jeudi 18 mai 2017

Goulard, une européiste aux Armées

Le ministre des armées parle allemand. Conseiller de Romano Prodi à la Commission européenne, chargée du suivi des travaux constitutionnels de Valéry Giscard d'Estaing, l'énarque fut avant cela et pendant dix ans dans la direction des affaires juridiques du Quai d'Orsay, au sein d'une cellule chargée de suivre la réunification allemande d'Helmut Kohl. A ces titres divers, elle a la Bundesverdienstkreuz (Croix du Mérite fédéral). Elle est ce qu'il est convenu d'appeler une pointure. Son mari étant conseiller d'Etat, elle fait partie de la noblesse républicaine. Entre deux rapports et trois bouquins, elle publia un pamphlet assez corrosif Le Grand Turc et la République de Venise signalant son peu d'engouement pour les ambitions européennes de la Sublime Porte.

Sylvie Goulard et Jean-Yves Le Drian sont les deux poids lourds de ce gouvernement Philippe I. Il n'est pas innocent qu'ils prennent deux domaines réputés appartenir au domaine réservé gaullien, signalant par là que le président Macron va s'appuyer au dossier du fauteuil et laisser gouverner - mais on peut se tromper et soutenir aussi que le combat politique étant porté d'abord sur le Code du Travail, il sera utile que les deux ministères régaliens tournent comme une montre autonome. Goulard étant plutôt typée "Quai", il y aura une bonne entente entre les affaires étrangères et la défense.

Mettre une européiste décorée de la croix de fer à la tête de la défense nationale induit-il que l'axe de progression de nos affaires militaires puisse aller vers cette défense franco-allemande voire européenne qui fait chanter et sauter les cabris ? Nous allons partir de cette hypothèse très plausible.

Les difficultés soulevées par la construction d'une défense commune sont bien connues :

(i)- réticences des pays de l'Est à prendre leurs distances avec le commandement intégré NATO ;

(ii)- budget : personne ne veut payer deux fois, une fois pour l'OTAN, une fois pour la CED, d'autant que la cible des 2% du pib doit être atteinte ;

(iii)- peu d'enthousiasme des peuples à voir revenir dans la géostratégie européenne la France (qui s'est battue pendant des siècles contre tous ses voisins) et/ou l'Allemagne même fédérale (?!) ;

(iv)- place et utilité de la Grande Bretagne dans la configuration continentale ;

(v)- enfin la question qui tue : qui commande ?

Nous allons développer brièvement chaque item.

(I)- A la chute du Mur, tous les pays libérés du glacis soviétique ont candidaté à l'OTAN avant même d'ouvrir des négociations avec le Marché commun. Le déplacement d'une brigade américaine complète en Courlande pour faire baisser le ton du Kremlin comparé à l'impassibilité atlantique dans l'affaire de Géorgie (non-membre) leur a bien fait comprendre la différence entre le in et le out ! A l'heure où nous écrivons, il n'existe aucun pays de l'Est réclamant une défense européenne, d'autant que les élections françaises ont montré une forte hostilité à l'égard de l'OTAN et une compréhension tout à fait étonnante de certains partis à l'égard de la Russie. Des parlementaires français sont même allés en Crimée célébrer l'annexion russe. Or, qu'on le veuille ou non, c'est la France, puissance nucléaire du continent, qui a le majorat de cette défense européenne. Alors risquer le commandement futur d'idiots utiles du FSB n'emballe pas les anciens du Pacte de Varsovie.

(II)- Si tous les pays aujourd'hui dans l'OTAN ont bien compris la nécessité d'accroître les dotations, dans le cas d'un budget européen se posera le problème de la contribution hybride française dans l'enveloppe des 2%. Que vaut la force de dissuasion française dans la défense commune ? Les Français veulent la compter dans les 2% et même la sortir du déficit budgétaire (les 3% de l'Eurozone), les autres pensent déjà que c'est un choix franco-français, un parapluie franco-français, presque un caprice gaullien. A suivre.

