"Allo Norfolk, nous avons un problème". Le général français Denis Mercier, commandant l'ACT de Norfolk, a lui-aussi un problème. Et Royal-Artillerie a tout autant le sien si le blogue doit expliquer à son lectorat impatient cette dispute germano-yankee habilement camouflée jusqu'ici. Que devient l'Allied Command Transformation, l'agence de prospective atlantique, après l'ouverture des hostilités entre la Chancelière et le Commander in Chief des greens de golf ? Que devient le Stability Policing Concept Development* qui projette la stabilité obligatoire en avant du front de l'Alliance ? Sans ce volet impérialiste, l'OTAN devient réellement obsolète, puisqu'il encadre la lutte anti-terroriste sans frontières. Par le monde entier et jusqu'à Port Moresby chacun sait que la Chancelière Merkel entre deux pintes a douté à haute voix de l'implication de Donald Twitter Trump dans la défense commune atlantique, celui-ci répondant presque aussitôt en éructant un tweet assassin que les archives doivent archiver :
We have a MASSIVE trade deficit with Germany, plus they pay FAR LESS than they should on NATO & military. Very bad for U.S. This will change— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 30 mai 2017
Le fin stratège que Joe-Six-Pack s'est choisi ne menace plus la Chine hypocrite ou la sournoise Russie mais son alliée de référence en Europe continentale, qui tout simplement le prend à son tour pour un con ! Tout réside dans le déficit du commerce extérieur subi par les Etats-Unis qui fabriquent une vacherie invendable en Teutonie. Le caprice enfantin du refus de serrer la main d'Angela Merkel, le petit billet à 350 billions qu'on lui passe lors de sa visite à la Maison Blanche, les insultes à peine voilées sur l'accaparement allemand d'avantages indus, la grossièreté innée du parvenu sans autre bagage que son argent lors de sa tournée européenne, son refus à l'obstacle de vieille carne infoutue de préparer ses réponses au G7 sur l'Accord de Paris (COP21), ses gamineries de corpulence hors de saison à Bruxelles et le golf cart de Taormina autant que sa moue sur un menton mussolinien ont eu raison de la patience allemande. A tel point que la déclaration d'Angela Merkel (ci-dessous) a été endossée immédiatement par son adversaire du SPD aux prochaines élections du Bundestag, Martin Schulz, et nul doute que les chancelleries européennes analysent dès aujourd'hui la nouvelle donne lancée sur le tapis vert depuis la kermesse CSU de Munich, les Anglais étant les premiers déçus de leur éviction du bac à sable.
« Die Zeiten, in denen wir uns auf andere völlig verlassen können, sind ein Stück vorbei [...] Wir Europäer müssen unser Schicksal wirklich in unsere eigene Hand nehmen.»
Soutenir le regard inquisiteur d'un enfant de sept ans et 110 kilos est une épreuve. Merkel ne compte plus subir l'affront de la Bêtise et si les mots de Munich précipitaient brutalement la synthèse de la diplomatie allemande, ils ont le mérite de mettre au net l'obscénité des nouvelles relations transatlantiques depuis l'intrusion du mogul newyorkais sur la scène du monde. C'est l'Europe qui est au contact des défis - d'aucuns diraient des provocations américaines - c'est l'Europe qui doit contenir la revanche russe et développer une économie de libéralisation sur un territoire qui va de la Volga jusqu'à la mer d'Okhotsk, c'est l'Europe qui en prendrait plein la gueule si les grands enfants se battaient un jour, c'est l'Europe le muet de la pièce, jusqu'ici. Mais pour faire entendre sa voix au-dessus du vacarme mondial, il faut revenir aux fondamentaux : si vis pacem para bellum !.
Sur la psychanalyse de Merkel on lira avec profit le billet en anglais de Meiritz, Reimann et Weiland dans le Siegel par ici. OK, ils se détestent ! What next ?
