Lorqu'on demande aux Français quel est le dernier roi de France, la réponse est toujours Louis XVI. Sans doute est-ce la tragédie de son destin qui a marqué les esprits populaires, et peut-être un retour d'affection pour un roi que personne n'a jamais imaginé en tyran. C'est le moment de répéter la déclaration d'Emmanuel Macron qui résume bien un sentiment diffus dans l'Opinion française quand elle s'arrache à l'abrutissement réglementaire :
« La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même. Mais le président dans le cadre de la 5e République ne fait-il pas office de monarque républicain remplaçant la figure paternaliste du roi ? Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n'est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d'y placer d'autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l'espace. On le voit bien avec l'interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu'on attend du président de la République, c'est qu'il occupe cette fonction. Tout s'est construit sur ce malentendu.»
Bruno Roger-Petit que l'on ne savait pas porté sur les choses de Cour nous confie qu'
Pour approfondir le billet récurrent du 21 janvier nous offrons à notre distingué lectorat l'oraison funèbre que l'abbé Beauvais prononça à Saint-Nicolas du Chardonnet il y a huit ans et qui m'avait alors saisi :
Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, ainsi soit-il.
Mes bien chers Frères,
Pourquoi célébrer une messe plus de deux cents ans après la mort du Roi Louis XVI ? Parce que tout vrai Français et tout vrai chrétien comprend qu’une réparation doit être offerte à Dieu pour l’outrage qui lui a été fait en ce jour, et qu’une prière doit Lui être présentée pour qu’Il lui plaise enfin de retirer la France du gouffre où elle s’est jetée en commettant ce régicide. C’est donc un acte expiatoire, en réparation, une prière pour le roi mais aussi pour le salut de la France.
« On voudrait effacer cette page de l’histoire, chasser cette date du souvenir des hommes, faire rentrer dans le néant cette procédure. Mais non ! Le fait est irréparable. Longtemps, chez les autres peuples, la France sera la nation régicide et impie, et jusqu’à l’achèvement de sa destinée, elle portera au front la tache du sang versé sur la place de la Révolution ».
Voilà pourquoi, deux cent seize ans après, le souvenir du roi guillotiné ne s’est pas effacé de la mémoire de certains Français.
On a souvent trouvé sous la plume d’historiens et d’écrivains passionnés un plaisir quelquefois même méchant à exagérer la faiblesse de Louis XVI dans son gouvernement. A quoi nous servirait-il ce soir de parler d’un roi faible ou d’un roi sans caractère, toutes choses qui restent à prouver. Le Pape Pie VI a fait remarquer à ce sujet qu’on a confondu sa mansuétude avec la faiblesse sans savoir que la mansuétude est l’état d’une âme pleine de fermeté que rien ne peut abattre et qui en face des troubles, des insurrections, des fureurs populaires fait dire à Louis XVI cette parole qui l’honore à un si haut degré : «L’homme qui a la conscience pure ne tremble pas ». Livré à la souffrance d’ailleurs, bien loin de témoigner de la faiblesse, il déploya au Temple et à l’échafaud la force, le courage et la grandeur d’âme qui mérita l’adieu du prêtre : « Fils de saint Louis, montez au ciel ».
Qu’importe donc le jugement humain porté sur Louis XVI. Mauvais ou grand roi, bonté et faiblesse du roi ? Ce qui compte c’est l’âme de ce prince profondément désireux de donner le bonheur à son peuple, mais qui rougissait à l’idée d’avoir à le commander et plus encore à le rudoyer parce que son éducation rousseauiste lui avait appris que l’homme était bon par nature. A ses dépens, il fera l’expérience cruelle du contraire. Qui ne pardonnerait à Louis XVI, paralysé dans son action par un choc jusque là inconnu, celui de la monarchie et de la subversion moderne ?
Comme l’écrivit Jean de Viguerie :
« On a beaucoup parlé d’un roi faible, irrésolu, mais on oublie qu’un certain sens de la responsabilité, et un certain souci de la justice étaient son apanage. Que Louis XVI ait semblé parfois lent à se décider ne signifie pourtant pas que le roi fut un homme indécis ou irrésolu. Combien de choix a-t-il fait qui ne furent jamais décidés à la légère. Une partie du public était d’ailleurs moins préoccupée par la faiblesse que par la réputation de dureté du jeune roi.
Sans être un homme autoritaire, le roi avait conscience de sa dignité de souverain parce qu’il se faisait une très haute idée de sa dynastie et de la place du monarque qu’il regardait comme celle d’un intercesseur entre les hommes et le divin ».