(III)- La différence de puissance militaire entre la France, l'Allemagne et les pays de second rang est grande. Il peut y avoir une perception d'écrasement, surtout chez les Etats à palmarès militaires comme la Hollande, le Danemark, la Suède, l'Espagne et dans une moindre mesure la Pologne et l'Italie. Ecouter et adopter les préconisations normalisées, les standards opératoires voire les matériels de guerre de la première puissance du monde ne se transposera pas facilement à des puissances militaires moyennes comme la France ou l'Allemagne. La Grande Bretagne apportait jusqu'ici un point d'équilibre au triangle de puissance par la réputation de son escadre, la technicité exemplaire de son corps d'armée et la retenue en tous temps de son état-major. C'est le point suivant.

(IV)- Outre la qualité des moyens offerts, la Grande Bretagne est aussi un partenaire important dans les moteurs d'avions, les turbines et les missiles aéronautiques. Nous avons des programmes en commun qui nous sont indispensables et on n'a jamais rien fait de mieux que l'Amirauté pour tenir le flanc atlantique de l'Europe. C'est elle qui actuellement repousse les provocations aériennes russes.

(V)- La question du commandement ne se posera pas au début puisque le projet de défense européenne va avancer masqué derrière un commandement provisoire multinational qualifié d'état-major ou tout autre mot-valise, sinon même enchâssé dans le commandement intégré atlantique - plus c'est compliqué, plus ça plaît aux technocrates. Mais à la première crise, dans quelques années, la question arrivera sur la table ou la caisse à sable ! Quel pays prendra le leadership ? La France croit le faire, les autres le redoutent.


M51 français


En conclusion, nous avons toujours soutenu que le critère premier d'une alliance organisée pour la guerre doit être l'efficacité du dispositif bien avant les questions de souveraineté. On ne peut donc qu'attendre ce que vont aligner les quatre ou cinq pays capables de faire manœuvrer des corps d'armée. Et disons-le tout net, rien ne sera redoutable sans la participation de la Grande Bretagne.
Et la dernière pour la route : une alliance de guerre doit aussi faire peur, c'est même primordial et c'est ce que l'OTAN a réussi.

On peut comprendre que la Russie puisse s'inquiéter de cette perspective européenne, et on s'amusera à lire les mises en garde et autres dénonciations/révélations des agents d'influence du Kremlin à Paris, vent debout contre l'Europe organisée. Mais avec Emmanuel Macron, cela risque bien de ne pas suffire. Il a l'air d'en vouloir, le salaud !


PS : Le long CV de Mme Goulard est sur la Wikipedia. L'étude de caractère du nouveau ministre par Jean Quatremer dans Libération surpasse toute autre ; nous vous y adressons : Sylvie Goulard, une spécialiste de l'Europe prend la tête des armées.

4 commentaires:

  1. Mon cher Catonéo. Je ne répondrai pas directement à votre article, avouant mon incompétence en matière de défense et de géopolitique. Je voudrais seulement pointer le parcours européen, voir européiste de notre nouveau ministre. D'après certaines sources, elle milite pour une Europe fédérale. Ma question est la suivante: quid d'une monarchie dans une telle Europe et un royaliste peut-il être favorable à une telle aventure ? Pour ma part, sans vouloir retomber dans les "vieilles lunes", je suis attaché à mon pays, son histoire...
    Je serais heureux d'avoir vos réflexions là-dessus.

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    1. C'est toujours le même dilemme. Les nations latines ne savent pas se gouverner parce que leur population n'a aucun esprit civique. Les peuples du Nord sont très sensibles à l'argent public qu'ils considèrent appartenir à chaque contribuable. En France et autour, c'est l'argent de l'Etat, l'argent de personne, "c'est l'Etat qui paye". Il y a deux siècles d'écart entre ces deux perceptions de la vie publique. Pourquoi dis-je cela ? Parce que la tentation est grande au sein de la caste éveillée de faire gouverner les peuples latins par des technocraties qui finalement font tout derrière le rideau. Les gouvernements nationaux, s'ils ne sont pas des marionnettes, jouent des rôles de théâtre et subsistent aussi longtemps que se débondent les crédits européennes. La Grèce est la caricature du modèle, mais l'Italie et la France ne sont pas si loin derrière en matière de supercherie démocratique et heureusement, le patron de la BCE est italien et compréhensif.

