vendredi 25 octobre 2019

La grande croix de Los Caídos


La translation des cendres du généralissime Francisco Franco le 24 octobre 2019 a été déléguée à la famille du Caudillo à ce qu'en ont voulu montrer les reportages de la presse espagnole, particulièrement celui d'El País qui a fait un direct non-stop sur l'évènement. Le gouvernement socialiste s'est contenté d'envoyer la ministre de la Justice pour surveiller l'extraction du cercueil du mausolée et son chargement sur l'hélicoptère de l'Armée de l'Air mis à disposition sur requête de la Guardia civil. Nous ne revenons pas sur cette journée très significative de l'acharnement du président Sanchez en pleine campagne électorale, significative aussi des maigres bataillons franquistes accompagnant la réinhumation dans la chapelle funéraire des Franco au cimetière communal de Mingorrubio, car ce n'est pas de cela qu'il s'agit dans ce billet.

Si l'on suit depuis un an les déclarations des leaders de la gauche espagnole, on peut déceler l'intention qui motive cette première translation (celle de Primo de Rivera, fondateur de la Phalange, est prévue sinon faite) qui n'est que la "défranquisation" du pays à l'image de ce qui s'est fait en Russie pour Staline ou en Allemagne pour Hitler. En Italie, ce fut plus cool. Un commentateur de l'évènement insistait aujourd'hui sur l'évidence que les "restes" de Franco n'étaient pas dans cette bière portée par ses descendants, mais plutôt dans tout le pays, dans des lois, des positions sociales, des monuments publics, des fortunes... Ce n'est donc pas seulement le site du Valle de Los Caídos qui est menacé mais tout l'héritage franquiste. On pense à la Fondation Franco présidée par le prince Luis-Alfonso de Borbón, entre autres.

La dénazification de l'Espagne ne pourra pas s'opérer sans heurter les convictions patriotiques ancrées profondément dans beaucoup de familles qui furent jadis du côté du manche mais surtout sans attaquer de front de puissantes positions établies de longue date. Si l'on sait que ce pays fut fondé à l'origine sur l'amalgame jamais conclu de royaumes orgueilleux, les fameuses Espagnes des titres portés par le souverain, ce pays ingouvernable aux dix millions de rois, disait Ferdinand VII, doit chercher en permanence sa cohésion. Les séparatismes basque, catalan et galicien sont là pour nous en faire souvenir. Si la désacralisation commencée du mausolée de Los Caídos n'a jusqu'ici déclenché aucun soulèvement parce que la guerre civile est finie depuis quatre-vingt ans et que les gens sont abrutis par les difficultés de la vie quotidienne, il n'est pas dit que la société espagnole ne se fracture plus encore entre partisans de l'ordre et progressistes béats si l'affaire continue. Mais pis encore pour le pouvoir, l'attaque contre les fortunes acquises pourrait lever des contestations du grand capital espagnol qui n'ira pas de main morte contre les apprentis sorciers de la Vérité à tout prix, tant ils ont de choses à cacher.

Ce que ne dit pas le PSOE mais d'autres ne s'en privent pas, c'est que dans l'héritage franquiste qui doit être purgé se trouve la dynastie des Bourbons (honnie en Catalogne). Et finalement la monarchie elle-même imposée par le Caudillo. Ce qui se joue en Espagne à échéance de cinq ans ou un peu plus, n'est pas seulement la "défranquisation" à l'européenne mais l'inversion des cartes en main lors de la victoire de 1939. C'était une guerre civile et Pedro Sanchez donne l'impression de souvent l'oublier. D'oublier aussi que dans aucun des pays qu'il prend pour modèle n'a éclaté de guerre civile sauvage comme en Espagne. Veut-il gagner la guerre perdue par ses pères ? Il pensera l'avoir gagnée quand on descendra la grande croix de Los Caídos qui menace la circulation aérienne. Peut-être que celui qui sert de pape à Rome y trouvera quelque chose à redire à défaut de lui conseiller de ne pas tenter le diable qui fait bombance de la connerie humaine.





Postscriptum du 26.10.19 : Telos fait un point très intéressant sur la situation politique espagnole à l'occasion du transfert de Franco : c'est par ici.

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