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Note de lectures

Aussitôt que je fus à cheval, je pris la route de Mauve, qui est, si je ne me trompe, à cinq lieues de Nantes, sur la rivière, et où nous étions convenus que M. de Brissac et M. le chevalier de Sévigné m'attendraient avec un bateau pour la passer. La Ralde, écuyer de M. le duc de Brissac, qui marchait devant moi, me dit qu'il fallait galoper d'abord pour ne pas donner le temps aux gardes du Maréchal de fermer la porte d'une petite rue du faubourg où était leur quartier, et par laquelle il fallait nécessairement passer. J'avais un des meilleurs chevaux du monde, et qui avait coûté mille écus à M. de Brissac. Je ne lui abandonnai pas toutefois la main, parce que le pavé était très mauvais et très glissant; mais un gentilhomme à moi, qui s'appelait Boisguérin, m'ayant crié de mettre le pistolet à la main, parce qu'il voyait deux gardes du Maréchal, qui ne songeaient pourtant pas à nous, je l'y mis effectivement; et en le présentant à la tête de celui qui était le plus près de moi, pour l'empêcher de se saisir de la bride de mon cheval, le soleil qui était encore haut, donna dans la platine; la réverbération fit peur à mon cheval, qui était vif et vigoureux; il fit un grand soubresaut, et il retomba des quatre pieds. J'en fus quitte pour l'épaule gauche qui se rompit contre la borne d'une porte. Un gentilhomme à moi, appelé Beauchesne, me releva; il me remit à cheval; et, quoique je souffrisse de douleurs effroyables et que je fusse obligé de me tirer les cheveux, de temps en temps, pour m'empêcher de m'évanouir, j'achevai ma course de cinq lieues devant que Monsieur le Grand Maître, qui me suivait à toute bride avec tous les cocus de Nantes, au moins si l'on veut en croire la chanson de Marigni, m'eût pu joindre. Je trouvais au lieu destiné M. de Brissac et M. le chevalier de Sévigné, avec le bateau. Je m'évanouis en y entrant.
(le cardinal de Retz s'évade, Mémoires)

Maréchal Blaise de Monluc
J'ai trois fers au feu, ou plutôt trois livres de chevet en alternance. Les Commentaires de Monluc (1521-1576) dans la belle édition de La Pléiade de 1971, les Mémoires du Cardinal de Retz (1613-1679) dans l'aussi belle édition de La Pléiade de 1956 et le Discours sur les Duëls de Brantôme (1540-1614) dans l'édition hollandaise de 1740. Autant dire que nous sommes en guerre !
Avant de les avoir achevés, j'en retire deux réflexions que je vous fais partager :

- la langue française est le grec moderne de notre civilisation par sa précision lexicale, la richesse du vocabulaire et la pérennité des tournures de phrases et d'esprit. Jamais longtemps rebuté par la typographie d'époque et une orthographe vagabonde d'avant Malherbe, le lecteur francophone d'aujourd'hui suit parfaitement le propos tenu, à vitesse normale de lecture. Le français est une des rares langues du monde qui forme un pont générationnel aussi long (six siècles). Il est dommage que des cuistres, ayant capté des positions pédagogiques libérées de la tutelle de l'Académie française et usant d'une autorité démocrassisée, s'ingénient à réformer un idiome mathématique qu'ils comprennent mal pour le transformer en dialecte facile comme le pidgin océanique.

- la seconde réflexion est métaphysique. Dans les trois ouvrages, la mort rode. Entre les guerres de religion et la Fronde, l'époque est au combat et chacun s'y livre de bon cœur. La mort est perçue comme une étape dans l'histoire d'une âme qui, elle, ne finira jamais. L'espérance brute de vie (sans passer par les tables de survie) est de 25 ans. D'ailleurs les athées, car il y en a, sont les moins courageux, embusqués au plus loin du danger, profitant d'une vie qu'il leur faut prolonger avant de basculer dans le néant noir. A son opposé, le croyant (en armes) laisse volontiers sa guenille charnelle à charge de la faire enfouir par autrui si son vainqueur y agrée, pour défendre ses idées, son honneur, sa dame. L'âme continuera.