Que veut dire ne compter que sur soi dans l'esprit merkelien ? Sachant l'intuition pragmatique des Allemands (et des Prussiens surtout) on peut s'interroger sur le périmètre du cercle de chariots. L'Allemagne pense-t-elle se défendre efficacement à vingt-sept ? Elle acte la sortie de la Grande Bretagne du pacte européen de défense d'un côté, bloque la Turquie de l'autre, est-ce pour déployer des moyens nouveaux dans les Balkans ou en Baltique ? Le plus facile pour les Allemands est de nourrir le chapitre PSDC** du traité de Lisbonne et de... réarmer. Pour l'instant la Bundeswehr n'est même pas l'ombre de la Wehrmacht, mais la République fédérale dispose des savoirs, épures, plans et matières, prototypes plus l'indispensable : les usines de fabrication. En quatre ans la transformation peut être spectaculaire dans les trois armes. A l'échéance de dix ans, elle coiffe toutes les armées conventionnelles du continent, y compris celles du Royaume-Uni.
Mais la Chancelière de Prusse n'est pas un distributeur d'assurances gratuites. Pas question de dépenser sans compter dans les canons d'assaut si les voisins se vautrent dans les prestations sociales à compte d'autrui. La première raison est électorale, l'opinion allemande, pacifiste au fond d'elle-même, ne l'acceptera pas. L'Europe à défendre devra être rhénane avec des comptes publics en ordre, des déficits non récurrents et maîtrisés, une monnaie allemande et plus si affinités. C'est ici qu'on aborde aux dangers de la fédéralisation macronienne. La France est à fond sur son petit moteur et ne pourra pas faire beaucoup plus avant longtemps. Ce dont elle dispose aujourd'hui en matière de défense est mieux qu'ailleurs mais petit quand même dès qu'on quitte l'étang. Passer des pouvoirs budgétaires à l'Eurogroupe revient à donner l'approbation des comptes à la chancellerie du reich-sans-numéro, ce qui en français facile remet plusieurs clés du trousseau de la politique française à Berlin. Vu la gabegie structurelle des régimes Chirac II, Sarkozy et Hollande, on peut se laisser tenter par le nettoyage d'Hercule que rendrait indispensable et possible l'éventuel anschluss, et rebaptiser des rues du nom de "Pierre-Laval".
Quand, à la fin, les armées françaises et allemandes auront été remises à niveau, et même si s'y agrègent des armées cousines en capacité de les renforcer réellement - comme l'Italie et la Grèce en Méditerranée - il n'en demeurera pas moins que quatre mille cinq cents ogives nucléaires seront toujours dressées dans la Fédération de Russie pour dissuader ses voisins d'en faire trop. C'est sans doute sur la fracture du parapluie atomique que cassera l'Europe de la défense, les pays du glacis soviétique ne croyant qu'à la garantie américaine, même s'ils décomptent les jours qui restent à la présidence Trump. Que va inventer Ubu demain, tel est le leitmotiv de leur angoisse diplomatique.
(*) In order to meet this mission, NATO needs to develop an expeditionary approach and capability. The aim of this workshop is to identify a comprehensive list of Doctrine, Organization, Training, Material, Leadership, Personnel, Facilities and Interoperability requirements for an effective NATO Stability Policing Concept. This concept supports the Projecting Stability aspirations of NATO's Allied Command Transformation Campaign Plan designed to contribute to the realization of the overarching Warsaw Summit themes of defence, deterrence and projecting stability. La mission complète de stabilité globale de l'ACT par ici.
(**) Politique de sécurité et de défense commune (PSDC): elle comprend la clause identique de mutualisation que celle inscrite à l'article 5 du pacte atlantique. Ses termes explicites sont les suivants : « Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies. Cela n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres ». La dernière phrase sauvegarde la neutralité de certains Etats tout en les faisant concourir à la défense commune par d'autres moyens.
Note d'ordre : Royal-Artillerie a toujours soutenu l'Alliance atlantique et son commandement intégré, au premier motif qu'elle formait la seule protection crédible en cas de guerre ouverte sur le continent européen et que ses procédures communes étaient une remise en cause permanente des procédures nationales, parfois simplifiées jusqu'à l'indigence par les ajustements budgétaires du moment. Elle le demeure malgré tout, mais il va y avoir un équilibre nouveau qui déplacera le centre de gravité au milieu de l'océan avec des conséquences financières importantes pour la vieille Europe qui vient de tomber du hamac.
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