Daudet écrivit dans Les lys sanglants :
« Il était loin d’être le « gros Louis » que disaient les révolutionnaires. Il concevait raisonnablement, mais il y avait en lui un goût du ralenti qu’il essayait en vain de surmonter. Enfin il ne voulait pas croire à l’infamie de la nature humaine, quand une mauvaise politique et l’irréligion ont lâché la bride à ses pires instincts ».
Quel étonnant mélange que Louis XVI ! On isole trop systématiquement 1793 de 1789. Or, cet inexpiable forfait de 93, remonte à la guerre faite par ces philosophes des ténèbres un siècle durant, à tout ce qui fut religion et morale. Voir dans le mouvement de 89 une simple insurrection de l’opinion publique contre des abus intolérables n’est franchement pas honnête, ni sérieux. Ce n’était pas à certains excès - toujours possibles quant il s’agit des hommes - mais à l’autorité dans ce qu’elle avait de plus inviolable et de plus sacré que les fauteurs du mouvement de 89 voulaient porter le coup mortel. C’était bien à l’assaut du trône et de l’autel, que sur l’ordre des société secrètes marchaient les principaux coryphées des idées nouvelles.
Après la vente des biens du clergé, le pape Pie VI ne put garder le silence :
« L’autorité royale, dira-t-il, a été enlevée au roi très chrétien pour le mettre sous la dépendance de l’Assemblée et l’obliger à sanctionner tous ses décrets. La nation presque entière est séduite par l’apparence d’une vaine liberté, au lieu de reconnaître que le salut de l’Etat repose principalement sur l’autorité de Jésus-Christ, et que l’on n’est heureux selon l’expression de saint Augustin, que quand d’un plein consentement, on obéit aux rois : car ils sont les ministres de Dieu pour le bien, les enfants et les défenseurs de l’Eglise qu’ils doivent aimer comme leur mère, et défendre contre ceux qui l’attaquent ».
Coup bas contre l’autorité qui fit dire à Balzac :
« Le jour où la France trancha la tête à son roi, elle la trancha du même coup à tous les pères de famille ».
Louis XVI sera ainsi le premier souverain à avoir affronté le cataclysme révolutionnaire, sans avoir pu bien comprendre que le désordre était dans les esprits et qu’il ne suffisait pas d’être un roi bon, pour être un bon roi. Ce fut la première rencontre entre l’ordre et la subversion. Comme l’écrivit Maurras : « la psychologie de l’autorité, ses bases les plus générales et les plus profondes se trouvaient rongées, minées, réduites en poussière dans toutes les têtes et dans tous les cœurs de ces singulières générations (celles de la fin du XVIIIe siècle).
Le crime du 21 janvier était en germe dans la séparation de la tête et du corps de la nation. Ne l’oublions pas, la Révolution est d’abord une guerre de religion, la guerre de l’athéisme matérialiste contre l’Eglise romaine à laquelle présida et préluda l’Encyclopédie de Voltaire avec son « Ecrasons l’infâme » de Diderot qui dira « Avec les derniers boyaux des prêtres, nous serrerons le cou du dernier des rois » jointe au naturisme de Jean-Jacques Rousseau, aux débuts de la maçonnerie mondaine et des sociétés de pensée où se croisent et se mêlent toutes les formes de l’antichristianisme et de l’irréligion dans son ensemble. Clubs philosophiques et politiques qui l’emporteront au sein des assemblées et accélèreront le passage de la discussion à l’action, du principe de la souveraineté populaire à la tyrannie des masses et aux horreurs des massacres et de la guillotine.
Pour s’attaquer efficacement à la religion, les révolutionnaires comprirent d’instinct qu’ils devaient s’attaquer aux personnes du roi et de la reine. On ne peut rien contre les idées si on ne s’en prend d’abord aux personnes qui les représentent. De plus le roi s’identifiait avec la patrie, la famille royale avec la famille française ; c’était donc cette patrie, c’était cette famille qu’il fallait égorger, selon le mot célèbre de Danton prononcé au procès de Louis XVI: « Nous ne voulons pas juger le roi, nous voulons le tuer ». A ce procès du roi se donnèrent rendez-vous toutes les calomnies, tous les faux témoignages, tous les mensonges d’une époque barbare et souillée pour terminer en cette exécution monstrueuse de Louis XVI opérée sans aucune espèce de raison, servant seulement de pierre de touche pour la sincérité de la foi républicaine, devenue le nouveau dogme.
