De son premier voyage aux États-Unis d'Amérique, Winston Churchill avait ramassé ses impressions dans une formule rapide :
La barbarie éclairée au gaz ! C'est ce que nous servent en d'autres termes les médiats français pour s'offusquer de l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche. Et pourtant, le connaissent-ils ou font-ils semblant de l'ignorer ? N'étant pas de son cercle d'amis intimes, je n'exclus aucune foucade de Donald le barbare d'ici au 20 janvier 2017. Mais au moins il bosse comme un fou. La légende dit qu'il ne dort que quatre heures par nuit et se lève avant l'aube pour dévorer la presse. Puis il dirige ses propres affaires et gagnent ses millions à lui... en famille, bien qu'il ne soit ni juif, ni sicilien. Il est (était) reçu dans toute la bonne société de New York pour son entregent, sa franchise vulgaire, son exposition médiatique - il paraissait dans une émission de télédivertissement - et bien sûr, sa fortune. L'article que lui consacre
la Wikipedia est particulièrement copieux. Son intrusion dans la campagne républicaine n'offusqua que les concurrents obligatoires du Great Old Party, plus par le crime de lèse-majesté - ce type n'était pas même sénateur - que par le ton de son programme rhétorique décapé à l'acide qui ne choquait que les rosières.
D'ascendance rhénane et fils d'une mère écossaise, celui que nous ne connaissons pas est par contre connu de la middle class américaine, un peu comme, toutes proportions gardées, Bernard Tapie chez nous. On le sait grand bosseur, un peu plouc, le schpountz en tuxedo, ne devant sa fortune qu'à lui-même et presbytérien du dimanche aussi. Un type qui s'arrache, ça veut dire beaucoup dans le Midwest. Regardez la carte par comtés ci-dessous. Joe-Six-Pack aime Trump ! On n'imagine pas les scores que feraient aux Etats-Unis les chefs de rayon de la classe politique française payés au mois, qui seraient considérés comme des fonctionnaires communistes, infoutus de créer quoi que ce soit de leurs dix doigts sans le renfort d'un salaire. Après le prytanée militaire, Donald fit une école commerciale à l'Université de Pensylvanie et, comme dans la Bible, reçut les Cinq Talents de son père pour les transformer en tas d'or. Ses insultes médiatisées, ses gestes agaçants, ses exagérations ciblées ont été mises au compte du sketch de campagne, seuls les journaux prirent cela pour argent comptant, croyant aussi que ça le desservirait. Les électeurs de l'Amérique profonde, de toutes races et conditions, ne s'y trompèrent pas...
Et Trump marcha sur l'eau.
La victoire du tycoon newyorkais impacte directement l'Europe occidentale et orientale par le chapitre "
défense" de nos relations inextricables parce qu'il a parlé de ça juste après l'histoire du mur mexicain. En fait, TAFTA, accords d'infrastructures, droit maritime, Interpol, NSA, tout va pivoter autour de ce chapitre. Lors d'un meeting à Issy-les-Moulineaux samedi dernier, Jean-Frédéric Poisson ne s'y est pas trompé qui a soutenu que l'élection de Trump à la Maison Blanche signait la reprise en charge de nos intérêts propres par nous-mêmes. En effet, Donald Trump sort de la veine traditionnelle du Parti républicain qui cherche depuis longtemps à rééquilibrer droits et devoirs au sein de l'Alliance atlantique, comprenez : dans la répartition des efforts budgétaires. C'est une antienne sénatoriale que de faire payer l'Europe qui se vautre dans le "socialisme déficitaire" aux frais des contribuables américains qui les protègent. Ils n'ont pas tout à fait tort, le parapluie atlantique leur coûte cher, et ils s'estiment peu payés en retour, surtout quand ils essuient des refus de soutien en cascade comme dans l'affaire d'Irak en 2003. Rappelons qu'alors, le pays-hôte des quartiers généraux atlantiques (la Belgique), l'entrepôt logistique et sanitaire (l'Allemagne), l'allié historique (la France), le voisin de confiance (le Canada) et la position avancée sur la zone d'effort (la Turquie) avec quelques autres, ont tous refusé de participer à la guerre de destruction du régime de Saddam Hussein (à des motifs tous différents), signalant ce faisant que la participation à l'OTAN n'était pas un sujétion à sa politique étrangère comme le clament en France ses adversaires hystérisés. En passant, Trump a la même volonté de partage des frais avec le Japon et la Corée du Sud.
On attend avec impatience le nom du Secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, lui qui devra mettre en mouvement les planètes de la diplomatie mondiale. Il y a deux soleils et une planète froide : La Chine, les Etats-Unis et la Fédération de Russie. Les effets de cette mise en mouvement sur l'Europe émiettée ne seront que la conséquence du partage du nouveau ciel qui déjà l'exclue. Ce sera donc à l'Europe, à défaut, aux trois grands pays du barycentre européen, de prendre en compte pour elle-même et après-coup, les cartes jetées sur la table par les trois joueurs précités. Elle, ne blindera pas sauf dans l'hypothèse peu probable d'une parité budgétaire des efforts militaires de part et d'autre de l'océan qui est hors de portée des majorités actuelles aux affaires, nonobstant l'absence de tout leader européen pour longtemps.
A choisir un scénario assez crédible, ce serait celui de la finlandisation. Quatre pays européens sont déjà finlandisés (Autriche, Finlande, Suède et Suisse) qui s'en portent très bien parce que leurs voisins ne le sont pas. L'accord peut intervenir entre Trump et Poutine de faire baisser la pression aux frontières russes en échange de la non-intervention de l'Union européenne sur les pays au contact, doublé d'un arrêt définitif de la marche à l'est de l'OTAN. L'Union européenne, déjà inexistante es-qualité au plan diplomatique, serait dès lors finlandisée et sa diplomatie dirigée depuis Washington. L'OTAN continuera donc, mais comme garde-chiourme de la Commission européenne qui fera où on lui dira de faire.
