux stables dont l'un au moins ne laisse d'inquiéter : le Maroc à l'ouest, la Turquie à l'est. L'Europe a perdu cinquante ans à bricoler des relations douteuses avec la rive africaine et les Échelles du Levant. Il n'y eut aucune autre politique occidentale que celle de contenir les richesses minières de la région en période d'instabilité et de laisser aux politiciens la libre pratique de tous les trafics rémunérateurs.
Une collaboration des deux rives s'avère aujourd'hui l'échappatoire obligée pour contrer une guerre qui menace, et la France y conserve du crédit.
Dans sa conférence pour Vexilla Galliae, Jean-Claude Martinez suggérait de concrétiser l'Union pour la Méditerranée en une Haute Autorité indépendante des Etats (Royal-Artillerie reviendra s'il y a lieu sur ce nouveau concept à quatre agences exécutives) et Gérard de Villèle promouvait la candidature du prince aîné de Bourbon à sa présidence (ndlr: il est déjà Bailli Grand-croix d’honneur et dévotion de l’Ordre de Malte et s'installerait à La Valette). Ce serait à tout le moins un stage instructif. Comme au paragraphe #5 ci-dessous, le prince serait bien avisé de réfléchir à une infra-stratégie méditerranéenne pour son pays.
En attendant, on prendrait le pouls d'Hubert Védrine que ce ne serait pas non plus du temps perdu : clic !
* Physique sociale du comportement des masses
#4. La sociologie des foules est une base d'apprentissage politique qui fut travaillée par de grands penseurs, mais la nouvelle société de communication actuelle en demande la révision complète pour ne pas dire la reconstruction totale. Les foules réagissent au smartphone. Le meilleur stage ne peut être fait ailleurs que dans un grand service de sûreté nationale.
C'est de la gestion de la démocratie qu'il s'agit donc. Les libertés individuelles avec lesquelles on la confond souvent pour en exporter le modèle chez des peuples asservis, entrent en collision avec la philosophie de l'État lorsqu'on parvient au seuil de l'anarchie chez les peuples romanesques comme le français, l'italien ou le russe. Ces outre-libertés sont néfastes au plan national dès lors que, s'en réclamant, des contre-pouvoirs s'organisent en empiétant sur le domaine régalien, contre-pouvoirs qui bétonnent leurs positions par des lois d'opportunités... On pense généralement aux syndicats professionnels organisés sur les métiers et qui ont accédé à la strate politique pour renforcer le modèle social de chacun de leur sponsor. Par chance ils sont divisés, vénaux et se détestent. L'autre pouvoir usurpé est la presse qui s'érige en cour suprême des opinions et se fait fort de la "faire". Sans suggérer à l'impétrant un stage chez un gouvernement à poigne, nous le pensons très fort :) et il n'aurait aucun mal à s'y faire admettre es qualité.
Droit au but : le flicage généralisé du troupeau est en marche, à preuve les faibles remontrances contre l'espionnage réciproque inter-allié. Le terrorisme se banalise à grande vitesse. Les tueries universitaires aux Etats-Unis participent de cette sociopathie exacerbée par le bombardement informatif quotidien et la seule réponse connue à ce jour - après une période d'angélisme - reste la surveillance.
Michel Foucault a creusé la question jusqu'au roc dans son ouvrage Surveiller et punir de 1975 ; voir son étude du Panoptikon de Bentham. La surveillance est en progression partout sous forme de ruses ou de coercition et ses méthodes appliquées sont complètement documentées et disponibles. Un livre de chevet pour tout prétendant sérieux.
La reconstruction d'une sûreté nationale est devenue primordiale à l'heure du Village Global et les réglages en sont très fins. Il y a plusieurs modèles (parfois français d'ailleurs qui fut appliqué ci et là dans l'empire) mais la certitude de leur accomplissement nous annonce le retour de la Stasi-light, du NKVD-diet, de la Securitate-soft et peut-être à la fin, de la Gestapo-second chance !
Quel exécutif prendrait ces choses par dessus la jambe ?
