jeudi 18 octobre 2018

Le gag irlandais



Les députés unionistes de Belfast refuse toute frontière physique entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande après l'effectivité de la sortie du Royaume Uni de l'Union européenne. Personne de sensé ne va dérouler 360 kilomètres de double concertina avec patrouille des chiens de Baskerville, poste de douane armée et autres foutaises de l'ancien temps. D'ailleurs il semble que l'équipe de Michel Barnier ait investi son temps dans une procédure de dédouanement numérique éprouvé en zone outremer, que le Piéton va vous dévoiler en exclusivité maintenant, c'est l'instant !

Ayant exporté pendant des années depuis l'Europe occidentale et les Etats-Unis vers la Chine continentale et autour, je vais vous parler du vol de documents. Pour les thèseux qui veulent pomper l'article dans une prochaine composition de grande école, disons que c'est une adaptation de la lettre de change lombarde du XIIIè siècle.

Comment ça marche ? Le colis (ou le container, palette, etc...) est individualisé par l'exportateur (ou chargeur) au moyen d'un bordereau de livraison physique (poids, dimensions, classe ONU si nécessaire) tiré d'une liasse fournie par le transitaire* ou l'agrégateur** et dont une copie est collée sur ce qu'on va appeler désormais une consignation. L'ordre d'enlèvement est alors donné par téléphone avec le numéro de la consignation qui correspond physiquement au code-barre apposé sur le colis/container/palette, en même temps qu'est transmise numériquement au transitaire/agrégateur une facture commerciale d'exportation avec le numéro du tarif douanier du Système Harmonisé (mondial).

La procédure se déclenche aussitôt que le transporteur de ramassage scanne le code-barre : elle consiste à découpler la consignation et les documents d'exportation. Le transport international va dès lors consister à propulser la liasse numérique dans les quatre tubes mis bout à bout : la douane export (qui fait un contrôle des chiffres et des statistiques), la compagnie aérienne qui va prendre en soute (dans mon cas, mais ce sera pareil au sol), la douane import (qui fait un contrôle et qui taxe), le transitaire à destination qui sera chargé de recoller les morceaux de la procédure et livrer le client final.

La durée de vol des documents (c'est une expression) est fonction de l'encombrement des tubes, de quelques heures à quelques jours, et la consignation physique n'y est pas liée, elle peut traîner une semaine ou un mois selon les capacités de fret et de manutention à chaque bout.

Pour les connaisseurs, cette procédure fournit les matrices documentaires attendues pour une lettre de crédit éventuelle mais elle n'y est pas liée, ni ne la remplace puisque elle ne crée pas de "papier". J'en vois au fond qui jouent à Super Mario !



Revenons sur l'île verte. Puisque le transport physique et la documentation peuvent être découplés, il n'est pas nécessaire de rebâtir une frontière en dur. Les échanges de marchandises entre les deux entités irlandaises (et partant, entre les pays extérieurs qui les livrent) doivent être simplement numérisées. Des contrôles douaniers aléatoires des opérations de chargement ou de déchargement vérifieront que les colis sont individualisés au code-barre dans un format réglementé et basta. Bien sûr les Douanes pourront lire le code-barre sur une tablette et connaître immédiatement la nature de la consignation, son origine, provenance, code danger, vecteur GPS (voir plus bas).

Cette façon de faire démonétise l'alarme des transporteurs qui brandissent les queues en frontières, les embauches administratives qui les ruineront et toutes histoires de loups-garous qui font rire les vrais acteurs. Question personnel servant le système, disons que déjà le transport national et international mobilise de la documentation et donc des agents administratifs chez les chargeurs, les transporteurs et les clients. Il suffira d'adapter les procédures actuelles au nouveau contexte et rééditer des formulaires (dématérialisés).

On peut monter d'un cran. Si les avions sont parfaitement identifiés et suivis pendant leur vol (transpondeur, squawk, etc), rien n'empêche d'en faire autant par le système Galilée pour les camions et les navires qui passeront une copie numérisée du manifeste (bordereau de chargement détaillé par colis) aux Douanes, le vecteur de transport y étant identifié par un code GPS.


La circulation des marchandises étant résolue, resterait la question des personnes. Ni la Grande Bretagne, ni l'Irlande ne font parties de l'espace Schengen. Que la République d'Irlande contrôle sa frontière comme aujourd'hui et refuse le transit sans visa vers l'Irlande du Nord, et le tour est joué.

Il y a donc des solutions pour contourner cette supercherie politique de la frontière et calmer ce pauvre Boris Johnson qui joue le rôle de sa vie. Comme nous le disions dans le billet de mardi dernier, l'affaire se débat aux Communes, une question d'ego et de supériorité aérienne dans un vol de grues cendrées. On amuse le bon peuple, on dramatise, on se donne de l'importance pour finalement appliquer bientôt ce que vous venez de lire.


Notes :
(*) Le transitaire est le facilitateur entre le commerçant ou l'industriel exportateur et le transporteur international. Il se charge de toute la paperasse (désormais dématérialisée). Il connaît un correspondant transitaire à l'autre bout à qui confier l'importation à destination.

(**) L'agrégateur est une société puissante qui exécute toutes les opérations de bout en bout (on dit door to door). Il dispose de flottes de ramassage, d'entrepôts sous douane, de moyens de manutention lourde et surtout de ses propres avions. A destination, c'est symétrique. Les agrégateurs les plus puissants sont UPS, Fedex, TNT et DHL.

Certaines agences maritimes en font autant avec quelques spécificités, mais elles connaissent aussi le découplement des consignations et des documents, mieux encore, elles éditent des documents de transport "interne" différents des documents classiques exigés par les lettres de crédit.

Postscriptum :
La question nord-irlandaise est loin d'être résolue dans les faits. Les communautés se regardent sans se mêler et la démographie catholique est la plus forte. A terme, 40 ans ? les catholiques seront majoritaires et il sera difficile d'empêcher la réunification de l'île sous l'autorité de Dublin. Cet article deviendra sans objet...


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