Le schéma moins probable mais pas impossible non plus est l'éclatement de l'Alliance atlantique suite à des renversements de majorité dans certains pays. Dès le moment où l'Alliance militaire éclaterait, ses quatre piliers européens ne compteront chacun que sur eux-mêmes. La Grande Bretagne assumera son destin atlantique et se protégera du continent ébulliant en rejoignant le dispositif américain (comme le Canada) - le Brexit va l'y aider ; l'Allemagne musclera sa sécurité intérieure et protégera ses marches orientales par un pacifisme actif - en fait, elle entrera en négociations industrielles partout où elle se sentira menacée ; l'Italie, pays charnière entre les deux méditerranées, tentera de prendre le contrôle économique de la rive sud de la mer, de la même façon que l'Allemagne le fera du glacis oriental ; et la France ?
Au moment du grand marchandage (2017-2019), la diplomatie de la France sera dirigée par Alain Juppé, Marine Le Pen, François Fillon ou Nicolas Sarkozy puisque cette fonction est du domaine réservé : aucun n'a émis un message clair sur la question diplomatique, hormis les célébrations d'usage, postures avantageuses et mises en garde habituelles. Il n'y a aucun plan et il n'y a pas de sous non plus. Sauf à dynamiter l'Etat-providence, déporter deux millions de fonctionnaires surnuméraires aux Kerguelen, écraser l'émeute sous les chenilles et rebâtir sur les ruines fumantes du socialisme à compte d'autrui, on ne distraira pas les ressources financières nécessaires. Or la sécurité de la France est la plus complexe du continent parce que le pays est ouvert sur quatre mers et subit la fameuse béance du nord-est par où tout le monde l'envahit depuis toujours (sauf les Wisigoths). La France seule aura beaucoup de mal à continuer d'exister pendant la transition jusqu'au temps de stabilisation planétaire qui suivra. C'est sans doute dans cette configuration d'une France faible et isolée que la force de dissuasion est la plus pertinente :
Nous avons peu de moyens à vous opposer mais si vos menaces s'exécutent nous nous suiciderons avec vous ! Tout autre slogan est ridicule. En attendant l'apocalypse, il nous faudra tenir nos côtes, nos montagnes (on peut collaborer avec nos voisins alpins et pyrénéens) le Rhin et la grande plaine du nord... C'est beaucoup pour un pays qui se goinfre aux subsides sociaux.
Sortir le groupe aéronaval de la nasse méditerranéenne, accroître en nombre et disperser nos sous-marins nucléaires dans la profondeur stratégique (2); armer trois flottes de garde-côtes dignes de ce nom ; déployer des moyens modernes de surveillance des frontières terrestres ; durcir la pugnacité de nos armées de terre et de l'air en réduisant les taux d'indisponibilité de matériel éprouvés et augmenter les manœuvres militaires du corps d'armée ; et surtout garder et défendre nos ZEE (zones économiques exclusives maritimes) qui sont le patrimoine des générations montantes, convoquera des crédits importants. Le but à atteindre est unique et suffisant : faire peur ! L'OTAN y parvient parfaitement à entendre les hurlements du monde russe et ses relais infiltrés en France. Restera à mesurer nos efforts sur notre première zone d'intérêts, l'Afrique. Tout cela ne se fera pas avec la politique du hamac et les retraites du Club Med.
En résumé, le
Burden Sharing dont va nous parler matin et soir la nouvelle administration américaine va impacter directement notre insouciance et notre mode de vie d'un autre âge. Je pense que la jeunesse le comprendra mieux que ses aînés, intoxiqués à mort au socialisme en intraveineuses.
(1) Pour mémoire nous listons les dépenses militaires en poucentage des PIB 1988 et 2015 (source SIPRI Stockholm) des pays significatifs pour ce billet de Royal-Artillerie :
- Autriche 1,3% et 0,7%
- Belgique 2,5% et 0,9%
- Bulgarie nc. et 1,3%
- Canada 2,0% et 1,0%
- Danemark 2,0% et 1,2%
- Croatie nc. et 1,5%
- Tchéquie nc. et 1,0%
- Estonie nc. et 2,0%
- Finlande 1,6% et 1,3%
- France 3,5% et 2,1%
- Allemagne 2,5% et 1,2%
- Grèce 3,6% et 2,6%
- Hongrie nc. et 0,8%
- Italie 2,2% et 1,3%
- Lettonie nc. et 1,1%
- Lituanie nc. et 1,1%
- Luxembourg 0,9 % et 0,5%
- Montenegro nc. et 1,6%
- Pays-Bas 2,6% et 1,2%
- Norvège 2,8% et 1,5%
- Roumanie 4,2% et 1,4%
- Russie nc. et 5,0%
- Serbie nc. et 2,0%
- Slovénie nc. et 1,0%
- Espagne 2,4% et 1,2%
- Suisse 1,6% et 0,7%
- Suède 2,4% et 1,1%
- Royaume-Uni 3,8% et 1,9%
- Etats-Unis 5,6% et 3,3%
- Monde entier 3,4% et 2,3%
- Union européenne 2,8% et 1,5%
NB : La chute du Mur de Berlin est passée par là entretemps.
(2) Cela n'est pas sans conséquence sur le mode d'emploi des personnels navigants qui actuellement bride les déploiements.