lundi 11 septembre 2017

Les confédérés de Visegrád


"Ils ne nous briseront pas !"
Le retour de la guerre de Sécession à l'avant-scène et l'hystérie des élites américaines diplômées en veulerie, affairées à transformer une victoire vieille de cent cinquante ans en repentance universelle, me font bizarrement penser au groupe de Visegrád* qui se démène comme un beau diable pour ne pas être phagocyté par les gnomes de Bruxelles. Quatre anciens pays du glacis soviétique, Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Hongrie, renforcés bientôt peut-être de l'Autriche, refusent les diktats de Bruxelles sur leurs sociétés, dont l'objectif est clairement d'aboutir à un état d'union contre une union d'Etats. Et comme ce fut le cas jadis de l'Union gouvernée par la Banque et la Forge du Nord, il faut bien un leader à toute fédération contrairement à la confédération : le candidat allemand semble avoir déjà gagné, surtout depuis le départ de la Grande-Bretagne. Les Visegrád ne l'acceptent pas.

Les similitudes sont grandes entre la sécession sudiste américaine et le cabrage euroriental, à l'exception du système de production. Il y est question de lois "nationales" mais surtout de modes de vie spécifiques à peine libérés du joug russe, et déjà menacés par la décomposition sociétaliste. De valeurs naturelles et traditionnelles aussi ! Nous pouvons comprendre que dans l'esprit de ces peuples, quarante ans d'abrutissement communiste ne puissent en aucun cas déboucher sur une mise au pas de ces pays par la ploutocratie occidentale à l'effigie hideuse d'un George Soros, qui mettrait en péril ce que l'on appelle tout simplement les libertés.

Pour nous Français, outre l'écho souverainiste qu'il produit dans un large secteur de l'opinion métropolitaine, nous avons des affinités intellectuelles avec ces pays, affinités que nous n'avons pas su transformer en coopération dans les champs diplomatiques et économiques (en 1989 on était hélas sous Mitterrand, puis Chirac, autant dire morts). Ce groupe de Visegrád est intéressant au premier titre de son équivalence en poids. Le territoire est similaire à celui de la métropole (534000 contre 551000km² chez nous) et la population est aussi semblable en effectifs (64 millions). La différence réside dans le produit intérieur brut : 876 milliards de dollars contre 2490 en France, mais leur marge de progression est plus forte de par la proximité d'un champ de développement illimité à l'Est : Visegrád est mitoyen de la Russie (Kaliningrad), de la Biélorussie, de l'Ukraine mais aussi de la Roumanie. A noter que le renfort hypothétique de l'Autriche apporterait un PIB de 400 milliards de haute qualité.

Si on va au fond des choses, on voit que ce groupe conteste la suprématie politique allemande tout en bénéficiant de la sous-traitance de l'industrie allemande. L'affaire est de longue mèche et remonte jusqu'à la constitution de la Prusse en Royaume. La Prusse et l'Autriche-Hongrie, puis l'Allemagne impériale après 1870, ont modelé toute la Mitteleuropa sur deux siècles et le légataire universel qu'est la RFA continue aujourd'hui le projet. Le développement des quatre Etats rétifs se fait à partir des territoires allemands, les capitaux de développement s'ils sont européens, accompagnent le plus souvent des investissements allemands. Les flux et fuseaux sont est-ouest. La revendication des Visegrád est d'y substituer fuseaux et flux nord-sud depuis la Baltique méridionale jusqu'à l'Adriatique, en irriguant les Balkans slaves. On pourrait faire un titre avec l'Union danubienne. A noter que de la France il n'est jamais question là-bas sauf pour s'en agacer quand la reine des gitans vient y donner des leçons.

Les choses ne dégénéreront pas comme en 1861 aux Etats-Unis, mais la pression visant à casser cette résistance, bien ingrate selon les pays fondateurs, va augmenter depuis que le président Macron a décidé de renforcer la main-mise de la chancelière Merkel sur sa zone d'intérêts dans l'espoir un peu fou qu'elle prenne nos bons du Trésor. Les Visegrád n'ont pas les capacités économiques et financières pour s'engager dans une sécession à l'anglaise. Imaginer seulement la facture qui serait présentée à chacun par l'Union européenne quand on connaît celle envoyée à Theresa May (entre 60 et 100 milliards d'euros). En revanche, c'est toute la politique de collaboration-endiguement de l'Union européenne vis à vis du nouveau bloc russe qui est mise en péril car les quatre pays sont eux, comme les trois baltes, au front et pèsent lourd dans la question ukrainienne ! Certains autres pays non contigus comme le Danemark ou les Pays-Bas suivent de près l'évolution de la Commission européenne face à ce cabrage qui ressemble au leur.


Les réticences peuvent néanmoins être contournées par l'atlantisation de la dispute. Les quatre pays sont pro-OTAN sans état d'âme car ils n'ont strictement aucune confiance dans une défense européenne, dirigée qui pis est par la France et l'Allemagne (Munich et les Sudètes ne sont pas si loin dans l'esprit des Européens de l'Est). C'est plutôt donc dans le cadre atlantique que les apaisements devraient être recherchés si les gouvernements polonais et hongrois voulaient bien mettre un peu d'eau dans leur vin. Cette voie de négociation ferait certes rentrer les Américains dans le schmilblick en même temps qu'on parle beaucoup de transport de gaz, mais le Département d'Etat ne semble pas en capacité de mener l'affaire seul pour l'instant, avec à sa tête l'ancien boss d'Exxon, excédé de se faire braquer chaque jour par la représentante américaine à l'ONU, et à la Maison Blanche, un président qui construit sa stratégie internationale entre ce qu'il voit sur CNN à la télé et ce qu'il tape sur son smartphone immédiatement après.

Le groupe de Visegrád pose la bonne question, celle qui aurait dû être tranchée il y a cinquante ans : confédération ou fédération ? Consulter tous les peuples européens ne serait pas un luxe ni temps perdu. Les pays choisissant la fédération en formeraient une entre eux et ils entreraient groupés dans la confédération qui satisferait les autres. Pour éviter des chamailleries ultérieures on pourrait oublier la règle simpliste de la majorité absolue et choisir des scrutins à quorum et majorité renforcée, et tous voter le même jour. Débloquer l'Europe comme le demandent beaucoup de tribuns politiques devrait commencer par là !



La Tour Salomon du château fort de Visegrád

(*) Le traité de Visegrád fut signé en 1991 entre trois pays de l'Est libérés, Pologne, Tchécoslovaquie et Hongrie pour favoriser mutuellement leur intégration dans la Communauté européenne, en souvenir de l'alliance de 1335 entre les rois de Bohême, de Pologne et de Hongrie contre les Habsbourg.

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