mercredi 6 septembre 2017

Rohingya, "chiens perdus sans collier" (Cesbron)


Le monde attend le prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi sur l'affaire des Rohingya. Enfin, pas tout le monde ! Les Etats voisins de la Birmanie n'attendent rien d'autre que le naufrage général des barques pour noyer le poisson parce qu'ils ont tous des minorités remuantes auxquelles ils ne veulent montrer aucun exemple de mansuétude. Alors coulerait-on deux cent mille boat peoples que les yeux du sous-continent indien resteraient secs. A preuve les reportages "touchants" d'agences de presse étrangère à la zone n'y émeuvent personne. Pourquoi ? Rapport à la vie, à la mort. L'Occident ayant échappé à l'eschatologie individuelle a sacralisé la vie qui est sa propre fin, exception faite de la métempsychose hollywoodienne et du transhumanisme de la Silicon Valley. L'Orient considère la vie comme un passage entre deux états, l'éternité étant la règle dans le malheur comme dans le bonheur. Les Rohingya ont de grandes difficultés dans ce passage, mais tout naufrage dans ce monde est un seuil. C'est triste ! Et ça s'arrête là. Ceci dit pour l'absence d'émoi de l'opinion. Mais il y a autre chose de plus reconnaissable par les analystes occidentés : la géopolitique du sous-continent et l'irrédentisme musulman. Tout le sous-continent est en proie à la déstabilisation islamique ; même les Hui chinois déclenchent maintenant des émeutes pour pousser leur avantage démographique local et exiger la charia dans certaines villes comme la semaine dernière à Tangshan (Hebei) ou à Shanghaï l'an dernier. Du jamais vu, même au Xinjiang où les Ouighours sont nombreux.

Le pouvoir birman a parfaitement localisé le furoncle capable de détacher un jour la province d'Arakan (Rakhine en birman), qui depuis le début est mal attachée au pays. L'Etat Rakhine (Arakan) est dans une position malgré tout stratégique sur le Golfe du Bengale, c'est une porte d'entrée du Yunnan chinois (à travers le Triangle d'Or) et il y a du gaz dans la mer. La bande côtière est coupé du reste de la Birmanie par les montagnes d'Arakan (3000m) et aurait vocation naturelle à s'en séparer. Que l'ethnie rohingya puisse être le ferment d'une sécession ne fait aucun doute à Rangoun, d'autant plus que la pratique rigoriste d'un islam salafiste est la marque de fabrique de cette communauté depuis qu'elle s'est coupée du Bangladesh. Elle a dérivée une branche insurrectionnelle l'ARSA (Arakan Rohingya Salvation Army) qui affronte les forces de polices de l'Etat. Les précédents du Front Moro islamique de libération (MILF) à Mindanao (Philippines) comme l'Organisation pattanie unie de libération (PULO) au sud de la Thaïlande sans parler des guérillas d'Aceh (Sumatra), servent d'avertissement. Par chance l'Etat de Chin qui domine l'Arakan n'est pas musulman mais animiste et chrétien. Pour comprendre le dilemme birman il faut une carte ethnique sur laquelle, dit en passant, les Rohingya n'apparaissent pas puisque ils sont décrétés immigrés clandestins par Rangoun :

- les Rohingya occup(ai)ent le quart nord du Rakhine en rose -

Chaque nationalité a sa religion. Au résultat : 89% de bouddhistes (petit véhicule), 3% de baptistes, 1% de catholiques, 4% de musulmans, 1% d'animistes et 2% du reste. Les groupes ethniques se divisant entre Birmans 68%, Shan 9%, Karen 7%, Rakhine 4%, Chinois 3%, Indiens 2%, Mon-Khmer 2%, autres 5%. Le pouvoir central militaire a déjà eu des problèmes avec les Karen et les Shan qui ont été matés dans une sauvagerie à peine croyable. Le pays est partout difficile d'accès où les chefs locaux s'érigent facilement en tyrans sanguinaires et veulent faire de l'argent à partir de tout y compris les êtres humains ! Le contrôle des guérillas locales s'opère le plus souvent par la terreur appliquée par la soldatesque aux populations civiles censées être l'eau qui fait vivre le poisson rouge ou vert.