      L'organisation idéale de l'Union européenne est la confédération. Faut-il encore que chaque Etat soit gouverné pour son bien propre et pour le bien commun à tous. C'est dans cette configuration que s'inscrirait parfaitement une professionalisation du domaine régalien par une famille royale, apportant les bienfaits que nous savons. A côté de cela, il est des défis mondiaux qui nous menacent et la meilleure réponse est, dans les domaines militaire et douanier, l'efficacité de la réplique. En cas de guerre elle sera primordiale dès lors que nous n'aurons pas pu dissuader l'ennemi de nous attaquer. Aux jours d'aujourd'hui il n'y a aucun dispositif sécurisant autre que l'OTAN. On peut chercher... et lire les trente ou quarante billets Royal-Artillerie tagués OTAN/NATO. Le premier atout de cette organisation est la terreur qu'elle inspire (sans faire grand chose) à ses contempteurs qui sont prêts à déverser des millions de dollars de propagande en Europe occidentale pour entamer le bloc atlantique, voire le casser.

      La chimère d'une défense européenne court les rues de France mais pas vraiment chez nos voisins et alliés, pour les raisons indiquées dans l'article. C'est un leit-motiv gaullien remontant à une époque d'orgueil révolu. Et je prévois que Mme Goulard échoue dans son plan européen de défense commune (s'il se précisait), au-delà des gesticulations d'usage dont l'Allemagne est complice pour nous faire plaisir.

      Tous les royaumes d'Europe (sauf la Suède) ont versé leur défense au commandement intégré atlantique, le royaume de France à venir en fera autant. Pour le reste, il serait mieux à mon sens de gérer les affaires au sein de la nation, insérée elle-même dans une confédération. Mais faut-il aussi qu'on en soit capable ! Les génies français de maintenant ne font pas de politique, c'est notre faiblesse.

      Question subsidiaire : pourquoi avoir arrêté Café Royal ?

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    2. Je vous remercie pour votre clarté à expliquer ce qu'est l'Europe et ce qu'elle devrait être.
      Comme vous, je suis partisan d'une confédération d’États, plutôt qu'une Europe fédérale qui nient les différences légitimes. D'autant que contrairement aux USA, nous n'avons pas de langue commune, mais pas que cela.
      Dans cette optique, une famille royale, pourrait avoir toutes sa place.
      Comme beaucoup de choses j'ai évolué au niveau de la défense et notre intégration à l'OTAN, n'en déplaise aux grincheux du "drapeau blanc" et autres satellites.
      Quant à votre dernière question. Je me suis lassé de parler dans le vide, d'autant que je ne prêchais qu'à des convaincus. De plus, défendre un royalisme de commémoration sans aucune prise avec le réel, me laissait sur ma faim. Je suis aussi très déçu par l'inaction des princes. Aujourd'hui, je n'ai aucune attache dynastique, bien que je sois conscient que le royalisme est un régime incarné. Je pense que le plus courageux et audacieux, prendra au vol, la couronne. C'est pourquoi, je ne suis "encarté" à aucun mouvement royaliste. Je ne m'y retrouve dans aucun.
      A l'heure actuelle, je pense à recréer un autre blog, pour défendre un autre royalisme, plus en face avec notre temps. J'ai déjà commencé mais je ne vous en donne pas de suite, l'adresse car il faut que je le peaufine.
      Voilà, pour votre dernière question.

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    3. La communication royaliste est plus difficile que celle d'autres mouvements parce que d'une part le lectorat est restreint et ne peut donc la rémunérer convenablement afin d'y convoquer des pros, et d'autre part parce que le microcosme royaliste (4000 personnes au max) regroupe des intérêts très divergents.
      En fait il n'y a pas de définition du royaliste qui puisse faire l'unanimité. Les princes n'y aident pas beaucoup non plus et ne sont pas au niveau des enjeux. Leurs CV sont très modestes, leurs occupations, banales et aucun ne cotise à l'ISF :)

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