Quand on lit le discours de Brantôme sur les duels, c'est bien d'une dévaluation de la Mort qu'il s'agit. Ces braves soldats qui demandent un camp clos pour s'y étriper le plus galamment du monde passent le plus souvent d'abord à la messe, tant ils sont sûrs de leur bon droit. Le Décalogue et son Tu Ne Tueras Point est un truc du Vieux Testament. La procédure d'assassinat est réglée comme du papier à musique, les codes étant exclusivement danois ou lombards nous dit l'auteur. La mort est la seule porte de sortie du camp pour l'un des deux. Si l'un est dépêché illico, le second entre parfois en agonie, mais les procès du camp clos gardent les faveurs de la chevalerie, jusqu'à ce que le roi l'en prive. L'ouvrage sera publié après le décès de Brantôme (à sa demande) mais à La Haye aux dépens du libraire parce que l'édit de Richelieu de 1626 (et quelques autres de Louis XIV) était passé par là interdisant les duels. De nos jours, semblable ouvrage serait édité à... Moscou car la bien-pensance occidentale hurlerait au loup pour propagande de valeurs dangereuses et insulte au principe de couardise et précaution.

La vie de nos contemporains est de beaucoup surévaluée. Epicure se plaisait à distraire ses auditeurs dans des sophismes abscons comme « puisque tant que nous vivons la mort n’est pas réalisée, et quand la mort est là, alors, nous ne sommes plus, la mort n’existe donc ni pour les vivants ni pour les morts, parce que pour les uns elle n’est pas et que les autres ne sont plus». Les manants n'étaient pas en reste de philosophie : mon bisaïeul Armand, campé sur ses sabots à la cime du pays pour contempler le moutonnement des collines desséchées par l'été brûlant qui annonçaient la faim de l'hiver, lui préférait une formule choc qui le rassérénait : tout finit toujours par s'arranger, même mal ! Aujourd'hui, que ferait-il ? Incendier le parlement de Montpellier pour punir le climat de ses caprices ?




Comparés aux temps bénis de la chevalerie, les massacres de maintenant sont terriblement étiques. Deux cents morts en un seul lieu, un seul instant, et s'essoufflent les rotatives du monde entier, sauf s'ils sont congolais. Que ne fait-on pas au motif (mais au motif seulement, dans la réalité c'est différent) de sauver une vie humaine ? La mort est un sacré bizness pour la presse qui la promeut d'une certaine façon, à telle enseigne que tous les gens en ont peur et achètent. Alors revivre par la lecture ces temps anciens où la mort n'est qu'un passage en fait partager la "sagesse" au milieu du tumulte actuel. Et nous réapprend ce que nous ne savons plus : Glissez, mortels, n'appuyez pas !

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Commentaires

  1. Aucun mort du "Bataclan" n'est mort de face, dans un ultime affrontement ou tentative. Tous ont été tués en fuyant ou se cachant...Conformément aux recommandations des pouvoirs publics. La cause est entendue.

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    1. Je n'y étais pas mais cela semble probable. Les générations montantes sont conditionnées à tout attendre d'autrui voire même de l'Etat. D'ailleurs la légitime défense n'est quasiment jamais reçue au tribunal.
      Deux coups de feu dans une rue et la population s'égaille comme de la volaille, sans chercher à comprendre. Le réflexe aux détonations est pavlovien.

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    2. La trouille c'est culturel! Dans le Thalys, regardez donc les nationalités de ceux qui sont intervenus et se sont battus. Des américains et des anglais. A se demander si le mystérieux Français anonyme, primo-intervenant, ne serait pas une invention ou du moins une exagération ? L'ironie de la chose est que l' acteur français qui joue les flics durs-à-cuire- dans la virile série "Braquo" s'est blessé ... en voulant se sauver! Les choses auraient sans doutes été différentes dans un TER Corse! C'est culturel!

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    3. Le titre de mon brouillon était : "Mourir debout !"

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