La décatholicisation de la France, présentée par Mirabeau comme une condition nécessaire au triomphe des idées nouvelles passait par le régicide. Le trône de Louis XVI dont on avait sapé les bases ne devait plus s’appuyer sur l’autel.
Il n’y a donc aucun doute, la révolution qui fit tomber la tête de Louis XVI a voulu abattre le principe de l’autorité divine. Et c’est bien dans l’esprit de Robespierre qui disait: « Tant qu’il y aura des rois par la grâce de Dieu, la révolution ne sera pas en sûreté ». On voit là que l’essence même de la révolution commencée en 1789 est l’esprit de révolte : il s’agissait de donner à chaque individu une âme d’insurgé, en lutte contre toutes les lois naturelles et divine. Louis XVI a été guillotiné parce qu’il était roi, et roi très chrétien. Les deux ne font qu’un car la Révolution est d’un même mouvement : la haine de Dieu et la haine de l’ordre naturel établi par Dieu dans sa création et révélé aux hommes.
Pour la Révolution, Louis XVI devait mourir parce que sa seule présence, même après avoir été savamment mis hors d’état de gouverner, était un obstacle aux prétentions philosophiques.
Comme l’écrira Léon Daudet: « Ce qu'il reste de cette révolution de 1789, tant célébrée, tant vantée, en prose et en vers, c’est un charnier, c’est un spectacle d’épouvante et de bêtise dont l’humanité offre peu d’exemples ».
Qu’est-ce que le 21 janvier 1793, sinon « le fait de brutes enivrées d’une idéologie libertaire, égalitaire et suicidaire qui prétendaient couper à jamais la France de Dieu lui-même, pour recommencer l’histoire avec les seules forces de la raison humaine ».
« Le mauvais destin servi par la méchanceté humaine, j’ai nommé l’esprit révolutionnaire, va s’acharner sans merci ».
Louis XVI, "Roi martyr », tel est le nom qu’il a gardé comme victime de la Révolution antichrétienne, et tel est le nom que l’histoire lui rendant justice, lui a décerné. Et Louis XVI avait pour ainsi dire consacré d’avance cette appellation de Roi martyr en disant :
« Je suis prêt à m’immoler pour mon peuple. Puisse le sacrifice de ma vie faire le bonheur de la France ».
C’est par les saints et les martyrs que furent appelés alors à donner au monde le témoignage de Notre Seigneur Jésus-Christ que l’on juge la Révolution. C’est à la lumière de leur mort que l’on juge les principes de 1789.
« La religion devait compter cet infortuné monarque au nombre de ses martyrs ». Ainsi s’exprimait le pape Pie VI, ce qui fit dire au cardinal Maury : « Le pape a conçu une idée aussi grande que juste, lorsqu’il a fait entrevoir dans son discours au Consistoire que Louis XVI méritait et qu’il obtiendrait un jour les honneurs de la canonisation. C’est la plus belle réparation que la religion puisse faire à la royauté au moment où les scélérats se sont ligués pour l’avilir, que de transformer ainsi en autel, l’échafaud de Louis XVI ».
En lisant les actes du martyre de Louis XVI, on comprend que la vertu peut faire descendre le ciel sur la terre. On comprend aussi que la perversité humaine peut y faire monter l’enfer, lorsqu’on lit les crimes, les fureurs, les joies hideuses de ses meurtriers.
Nous prions ce soir pour le repos de son âme, certes, sans oublier ce que le pape Pie VI exprima en terminant son éloge funèbre de Louis XVI:
« Nous avons la confiance qu’il a heureusement échangé une couronne royale et des lys qui se seraient bientôt flétris contre cet autre diadème impérissable que les anges ont tissé de lys immortels ».
« Ils me feront mourir, déclara Louis XVI à son avocat, Monsieur de Malesherbes, mais qu’importe ! Ce sera gagner une cause que de laisser une mémoire intacte et sans tache ».
Louis XVI n’a sauvé ni sa vie, ni son royaume, mais il a sauvé l’honneur de Dieu, l’honneur de la France et son honneur. Il a ajouté à la couronne des rois tous les fleurons les plus glorieux, les plus rares, ceux de la sainteté et du martyre, son échafaud est sa plus grande gloire. Que Louis XVI demeure pour la postérité celui que Léon Daudet appelait « le lys sanglant ineffable offert en holocauste aux furies infernales ».
Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.
Ainsi soit-il !