Aung San Suu Kyi connaît tout ça sur le bout des doigts ; elle est la fille d'Aung San, le père de l'indépendance birmane arrachée aux Anglais, et les Rohingya furent ses ennemis, supplétifs de l'Armée des Indes dans l'espoir d'un découpage à leur profit. Dans la mesure où le Bangladesh ne reconnaît pas cette ethnie comme sienne (ils ne parlent pas le bangla) il ne veut pas que l'on débonde les camps de concentration sur son territoire déjà écrasé par une démographie intenable (la Première ministre bangladaise a été très claire : que l'ONU se démerde !), la seule solution serait de déporter les Rohingya sur une île assez grande pour les accueillir tous. Cette île n'existe pas dans ces conditions mais on en parle depuis des années : il s'agirait de les déporter "temporairement" sur l'île de Thengar Char dans la baie du Bengale, l'humanitaire et les infrastructures étant assurés par les agences onusiennes... quand on en aura chassé les pirates fermement établis. On imagine bien que l'île n'est pas un cadeau de Dacca (clic), marée et mousson la noient régulièrement. Néanmoins l'idée fait son chemin, l'Indonésie projette à son tour de vider ses camps de regroupement rohingya sur une île déserte de l'immense archipel sous les mêmes conditions vis à vis de l'ONU.

L'Arakan est un abcès de fixation de l'irrédentisme musulman à connotation salafiste. Ils sont plusieurs sur les côtes de l'Océan indien à brûler le carburant idéologique fourni par al-Qaïda et le Groupe Etat islamique. Toute communauté musulmane structurée est suspecte. Celles qui disposent d'un ancrage territorial indiscutable peuvent trouver des accommodements avec les pouvoirs locaux pour autant qu'elles cessent de vouloir régenter l'espace public à leur profit. Le cas particulier des Rohingya apatrides vient de ce qu'ils n'appartiennent à personne. Où qu'ils aillent, leurs voisins les détestent. Un territoire vierge à mettre en valeur semble être la seule solution pérenne. On devrait trouver quelque terre promise parmi les îles de la Sonde. Aung San Suu Kyi est de mon avis et elle ne les gardera pas, quitte à rendre le Prix.

©Keywords

(1) Pour entrer dans les détails de la question Rohingya nous recommandons le dossier de Géo-confluences (clic).
(2) L'ARSA a décrété ce dimanche 10 septembre un cessez-le-feu unilatéral pour faciliter les opérations humanitaires, ce qui confirme l'insurrection armée, quasiment niée par la Communauté internationale hors-Asie.


Mise à jour du 14.09.2017

Alors que se précise la pression onusienne sur le Myanmar menée par la Grande-Bretagne et la Suède, la Chine qui a de gros intérêts en Birmanie sur laquelle elle compte pour développer le Yunnan, a fait savoir par la voix d'un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, que « la communauté internationale devrait soutenir les efforts de la Birmanie visant à préserver la stabilité nationale ». De son côté, l'Inde mitoyenne qui a beaucoup de problèmes avec ses Etats himalayens, soutient le gouvernement birman ; en visite à Rangoun, le Premier ministre Narendra Modi a exprimé sa solidarité contre « la violence des extrémistes » dans l'Etat Rakhine (source entre guillemets France 24). Le gouvernement birman annonce une adresse à la nation de sa conseillère d'Etat Aung San Suu Kyi pour le mercredi 19 septembre...... ce qui laisse six jours de nettoyage ethnique effectif des populations effrayées que l'on extermine parfois sur place et dont on brûle les logis pour prévenir tout retour.

Mise à jour du 19.09.201

Le Conseiller d'Etat Aung San Suu Kyi ferme aujourd'hui la séquence sauvage mais sans doute à peu d'effets sur le terrain. L'armée tient les postes frontières. Qui fera les listes de retour dans les camps de réfugiés ? Quels critères seront validés ? Le problème reste entier et maintenant que la Dame de Rangoun a parlé, la communauté internationale peut lâchement passer à autre chose. Voici l'allocution officielle :


 

3 commentaires:

  1. Lire l'analyse de proximité dans le Straits Times de Singapour qui répartit les pouvoirs en Birmanie. Ça change des approximations de nos plateaux télé :
    Cliquer ici.

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  2. Un éclairage similaire d'Alexandra de Mersan, maître de conférences à l'INALCO, paru dans TheConversation (cliquer ici).

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  3. Emily Chan commente le discours de Suu Kyi :
    South Africa took 50 years to end apartheid. America abolished slavery in 1865 but the oppressed waited almost 100 years more for Martin Luther King’s “I Have A Dream” speech. Myanmar has only had its new government for one year. I am well aware that this is not an excuse for wanton atrocities and it is true that it should respect fundamental human rights. But one should fully understand the foundations of human rights, so that we do not unintentionally narrow human rights in the pursuit of it.
    (source SCMP)

    Lisez de vrais journaux pas des torchons de propagande subventionnés !

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