jeudi 25 avril 2019

Culture à l'ISSEP

« La culture, c'est ce qui demeure dans l'homme lorsqu'il a tout oublié » [Emile Henriot (1889-1961) entre autres]. L'aphorisme fit florès, on l'attribua même au président radical-socialiste Edouard Herriot pour l'avoir cité dans son ouvrage Notes et Maximes. Qu'importe finalement s'il ne s'agit que d'expliquer l'importance d'une imprégnation culturelle dans la vie en société en insistant sur les moyens de l'obtenir.
Si Montaigne militait (comme Rabelais d'ailleurs) pour des têtes bien faites plutôt que bourrées, il anticipait l'avalanche de paradigmes nouveaux qu'il faudrait bien comprendre sans fouiller toutes les archives de l'humanité. Quoi de plus utile que de construire en chacun son laboratoire intellectuel. La directrice de l'ISSEP de Lyon est sur cet axe. Elle développe Montaigne à sa façon. Cela nous change des ravins abrupts du Rassemblement national familial :





DE L’IMPORTANCE DE LA CULTURE GÉNÉRALE


Avant de plaider pour l’intégration de la culture générale dans la formation des futurs dirigeants politiques, rappelons d’abord ce que la culture générale n’est pas.

La culture générale n’est pas une simple accumulation de connaissances. Elle est la tête bien faite, autrement dit, l’intelligence transversale capable de rassembler des informations, apte à puiser dans différentes matières sans être enfermée dans un domaine d’expertise et disposée à confronter le présent au passé pour en tirer des leçons, une analyse, un jugement.

Il ne s’agit ici pas de quantitatif mais de qualitatif. Il ne s’agit pas d’avoir mais bien d’être. La culture générale n’est pas faite pour briller en société, elle aide à penser, à vivre, elle façonne la personne et sa façon d’appréhender le monde. Qui a lu Balzac, qui a entendu Chopin, qui a admiré les statues du Bernin, qui a vibré au récit de la bataille de Patay ne perçoit pas les murmures du monde de la même manière.

A l’heure où la gouvernance et l’administration des choses ont remplacé le gouvernement des peuples, où le langage et la pratique managériale ont remplacé la Politique, il est important de rappeler que la capacité à conduire des Hommes émane moins de techniques toutes-faites de management que d’une bonne connaissance des tréfonds de l’âme humaine (à ce titre, la qualification désuète d’Humanités pour désigner la culture générale prenait tout son sens) et d’une réelle capacité de discernement. Le Général de Gaulle résumait parfaitement ces bénéfices dans son ouvrage Au fil de l’épée : « La véritable école du commandement est celle de la culture générale. Par elle, la pensée est mise à même de s’exercer avec ordre, de discerner dans les choses l’essentiel de l’accessoire [...] de s’élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances. Pas un illustre capitaine qui n’eût le goût et le sentiment du patrimoine et de l’esprit humain. Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote…»

Dans un monde où les expertises sont rapidement obsolètes, où l’intelligence artificielle commence à concurrencer l’intelligence humaine, où les professionnels sont amenés à changer plusieurs fois, non pas de postes, mais de métiers, il est indispensable de comprendre rapidement, de savoir construire un raisonnement, de développer son esprit critique. Telle sont les véritables compétences attachées à la mobilité si souvent citée comme nouvel impératif dans le monde du travail.

Un futur dirigeant politique ne peut se dispenser de s’enraciner dans une culture et une histoire pour s’imprégner de l’inconscient du peuple, de sa mentalité et de ses mœurs en vue de lui donner un cap auquel il adhérera. Comme le disait André Charlier dans l’une de ses lettres adressée à ses élèves: « l’âme d’une maison, comme celle d’un peuple, est faite de beaucoup de fidélités silencieuses ».

S’inscrire dans le temps long c’est accepter d’être le dépositaire de ces fidélités qui nous dépassent. C’est en comprendre la valeur et la fragilité, car la fraternité humaine est un sentiment que l’on ne peut imposer ou décréter. Il est le fruit mûr du temps et d’échanges séculaires qui façonnent la reconnaissance de soi en l’autre au point de se sentir responsable de lui.

Le politique qui s’amuse à déstructurer cette fraternité par méconnaissance, inadvertance ou pire, par lâcheté ou cynisme est terriblement coupable. S’attaquer à ce legs est la pire des trahisons car il constitue le socle de notre société et la condition de son harmonie.

Rechercher une culture générale est un exercice d’humilité.

Effleurer l’immensité des savoirs qui nous ont précédés permet de mesurer à quel point nous ne savons rien ou si peu. Cet exercice aide à se prémunir contre la grande vanité frappant chaque génération, qui consiste à se croire bien supérieure dans la morale et l’esprit à la précédente. Tous ces savoirs nous invitent à pratiquer la prudence, cette vertu que la philosophie grecque puis la doctrine chrétienne présentent comme cardinale.

Voilà pourquoi l’ISSEP place la culture générale au cœur de son projet pédagogique. Afin que les futurs dirigeants politiques que nous formons abordent la politique pour ce qu’elle est : une science de l’Homme, l’art de son gouvernement, la poursuite de ce qui sied à sa cohésion et à son bien-être.


Marion MARÉCHAL
Directrice générale de l’ISSEP
(original ici)

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