Un prince détaché de ces contingences en sera la victime rapidement. Il lui serait avantageux d'assimiler quelque cynisme à l'antique et de développer aussi une philosophie du soupçon pour affronter l'encerclement de son pouvoir. Tout pouvoir sécrète son propre encerclement. Etabli, il doit former le cercle de chariots. Les techniques de police ne sont pas un sujet secondaire ; il est des officines expérimentées capables d'enseigner la matière. Même en France ; inutile de demander un stage chez Academi à Moyok en Caroline du nord.
* Géographie humaine de l'Afrique noire
#5. Pourquoi l'Afrique noire ? Parce que c'est notre premier défi européen. Nous en économisons ici la description que chacun anticipe déjà. Le prince en formation ne pourra faire autrement que de passer du temps dans plusieurs ONG mouillées sur le terrain.
Cette acquisition de connaissances sur l'Afrique, et plus particulièrement l'Afrique noire, ne vise pas pas à meubler de longues soirées d'hiver où l'on ne parlerait que de migrations. Il ne s'agit rien moins que de définir pays par pays quel est le hiatus de développement acceptable par les indigènes qui annulerait les inconvénients de l'émigration. S'arracher aux siens, à sa patrie (sauf l'enfer sur terre) exige de grands sacrifices. Le décalage attendu signale-t-il un progrès dans l'espérance d'un futur meilleur, cette "idée" en vaut-elle le coup ?
Il y a deux moteurs puissants de l'émigration, la misère endémique et le mirage européen. Si la guerre au sous-développement n'est pas déclenchée par les empires responsables du monde, on va au K.O. de l'Occident. L'Afrique comme souci n'est pas un jeu ! Quels qu'en soient les motifs mercantiles, l'implication de la Chine dans la construction ex-nihilo d'une grande ville comme Kilamba nous fait comprendre qu'on peut forcer le développement s'il l'on s'attache au concret avant de nourrir les administrations. A cet égard, la double grille africaine dont le principe est calqué sur le développement des piémonts himalayens chinois rencontre l'intérêt de politiques intelligents comme Jean-Louis Borloo qui en viennent aujourd'hui à prioriser l'électrification générale des pays. C'est du développement lourd, le seul qui franchira le siècle. En attendant les champs de force de la double grille, le défi exige de mettre déjà une forte pression sur les structures de pouvoir existantes afin de développer au moins l'illusion d'un progrès pour enrayer la misère.
A titre d'exemple, les pays du Sahel sont un laboratoire : en Centrafrique, une femme a cinq enfants viables en moyenne. Quel taux de développement serait nécessaire pour "absorber" ce flux démographique quand on sait les ressources modestes de ce pays perdu ? Aucune croissance normale n'est possible avec les moyens classiques. Il s'agit d'inventer quelque chose d'autre...
Quant au mirage européen, le propre des mirages est de ne point exister. Aussi est-il vain de vouloir le casser par une confrontation aux réalités. D'expérience ça ne marche pas. L'espoir porté par l'imagination sera toujours plus fort.
Sans doute aucun, faire accompagner le prince en "stage" par un spécialiste des questions africaines serait un must, et il en est plusieurs qui seront flattés de se voir convoqués à un travail utile, concrétisant leurs recherches. Suivez mon regard : clac !
Le billet précédent sur le même sujet se terminait par les synthèses qui achèvent la période de formation. Nous y renvoyons le lecteur intéressé s'il veut bien cliquer ici.
Note d'ordre
Ce billet n'a d'autre but que de nourrir le débat sur la question de la formation des princes en situation d'accession. On connaît bien l'éducation des rois, on ne sait pas grand chose de celle des princes qui ne règnent pas (pas encore). Qui prendrait ces propos pour une manifestation d'arrogance se tromperait mais pour une critique de l'existant, un peu moins. Les princes en vue sont pour le moment sous-calibrés rapport à l'emploi possible. Il ne sert à rien de faire semblant et ce begnin neglect doit être abandonné pour les générations montantes qui, elles, devront se former aux tempêtes du siècle.
(1) le TPPA (Trans-Pacific Partnership Agreement) vient d'être signé aujourd'hui 5 octobre à Atlanta. Le TAFTA va suivre.
(Cycle d'Arrakeen 2015)
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